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Articles avec #realisatrices tag

Chien bleu

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2018)

Chien bleu

Après l'émerveillement et l'émotion qu'a suscité en moi le premier long-métrage de Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH, j'ai eu envie de voir leurs courts-métrages et j'ai trouvé sur le net ce magnifique "Chien bleu" qui contient en miniature toute la beauté et la sensibilité qui les caractérisent.

Le titre "Chien bleu" est polysémique. Il se réfère d'abord au célèbre album jeunesse de Nadja édité par l'Ecole des loisirs et d'ailleurs on retrouve dans le film un plan identique à la couverture où le chien bleu se détache sur un fond jaune. Cet hommage est lié au fait qu'il y a toujours des traces nostalgiques de l'enfance dans leurs films. Comme dans "Gagarine" (2020), le travail sur la couleur des deux cinéastes est exceptionnel, déclinant ici toutes les nuances du bleu pâle au bleu nuit avec également en parallèle un travail sur les formes géométriques, rectangulaires et circulaires.

Mais ce travail formel est au service d'un récit qui comme dans "Gagarine" s'ancre dans le bitume des cités taudifiées de banlieue pour s'élever vers le ciel. Le bleu prend alors tout son sens, plus exactement un double sens contradictoire. D'un côté des "idées bleues" du père de Yoann (Rod PARADOT que j'aimerais voir plus souvent au cinéma tant il est éclatant de sensibilité) qui vit cloîtré chez lui en proie à une profonde dépression qui se manifeste par une obsession monochrome pour le bleu qui sature son environnement et qu'il a déteint sur son chien. Et de l'autre, le bleu est aussi la couleur de Soraya (Mariam Makalou), la jeune femme solaire que rencontre Yoann et qui pratique la danse tamoul sur les toits, en référence aux divinités hindoues. Car le bleu, couleur du ciel est aussi la couleur des dieux. Cette élévation spirituelle est déjà une façon de s'arracher à la pesanteur et à la tristesse qui l'accompagne pour devenir aussi léger que les oiseaux, ceux-ci (de couleur bleue) étant également longuement filmés par le duo. Par l'intermédiaire de Yoann qui cherche une issue pour son père, celui-ci peut donc quitter sa bulle bleue (dans laquelle il se sent en sécurité), mettre son casque (en se peignant le visage) pour rejoindre la station orbitale dans laquelle gravitent les danseuses qui l'attendent pour une rencontre "avec les yeux" pour reprendre la célèbre chanson de Christophe qui accompagne le film. "Le soleil a rendez-vous avec la lune". ^^

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Gagarine

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2020)

Gagarine

"Gagarine" qui devait sortir fin 2020 et qui finalement sortira le 23 juin 2021 est le premier long-métrage de Fanny LIATARD et de Jérémy TROUILH d'après leur court-métrage éponyme réalisé en 2015. Soit le même parcours que pour "Les Misérables (2019). Mais le parallèle avec le film de Ladj LY ne s'arrête pas là et confirme la "montée en gamme" du film dit "de banlieue" dans le sens où c'est en s'y arrachant, en dépassant son sujet, en se détachant du documentaire social, de l'ici et du maintenant qu'il en parle le mieux en touchant l'universel. "Les Misérables" convoquait le passé de Montfermeil et Victor Hugo. "Gagarine" s'ouvre sur des images d'archives qui rappellent également le terreau historique dans lequel a germé la cité: celui des 30 Glorieuses mais aussi d'un certain âge d'or de l'Etat-providence quand la menace communiste en pleine guerre froide poussait les élites dirigeantes à jouer le jeu de la redistribution des richesses pour réduire les inégalité sociales. La construction d'une cité HLM à Ivry-sur-Seine dans la banlieue rouge de Paris inaugurée par le cosmonaute soviétique Youri Gagarine en 1963 est donc emblématique de cette époque de progrès économique et social sur fond de course à l'armement (et à l'espace). Mais un demi-siècle plus tard, la cité Gagarine, comme la plupart des grands ensembles de HLM construits dans ces années-là se sont taudifiés en raison d'un changement radical de contexte économique, social, diplomatique et idéologique. La fin de la guerre froide et le triomphe du capitalisme libéral mondialisé ont sonné le glas des idéaux de justice sociale. Les cités sont devenus des ghettos habités par les populations les plus pauvres, souvent d'origine immigrée. Des "sans-voix" que les pouvoirs publics déplacent comme des pions sans les consulter, leur infligeant un nouveau traumatisme en décidant d'évacuer la cité et de la dynamiter plutôt que de la rénover. Un choix d'urbanisme très politique comme le montrait déjà Ladj LY en ressuscitant à l'intérieur des cités les barricades proscrites par les grandes percées haussmaniennes du XIX° siècle. Car atomiser la cité, c'est atomiser une communauté, un réseau de solidarités en milliers de petites cellules individualisées beaucoup plus facile à dominer (diviser pour mieux régner).

Mais pour les populations de la cité, la décision de leur expulsion est un drame en ce qu'elle les oblige à revivre le traumatisme de leur déracinement, eux qui avaient réussi à s'ancrer quelque part. Elle les renvoie à leur statut de dominés qui n'ont aucune prise sur leur propre vie. En un geste symbolique dérisoire, l'un des habitants décide d'emporter sa boîte aux lettres, signifiant par là que cela au moins, c'est à lui. Et c'est dans ce contexte que le héros, Youri, décide d'entrer en résistance contre cet ordre des choses. Tout d'abord en s'improvisant bricoleur avec quelques amis pour tenter de rénover lui-même la cité. La tache démesurée est vouée à l'échec. Et puis il découvre lui aussi que "sa" cité est en fait considérée par les pouvoirs publics comme leur bien et non celui des habitants. Alors, le bien-nommé Youri se tourne vers les étoiles, transforme la cité vidée de ses habitants mais pas encore détruite en gigantesque vaisseau spatial pour la faire décoller avec lui. Une envolée magnifique, magique qui permet au film de déployer ses ailes dans l'onirisme poétique et renvoie à d'autres actes de résistance similaires: c'est Karl, le vieillard cerné de tous côtés par les immeubles que l'on veut exproprier et envoyer en maison de retraite et qui transforme sa maison en montgolfière ("Là-haut" de Pete DOCTER). Ce sont aussi les employés des assurances Crimson qui après avoir neutralisés leur hiérarchie partent à l'abordage de la finance en transformant leur immeuble en vaisseau de pierre dans le court-métrage de Terry GILLIAM en ouverture de "Monty Python : Le Sens de la vie (1982). Youri recréé un microcosme déconnecté du réel dans lequel il se réfugie comme un enfant sous sa tente grâce à son imaginaire et des matériaux de récupération là où d'autres se résignent ou sombrent dans le désespoir suicidaire. Les réalisateurs subliment cet environnement peu propice à la rêverie grâce à un travail exceptionnel sur les cadrages et les jeux de lumières. Avec eux, les tours et les barres mais aussi les grues et même les chantiers deviennent des fusées et des paquebots futuristes se nimbant de mystère, certains plans renvoyant directement vers "2001, l odyssée de l espace" (1968). On est transporté dans un autre univers, on revit son enfance et on ressent plus que jamais les points communs de tous ceux qui ne parviennent pas à trouver leur place en ce monde et de ce fait se sentent un peu "extra-terrestre": les migrants, les gens du voyage (la petite amie de Youri est Rom et sa communauté vit dans un climat tout aussi marqué par la précarité et l'arbitraire), les handicapés, les inadaptés, les vieux désargentés, les chômeurs, bref toutes les formes de marginalité.

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Antoinette dans les Cévennes

Publié le par Rosalie210

Caroline Vignal (2019)

Antoinette dans les Cévennes

Pour mon premier film en salle depuis le déconfinement, je me suis offert la comédie qui avait fait le buzz juste avant qu'il ne soit plus possible d'aller au cinéma. Franchement, j'ai été déçue. Non que le film soit désagréable, il se regarde avec plaisir, on ne s'ennuie pas du tout mais je trouve le résultat conformiste et inconsistant. En fait c'est une question de dosage. J'aime bien les contes, le western,Éric ROHMER, le "road movie" à pied et à dos d'âne avec une touche biker mais je trouve qu'il n'y a pas assez de tout cela. Ces pistes existent mais à peine entrevues, elles se referment aussitôt: frustrant! J'aurais aimé que la réalisatrice se perde et nous perde sur l'un de ces chemins de traverse. Par exemple en suivant cette énigmatique cowgirl sortie de nulle part qui vient soigner la cheville foulée de Antoinette, sans contact, juste par l'énergie rassemblée dans ses mains à la manière du Qi-Gong. Associée à la chanson "My rifle, my Pony and me" interprétée par Dean MARTIN dans "Rio Bravo" (1959) qu'on entend en générique de fin ça aurait vraiment eu de la gueule car les paysages majestueux des Cévennes se prêtent à cette atmosphère. Ou bien, autre piste possible, celle de Marie RIVIÈRE dont la présence rappelle "Le Rayon vert" (1986), l'un de mes films préférés de Éric ROHMER dans laquelle son personnage, Delphine errait comme une âme en peine d'un lieu de vacances à l'autre, boule de solitude mal-aimable parce que ne se sentant nulle part à sa place mais ayant assez de force de caractère pour refuser de se couler dans un rôle social préétabli. Ou encore, tiens, la petite Pauline, triste héroïne de la Comtesse de Ségur victime d'une mauvaise mère et n'ayant pour seul confident et ami que l'âne Cadichon, la sagesse même, à rebours du "bonnet d'âne". Des portraits de femmes sortant des sentiers battus, ayant une véritable identité que ce soit dans le genre "Johnny Guitar" (1954) ou "La Marquise d O..." (1976) ou "Thelma et Louise" (1991) et sa fin sans compromis. Que nenni. "Antoinette dans les Cévennes" prend bien soin de rester sur le sentier balisé du bon gros vaudeville qui tache avec sa maîtresse aux rêves de pacotille dont la situation est en réalité plutôt sordide (elle fait partie à son insu d'une tractation conjugale, son amant est le père de l'une de ses élèves de CM2, bref c'est malsain) et l'émancipation, toute relative. Certes, elle trace son chemin toute seule mais l'image qu'elle renvoie est quand même celle de la pauvre fille perdue qu'on regarde avec condescendance et qu'il faut aider, soigner, porter. Quant à la fin, elle est ambigüe (comme ça, zéro risques). Va-t-elle guider à son tour ou bien retomber dans ses vieux travers?

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La Cour de Babel

Publié le par Rosalie210

Julie Bertuccelli (2014)

La Cour de Babel

De Julie BERTUCCELLI, je connaissais son documentaire "Dernières nouvelles du Cosmos" (2016) consacré à Hélène Nicolas dite "Babouillec", autiste sans paroles mais capable en alignant des lettres plastifiées non seulement de communiquer mais d'écrire des textes d'une beauté fulgurante. Deux ans auparavant, la réalisatrice avait planté sa caméra au sein d'une classe d'accueil pour élèves primo-arrivants allophones dans un collège du X° arrondissement de Paris. Une sorte de sas entre leur pays d'origine et l'intégration dans la scolarité classique, le temps pour eux de se mettre à niveau, de comprendre les règles de leur pays d'accueil et surtout, de maîtriser suffisamment la langue, point commun avec le documentaire consacré à Babouillec. On est frappé par la diversité des origines de ces élèves puisque pas moins de 22 nationalités différentes sont représentées dans une même classe. Une manière élégante de rappeler que la France est un vieux pays d'immigration ayant connu des vagues successives d'arrivants depuis deux siècles qui ont contribué à bâtir le pays. En dépit des restrictions posées à l'immigration depuis 1974, ceux-ci ont continué à venir soit comme demandeur d'asile (un jeune serbe raconte qu'il était persécuté à cause de ses origines juives) soit au travers du regroupement familial (pour fuir la guerre, la misère, les maltraitances, les traditions barbares telles que l'excision). Le temps d'une année, Julie BERTUCCELLI filme leurs progrès mais aussi leurs doutes et parfois leurs déceptions. La question de la maîtrise du langage n'est pas le seul aspect abordé. Se pose aussi bien sûr la question de la situation familiale qui est souvent marquée par la précarité (juridique, économique, sociale) ce qui perturbe la scolarité ainsi que les différences de culture notamment vis à vis de tout ce qui touche à la religion. La laïcité n'est qu'un rempart imparfait, on s'en compte face à la tentation du repli sur soi et la communauté. Mais c'est l'espoir qui l'emporte autour d'un projet commun et la plupart de ces jeunes frappent par leur courage et leur volonté de s'en sortir.

Néanmoins, le film manque de recul critique et je dirais même d'une véritable contextualisation politique. Car la cure austéritaire post-crise 2008 n'a pas épargné l'école et les choix gouvernementaux sont allés vers la réduction voire l'extinction de ces dispositifs jugés coûteux surtout pour un public considéré comme indésirable (et dont une partie n'a pas vocation à s'installer forcément durablement). Cet aspect là est totalement occulté ce qui biaise un peu le propos.

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Yoyage à Yoshino (Vision)

Publié le par Rosalie210

Naomi Kawase (2018)

Yoyage à Yoshino (Vision)

"Voyage à Yoshino" m'a fait penser à un remake de "La Forêt de Mogari" (2007) avec Juliette BINOCHE qui s'était alors embarquée dans un trip avec les cinéastes japonais du festival de Cannes (encore que "La Vérité" (2019) de Hirokazu KORE-EDA se déroule à Paris). Il m'a également fait penser par son ésotérisme à "Still the Water" (2014) l'un des précédents films de la cinéaste.

Bilan: Les images sont sublimes mais la narration est confuse. Quant à histoire de deuil et de renaissance par le ressourcement dans la nature, elle est bien mieux traitée dans "La Forêt de Mogari" (2007). Pourquoi? Parce qu'il en émanait une fraîcheur et une simplicité dont celui-ci est dépourvu à force de surcharger la barque spatio-temporelle. Il n'y avait pas non plus une célèbre actrice occidentale dans le film qui semble plaquée artificiellement sans parler du fait que la manière dont elle est introduite est d'une insigne maladresse. Elle est présentée comme une touriste alors qu'elle est censé avoir tout un passé douloureux dans cette forêt et posséder des connaissances shintoïstes pointues. De plus elle est accompagnée par Hana, une jeune guide japonaise qui disparaît brutalement du récit sans que cela n'entrave en rien la communication entre elle et son hôte -et bientôt amant- Tomo (Masatoshi NAGASE). Mais ce qui vaut pour Hana, vaut en fait pour tous les personnages du film. Flottants à l'extrême, ils apparaissent et disparaissent du champ pour philosopher, se mettre en situation de transe chamanique (ou amoureuse) ou bien chasser et tuer ou encore mourir et renaître (tout est toujours cyclique chez Naomi KAWASE). Tout cela donne une impression éthérée qui finit par contredire la sensualité véhiculée par les images tant les personnages et leurs relations sont opaques et le dispositif autour, fumeux. Et finalement la montagne accouche d'une souris car cet écran de fumée lorsqu'il se dissipe enfin révèle un dénouement d'une platitude totale.

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Radioactive

Publié le par Rosalie210

Marjane Satrapi (2019)

Radioactive

"Radioactive" n'est pas le premier film consacré à Marie Curie, il y avait déjà eu "Les Palmes de M. Schutz" (1996), adaptation d'une pièce de théâtre par Claude PINOTEAU avec un beau casting (Isabelle HUPPERT, Charles BERLING et Philippe NOIRET). Le film était modeste mais m'avait paru vivant, joyeux, sympathique. La version de Marjane SATRAPI est évidemment beaucoup plus ambitieuse car elle ne joue pas dans la même catégorie que le réalisateur de "La Boum" (1980) mais paradoxalement elle se plante en beauté. Comme quoi la modestie voire la légèreté a du bon quand on veut narrer la vie et l'oeuvre de figures aussi écrasantes que celles des époux Curie. Parce que "Radioactive" allie lourdeur, prétention et inconsistance. Le scénario est aussi scolaire que celui de n'importe quel biopic lambda avec tous les passages obligés racontés dans l'ordre. L'écriture des personnages ne brille pas non plus par sa finesse. Par exemple Marie Curie est présentée sous un angle antipathique de femme arrogante et égocentrique ce qui fait déjà cliché (faut-il être une virago pour réussir dans un monde patriarcal?) mais ce n'est même pas cohérent avec ce qu'elle devient ensuite, une sorte de martyre de la cause scientifique (elle devient une veuve éplorée qui crache du sang) et féministe (elle subit l'opprobre pour avoir eu une liaison et avoir parlé publiquement de plaisir féminin). Mais ce qui m'a le plus consterné, c'est la juxtaposition de l'histoire d'une femme d'exception racontée sous un angle voyeuriste extrêmement irrespectueux (pour ne pas dire putassier) et de flashs grandiloquents sur la postérité apocalyptique de ses découvertes. Comme si Marie Curie était responsable d'Hiroshima et de Tchernobyl! Alors pour tenter de rattraper le coup, on glisse un élément positif sur le traitement du cancer (avec un enfant dans le rôle du cancéreux of course), c'est dire à quel point tout cela est grotesque. Je préfère définitivement le "petit" film de Claude PINOTEAU à ce gros barnum parfaitement obscène.

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Jumbo

Publié le par Rosalie210

Zoé Wittock (2020)

Jumbo

Noémie MERLANT a dit à propos de Jeanne Tantois, son personnage dans "Jumbo" que celle-ci n'était pas autiste. Laissez-moi rire. Elle est toujours seule, se fait harceler, ne regarde pas les gens dans les yeux, leur répond à peine, son visage est inexpressif, elle allume et éteint mécaniquement sa lampe de poche pour se consoler et passe son temps à fabriquer des maquettes dans sa chambre dont elle ne sort que pour aller travailler, dans un parc d'attraction désert la nuit. Noémie MERLANT a donc perdu une occasion de se taire parce que lorsqu'on ne sait pas de quoi on parle, c'est ce qu'il vaut mieux faire. Et c'est d'autant plus dommage que sa prestation est très juste. Et qu'être "queer" (étiquette sous laquelle a été vendue le film pour qu'il paraisse moins étrange sans doute) n'est pas incompatible avec l'autisme, bien au contraire. Le genre étant une construction sociale, il passe par-dessus de la tête de la plupart des autistes qui sont naturellement "queer" c'est à dire ne se reconnaissent pas dans le clivage masculin/féminin. Mais bon, la question essentielle que traite ce film sans le dire explicitement c'est pourquoi certains autistes sont accros ("Jumbo" signifie "crack", c'est une addiction) aux attractions à sensations fortes, plus particulièrement quand elles tournent en rond. Et bien la meilleure réponse qui soit se trouve dans, "Ma vie d'autiste" le livre de, Temple Grandin et plus particulièrement dans le chapitre intitulé "Le Manège". Extrait:

"Par hasard, j'ai découvert un moyen de soulager temporairement mes crises de nerfs. Pendant l'été, avec l'école, nous avons fait une excursion au parc d'attraction. L'un des manèges s'appelait le Rotor, un énorme baril dans lequel les gens se tenaient contre les parois pendant qu'ils tournaient rapidement. La force centrifuge les poussait contre les parois du baril même quand le plancher se dérobait* (...) désormais mes sens étaient à un tel point submergés par la stimulation que je ne sentais ni l'anxiété ni la peur. Je n'éprouvais qu'une sensation de bien-être et de détente (...) Le Rotor est devenu une obsession (...)."

L'explication est très simple. Les sens des autistes sont déréglés. Ils sont soit hyposensibles (ils ne sentent rien) soit hypersensibles (ils ressentent trop). La plupart du temps, ils alternent entre les deux (trop de stimuli et c'est le court-circuit). Certains autistes ne peuvent pas monter sur un manège mais d'autres éprouvent un apaisement à leur anxiété car la surstimulation s'accompagne d'un sentiment de sécurité lié à l'aspect routinier, répétitif du manège. Bref il s'agit d'une extension mécanique de l'autostimulation que pratiquent beaucoup d'autistes pour calmer leur anxiété (balancements, flapping etc.)

Jeanne n'est donc pas folle, son fonctionnement qui la pousse à rejeter les contacts humains au profit d'une histoire d'amour avec un manège est au contraire parfaitement logique pour qui connaît le phénomène. Même les neurotypiques (non autistes) peuvent ressentir de l'excitation sexuelle dans certaines attractions. La machine est prévisible contrairement aux humains et c'est ce qui en fait un formidable allié pour un autiste dont le besoin le plus viscéral est la sécurité. Là où ça se complique, c'est quand le jugement s'en mêle**. De ce point de vue l'écriture du film a la main bien trop lourde, offrant une galerie de personnages stéréotypés bas du front assez désolante. Comme si le monde se divisait en deux catégories, les freaks et les "normaux" affreux, bêtes et méchants. Fallait-il également adjoindre à cette pauvre Jeanne une mère aussi vulgaire, infantile et elle aussi bête à pleurer? Le retournement de dernière minute semble bien peu crédible. Dommage.

* Ce manège est visible par exemple dans "Les Quatre cents coups" (1959).

** Je me souviens encore de l'incompréhension qu'a suscité la joie que ma meilleure amie et moi-même (qui avons par ailleurs longtemps écumé les parcs d'attraction ^^) avons ressenti quand nous avons découvert qu'au Japon, nous pouvions commander nos repas au restaurant sur des machines, comme cela se pratique dans les fast-food en France. Lorsque nous en avons parlé à notre retour, on s'est vu rétorquer que cela manquait de chaleur humaine...

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Place Vendôme

Publié le par Rosalie210

Nicole Garcia (1998)

Place Vendôme

Troisième film de Nicole GARCIA, "Place Vendôme" est le premier film que j'ai vu de cette réalisatrice et reste à ce jour mon préféré d'elle. Certes, les réserves que j'ai sur ses autres films valent aussi pour celui-ci. Nicole GARCIA est prisonnière d'une vision du monde étriquée par les conventions bourgeoises. De film en film, on retrouve les mêmes paramètres castrateurs: petit milieu clos, photographie sombre, cruauté feutrée, personnages engoncés dans leurs costumes sociaux chics comme s'il s'agissait d'armures, lieux luxueux mais impersonnels comme des halls de gare, froideur extrême. Ça manque de naturel, de vie, de chaleur humaine, aucun cheveu ne dépasse. Cette vie sous étouffoir explique paradoxalement le besoin d'évasion de ses films soit du côté du thriller (espionnage, meurtre, escroqueries) soit du côté de la romance (passion délétère, addictions). Mais tout reste bien "peau-lissé" si je puis m'exprimer ainsi.

Néanmoins "Place Vendôme" vaut le détour moins pour son intrigue à grosses ficelles (suicide, trahison, chute et rédemption) ou son aspect documentaire sur le milieu des diamantaires (survolé) que pour son interprétation. A défaut d'avoir un rôle réaliste, Catherine DENEUVE réussit à émouvoir en femme déchue qui relève la tête et reste d'une beauté fascinante. Son tête à tête avec Jacques DUTRONC en vieil escroc séducteur rattrapé par son passé possède une vraie densité dramatique. Et sa relation avec le personnage joué par Jean-Pierre BACRI, payé pour la surveiller mais qui se laisse prendre à son charme fuyant ne manque pas non plus d'intérêt. En revanche répéter cette histoire avec une femme plus jeune en tous points semblable hormis le charisme (Emmanuelle SEIGNER) alourdit le propos.

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Les Chatouilles

Publié le par Rosalie210

Andréa Bescond (2018)

Les Chatouilles

"Les Chatouilles", film coup de poing, comme "Chaos" (2001), résonne comme un cri, celle d'une voix longtemps muselée. Tellement d'ailleurs, qu'elle n'a d'abord été qu'un corps de poupée mis à disposition du voisin pédophile à qui des parents savamment manipulés par celui-ci ouvraient aveuglément leur porte. Les mécanismes sociaux et individuels de l'emprise sont parfaitement décortiqués. Gilbert (Pierre DELADONCHAMPS) est un parfait piège à c..., entre sa réussite sociale qu'il exhibe aux parents d'Odette dont il fait ses obligés et sa vitrine familiale exemplaire derrière laquelle se cache le viol de sa propre soeur. A cela s'ajoute un père (Clovis CORNILLAC) faible et naïf, incapable de jouer son rôle et une mère (Karin VIARD) tellement aliénée par ses propres traumatismes qu'elle finit par en devenir la complice inconsciente du bourreau en lui livrant sa fille pieds et poings liés puis en s'enfonçant dans la haine et le déni une fois le secret révélé. C'est donc par le corps que Odette (Andréa BESCOND qui joue en réalité son propre rôle) exprime sa souffrance. Son rêve d'être danseuse étoile se transforme une fois devenue adulte en soubresauts d'une âme torturée par le silence. Et lorsque les mots sortent enfin devant une psychologue (Carole FRANCK) qui au départ a bien du mal à y faire face, c'est de façon désordonnée, comme le film l'est lui-même: brut de décoffrage, pas aimable, maladroit parfois sur le plan formel mais "who's care?" à part quelques critiques trop esthètes pour apprécier ce flot généreux à défaut d'être toujours parfaitement maîtrisé. Mais de beaux objets polis et vides de contenu, il y en a plein les tiroirs. Le cri de colère de Andréa BESCOND est lui d'une absolue sincérité et à chaque instant elle se donne à la caméra. On sent que ça vient des tripes et du coeur. Son témoignage marque un jalon important de la reconnaissance des souffrances des anciens enfants abusés, leur parole semblant enfin être entendue. Et sa réconciliation avec elle-même, plus exactement avec la petite fille qu'elle a été est bouleversante tant Andréa BESCOND irradie de joie et de larmes mêlées.

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Be Natural: L'histoire cachée d'Alice Guy-Blaché (Be Natural: The Untold Story of Alice Guy-Blaché)

Publié le par Rosalie210

Pamela B. Green (2018)

Be Natural: L'histoire cachée d'Alice Guy-Blaché (Be Natural: The Untold Story of Alice Guy-Blaché)

La France a peut-être transmis le cinéma aux USA mais sans eux, notre mémoire, notre histoire et notre patrimoine des premières années du septième art serait sacrément amputé. C'est à eux que l'on doit la sauvegarde des négatifs originaux d'une partie de l'oeuvre de Georges MÉLIÈS et c'est eux qui ont contribué, bien plus que la France à sortir de l'oubli Alice GUY. Il faut dire que la France est un pays si conservateur que remettre en cause les histoires officielles du cinéma dans lesquelles cette pionnière est passée sous silence ou bien à peine évoquée suscite de vives résistances. Rien de tel aux USA. Certes, c'est la loi du Big Business qui a été à l'origine de son éviction du 7eme art quand son studio américain, la Solax a fait faillite au début des années 20 comme la plupart des indépendants de la côte est, ruinés par le trust Edison qui a précipité la migration du cinéma en Californie. On remarque au passage que c'est cette loi qui a exclu les femmes des postes de direction dès que le cinéma est devenu une industrie lucrative. Mais en ce qui concerne le domaine de la recherche, les USA n'ont pas les rigidités dont souffre la France et n'ont donc pas hésité à faire une place à Alice GUY entre les frères Louis LUMIÈRE et Auguste LUMIÈRE et Georges MÉLIÈS en soulignant son apport essentiel au cinéma. Alice GUY est en effet non seulement la première réalisatrice de l'histoire mais aussi la première à avoir eu l'idée d'utiliser les images animées pour raconter des histoires. Autrement dit elle a inventé la fiction et ce, dès 1896 alors qu'elle travaillait comme secrétaire pour Léon Gaumont. A cette époque le cinéma n'était pas pris au sérieux, un truc pour les artistes de foire et pour les filles. Alice a profité de cette liberté où tout était alors à inventer non seulement pour réaliser mais aussi produire et diriger ses propres studios, d'abord en France, puis aux USA lorsqu'elle a suivi son mari, Herbert Blaché. Elle a expérimenté de nombreux procédés (couleur, son) et osé raconter des histoires non-conformistes dans lesquelles les femmes sont maîtresses de leurs choix et de leur destin voire inversent les rôles avec les hommes. Le documentaire souligne par exemple l'influence qu'elle a eue, notamment "Les résultats du féminisme" (1906) sur Sergei M. EISENSTEIN et en particulier "Octobre" (1927) ainsi que sur Alfred HITCHCOCK. Il analyse aussi les mécanismes de son effacement de l'histoire, écrite par des hommes qui n'acceptent pas de partager le pouvoir avec les femmes (au point d'attribuer ses films à d'autres comme Louis FEUILLADE alors que c'est Alice GUY qui était sa patronne!) et fonctionne comme un travail d'enquête des deux côtés de l'Atlantique permettant de reconstituer sa vie et son oeuvre, parfois à l'aide d'archives très abîmées qu'il faut patiemment restaurer. Plusieurs de ses films ont été ainsi retrouvés et vont faire l'objet d'une restauration par la fondation de Martin SCORSESE qui est l'un de ses admirateurs.

Preuve des réticences de la France à la réhabiliter (il faut dire que ses institutions, à commencer par la Cinémathèque française sont pour beaucoup dans son enterrement puis dans la minimisation de son apport au cinéma), le documentaire de Pamela B. Green qui avait été présenté au festival de Cannes en 2018 n'est sorti au cinéma qu'en juin 2020 (il devait sortir en mars mais le premier confinement en a décidé autrement) et sa distribution est restée confidentielle.

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