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Articles avec #realisatrices tag

Evolution

Publié le par Rosalie210

Kornél Mundruczó et  Kata Wéber (2021)

Evolution

"Evolution" est d'abord un tour de force technique: trois plans-séquence d'environ 30 minutes chacun pour suivre le parcours de trois générations d'une même famille juive germano-hongroise (inspirée de l'histoire de celle de la co-réalisatrice, Kata Wéber qui a également écrit le scénario d'après sa propre pièce de théâtre) victime puis hantée par la Shoah. La première partie est éprouvante et sidérante puisqu'elle se déroule dans le huis-clos d'une chambre à gaz au moment de la libération de Birkenau par les soviétiques. Elle n'est pas réaliste puisque les nazis les avaient détruites avant de prendre la fuite afin d'effacer les preuves les plus évidentes de leurs crimes. Elle montre -métaphoriquement- comment en dépit des efforts de nettoyage du site (entendez par là, d'effacement de la mémoire), celle-ci ressurgit au travers de vestiges humains incrustés dans des murs friables, enfouis dans un sol qui se dérobe et finit par révéler une enfant survivante, Eva. Enfant qui dans le deuxième volet est devenue une vieille femme sénile écrasée par le poids des souvenirs, enfermée dans son appartement de Budapest avec sa fille Léna qui ne supporte plus le fardeau familial et souhaite refaire sa vie à Berlin en faisant jouer le privilège que confère désormais le fait d'être juif puisqu'il permet d'accéder à l'entraide communautaire. Mais encore faut-il le prouver et quand on a passé sa vie à falsifier ses origines pour survivre, ce n'est pas simple. Le règlement de compte mère-fille passe par un déluge de paroles conçu pour faire éprouver au spectateur un sentiment d'étouffement faisant écho à la première séquence jusqu'à ce que celui-ci ne devienne, dans une nouvelle saillie surréaliste, un déluge d'eau. Enfin la dernière partie qui se déroule une dizaine d'années plus tard a pour personnage principal Jonas, le fils de Léna devenu un adolescent berlinois bien décidé à se construire librement, c'est à dire en dehors de l'héritage familial et trouve pour cela une âme soeur qui refuse tout comme lui les assignations culturelles et religieuses. Grâce au naturel de ce jeune couple, on échappe à la lourdeur de la démonstration qui semblait poindre (le retour de l'antisémitisme en relation avec les conflits du Moyen-Orient).

La démarche du film n'est pas sans faire penser à "Maus" qui essayait également de faire comprendre le poids que représente le fait d'être un enfant de survivant. Si selon moi le film ne parvient pas tout à fait à atteindre ses objectifs (j'ai trouvé que la deuxième séquence était un peu brouillonne et longuette et que la troisième frôlait la démonstration sans heureusement y tomber comme je l'ai dit), ce cinéma très dynamique, sensoriel et imagé mérite d'être découvert.

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L'Ange Blond De Visconti - Björn Andresen, De L'Ephèbe à L'Acteur

Publié le par Rosalie210

 Kristina LINDSTRÖM, Kristian PETRI (2020)

L'Ange Blond De Visconti - Björn Andresen, De L'Ephèbe à L'Acteur

A l'heure où Sylvia Stucchi, professeure de lettres classiques à l'université de Milan publie "La dame au ruban bleu: cinquante années avec Oscar", je me replonge dans ma propre adolescence passée dans ma passion pour "Lady Oscar" dont je ne connaissais alors même pas l'auteur puisque les seuls crédits mentionnés au générique étaient ceux des distributeurs français, "Bruno-René Huchez, Caroline Guicheux et cie." ce qui en disait long sur le mépris et le chauvinisme (pour ne pas dire le racisme) alors en vigueur dans l'hexagone vis à vis des séries animées japonaises. Vers 17-18 ans, j'ai eu accès à une première source de vraie documentation, un fanzine italien du nom de Yamato avec un auteur, Francesco Prandoni qui lisait le japonais (et avait donc lu le manga, à l'époque non traduit en Europe) et était capable de faire des analyses de fond. Il y critiquait (à raison) l'actrice du film de Jacques DEMY (que je n'ai pu voir qu'en 1997 car lui non plus n'était pas sorti en France), disant que Oscar était une figure irréelle, inadaptable au cinéma.

Mais à lui aussi il manquait des informations. Le documentaire que Arte a mis en ligne il y a quelques mois (et jusqu'en 2024) sur Björn ANDRESEN, le jeune acteur devenu une icône à la suite de sa prestation dans le rôle de Tadzio dans le film de Luchino VISCONTI "Mort à Venise" (1971) a permis de combler cette lacune. On y voit en effet dans ce documentaire aussi saisissant que douloureux, un Björn ANDRESEN mal remis de cette expérience qui contribua à le plonger dans la dépression et les addictions revenir au Japon cinquante ans après y avoir connu un succès foudroyant suite au film de Visconti et discuter avec ceux qui "volèrent son image" ce qui lui donna ensuite l'impression d'être emprisonné à vie dans le rôle (bien que le premier d'entre eux ait été Visconti lui-même et son équipe dont l'attitude envers le très jeune garçon qu'il était alors s'est avérée indélicate et ce dès le casting, très gênant). Et parmi eux, il y a Riyoko IKEDA, l'auteure du manga "La Rose de Versailles" (le vrai titre de "Lady Oscar") qui explique que tous ses personnages androgynes ont été inspirés par le visage de Björn Andresen. Comble de l'ironie, celui-ci qui est sexagénaire est aujourd'hui le sosie parfait d'un autre personnage de manga qui est culte pour moi: Otcho dans "20th Century Boys" de Naoki Urasawa.

Bien que le mal-être de Björn ANDRESEN ne s'explique pas seulement par le film qui le révéla autant qu'il le crucifia (le terrain familial a joué un rôle déterminant en ne le protégeant pas face aux prédateurs qui se nourrirent de lui), le documentaire fait réfléchir sur cette énième variante de l'exploitation des enfants par les adultes, surtout lorsqu'il s'agit de créer un fantasme sur pattes qui ensuite poursuivra tel un fantôme encombrant celui qui en a été le vecteur.

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L'Accordeur (Nastroïchtchik)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (2004)

L'Accordeur (Nastroïchtchik)

Inspiré des mémoires d'un ancien chef de la police tsariste, l'histoire de "l'Accordeur" est transposée à une époque indéterminée: les personnage portent des costumes sans âge, le noir et blanc déréalise l'environnement ainsi que les cadrages serrés. Si le couple d'escrocs vivotant dans la marginalité qui vont monter un tour de passe-passe pour délester d'une jolie somme deux riches veuves d'âge mûr est assez haut en couleur et leur combine, astucieuse, ce que moi j'ai retenu du film est moins son aspect comique voire farcesque que son caractère mélancolique. Kira Mouratova dresse un portrait touchant des deux victimes, Anna et Liouba que leur manque affectif rend particulièrement naïves et crédules. Dès la première scène du film, le ton est donné: Liouba se jette sur le premier venu et lui offre de l'argent en échange d'une affection qui ne lui sera bien évidemment pas payée de retour. Plus tard, on la verra se faire arnaquer d'une manière encore plus grotesque dans un train. Anna observe avec condescendance les mésaventures de son amie, celle-ci lui servant de miroir de réassurance quant à son propre degré de vulnérabilité. Elle est donc complètement aveuglée par le numéro de séduction d'Andreï, l'accordeur de piano qu'elle a pris sous son aile et contrairement au spectateur qui n'en perd pas une miette, ne voit aucune des ficelles qu'il met en place pour la dépouiller.  

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Slalom

Publié le par Rosalie210

Charlène Favier (2020)

Slalom

"Slalom", sorti en 2020 sur un sujet brûlant (les abus sexuels commis sur des mineurs dans le milieu du sport de haut niveau) est un film inégal. Le début est assez convaincant. La relation malsaine entre la jeune sportive de haut niveau et son entraîneur (Noée ABITA et Jérémie RENIER, tous deux très bons) se met en place par petites touches qui dès le début mettent en scène l'appropriation d'un corps par un autre, même si c'est au départ dans un but de performance sportive et non d'abus sexuel. La psychologie n'est pas oubliée avec le portrait d'une adolescente qui se cherche et qui projette son besoin de reconnaissance autant que ses premiers émois sur son entraîneur alors que ce dernier semble très vite surinvestir sa jeune prodige à travers qui il espère prendre une revanche, lui-même ayant échoué. La famille de Lyz étant aux abonnés absents, elle lui laisse le champ libre, au point qu'il finit par lui proposer de venir vivre avec lui et sa compagne, laquelle s'avère être un ectoplasme. Bref, le terreau est propice au dérapage et celui-ci ne manque pas d'arriver: lorsque Fred déverse ses pulsions sexuelles sur Lyz, celle-ci est incapable de lui résister, se murant dans le silence et la sidération. Hélas, à vouloir trop coller au point de vue de la jeune fille, le film en devient glacé et abstrait, rétrécissant son champ de vision alors qu'il aurait été intéressant d'interroger les nombreux témoins: les autres jeunes sportifs dont certains sont jaloux de Lyz et la montre du doigt, la compagne qui sait mais se tait ou la mère qui ne veut rien voir. Une fois le méfait accompli et l'omerta bien installée, le film semble ne plus rien avoir à raconter sinon de montrer que les victoires ne comblent plus le vide glacial qui s'est emparé de Lyz. L'histoire fait du sur-place et se termine en queue de poisson: frustrant.

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Nomadland

Publié le par Rosalie210

Chloé Zhao (2021)

Nomadland

Plus que Terrence MALICK ou Ken LOACH, c'est au film de John FORD, "Les Raisins de la colère" (1940) d'après le roman homonyme de John Steinbeck que j'ai pensé en regardant "Nomadland". Parce qu'il y a d'évidents points communs: la même cause, une crise économique dans un système capitaliste libéral produit les mêmes effets, elle frappe des territoires qu'elle désertifie et jette dans la précarité des cohortes de gens qui en perdant leur emploi et leur logement se retrouvent à errer sur les routes, d'abri temporaires en jobs provisoires. Néanmoins il y a aussi des différences frappantes entre les deux films. L'une d'entre elle réside dans l'individualisme propre à l'époque contemporaine. Dans les années 30, le déracinement concernait des familles entières et il était rare de voir des gens isolés. Il y avait aussi encore une foi dans le pouvoir de la collectivité alors que ce que montre le film de Chloé ZHAO ressemble à un univers post-apocalyptique dans lequel toutes les structures sociales ont été atomisées au profit d'un grand vide. Vide dans les scènes d'intérieur comme d'extérieur dans lequel les humains ressemblent à des fourmis écrasées par la paysage démesuré. Autre différence majeure, la figure de l'ennemi était bien identifiable dans le film de Ford. Même si ses représentants se déchargeaient de toute responsabilité personnelle, ils agissaient au nom du système avec une extrême violence afin de soumettre leurs victimes. Dans "Nomadland", l'ennemi n'a plus de visage, il n'est plus identifiable car il s'est désincarné. L'exploitation vis à vis d'une main-d'oeuvre corvéable et jetable à merci reste la même, mais elle est automatisée, robotisée et virtualisée. Conséquence, les travailleurs exploités ne semblent plus avoir conscience de la réalité de leur sort, ils revendiquent comme un choix de vie (le nomadisme dans la proximité avec la nature et la solitude ponctuée de rencontres sans engagement) ce qui est en réalité le fait d'une aliénation. L'attitude apparemment neutre et distanciée de la réalisatrice, Chloé ZHAO et l'hermétisme du personnage de Fern (Frances McDORMAND) peuvent rebuter. Néanmoins, même si le film emprunte parfois les apparences d'un documentaire, il raconte bien une histoire et ouvre des pistes de réflexion. Par exemple, la trajectoire de Dave éclaire par contrecoup celle de Fern. Dave choisit en effet de se réaffilier à la naissance de son petit-fils ce qui lui permet de prendre à nouveau racine. Il offre cette possibilité à Fern qui la rejette, celle-ci décidant même de se détacher définitivement de son ancienne existence sédentaire (liée à son mari décédé dont elle ne parvient pas à faire le deuil) en liquidant son garde-meuble au profit d'une vie d'errance, dans un plan qui rappelle encore une fois John Ford, mais cette fois dans "La Prisonnière du désert" (1956). Lorsque Nathan Edwards ramène Debbie chez elle mais sans lui-même franchir le seuil de la maison*, le cadre semble le repousser dans l'anéantissement du désert comme le fait l'ancienne maison abandonnée de Fern dans une séquence où elle comprend qu'elle est sans doute intérieurement morte.

* Un schéma que l'on retrouve aussi dans ce qui est l'un de mes films préférés, "Paris, Texas" (1984), où un homme ressoude les liens entre sa femme et son fils, leur permettant de refonder une famille mais il s'en exclue lui-même, préférant se laisser engloutir par le désert.

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En Thérapie, saison 2

Publié le par Rosalie210

Eric Toledano, Olivier Nakache, Agnès Jaoui, Arnaud Desplechin, Emmanuelle Bercot, Emmanuel Finkiel (2022)

En Thérapie, saison 2

La deuxième saison de la série "En Thérapie" qui avait créé l'événement l'année dernière et que je viens de terminer en seulement cinq jours est une éclatante réussite. Elle est même supérieure à la première saison qui était déjà d'un niveau remarquable mais qui présentait quelques défauts qui ont disparu de cette nouvelle saison. Je pense en particulier à l'intérêt très inégal des différents patients que recevait le docteur Dayan. Le succès de la première saison a sans doute libéré le champ des possibilités d'enquête intérieure (car qu'est ce que l'analyse sinon une enquête sur soi afin que l'éclairage des zones d'ombre de sa personnalité et de son histoire vienne apaiser les souffrances, rendre compréhensible ses actes et son cheminement et ainsi permette de vivre plus en harmonie avec soi, les siens et le monde) car les scénaristes du tandem Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE osent aller beaucoup plus loin et affronter le tabou de la mort ainsi que s'approcher au plus près de la véracité d'un travail analytique (actes et paroles manquées, interprétation des rêves etc.). L'intervention du psychiatre et psychanalyste Serge Hefez dans l'écriture du scénario se ressent. Exit donc les affaires de coeur et autres dissensions de couple qui polluaient la première saison à la manière d'une rengaine sentimentale un peu éculée. Le penchant du docteur Dayan (Frédéric PIERROT, extraordinaire dans sa capacité à exprimer par le moindre de ses regards, de ses expressions, par les postures de son corps tous les états d'âme de son personnage) à sortir de son rôle pour jouer les sauveurs et sa profonde culpabilité liée au fait de ne pas y parvenir sont ici profondément questionnés:

- Au travers des fantômes de la saison 1 (dont les événements sont situés cinq ans avant la saison 2 qui s'ouvre au sortir du premier confinement de l'ère covid) qui reviennent le hanter, la mort de Adel Chibane (Reda KATEB) s'étant muée en procédure judiciaire aboutissant sur un procès dans lequel intervient Esther (Carole BOUQUET), l'ancienne superviseuse de Philippe.
- Au travers de sa propre enfance et adolescence qu'il affronte avec l'aide d'une nouvelle superviseuse qui devient au fil du temps une égale et presque un miroir de lui-même, forte et fragile à la fois, remarquablement interprétée par Charlotte GAINSBOURG (qui avait déjà joué sous la direction de Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE dans "Samba") (2014). Le titre de son livre est programmatique du sens de la série comme de ce qu'elle apporte à Dayan: "la psychanalyse réenchantée".
- Au travers de ses nouveaux patients qui sont tous à un titre ou à un autre en danger de mort (physique, symbolique, filiale ou sociale): l'avortement, le suicide, le cancer, le cyberharcèlement, la dénutrition poussent le docteur Dayan dans ses retranchements tandis que les acteurs qui les interprètent, tous brillants, offrent des compositions subtiles et complexes. On mesure une fois de plus le talent de Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE à faire travailler harmonieusement des gens d'horizons très différents voire opposés et à sortir le meilleur d'eux-mêmes que ce soit au niveau des différents réalisateurs des épisodes (Agnès JAOUI qui a également un petit rôle dans la série, Arnaud DESPLECHIN dont je me suis rappelé qu'il avait déjà abordé la psychanalyse dans "Jimmy P. (Psychothérapie d un Indien des Plaines)" (2013), Emmanuelle BERCOT, Emmanuel FINKIEL) ou bien au niveau des acteurs (Eye HAÏDARA qu'ils avaient d'ailleurs révélé dans "Le Sens de la fête" (2016), le jeune Aliocha Delmotte dont le rôle est autrement plus intéressant et touchant que celui de ses parents dans la saison 1, Suzanne LINDON, fille de qui affirme une présence forte bien à elle et enfin le grand Jacques WEBER que l'on est plus habitué à voir au théâtre et dont l'intensité des échanges, non-verbaux surtout avec Frédéric PIERROT atteint des sommets).

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Night Moves

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2013)

Night Moves

Il est rageant que Kelly REICHARDT n'ait pas su trouver une conclusion satisfaisante à son film. Car le reste était remarquablement tenu. Maniant parfaitement les codes du thriller et du film de casse mais les mettant au service de son style minimaliste et épuré, la cinéaste signe une fable prenante sur la dérive terroriste de trois militants écologistes radicalisés qui préparent puis exécutent un attentat contre un barrage. Dès le début, elle sème de petits cailloux destinés à instiller le doute dans l'esprit du spectateur sur la réussite de l'entreprise du trio. Josh (Jesse EISENBERG) et Dena (Dakota FANNING), deux jeunes idéalistes à l'esprit faible, découvrent en effet que leur partenaire, l'ancien Marine Harmon (Peter SARSGAARD) plus âgé et plus expérimenté leur a menti concernant ses antécédents, ses relations ou l'environnement du barrage qu'ils ont décidé de faire sauter. Mais en dépit de ces mensonges et d'autres signes annonciateurs tels que la crise d'urticaire qui touche Dena ou le contretemps d'un automobiliste qui s'arrête juste en face du barrage piégé, ceux-ci ne parviennent pas à s'extraire de leur projet fou et ce sont eux qui en paieront les conséquences, le troisième devenu un "deus ex machina" (il n'est plus visible à l'écran et s'agit plus qu'au téléphone) continuant sans difficulté à les manipuler en attisant leur paranoïa pour faire en sorte qu'ils se neutralisent mutuellement une fois l'attentat accompli. La beauté des paysages filmés (ceux de l'Oregon, comme dans tous les films de la réalisatrice) et l'attention portée aux gestes méticuleux des fermiers ne fait pas oublier l'essentiel: la contradiction fondamentale que constitue le fait de tuer par idéal (surtout lorsque cet idéal consiste à sauver le vivant!) et l'amère solitude des jeunes gens qui agissent ensemble mais qui doivent ensuite supporter seuls le poids de leurs actes. A ce titre, c'est Josh le maillon le plus faible, celui que la caméra isole dans tous les lieux où il passe et qui coupe peu à peu les derniers liens qui le retenaient au reste de la société.

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Marie Curie et la lumière bleue

Publié le par Rosalie210

Marie Noëlle Sehr (2016)

Marie Curie et la lumière bleue

"Marie Curie" (dont le titre est aussi "Marie Curie et la lumière bleue") est le troisième film que je vois consacré à la plus célèbre chimiste et physicienne de l'histoire après le léger et sympathique "Les Palmes de M. Schutz" (1996) et le lourdingue "Radioactive" (2019). Simple coïncidence sans doute, Charles BERLING reprend le rôle de Pierre Curie qu'il jouait déjà dans le film de Claude PINOTEAU. Cependant il est assez peu présent à l'image car le film se concentre sur les cinq années qui ont suivi sa mort et les difficultés que Marie Curie a rencontré pour parvenir à s'affirmer dans un monde scientifique misogyne et une opinion publique travaillée par le nationalisme. L'actrice polonaise qui interprète Marie Curie (Karolina GRUSZKA) est très convaincante tout comme l'ensemble de la distribution (avec notamment le rare André WILMS dans le rôle de Eugène Curie). Cependant la réalisatrice n'évite pas tous les écueils. Si elle montre à raison que le scandale lié à la liaison que Marie Curie aurait eu avec Paul Langevin est teinté de sexisme, de xénophobie et d'antisémitisme, elle prend cette histoire (qui n'a d'ailleurs jamais été complètement avérée) pour argent comptant sans remettre en perspective les calomnies nourries de fantasmes dont Marie Curie, femme libre dans un milieu d'hommes qu'elle surplombait de son génie (à l'exception d'Einstein, montré à juste titre comme un être à part tout comme elle) a toujours fait l'objet. D'autre part elle fait de presque tous les scientifiques français de l'époque des crétins qui auraient passé leur temps à lui mettre des bâtons dans les roues alors que dans la réalité, Marie Curie a tout de même reçu des marques de reconnaissance (autres que ses prix Nobel) et des postes à responsabilité. Même si la réalisatrice a raison de montrer la solitude de Marie Curie dans un aéropage masculin, elle est un poil trop manichéenne. Et puis plutôt que de relater cette période déjà labourée en tous sens, elle aurait pu s'intéresser au rôle joué par Marie Curie pendant la guerre aidée de sa fille, Irène qu'elle filme de façon insistante mais sans la développer alors qu'elle est une personnalité moins connue que sa mère mais au parcours tout aussi exceptionnel.

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Old Joy

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2006)

Old Joy

Autant je suis restée un peu sur ma faim devant "Wendy & Lucy" (2008) et "First Cow" (2019) qui sont les deux films de Kelly REICHARDT que j'ai vu précédemment, autant celui-ci m'a emporté sans réserve, fait planer et procuré de grandes émotions. A quoi cela tient-il? Les ingrédients sont pourtant semblables. Un style minimaliste et épuré. Un rythme lent et contemplatif. Une intrigue qui tient sur un timbre-poste (deux amis qui se sont perdus de vus partent camper dans une forêt de l'Oregon). Des acteurs peu connus et anti glamour au possible (l'un est chauve et barbu, l'autre a le visage émacié et le nez tordu et aucun artifice ne vient redresser leur image). Mais il y a deux différences qui m'ont paru décisives par rapport aux deux autres films cités. L'enjeu d'abord. Dans "First Cow", il n'y en a aucun. Dès les premières images, le dénouement est révélé ce qui rend le flashback qui occupe l'essentiel du film assez dérisoire. De plus les deux personnages se ressemblent trop ce qui ôte tout sel à leur relation. Dans "Wendy & Lucy", la question de savoir si Wendy va ou non retrouver son chien ne tient pas non plus tellement en haleine. Alors que dans "Old Joy" il y a une vraie tension dramatique entre les deux protagonistes. Car plutôt que de montrer des marginaux dans leur bulle, elle adapte une nouvelle de Jonathan Raymond qui isole du monde le temps d'un week-end deux anciens amis qui ont suivi des chemins radicalement différents. L'un, Kurt est devenu un marginal quelque peu hédoniste, refusant les responsabilités de l'âge adulte et en décalage avec la civilisation moderne alors que l'autre, Mark a choisi la voie conformiste (mariage, boulot, enfant à naître, maison, chien etc.) Tout au long de leur périple, on observe leur difficile cohabitation. Aucune hostilité franche mais des regards et des petites phrases qui en disent plus long que des discours sur ce que chacun pense de l'autre et de ses choix de vie. En bon citoyen américain productiviste, Mark laisse filtrer des marques de mépris envers l'assisté qu'est Kurt alors que ce dernier manifeste sa désapprobation dès que le téléphone de Mark sonne, lui rappelant qu'il y a une femme entre eux.

Car le deuxième aspect fondamentalement différent de "Old Joy" par rapport aux autre films de Kelly REICHARDT que j'ai pu voir est sa dimension érotique. Un érotisme qui fait penser à celui de "Lady Chatterley" (2006) et son homme des bois. Car une fois loin de toute civilisation (laquelle est longuement filmée sous ses aspects les plus toxiques, d'interminables sites industriels jusqu'au coeur d'une décharge sauvage en pleine forêt), les différences s'effacent comme par magie, le temps d'une communion mystique et charnelle avec la nature lorsque les deux hommes prennent un bain dans une source chaude et se dépouillent de leurs vêtements (c'est à dire symboliquement de leurs rôles sociaux). Une séquence de temps suspendu dans laquelle les sens sont exacerbés (la vue, les sons, en particulier celui de l'eau qui coule, le toucher avec le passage du massage, l'odorat et le goût avec l'absorption de substances planantes) qui invite à la rêverie et au lâcher-prise ce qu'un très beau plan sur la main de Mark en train de s'abandonner souligne. Un autre plan montre par un effet d'optique les pieds des deux hommes entrelacés comme s'ils étaient devenus amants. Bien entendu cet instant n'est qu'une parenthèse qui après avoir ouvert une brèche vers "un autre monde possible" se referme aussitôt avec le retour au bercail qui condamne la relation entre les deux hommes. Mark, chassé de l'Eden (ce qui amène à méditer sur le sens du titre) reprend son train-train habituel alors que Kurt qui est sur le point d'être expulsé est montré comme en voie de clochardisation.

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Les Longs adieux (Dolguie provody)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (1971)

Les Longs adieux (Dolguie provody)

"Je me souviens dans un film, j'ai eu des sensations vraiment fortes de ce que c'est que toucher. C'étaient deux mains qui caressaient un chien. Les mains se frôlaient. celle du garçon n'osaient pas toucher celles de la fille. Et les poils du chien... ça faisait une impression... très érotique, je crois."

"C'était quel film?"

"Les longs adieux de Kira Mouratova."

"Akira, un japonais?"

"Non, Kira. Kira Mouratova. Une ukrainienne. J'adore ses films. C'est rare les films où on a l'impression que les choses existent à ce point, jusqu'à en sentir les caresses."

(Kira Mouratova par Jean-Paul Civeyrac, Blow Up, Arte, 2019 à l'occasion de la rétrospective consacrée à la cinéaste décédée en 2018 par la Cinémathèque).

Kira Mouratova, dont le second métrage, "Les Longs adieux" est disponible en ce moment sur la plateforme Henri de la Cinémathèque jusqu'au 5 avril 2022 a une identité complexe puisqu'elle est née en 1934 d'un père russe et d'une mère roumaine en Bessarabie, une région qui était alors roumaine (elle est aujourd'hui moldave). Mais elle a réalisé presque tous ses films dans le studio d'Odessa où elle a vécu jusqu'à sa mort ce qui l'a conduite à affirmer après la dislocation de l'URSS son identité ukrainienne, réaffirmée en 2014 lors de l'annexion de la Crimée. Durant toute sa carrière, elle a refusé de servir les intérêts de la propagande soviétique ce qui l'a exposée à la censure. Ainsi "Les Longs adieux" dont le ton contemplatif et mélancolique ne pouvait être utilisé pour galvaniser les foules est resté invisible jusqu'en 1987, date à laquelle il a été redécouvert durant la Perestroïka.

"Les Longs adieux" relate la relation tourmentée entre une mère divorcée possessive et immature et son fils adolescent mal dans sa peau. "Ni avec toi, ni sans toi" pourrait-on l'intituler tant le film ressemble à une valse-hésitation entre cette mère incapable de couper le cordon au point de ne pouvoir refaire sa vie et son fils qu'elle étouffe, qu'elle empêche de grandir et qui a bien du mal à trouver la bonne distance pour pouvoir exister par lui-même, ce que le film montre de façon éclatante au travers de l'éloignement et du rapprochement de leurs corps mais aussi de leur relation vis à vis d'autres corps. Car Sacha est attiré par les filles de son âge et son bouillonnement hormonal se traduit par des scènes extrêmement sensuelles (celle du chien mais aussi celle du ruban dans les cheveux). Il envisage également de partir vivre avec son père qui apparaît cependant comme bien trop lointain pour pouvoir l'arracher à sa mère à laquelle il reste scotché. De son côté, les velléités de séduction de celle-ci auprès d'hommes de son âge sont étouffées par l'obsession de perdre l'emprise qu'elle a sur son fils ce qui la conduit à adopter des comportements de harcèlement. La scène la plus impressionnante de ce point de vue est celle où à force d'insistance auprès d'une guichetière, elle parvient à subtiliser et à ouvrir le courrier envoyé par son ex-mari à Sacha en dépit de la précaution qu'a pris ce dernier d'utiliser la poste restante. Guichetière qui est enceinte ce qui expliquer sans doute qu'elle ne parvienne pas à résister à la pression maternelle, plus forte que la Loi des pères semble nous dire la cinéaste. Pas vraiment raccord avec l'idéologie soviétique, égalitaire de façade et patriarcale en profondeur dans laquelle les mères devaient enfanter une armée de travailleurs et de soldats pour la gloire du régime.

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