Dans un avis précédent sur "Les Hirondelles de Kaboul" (2019) postérieur à "Parvana, une enfance en Afghanistan", je déplorais la fascination des occidentaux pour le sinistre régime des Talibans en Afghanistan dans le domaine du cinéma d'animation contribuant ainsi à ancrer toujours un peu plus dans le cerveau des "têtes blondes" (expression révélatrice de stéréotypes racisés qui ne disent pas leur nom) la confusion entre islam et islamisme radical. Si cette confusion est largement partagée dans le monde adulte abreuvé de médias répétant en boucle que l'Occident est la civilisation des Lumières et sous-entendant que les pays musulmans abritent celles de l'obscurantisme et du terrorisme, il est préoccupant de voir se perpétuer ces croyances simplistes (et racistes) dans le domaine des oeuvres pour la jeunesse même si un Michel OCELOT travaille à déconstruire ces stéréotypes et jeter des ponts entre les cultures non sans égratigner celle des dominants au passage.
Ce préalable effectué, "Parvana" qui est très beau esthétiquement évite cependant la plupart des pièges dans lesquels tombe "Les Hirondelles de Kaboul" (2019). Il y a plusieurs raisons à cela. Le point de vue qui est celui d'une enfant débrouillarde, énergique et courageuse (que l'on a comparée à Kirikou, pourquoi pas dans le sens où sa détermination déteint sur ses proches qui sortent de leur passivité), l'absence de misérabilisme qui en résulte, la justesse des portraits des personnages qui évite le jugement facile*, les allers-retours entre réel et imaginaire qui font sens et subliment ce qui pourrait être insoutenable, la proximité de l'intrigue avec celle de "Osama" (2004) qui est un film réalisé par un afghan, l'engagement de Deborah Ellis, l'auteure canadienne du livre auprès d'associations qui travaillent à l'éducation des afghanes au Pakistan et le recueil de témoignages qui ont servi à construire l'histoire de Parvana, sa ressemblance enfin avec Malala Yousafsai, rescapée des talibans réfugiée en Angleterre et militante pour l'éducation des filles.
* Par exemple Idrees, l'adolescent taliban qui incarne la bêtise et la violence du jeune fasciste qui abuse de son pouvoir devant ceux qu'il peut opprimer n'est plus qu'une chiffe molle entre les mains de ses pairs et un gamin pathétique dont on entrevoit le destin funeste lorsque la guerre éclate.
Persepolis, l'adaptation animée de la BD autobiographique de Marjane SATRAPI fait partie des classiques du genre. Sa réussite réside d'abord dans son esthétique particulièrement soignée qui fait autant référence à l'expressionnisme allemand qu'aux estampes japonaises en passant par les styles graphiques reconnaissables de Dix ou de Munch. Cette esthétique est au service d'un récit qui mêle habilement et inextricablement grande et petite histoire, ce biais lui donnant une résonance universelle. En effet dans ce qui s'apparente à un récit initiatique dans lequel une enfant puis jeune fille puis jeune femme cherche sa place, la particularité provient du fait qu'elle ne parvient à se fixer nulle part. Trop rebelle puis trop émancipée pour ne pas se mettre en danger dans une société iranienne corsetée par les mollahs, elle ne parvient cependant pas à s'épanouir en Europe tant le fossé culturel entre elle qui a vécu les horreurs de la guerre et un régime de terreur et les autres est immense. "Persepolis" s'apparente donc à une douloureuse errance entre un pays d'origine dans lequel l'oppression règne et des pays européens où c'est au contraire l'indifférence qui tue avec pour seuls refuges le rêve et la famille. Néanmoins il n'y a aucun misérabilisme dans "Persepolis" car les femmes en particulier sont des personnages hauts en couleur (même si la BD et son adaptation sont majoritairement en noir et blanc) que ce soit Marjane et sa langue bien pendue ou sa grand-mère, forte nature qui fume de l'opium et manie un langage aussi fleuri que les fleurs de jasmin qu'elle met dans son corsage.
J'ai néanmoins deux réserves sur le film qui font que j'ai une préférence pour la BD. La première réside dans le doublage français qui acculture* d'autant plus l'oeuvre qu'il s'agit de voix très célèbres (Catherine DENEUVE, Danielle DARRIEUX, Chiara MASTROIANNI etc.) La deuxième est dans le fait qu'en condensant les quatre volumes en 1h30, j'ai ressenti à plusieurs reprises de la frustration devant des événements qui sont racontés trop rapidement (la révolution iranienne par exemple ou même la guerre Iran-Irak dont aucune clé d'explication ne nous est donnée). Tout ce qu'on en retient, ce sont les images d'horreur et d'oppression. Des images qui sidèrent alors qu'une analyse plus poussée aurait été la bienvenue.
* Si le choix de l'animation est si pertinent pour illustrer des histoires de conflits sanglants dans des régions reculées du monde, c'est que la stylisation et l'abstraction ont la puissance d'un langage universel comme l'avait autrefois le cinéma muet. En revanche les voix françaises dénaturent l'oeuvre en brouillant son identité.
Dans une scène clé (et véridique!) de "Battle of the sexes", celle qui précède la reconstitution du match qui opposa en 1973 la championne de tennis trois fois titrée en grand Chelem Billie Jean King âgée de 29 ans au vétéran et ancien numéro un mondial Bobby Riggs âgé de 55 ans, ceux-ci s'échangent des cadeaux qui soulignent que le combat ne se situe pas seulement sur le terrain sportif. Bobby qui surjoue les phallocrates donne en effet à Billie Jean une sucette géante ("Annie aime les sucettes, les sucettes à l'anis") non aux couleurs de ses grands yeux mais à celles de son sponsor "Sugar Daddy" à qui il fait les yeux doux ^^. Billie Jean qui ne manque pas de répartie lui balance alors un porc(elet) dans les bras. Le film, lui même hybride (mi biopic, mi comédie sociale) illustre en effet deux combats inextricablement liés derrière l'enjeu sportif, l'un, féministe, pour la reconnaissance de l'égalité hommes-femmes et le second, LGBT, pour l'acceptation de son identité sexuelle. Billie Jean est au carrefour des deux problématiques et on se passionne pour son parcours, formidablement porté par l'énergie pleine de détermination de Emma STONE. Les discriminations (être payée 1/8° du salaire d'un tennisman à niveau égal par exemple) et humiliations (les propos sexistes décomplexés qui étaient la norme à l'époque) la poussent à sortir de sa réserve et à prendre ses responsabilités sociétales en tant que championne face à un monde d'hommes machistes qui fixes les règles inégalitaires du monde du tennis professionnel (et ce combat là est loin d'être terminé même si l'angle du harcèlement sexuel n'est pas évoqué). Parallèlement, elle découvre son homosexualité à la fois dans le trouble du désir et dans le secret et la honte qui était le propre de cette époque. Deux dimensions que les réalisateurs, Jonathan DAYTON et Valerie FARIS parviennent à parfaitement retranscrire dans leur mise en scène. Néanmoins à la différence de tant de jeunes femmes célèbres des seventies qui ne parvinrent jamais à faire leur coming out, Billie Jean fut la première sportive à effectuer le sien en 1981 et finit par refaire sa vie pour vivre en accord avec elle-même. Tout le contraire du personnage de Bobby Riggs dont les outrances machistes mise en avant dans ses mises en scène de showman sont subverties par l'interprétation qu'en donne Steve CARELL qui le rend surtout pathétique à force de vouloir prouver "qu'il en a" alors que visiblement il a surtout un sacré trou non dans la raquette mais dans le pantalon.
A l'image de leurs deux premières réalisations, le cultissime "Little miss Sunshine" (2005) et "Elle s appelle Ruby" (2012), "Battle of the sexes" est donc une comédie intelligente à plusieurs niveaux de lecture (ce dont je suis particulièrement friande, je pense aussi à celles d'un autre duo, Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE). Et bien que le tennis ne soit qu'un prétexte à des sujets plus universels, la reconstitution du match final (tout comme celles des années 70) est remarquable de limpidité, faisant entrer le spectateur de plein pied dans ce combat pour l'égalité et l'émancipation qui se joue non aux poings mais à la balle de match.
Je ne suis pas très fan des films de Nicole GARCIA. Si je devais résumer en quelques mots ce que j'en pense, je dirais que c'est une vision du monde étriquée de "bourgeois coincé". Tels des mannequins de papier glacé, les hommes évoluent en costard-cravate et les femmes en chignon et tailleur dans les halls et chambres de superbes hôtels ou dans le salon de belles maisons d'architecte. Ils semblent plus poser que jouer, rien ne parvenant à les émouvoir vraiment. En dépit des efforts de la réalisatrice pour varier un peu dans son deuxième film, "Le Fils préféré" le panel géographique, sociologique et même sexuel de ses protagonistes, cette impression persiste. Il faut dire que ces variations n'ont lieu qu'à la marge. Il faut attendre la fin du film pour que l'identité du père (petit immigré italien inculte) s'incarne enfin à l'image avec le combat de boxe (enfin de la sueur, du sang, des larmes!) alors que le frère aîné homosexuel, Francis, joué par un Bernard GIRAUDEAU excellent comme d'habitude est totalement sous-exploité. Il ne semble là que pour offrir une touche gay-friendly dans un monde hétéro-macho dominant. Le frère cadet, Philippe est transparent (les Inrocks vont jusqu'à comparer la prestation de Jean-Marc BARR à celle d'un topinambour cuit à l'eau). Reste le troisième frère et protagoniste principal, Jean-Paul. Si je n'apprécie pas particulièrement les mines renfrognées de Gérard LANVIN (complice par ailleurs de Bernard GIRAUDEAU depuis "Les Spécialistes") (1985), Nicole GARCIA lui offre une belle partition qui lui permet de nuancer son jeu d'autant qu'il est souvent filmé en gros plan ce qui permet de saisir l'évolution de son personnage face à ce qui s'avère être au final une enquête sur l'énigme de sa naissance, énigme qui fait de lui un être bien plus instable et tourmenté que ses frères, paisibles et rangés.
Joli petit film (je n'ai pas vu le précédent) qui en dit long sur l'état de l'Amérique profonde. Quand on voit les malheurs qui s'abattent sur la pauvre Wendy (Michelle WILLIAMS) pour quelques boîtes de canigou chapardées dans un magasin, on se dit que le pays ne tourne pas rond. D'ailleurs ironiquement le film est un road-movie qui fait du sur-place, l'héroïne, jeune femme un peu marginale, un peu paumée se retrouvant arrêtée près du parking d'un supermarché à la fois par la panne de sa voiture et la perte de son chien. D'elle, on ne sait presque rien. Le film ne s'attarde pas sur son passé, il filme l'instant présent. Tout au plus au détour d'une conversation téléphonique comprend-t-on qu'elle ne peut pas compter sur sa famille pour l'aider et qu'elle doit se débrouiller seule, quitte à faire des centaines de kilomètres pour trouver un boulot. Classique aux USA mais pas quand on a une guimbarde pourrie en guise de véhicule ni les moyens de se loger ou de se nourrir décemment.
Outre les efforts de la jeune femme pour sortir la tête de l'eau, retrouver son animal, faire réparer sa voiture, ce que le film scrute, ce sont les gens avec lesquels elle entre en contact. Ceux qui lui tendent une main bienveillante (la majorité d'ailleurs, le film n'est absolument pas misérabiliste, ni aigri, ni haineux et montre que même au pays de l'individualisme-roi, il existe de la solidarité!) et ceux qui jouent les petits chefs zélés pour se faire bien voir de leur patron. De ce point de vue, le film donne un bon aperçu de la diversité du comportement humain face à quelqu'un qui est dans la détresse: malveillance, indifférence ou au contraire solidarité. Le style très minimaliste et le rythme assez lent peuvent rebuter ainsi que la peinture anti-glamour de cette Amérique de la marginalité mais Michelle WILLIAMS est très touchante sans être larmoyante et suscite naturellement l'empathie. Elle est beaucoup plus humaine par exemple que "Rosetta" (1999) à qui on peut penser étant donné leur situation similaire (deux jeunes filles SDF en recherche d'emploi) et le style assez néoréaliste des films. On pourrait d'ailleurs remonter la généalogie jusqu'à "Le Voleur de bicyclette" (1948) comment l'Amérique a adapté à sa géographie et sa société un genre venu d'Europe.
Comment échapper à la malédiction du deuxième film? Après le succès de "Little miss Sunshine" (2005), le couple de réalisateurs Jonathan DAYTON et Valerie FARIS a mis en abyme ce défi. Les premières minutes de "Elle s'appelle Ruby" se focalisent en effet sur la panne d'inspiration d'un jeune écrivain à la vie ascétique et solitaire, le bien nommé Calvin qui après un premier succès à l'âge de 19 ans n'a pas réussi en dix ans à réitérer son exploit. Jusqu'au jour où sur la suggestion de son psy, il a l'idée de mettre par écrit l'histoire de la fille de ses rêves, laquelle devient presque aussitôt réelle. Mais ce postulat fantastique (à tous les sens de ce terme) est trop beau pour être vrai. Car la fille dont rêve Calvin, c'est celle sur laquelle il peut exercer un contrôle total, à l'image du livre qu'il écrit. Un fantasme de toute-puissance qui se heurte au libre-arbitre qu'elle porte en elle depuis qu'il en a fait un être humain. Contradiction insurmontable qui grippe progressivement les ressorts de la romance au point de mener les deux personnages aux portes de la folie. Calvin étant présenté dès le départ comme un déséquilibré limite sociopathe qui s'interroge légitimement sur sa santé mentale quand il voit débarquer Ruby, il n'est guère étonnant qu'après une période fusionnelle de type lune de miel, celle-ci qui est aussi exubérante que lui est coincé commence à étouffer dans le huis-clos austère qu'il lui impose et veuille d'une autre vie. Avant une conclusion moins pessimiste qui rappelle celle de "Eternal sunshine of the spotless mind" (2004) (y compris dans la caractérisation des personnages et le caractère fantastico-romantique).
Si le film patine au peu au début, il surprend par ses changements de tons qui le font glisser de la comédie romantique vers le thriller psychologique dans lequel on sent poindre la pulsion de mort sous l'élan amoureux et la mélancolie sous l'euphorie. Il est intéressant également de souligner qu'il s'agit de la création d'un quatuor, un film fait à "deux fois deux" pour reprendre l'expression du journal Le Monde ou encore le film d'un couple sur un autre couple ou encore une mise en abyme du rapport entre créateurs et créatures. En effet ce qui a fait sortir les réalisateurs du syndrome de la page blanche au bout de six ans, c'est le scénario écrit par Zoe KAZAN*, compagne à la ville de Paul DANO qui est resté proche de ceux qui lui ont donné son premier rôle marquant au cinéma. Résultat, Paul DANO joue Calvin-Pygmalion dans le film alors que Zoe KAZAN interprète sa Galatée, Ruby. Soit l'inverse de la réalité ce qui je trouve ne manque pas de sel.
Techniquement, rien à dire, "Les hirondelles de Kaboul" est superbe. Il faut dire que la France a du savoir-faire en matière de cinéma d'animation et que cela se ressent dans le film, avec les délicates aquarelles de Eléa Gobbé-Mévellec qui avait auparavant travaillé sur "Les Triplettes de Belleville" (2003) et "Ernest et Célestine" (2012) et qui a co-réalisé le film aux côtés de Zabou BREITMAN. Et bien qu'elles soient trop rares, il y a de belles idées poétiques qui émanent de cette animation comme les burquas qui se muent en hirondelles dans le ciel (cela m'a rappelé un livre de jeunesse, "Djinn la malice" dans lequel une petite fille jouait à faire l'oiseau avec les pans de son tchador).
Cependant cela ne suffit pas à faire de ces "Hirondelles de Kaboul" un film marquant. Tout simplement parce que l'histoire relève de l'art d'enfoncer les portes ouvertes et que l'intrigue est cousue de fils blancs. Rien ne m'agace davantage que les occidentaux qui s'achètent une bonne conscience en conspuant les civilisations dites obscurantistes, islamiques, forcément. Il est vrai que nos civilisations occidentales chrétiennes sont tellement éclairées qu'elles sont juste en train de détruire toute vie sur terre. Bizarrement, les réalisateurs ne se bousculent pas au portillon pour parler des sécheresses à rallonge, des méga-feux, des pandémies ou de la sixième extinction de masse. Non seulement on ne fait pas de bons films avec de bons sentiments mais on aboutit à l'inverse à stigmatiser les autres cultures. De vieux réflexes moralisateurs post-coloniaux qui ont la vie dure. Plutôt que de parler "sur" un peuple privé des moyens de produire ses propres films, il aurait mieux valu évoquer la situation des femmes en occident, il y avait largement de quoi dire. Quant à l'histoire, j'avais deviné la fin au bout de dix minutes de film, c'est dire si elle est convenue.
Je suis ravie d'avoir vu ce film dont j'avais entendu des avis contrastés lors de sa remise du grand prix à Cannes. Dès les premières scènes, j'ai accroché car j'aime le mélange des genres et je l'ai ressenti immédiatement. En effet celles-ci montrent la colère de jeunes travailleurs africains exploités tout en les nimbant dans une échelle plus grande qui vibre dans chaque plan du film, celle des forces de la nature: poussière, vent, vagues, soleil rouge sang, nuit profonde. La colère gronde et s'apprête à déferler sur une banlieue populaire de Dakar en proie aux injustices quotidiennes: corruption, inégalités de classe, mariages arrangés, trafics humains etc.
Très vite on quitte les rivages du réalisme pour glisser insensiblement vers ceux du fantastique quand les fantômes des jeunes ouvriers disparus en mer alors qu'ils traversaient l'océan pour rejoindre l'Espagne reviennent posséder les vivants sans qu'ils n'en aient conscience. De mystérieux phénomènes surgissent alors: un lit de noces qui brûle, des fièvres qui s'emparent des amies de la mariée, les étranges malaises du commissaire chargé de mener l'enquête etc. Le film adopte en effet le point de vue des filles restées au pays, tiraillées entre les pressions sociales pour faire de beaux mariages et les décisions de leurs amis qui partent sans les prévenir. Certaines s'accomodent de la situation, deviennent cyniques, matérialistes et décident de se jouer des hommes pour se forger une belle situation. D'autres comme Ada, l'héroïne ne parviennent pas à s'y faire et souffrent en silence. Mais l'espèce d'énergie cosmique (symbolisée par un bar de plage qui la nuit venue scintille sous les rais de lumières) qui revient du large fait souffler un vent de révolte sur ces filles qui deviennent vengeresses ou tout simplement recherchent sans répit à retrouver l'être aimé pour communier avec lui. Bref Mati DIOP mérite amplement son prix pour un premier long-métrage qui ressemble à un coup de maître et est une cinéaste à suivre.
"Mignonnes" est le premier long-métrage de Maïmouna Doucouré qui s'était déjà fait remarquer dans le domaine du court-métrage. Elle s'est basée sur sa propre enfance et des témoignages d'autres jeunes filles pour bâtir le récit d'une pré-adolescente dont la personnalité en construction est prise entre le marteau (son milieu familial traditionaliste qui opprime les femmes dans le patriarcat) et l'enclume de la société occidentale consumériste qui transforme le corps féminin en objet sexuel dès le plus jeune âge. D'un côté le puritanisme religieux qui exige des femmes soumission et pudeur, de l'autre l'hypersexualisation de gamines à peine pubères qui reproduisent les chorégraphies obscènes qu'elles regardent sur les réseaux sociaux et adoptent des tenues et comportements provocants.
Cette dichotomie entre deux extrêmes m'a paru bien simpliste et l'absence de réactivité face à la dérive de ces filles, invraisemblable. Certes, on comprend que leurs parents sont démissionnaires mais il est étonnant que personne ne s'offusque de leur tenue ou de leur comportement dans le collège qu'elles fréquentent. Il faut attendre la fin du film pour voir enfin des adultes choqués par le triste spectacle de ces quatre gosses paumées et intoxiquées par la culture du viol ambiante. C'est bien tard. On ne peut pas faire de toute une société, surtout à l'heure de #MeToo la complice unanime de ces dérives même si elles existent, bien évidemment. Autrement dit Maïmouna Doucouré me semble manquer de recul et de nuances sur son sujet. A cette immaturité assez flagrante (à moins qu'il ne s'agisse d'un calcul pour faire le buzz), il faut ajouter le manque de substance. Son film est plus un court-métrage étiré qu'un long-métrage avec beaucoup de scènes répétitives sans véritable progression dramatique. Et pour cause, les deux modèles proposés à Amy sont des impasses et la régression dans l'enfance n'est pas une solution. Pour densifier le propos, il aurait fallu développer les personnages des partenaires de danse de Amy qui sont à peine ébauchés. Leur donner aussi un peu plus d'humanité car telles quelles, elles nous sont montrées comme des coquilles vides suscitant plus le rejet que la sympathie. Elles ont beau former un groupe, ce sont de féroces individualistes qui se servent les unes des autres pour exister et ne connaissent que le rapport de forces comme mode de communication. La manière dont est traitée Yasmine, la seule fille ayant un corps non conforme par rapport à l'image sexy donnée par les clips de twerk dont le groupe s'inspire est éloquente. Pour Amy c'est pousse-toi de là que je m'y mette (à la limite du geste meurtrier bref no limit), pour les autres c'est une simple variable d'ajustement. J'ose espérer que la jeunesse est plus diverse que ce qu'en montre cette réalisatrice qui se veut féministe mais qui par son approche binaire est surtout maladroite et tombe dans les clichés qu'elle veut dénoncer.
Non, les hommes ne viennent pas de Mars et les femmes de Vénus. Ils viennent tous de la Terre et le rêve d'aller dans l'espace comme tous les rêves n'est pas l'apanage d'un genre. Mais la société assigne des rôles distincts à chacun dès la naissance et les maintient ensuite avec le formatage éducatif, la propagande (matraquage publicitaire par exemple pour des jouets ou des activités genrés) et la censure (pression sociale normative, autocensure).
C'est ainsi qu'avec un réalisme minutieux conjugué à des convictions féministes fortes que j'avais déjà beaucoup apprécié dans "Augustine" (2012), Alice WINOCOUR réalise un portrait remarquable de femme en quête de réalisation de soi porté par une actrice (Eva GREEN) enfin débarrassée de tout artifice. Bien que le film narre la trajectoire d'une femme astronaute donc exceptionnelle, il peut parler à beaucoup de femmes en prise avec la difficulté de concilier travail et/ou aspirations personnelles et enfants. Il met en effet en évidence les inégalités entre hommes et femmes à compétences égales, exacerbées par le fait que la conquête spatiale comme jadis le western est un domaine très masculin et très machiste. Le plafond de verre que doit briser Sarah pour s'accomplir est constitué des remarques méprisantes de certains de ses collègues, de la charge mentale qui pèse sur ses épaules consistant à jongler entre les besoins de sa fille et l'exigente préparation au départ dans l'espace (dont on découvre au passage les différentes étapes dignes d'un entraînement à une compétition sportive de haut niveau) et de la culpabilité qui en résulte. Comment pleinement se concentrer lors d'une réunion alors que votre enfant (à peine toléré dans la salle) ne cesse de vous perturber? Comment répondre à la fois à ses besoins affectifs et aux pressions de l'équipe de préparateurs qui menace de vous remplacer si vous n'êtes pas à la hauteur? A ces questions, le film apporte des réponses basées sur les témoignages de véritables femmes astronautes qui étaient aussi des mères et dont on voit des photos à la fin du film. Un aspect documentaire qui se retrouve aussi dans la description des entraînements des spationautes (Thomas Pesquet fait d'ailleurs une brève apparition dans le film) mais qui n'occulte pas l'aspect intimiste de cette expérience spatiale du point de vue féminin qui est aussi un apprivoisement de la séparation voire de la mort puisque littéralement Sarah "va au ciel".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.