Quatrième saison de "Astrid et Raphaëlle" dévorée en quelques heures sur le site de France tv. Le format est toujours le même, huit épisodes d'environ 50-55 minutes mais à l'exception du premier qui s'inspire de "Ocean's Eleven" (2001) et ses suites et qui ne va pas chercher plus loin que le divertissement, la plupart des autres sous des dehors ésotériques tournent autour de problèmes autrement plus graves touchant au domaine de la bioéthique, de l'inceste et du viol, de l'exploitation des enfants dans le sport ou de traumatismes subis sous des régimes tortionnaires. De son côté, le commissariat s'enrichit d'un nouveau membre, la geek Norah Mansour (Sophia YAMNA) en lieu et place de Arthur (Meledeen YACOUBI) qui avait été pensé seulement comme un rouage des enquêtes. Norah est un personnage plus étoffé qui en dehors de ses activités de décryptage des systèmes informatiques s'interpose involontairement entre Raphaëlle et Nicolas qui ont bien du mal à assumer leur attirance mutuelle. Quel plaisir de retrouver Lola DEWAERE dans le rôle de cette post-adolescente bordélique, franche, fougueuse et pas très à cheval sur les règles. Astrid de son côté se confronte à de nouveaux défis dans son cheminement au royaume des neurotypiques: jamais autant de gens ne sont entrés chez elle! Outre Raphaëlle provisoirement SDF à la suite de problèmes de déménagement, elle doit héberger son jeune demi-frère une fois par semaine et donc apprendre la fonction parentale. Enfin il y a la relation avec son ami japonais, Tetsuo (Kengo SAITO) qui devient de plus en plus intime. Sara MORTENSEN maîtrise sur le bout des doigts son personnage et parvient à le faire évoluer sans pour autant le dénaturer. Le final ne laisse aucun doute sur le fait qu'il y aura une saison 5.
"Mytho" est une série de deux saisons de six épisodes d'environ 45 minutes chacun qui détone un peu dans le paysage audiovisuel français. C'est sans doute son étrangeté au carrefour de plusieurs genres (comédie, drame aux lisières du fantastique) et son aspect amoral inconfortable qui explique sans doute le relatif insuccès de sa deuxième saison qui a condamné la réalisation d'une troisième et dernière saison qui aurait sans doute offert une fin à une histoire qui reste en suspens. Dommage car la série est originale à plus d'un titre. Elle commence comme une sorte de "Desperate Housewives" (2004) à la française (on pense aussi à "La Vie domestique" (2013) qui est la transposition en France d'un roman anglo-saxon se déroulant dans les banlieues résidentielles aisées) et se termine presque comme "Scènes de la vie conjugale" (1972) où après s'être désuni, un couple se reforme selon des modalités différentes. L'ancrage dans un univers de banlieue américanisé est assez caractéristique du réalisateur, Fabrice GOBERT, ainsi le lycée de "Simon Werner a disparu…" (2009) également situé en banlieue avait en son centre un gigantesque campus. Autre élément commun, faire surgir l'étrangeté et l'énigmatique du quotidien le plus banal. On suit en effet sur plusieurs années les péripéties de la famille Giannini-Lambert dont la vie en apparence sans histoires suit en réalité des chemins de plus en plus tortueux. La première saison repose toute entière sur un mensonge que la mère, Elvira (Marina HANDS) élabore pour enfin exister aux yeux de sa famille qui la néglige. Mensonge dont on voit d'abord les effets bénéfiques sur les relations familiales et les avantages sociaux qu'elle en tire (non sans effets comiques ni sentiment de jouissance du spectateur qui connaît par ailleurs les autres petits secrets de chaque membre de cette famille composé de membres très individualistes) avant que tout ne se dérègle. La deuxième saison qui se déroule principalement à noël, fête familiale par excellence offre pourtant derrière sa façade lumineuse et colorée de sa banlieue un paysage de désolation qui s'étend bien au-delà de la famille Lambert, donnant à la série une tournure presque inquiétante. Les auteurs (Fabrice GOBERT et la scénariste Anne BEREST) multiplient les références au cinéma de Jacques DEMY et Agnès VARDA, les parents de Mathieu DEMY qui joue Patrick, le mari d'Elvira: le tarot, le cancer, l'errance, le métier de photographe, Nice et son casino, les soeurs jumelles échappées de "La Cité des enfants perdus" (1994), l'effroyable bonheur conjugal, la transidentité et l'homosexualité (tous deux portés par le fils des Lambert, Sam joué par Jérémy GILLET et sur un mode frustré et vachard par le patron d'Elvira joué par Yves JACQUES) et en point d'orgue, le thème de l'inceste qui est lui concentré entre les mains de Lorenzo (Luca Terracciano). Autre actrice dont ils utilisent l'aura, Catherine MOUCHET, la "Thérèse" (1986) de Alain CAVALIER dont la place devient de plus en plus importante au fur et à mesure que sa secte devient le refuge des membres de familles en rupture avec les leurs. A ces influences fortement revendiquées s'en mêlent d'autres, anglo-saxonnes surtout telle que la hache de "Shining" (1980) ou les écarts à la norme et pétages de plomb de "American Beauty" (1999) sans parler de forts relents de "Thelma et Louise" (1991) (mais le road-movie entre filles se fait plutôt dans les sciences occultes que dans le désert américain).
"Astrid et Raphaëlle" qui en est à sa troisième saison se bonifie d'année en année et je me réjouis de son succès qui est tel d'ailleurs que France 2 a décidé de ne plus diffuser qu'un seul épisode au lieu de deux à partir du 16 septembre 2022, histoire de faire durer le plaisir... et l'audience. Succès qui n'allait pas de soi. Les "buddy cop movies" déclinés en films de cinéma ou en séries télévisées sont été longtemps une affaires d'hommes avec bastons et explosions à la clé (qui ne se souvient pas de "Starsky et Hutch, les chevaliers au grand coeur mais qui n'ont jamais peur de rien"?). "Astrid et Raphaëlle" a beau évoluer dans le milieu très balisé de l'enquête policière à boucler en moins d'une heure chrono par épisode (multiplié par 8), il n'en reste pas moins que son principe relève du domaine du "rendez-vous en terre inconnue". Mettre sur le devant de la scène deux femmes possédant une véritable personnalité (c'est à dire qui ne sont pas réduites à leur genre, auxquelles on peut donc s'attacher et s'identifier de façon universelle) s'avère extrêmement vivifiant. Entre Raphaëlle, l'impulsive rebelle et garçon manqué qui se cache encore pour fumer comme une adolescente attardée prise en faute et Astrid, la jeune femme autiste asperger qui combat à ses côtés autant pour l'aider à résoudre les enquêtes que pour se faire une place au soleil au milieu des neurotypiques, on ne s'ennuie jamais. La finesse avec laquelle ces deux personnages sont dépeintes et interprétées (par Lola DEWAERE et Sara MORTENSEN) ainsi que la dynamique de leur relation est sans aucun doute la clé du succès de la série. Celle-ci bénéficie également lors de cette troisième saison d'intrigues souvent à double détente que je trouve mieux ficelées et également mieux reliées à l'histoire personnelle des enquêtrices, en particulier d'Astrid. Des images mentales telles que le labyrinthe au plafond (comme l'échiquier dans "Le Jeu de la dame") (2019) ou les photos de baisers nous font entrer visuellement (comme le fait un autiste) dans ses pensées pour y découvrir par quel chemin sinueux elle parvient à conjuguer son atypie avec un concours d'entrée dans la police ou avec un amour naissant. Sa passion pour les énigmes prend alors un sens plus profond qu'un simple intérêt restreint. On appréciera d'autant plus le clin d'oeil appuyé à "Le Silence des agneaux" (1989) dans l'épisode 4 ("la Chambre ouverte") où celle-ci est aidée par un criminel auteur de polars et passe-muraille (joué par Stéphane GUILLON), leurs face-à face et leurs propos faisant irrésistiblement penser à ceux des personnages de Jodie FOSTER et Anthony HOPKINS (qui a d'ailleurs été officiellement diagnostiqué autiste asperger en 2014). Mention très bien également pour Valérie KAPRISKY qui a un véritable personnage à défendre, personnage qui au fil des épisodes, ne cesse de gagner en épaisseur.
La Suède est une riche terre d'auteurs de polars ayant atteint une notoriété internationale. Parmi eux, Henning Mankell a écrit 12 romans policiers mettant en scène Kurt Wallander, inspecteur du commissariat d'Ystad, petite ville située dans le sud de la Suède. Ceux-ci ont été adapté plusieurs fois en série. Celle de la BBC, connue pour son travail de qualité compte quatre saisons de trois épisodes et est une adaptation de ces 12 récits, pas forcément dans l'ordre ce qui a nécessité des adaptations pour que l'évolution des personnages récurrents, à commencer par celle de Kurt Wallander reste cohérente.
Ce qui frappe dans ces récits, outre qu'ils mettent en lumière les aspects les plus sombres de la société suédoise (comme d'ailleurs dans les livres de nombre des homologues de Mankell, Stieg Larsson ou Camilla Läckberg par exemple), c'est l'incapacité de l'inspecteur à prendre la moindre distance émotionnelle sur les enquêtes qu'il mène. Se prenant de plein fouet la violence auquel il est confronté, Wallander s'immerge jusqu'au cou dans ses enquêtes et en ressort un peu plus abîmé chaque fois, comme s'il devait prendre sur lui toutes les souffrances du monde. Cette dimension sacrificielle est d'ailleurs explicite dans l'épisode 3 de la saison 3 "Avant le gel" où des fondamentalistes chrétiens ayant "péché" s'immolent pour racheter leurs fautes mais aussi celles d'autrui. Le sentiment de culpabilité dont il souffre est si profondément ancré en lui qu'il songe à démissionner de la police pour avoir tué un homme alors qu'il était en état de légitime défense et que l'homme en question représente un spécimen de ce que l'espèce humaine produit de pire. Par conséquent, Kurt Wallander (brillamment interprété par Kenneth BRANAGH) traîne péniblement sa silhouette alourdie solitaire et dépressive comme on porte une croix d'épisode en épisode alors que le générique mélancolique (dont la chanson, interprétée par Emily Barker est judicieusement intitulée "Nostalgia") fait ressortir la profondeur de son blues. En dépit de la variété des enquêtes, c'est l'immuabilité de sa vie qui reste en mémoire, du goût pour les lieux retirés du monde aux nombreux trajets en voiture d'un environnement rural omniprésent (lacs, champs, forêts) ou encore son style négligé et son manque total d'hygiène de vie. Un leitmotiv récurrent est celui où après s'être endormi le plus souvent tout habillé dans un fauteuil ou un canapé, l'inspecteur est brutalement réveillé par la sonnerie elle aussi immuable de son portable. Logique dans ses conditions que le bonheur auquel il aspire comme tout un chacun reste hors de sa portée, ses échecs amoureux se caractérisant là encore par leur répétition sans parler de ses relations difficiles avec son père et sa fille.
La deuxième saison de la série "En Thérapie" qui avait créé l'événement l'année dernière et que je viens de terminer en seulement cinq jours est une éclatante réussite. Elle est même supérieure à la première saison qui était déjà d'un niveau remarquable mais qui présentait quelques défauts qui ont disparu de cette nouvelle saison. Je pense en particulier à l'intérêt très inégal des différents patients que recevait le docteur Dayan. Le succès de la première saison a sans doute libéré le champ des possibilités d'enquête intérieure (car qu'est ce que l'analyse sinon une enquête sur soi afin que l'éclairage des zones d'ombre de sa personnalité et de son histoire vienne apaiser les souffrances, rendre compréhensible ses actes et son cheminement et ainsi permette de vivre plus en harmonie avec soi, les siens et le monde) car les scénaristes du tandem Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE osent aller beaucoup plus loin et affronter le tabou de la mort ainsi que s'approcher au plus près de la véracité d'un travail analytique (actes et paroles manquées, interprétation des rêves etc.). L'intervention du psychiatre et psychanalyste Serge Hefez dans l'écriture du scénario se ressent. Exit donc les affaires de coeur et autres dissensions de couple qui polluaient la première saison à la manière d'une rengaine sentimentale un peu éculée. Le penchant du docteur Dayan (Frédéric PIERROT, extraordinaire dans sa capacité à exprimer par le moindre de ses regards, de ses expressions, par les postures de son corps tous les états d'âme de son personnage) à sortir de son rôle pour jouer les sauveurs et sa profonde culpabilité liée au fait de ne pas y parvenir sont ici profondément questionnés:
- Au travers des fantômes de la saison 1 (dont les événements sont situés cinq ans avant la saison 2 qui s'ouvre au sortir du premier confinement de l'ère covid) qui reviennent le hanter, la mort de Adel Chibane (Reda KATEB) s'étant muée en procédure judiciaire aboutissant sur un procès dans lequel intervient Esther (Carole BOUQUET), l'ancienne superviseuse de Philippe.
- Au travers de sa propre enfance et adolescence qu'il affronte avec l'aide d'une nouvelle superviseuse qui devient au fil du temps une égale et presque un miroir de lui-même, forte et fragile à la fois, remarquablement interprétée par Charlotte GAINSBOURG (qui avait déjà joué sous la direction de Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE dans "Samba") (2014). Le titre de son livre est programmatique du sens de la série comme de ce qu'elle apporte à Dayan: "la psychanalyse réenchantée".
- Au travers de ses nouveaux patients qui sont tous à un titre ou à un autre en danger de mort (physique, symbolique, filiale ou sociale): l'avortement, le suicide, le cancer, le cyberharcèlement, la dénutrition poussent le docteur Dayan dans ses retranchements tandis que les acteurs qui les interprètent, tous brillants, offrent des compositions subtiles et complexes. On mesure une fois de plus le talent de Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE à faire travailler harmonieusement des gens d'horizons très différents voire opposés et à sortir le meilleur d'eux-mêmes que ce soit au niveau des différents réalisateurs des épisodes (Agnès JAOUI qui a également un petit rôle dans la série, Arnaud DESPLECHIN dont je me suis rappelé qu'il avait déjà abordé la psychanalyse dans "Jimmy P. (Psychothérapie d un Indien des Plaines)" (2013), Emmanuelle BERCOT, Emmanuel FINKIEL) ou bien au niveau des acteurs (Eye HAÏDARA qu'ils avaient d'ailleurs révélé dans "Le Sens de la fête" (2016), le jeune Aliocha Delmotte dont le rôle est autrement plus intéressant et touchant que celui de ses parents dans la saison 1, Suzanne LINDON, fille de qui affirme une présence forte bien à elle et enfin le grand Jacques WEBER que l'on est plus habitué à voir au théâtre et dont l'intensité des échanges, non-verbaux surtout avec Frédéric PIERROT atteint des sommets).
Voilà une histoire que même le plus aventureux des scénaristes n'aurait jamais osé imaginer à l'exception de son principal artisan: Volodymyr Zelensky. En 2015, il écrit, réalise, produit et joue le rôle principal de la série "Serviteur du peuple" qui raconte comment un professeur d'histoire est propulsé à la présidence de l'Ukraine à la suite d'un coup de gueule contre la corruption des élites de son pays filmé à son insu par ses élèves puis diffusé sur les réseaux sociaux. Vassili Goloborodko (nom du personnage joué par Zelensky) se lance alors dans un parcours de réformes semé d'embûches.
La suite appartient déjà à l'histoire. Suite au succès de la série, la fiction devient réalité puisque Volodymyr Zelensky se lance en politique et est élu président de l'Ukraine en 2019. Il reste cependant inconnu en dehors des frontières de son pays si bien que lorsque Arte achète les droits de diffusion de la première saison, celle-ci rencontre peu de succès, du moins jusqu'au 24 février 2022. Ce jour-là, le destin de Volodymyr Zelensky bascule à nouveau quand l'Ukraine est envahie par la Russie. En quelques jours, il acquiert une notoriété mondiale et la série se met à cartonner. Au 15 mars, elle totalise près de trois millions de vues.
Même sortie du contexte géopolitique actuel, la série reste digne d'intérêt. D'abord elle illustre les attentes des ukrainiens vis à vis de leur classe politique et pointe du doigt les dysfonctionnements liés aux ravages de la corruption: fonctionnaires non payés, épargnants non remboursés, routes non réparées, fuite des cerveaux à l'étranger, personnel des ministères pléthorique, datcha mégalo construite par l'ancien président Ianoukovitch (bien qu'inspirée de la sitcom, la série a été tournée dans les lieux authentiques du pouvoir ukrainien). L'ombre de la Russie (qui comme la Biélorussie est montrée comme un repoussoir alors que l'annonce erronée de l'entrée de l'Ukraine dans l'UE fait sauter de joie le président) se fait sentir au travers du poids des oligarques qui dans l'ombre tirent les ficelles et tentent de faire entrer "Vassia" dans le rang. Lequel leur résiste en campant un personnage intègre et candide tout droit sorti des films de Frank CAPRA ou de Charles CHAPLIN. Le ton de la série est en effet satirique et Volodymyr Zelensky qui s'est également illustré dans le domaine de la danse (il a participé à la version ukrainienne de "Danse avec les stars") y déploie une impressionnante énergie burlesque. Par conséquent la série dont le rythme est trépidant s'avère souvent hilarante en plus d'être instructive et prémonitoire.
Alors, quel bilan tirer de la saison 2 de "Astrid et Raphaëlle" diffusée à raison de deux épisodes hebdomadaires entre mi mai et mi juin 2021? Qu'elle se situe dans la continuité de la saison 1 avant tout. Les intrigues policières font la part belle au mystère et à l'occulte, ça fonctionne plus ou moins bien selon les épisodes et les guest stars (l'exhumation de Gérard MAJAX créé un certain choc près de cinquante ans après "Le Grand blond avec une chaussure noire" (1972), on voit également apparaître Pierre PALMADE, Louisy JOSEPH, Emilie DEQUENNE etc.) mais ce n'est franchement pas ça qui fait l'intérêt de cette série. Celle-ci repose avant tout sur la relation de son duo complémentaire d'enquêtrices, la très rentre-dedans Raphaëlle (Lola DEWAERE) aux méthodes peu orthodoxes et la décalée Astrid (Sara MORTENSEN) qui est autiste asperger. Par rapport à la première saison, Astrid apparaît beaucoup plus intégrée et impliquée dans les enquêtes de la brigade criminelle ce qui met en lumière le principal problème qui en résulte: l'épuisement psychique, symbolisé par une jauge mesurée avec des haricots. Quand celle-ci est épuisée, Astrid est en situation de burn-out, la quantité d'énergie dépensée pour supporter l'univers neurotypique s'avérant colossale (très bien soulignée avec le bruit et l'agitation du commissariat qui s'oppose aux sous-sol des archives de la documentation criminelle dans lequel se trouve le QG d'Astrid). La relation entre les deux femmes paraît également plus équilibrée sur le plan affectif, la saison 2 insistant plus sur ce que Astrid apporte à Raphaëlle alors que cette dernière connaît des turbulences sur le plan familial et sentimental. Astrid elle-même montre davantage ses émotions et s'adapte mieux aux situations sociales y compris stressantes sous l'effet d'une meilleure estime/connaissance d'elle-même, de la perte de son tuteur qui l'a rendue indépendante, de l'amitié de Raphaëlle et des sentiments qu'elle éprouve pour le neveu du commerçant japonais chez qui elle fait ses courses, Tetsuo Tanaka. Le rapprochement avec cette culture très pudique, codifiée à l'extrême et peu tactile est très bien vu. Mais la série n'est pas angélique pour autant, le nouveau statut d'Astrid ne repose sur rien de légal et se retrouve donc menacé, posant un défi pour la prochaine saison.
Avant de voir La Vie privée de Sherlock Holmes" (1970) de Billy WILDER, je ne m'intéressais pas au célèbre détective du 221b Baker Street et à toute la mythologie qu'il traînait avec lui. Voir quelqu'un résoudre des enquêtes grâce à des pouvoirs cérébraux supérieurs à la moyenne, ça ne me fascinait pas du tout. En revanche enquêter sur l'homme, ça me passionne et c'est exactement ce qu'a fait Billy WILDER et son complice scénariste I.A.L. DIAMOND en humanisant le personnage créé par Arthur Conan Doyle en 1887. Le film de Billy Wilder est à la fois un hommage à l'auteur et au héros qui a bercé sa jeunesse et une transgression pleine d'irrévérence.
Or "La Vie privée de Sherlock Holmes" (1970) est le film préféré de Mark GATISS, co-créateur de la série "Sherlock" avec Steven MOFFAT. Tous deux ont donc conservé l'état d'esprit de la Wilder/Diamond's touch (tant sur le plan de l'hommage à Doyle, de l'iconoclasme que dans celui de l'art de la suggestion plutôt que de la démonstration) tout en modernisant le style (quitte à être dans la surcharge dans le rythme et les informations qui s'affichent à l'écran mais cela va avec l'état d'esprit du héros) et surtout en transposant personnages et intrigue de nos jours. L'état d'esprit, c'est donc de faire passer les enjeux humains avant les enquêtes pour raconter sur quatre saisons de trois épisodes d'une heure trente chacun (si on ajoute l'épisode spécial cela représente l'équivalent de treize films!) la métamorphose d'une machine à penser en être humain revenu des Enfers grâce une chaîne d'amour et de solidarité qui s'établit autour de lui et dont la pièce maîtresse est son colocataire, ami et frère de substitution John Watson (Martin FREEMAN) qui prend la place de son frère biologique étouffant, Mycroft (joué par Mark GATISS lui-même qui lui donne une ampleur remarquable). La complexité des personnages dont aucun n'est négligé, qu'ils soient hommes ou femmes donne beaucoup de profondeur à cette série redoutablement intelligente dans son caractère méta. C'est à dire qu'elle introduit une bonne dose de réflexivité qui oblige le spectateur à être actif en permanence pour déchiffrer des images-métaphores souvent énigmatiques, établir des liens entre elles et l'obliger à l'image du héros à en tirer des déductions (y compris sur sa position de spectateur ou de fan qui se projette, qui écrit ses propres scénarios). Le casting de haut vol rehausse encore le niveau avec des prestations remarquables, notamment de Benedict CUMBERBATCH (Sherlock) et Andrew SCOTT qui joue sa némésis, Moriarty.
"En Thérapie", c'est la série-phénomène d'origine israélienne ("BeTipul") que la France, pas vraiment réputée pour sa réactivité aux événements qui la frappent a fini par adopter, après de nombreux autres pays en l'adaptant à son propre contexte. Radiographie d'un pays en crise après les attentats du 13 novembre 2015, la série de 35 épisodes de 20-30 minutes chacun dirigée par Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE qui mêle l'individuel et le collectif est fondée sur un dispositif très simple. On assiste à un condensé des entretiens hebdomadaires que mène Philippe Dayan, un psychanalyste (Frédéric PIERROT) avec cinq de ses patients qui défilent toujours à peu près dans le même ordre du lundi au jeudi dans son cabinet: Ariane (Mélanie THIERRY) une belle chirurgienne trentenaire complètement paumée, Adel, un agent de la BRI qui souffre de stress post-traumatique suite à son intervention au Bataclan (Reda KATEB), Camille (Céleste BRUNNQUELL), une adolescente qui a tenté de mettre fin à ses jours et enfin un couple en crise, Damien et Léonora (Pio MARMAÏ et Clémence POÉSY). Le cinquième jour, c'est Philippe qui se fait "contrôler" (entendez par là psychanalyser à son tour) par une confrère et amie qu'il n'a pas revue depuis 12 ans, Esther (Carole BOUQUET). Si les patients sont d'un intérêt inégal (la prestation la plus intense et riche revient à Reda KATEB dans le rôle de celui qui était initialement un pilote de chasse ayant abattu des civils alors que le couple de bobos est parfaitement insignifiant et tête à claques), c'est le portrait de Philippe qui s'avère le plus fascinant dans ses efforts de plus en plus désespérés pour dépasser son clivage. Opposant à ses patients parfois déstabilisants une maîtrise de soi, une patience et un professionnalisme (presque) à toutes épreuves (la fameuse "neutralité bienveillante" ponctuée de remarques destinées à établir des liens ou creuser des pistes), c'est au contraire un homme en pleine déroute que l'on voit s'épancher mais aussi ferrailler durement avec Esther, tantôt amie, tantôt ennemie, tantôt super surmoi (?). Cela va en effet beaucoup plus loin que la simple expression des affects refoulés. C'est à un véritable dynamitage en règle d'une personnalité que l'on assiste, tant sur le plan personnel que professionnel. Avec Ariane dans le rôle de l'allumeuse de mèche, véritable fil directeur qui court tout le long du générique de la série en suscitant une violente confrontation entre sensualité et déontologie. En cherchant à s'affranchir des règles pour satisfaire ses désirs, Philippe n'en questionne pas moins de façon pertinente les limites de la psychanalyse (et de toute forme d'institution, d'idéologie, de religion dans ce qui s'apparente à une crise de foi), Esther le renvoyant imperturbablement dans les cordes (sur le fil?) d'un monde sans boussole autre que celles des instincts. Instincts qui peuvent s'avérer contradictoires par ailleurs, un désir apparent pouvant en cacher un autre. Bref, cette dialectique passionnante parce que incarnée par des acteurs inspirés (Frédéric PIERROT s'avère remarquable en acteur de premier plan, c'est la première fois que j'ai remarqué qu'il avait quelque chose du regretté Bruno GANZ et Carole BOUQUET trouve là un de ses meilleurs rôles) tient autant en haleine qu'elle fait réfléchir.
Étant souvent déçue par les séries qui même lorsqu'elles sont bien pensées au départ ont tendance à s'essouffler sur la durée, je n'ai jamais eu particulièrement envie de m'abonner à Netflix. La production ou le rachat de films de cinéastes importants a changé la donne car si le long-métrage demande plus d'effort au spectateur que la série (qui comme tout feuilleton, des sérials aux manga se dévore), il est aussi souvent plus nourrissant à l'arrivée.
Néanmoins en ayant accès à Netflix, j'ai eu la curiosité de voir comment était traité l'autisme dans les séries produites par une plate-forme qui constitue une énorme caisse de résonance pour les jeunes générations (du moins dans les pays développés où l'accès à internet est massif). Et je ne peux que me réjouir du succès de "Atypical" qui constitue une sacrée bonne mise à jour par rapport à la référence du grand public qui reste "Rain Man" (1988).
"Atypical" déroge justement à la loi de la majorité en ce que sur ses trois saisons (à ce jour, une quatrième est prévue en 2021) non seulement elle ne s'essouffle pas mais elle a même tendance à monter en puissance. Elle joue en effet sur plusieurs tableaux et touche plusieurs publics ce qui fait sa force. En effet elle emprunte les codes de la teenage comédie américaine pour emmener le spectateur au pays de Sam (Keir GILCHRIST) c'est à dire en Antarctique. Ce lieu symbolique de l'autisme (comme l'espace ou les fonds marins) car synonyme de solitude va finir par devenir celui de tous les personnages de l'histoire. Tous vont connaître à un moment ou à un autre une traversée du désert et une remise en cause de leur identité. La série n'est pas en effet centrée que sur Sam mais accorde tout autant d'importance aux membres de sa famille et à leurs proches. Tous sont écrits avec une remarquable cohérence et il est signicatif que la personnalité de Sam soit un révélateur de vérité pour ceux qui le côtoient. Quant à la représentation de l'autisme, elle est plus réaliste car si Sam est un asperger (il n'a pas de déficience intellectuelle) il n'est pas un génie pour autant. Qu'on se le dise une fois pour toutes, la majorité des asperger ont une intelligence qui se situe dans la moyenne. Sam est juste un jeune homme en difficulté sensorielle et relationnelle avec des intérêts spécifiques restreints (les manchots) et des bizarreries comportementales (montrées par petites touches et souvent sous un angle humoristique ce qui a un effet dédramatisant) qui aspire à s'insérer dans la société et à avoir une vie amoureuse et sexuelle. Bref, ses aspirations sont celles de tout un chacun ce qui ne va pas de soi quand on est autiste (dès le 1er épisode, un chiffre évoqué par la psy de Sam avance que 90% des autistes restent célibataires et d'autres études avancent que 70% des autistes sans déficience intellectuelle sont au chômage). L'intérêt du scénario de la série est de combiner le récit initiatique classique et la résilience par rapport à un handicap de façon honnête tout en montrant les répercussions sur l'entourage. Elsa la mère (Jennifer JASON LEIGH) surprotectrice a d'autant plus de mal à accepter que son fils grandisse et veuille conquérir son autonomie qu'elle s'est définie comme mère à vie d'un enfant handicapé. Le parcours du combattant de Sam la plonge dans une crise identitaire profonde qui ébranle également son couple, le père Doug (Michael RAPAPORT) plutôt passif et fuyant jusque là étant sommé de prendre ses responsabilités. C'est une configuration familiale très fréquente lorsqu'un enfant est atteint de handicap: la mère envahit tout l'espace et le père ne trouvant plus sa place quitte le foyer. Et s'il est déjà difficile pour des parents d'enfants normaux d'accepter qu'ils deviennent adultes et quittent le nid, c'est encore plus vrai quand ceux-ci ne le sont pas d'autant que la sexualité des handicapés reste par ailleurs largement taboue. La petite sœur de Sam, Casey (Brigette Lundy-Paine) est également un personnage très important de la série, cohérent avec le reste de la famille. Forte personnalité qui pallie la faiblesse du père (elle est plus masculine que lui!) et s'oppose à la toute-puissance de la mère, elle se sent également obligée de protéger son grand frère ce qui la bride dans sa construction personnelle. L'évolution de Sam est donc une libération pour elle aussi au moment où elle est confrontée à des choix épineux pour son avenir.
Bien interprétée, juste, tendre, bienveillante et pleine d'humour, la série fait du bien et offre un regard positif et inclusif sur l'imperfection et la diversité du comportement humain. L'origine américaine de la série est un plus car la connaissance de l'autisme y est bien plus développée qu'en France, handicapée par le prisme psychanalytique avec lequel elle a interprété le problème pendant 50 ans. La psychanalyse dans "Atypical" est délicieusement tournée en dérision, les psy étant renvoyés aux imperfections de leur propre humanité voire animalité (Sam finit par parler... à un lapin).
PS: Cet avis a été écrit avant la quatrième saison qui hélas, s'avère de trop et ternit l'ensemble de la série pour au moins deux raisons. La première, c'est qu'elle radote, n'ayant plus rien de neuf à apporter à l'histoire et la seconde, c'est qu'elle considère désormais Sam comme un objet encombrant dont elle se débarrasse en le mettant à l'arrière-plan et en le normalisant au point qu'il n'a plus rien d'un autiste. L'identité de la série s'en retrouve profondément altérée.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.