"L'arrivée d'un train en gare de la Ciotat" est l'un des films* les plus célèbres des frères Lumière au point de véhiculer sa propre légende selon laquelle les spectateurs auraient été effrayés par le train fonçant sur eux et auraient paniqués (selon d'autres versions, ils auraient simplement sursautés ^^)**. L'art de la composition photographique en mouvement est ici tellement éclatant qu'il génère involontairement les prémisses de la grammaire cinématographique dont s'empareront 15 ans plus tard les premiers grands cinéastes américains. Citons l'utilisation spectaculaire de la profondeur de champ qui fait une entrée fracassante dans l'histoire du cinéma par le choix d'un cadrage en diagonale avec un point de fuite vers la droite, mais aussi la succession de plans de plus en plus rapprochés liés au mouvement du train ainsi que l'utilisation du hors-champ puisque la locomotive finit par passer derrière la caméra (celle-ci restant fixe) sans parler des mouvements des voyageurs qui ne cessent d'entrer et de sortir du cadre tandis que les nuages de vapeur qui envahissent le cadre quelques instants renforcent l'effet réaliste. Comme le dit très justement un internaute sur Allociné " Bien qu'il ne dure que soixante secondes, ce film dure l'éternité, et oui car il y a là plus que la simple arrivée d'un train, il faut voir l’apparition d'un art. De notre art."
On peut également souligner l'intérêt documentaire du film qui nous montre l'un des symboles de la révolution industrielle incarnant la modernité et la vitesse alors que l'automobile et l'aviation n'en étaient encore qu'à leurs balbutiements.
* A cause de l'usure très rapide des négatifs de l'époque, le film existe en plusieurs versions.
** Selon les historiens du cinéma, le film ne fait pas partie des 10 qui furent projetés en décembre 1895, il l'aurait été le mois suivant donc en janvier 1896.
Une invention est rarement le fruit du génie d'un seul homme mais plutôt le résultat d'une chaîne d'innovations, celui qui parvient à la rendre décisive passant à la postérité. La paternité du premier film de l'histoire du cinéma est le reflet de la rivalité entre Thomas EDISON et Louis LUMIÈRE, chacun revendiquant l'invention du cinéma. Les historiens s'accordent aujourd'hui à accorder la primauté de la réalisation de films à William Kennedy Laurie Dickson, l'ingénieur électricien de Thomas EDISON qui en a tourné 70 entre 1891 et 1895. "La sortie de l'usine Lumière à Lyon" n'est donc pas le premier film de l'histoire du cinéma mais le premier film Lumière de l'histoire du cinéma. En revanche ce sont bien les célèbres frères qui ont les premiers eu l'idée de projeter au public les films qu'ils avaient tournés en spectacle collectif grâce à leur cinématographe qui était à la fois une caméra, une tireuse et une visionneuse alors que les images tournées par Dickson à l'aide d'une caméra appelée kinétographe ne pouvaient être vues qu'individuellement dans un appareil appelé kinétoscope à travers un œilleton (un peu comme avec un microscope, un télescope ou une paire de jumelles).
"La sortie de l'usine Lumière à Lyon" (usine de plaques photographiques) est typique de l'art cinématographique tel que l'ont conçu les Lumière. De même que Georges MÉLIÈS a naturellement glissé du spectacle de magie vers les effets spéciaux, les Lumière sont passés de la photographie au documentaire. Un art documentaire composé de vues photographiques animées filmées en caméra fixe. Autrement dit l'art des Lumière passe par le choix du cadre et de l'angle de prise de vue ainsi bien sûr que de tous les éléments qui vont se déplacer à l'intérieur de ce cadre (sans parler de la lumière, cruciale pour impressionner suffisamment la pellicule). Car les Lumière sont aussi sans le savoir des "directeurs d'acteurs", en demandant à leurs ouvriers de se partir vers la droite ou vers la gauche une fois la porte franchie. Bien sûr tout cela restait embryonnaire et il ne faut pas oublier que les Lumière ne croyaient pas en la pérennisation de leur invention.
Un autre aspect intéressant de ce film c'est qu'il existe en trois versions (une quatrième a été tournée deux ans plus tard, en 1897). Ceux qui pensent que le "remake" est une invention des studios hollywoodiens ont tout faux ^^^. Néanmoins les raisons de ces multiples versions étaient très différentes d'aujourd'hui, elles étaient avant tout liées à des considérations techniques. Les trois versions se ressemblent beaucoup mais on peut s'amuser à relever les quelques différences, par exemple la version la plus complète où la porte se referme, celle qui ne comporte pas de voiture à cheval et surtout la première où les ouvriers sont en tenue de travail se distingue des deux autres "rejouées" par les costumes du dimanche qu'ils portent.
"Mon petit frère de la lune" est un court-métrage d'animation touchant et poétique sur la problématique de l'autisme. C'est aussi un film familial. Le réalisateur Frédéric Philibert est le père du petit Noé dont on entend la voix dans le film et celui-ci a pour narratrice la grande sœur de Noé, Coline. Grande étant un mot tout relatif car elle n'a à l'époque de la réalisation du film que 6 ans. Par conséquent c'est un film vu à hauteur d'une enfant qui raconte avec ses mots, des mots très simples, candides et poétiques la différence de son petit frère. Symboliquement, celui-ci est entouré d'un halo de lumière alors que tous les autres personnages sont dans l'ombre. Ce halo symbolise la bulle autistique dans laquelle il est enfermé mais aussi son étrangeté foncière puisque selon Coline il vient de la lune. Et vu que son regard est toujours tourné vers le ciel et qu'il bat des bras comme un oiseau, il rêve sans doute d'y retourner. C'est extrêmement bien vu car de nombreux autistes se décrivent comme des extra-terrestres et rêvent d'aller vivre sur la lune (ou variante, sur une autre planète ou encore sous l'eau). Coline l'observe et trouve intuitivement les jeux qui peuvent lui permettre d'entrer en contact avec lui, comme de lui présenter des objets qui brillent ou mettre en chapeau sur sa tête et courir pour qu'il essaye de l'attraper, une stimulation sensorielle procurant une sensation d'apaisement*.
* Sachant qu'il y a autant de formes d'autisme que d'autistes, certains auront un système vestibulaire hypersensible qui leur rendront insupportables les mouvements instables ou imprévisibles avec une peur permanente de tomber alors que d'autres, hyposensibles s'autostimuleront en se balançant, sautant, courant ou en tournant en cercle. Il en va de même pour les cinq sens. Noé dans le film ne supporte pas les bruits trop forts et qu'on lui coupe les ongles ou les cheveux mais aime les objets brillants donc les lumières vives.
Premier court-métrage de Agnès VARDA et deuxième film après "La Pointe courte" (1954), "O Saisons, O Châteaux" comme son titre rimbaldien l'indique est une promenade patrimoniale poétique, architecturale et historique consacrée aux châteaux de la Loire. En 1957, réaliser un film de commande était pour un grand cinéaste l'occasion de jouer avec le thème imposé souvent peu ludique au départ. Alain RESNAIS qui vivait dans le même quartier que Agnès VARDA et avait effectué le montage de son premier film s'était amusé pareillement avec "Le chant du styrène" (1958) à partir d'une commande des usines Péchiney. Thème a priori peu propice à la poésie, l'ode au plastique commençait pourtant par un tonitruant "O temps, suspend ton bol" ^^. "O Saisons, O Châteaux" s'inscrit dans le même état d'esprit. La narratrice est Danièle DELORME qui dresse quelques jalons chronologiques permettant de comprendre le rôle historique et l'évolution de ces châteaux mais régulièrement, le film s'écarte des sentiers balisés pour s'intéresser aux gardiens actuels du patrimoine (héritiers, jardiniers etc.), aux fonctions décoratives des châteaux (notamment pour les photos de mode), aux reconstitutions filmées, à la nature qui les environne, aux animaux qui s'y abritent bref à tout ce qui peut les animer, les rendre vivants. Les extraits de poèmes (écrits par Pierre de Ronsard, Charles d’Orléans, François Villon et Clément Marot) qui ponctuent le film sont lus par Antoine BOURSEILLER (futur père de Rosalie VARDA, la fille de Agnès VARDA).
Il fut un temps oùJean-Luc GODARD ne fermait pas la porte àAgnès VARDA. Où même, il la célébrait. Ainsi à propos de son court-métrage sur la Riviera "Du côté de la côte" réalisé en 1958, il disait " Journal d’une femme d’esprit, quand elle vadrouille entre Nice et Saint-Tropez, d’où elle nous envoie une carte-postale par plan pour répondre à son ami Chris Marker. (…) Je n’oublierai jamais le merveilleux panoramique aller-retour qui suit une branche d’arbre tordue sur le sable pour aboutir aux espadrilles rouges et bleues d’Adam et d’Ève." (Les Cahiers du Cinéma n° 92, février 1959)
Le père de Agnès VARDA était grec, fondateurs de Nikaia (Nice), Antipolis (Antibes), Massilia (Marseille) et Agathé (Agde mais on sort un peu du sujet puisque l'administration française l'a placée du côté du Languedoc-Roussillon et non de la région PACA). Agnès Varda affectionnait les plages. "La Baie des Anges" (1962) était par ailleurs le deuxième film de son mari,Jacques DEMY. Par un savant télescopage qui ressemble à une association d'idées chère au surréalisme, elle évoque dans ce film de commande (on est dans le contexte des 30 Glorieuses) divers aspects contrastés du littoral azuréen en 1958: le carnaval et autres vestiges grecs, les vieux paysans et leurs animaux, derniers témoins d'une société traditionnelle en voie d'extinction, les hôtels de luxe, témoins du développement touristique de la Riviera au XIX° auprès d'une clientèle fortunée internationale, notamment artistique (peintres, écrivains etc.), leurs héritiers à l'image couchée sur papier glacé ou pellicule photographique (Brigitte Bardot, Bardot, Brigitte Bejo, Bejo ^^), le tourisme de masse de la seconde moitié du XX° siècle avec ses plages bondées et ses tentes au milieu des arbres. Mais comme dans la plupart de ses films, Agnès VARDAmélange cet aspect documentaire avec une rêverie poétique où la côte d'Azur devient celle d'Adam, un jardin d'Eden que les touristes recherchent mais qui en sont séparés par des grilles infranchissables.
Court-métrage de Agnès VARDA présenté au festival de Venise en 2015, "Les 3 Boutons" fait partie d'un ensemble de 16 courts-métrages regroupés sous le titre "Women's tales" réalisés par diverses actrices et réalisatrices pour la marque de haute couture Miu Miu (filiale du groupe Prada). Le cahier des charges précisait que les films devaient répondre à des questionnements tels que: comment les femmes se perçoivent-elles elles-mêmes ? Quel est leur regard sur les autres femmes ? L’apparence des femmes n’est-elle pas aussi politique ?
Agnès Varda a choisi de s'amuser avec les clichés entourant la robe de princesse et les contes de fées. Rendant au passage un subliminal hommage au "Peau d âne" (1970) de son mari défunt, elle narre l'histoire d'une bergère de 14 ans du sud de la France qui reçoit en cadeau une magnifique robe de haute couture. En l'enfilant, la voilà projetée non comme on pourrait le penser dans un magnifique palais un soir de bal où les prétendantes se bousculent pour obtenir les faveurs du prince charmant mais dans un univers on ne peu plus réaliste, celui des études puis de la montée à Paris (un changement de lieu mis en scène par un effet de montage du plus bel effet puisque le travelling sur un muret de pierres se prolonge avec un raccord parfait par celui bordant le mur entourant un cimetière parisien). Monde dans lequel la jeune fille, Jasmine fait son apprentissage en côtoyant du beau linge ^^ mais aussi la misère sous les ponts. Durant son itinéraire (elle passe notamment devant la maison de Agnès Varda rue Daguerre), elle perd des boutons, comme le petit Poucet, lesquels sont ramassés à Paris par un collectionneur et à la campagne par un petit garçon qui le plante dans la terre, le bouton se transformant en graine puis en fleur. Le tout est emballé avec des dialogues poétiques jouant sur des associations de mots et d'idées créant des images parfois surréalistes (la mine et la mineure, la basse cour et la haute couture etc.)
"The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" est le premier film réalisé par Willis O'Brien en 1915. Il combine ses deux passions: les dinosaures et l'animation en stop motion dont il est un pionnier. C'est en effet en manipulant des figurines en pâte à modeler qu'il fabriquait lui-même qu'il a eu une idée géniale. En s'inspirant des techniques utilisées pour animer les dessins il a l'idée d'enregistrer millimètre par millimètre tous les déplacements de ses figurines pour que le défilement des images créé l'illusion du mouvement. Après un essai concluant d'une durée de une minute montrant un combat entre un homme des cavernes et un dinosaure, il décide de créer un court-métrage d'animation avec cette technique, c'est "The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" qui en dépit de son titre est comique et se situe quelque part entre les "Pierrafeu", la partie préhistorique de "Les Trois âges" (1923) et pour les anachronismes tels que "je vous offrirai bien le thé mais celui-ci n'a pas encore été inventé", "The Three Must-Get-There" (1922). Par la suite, Willis O'Brien a perfectionné cette technique dans le domaine des effets spéciaux pour le cinéma de science-fiction en prises de vues réelles qui offrait plus de débouchés que les films d'animation avec la consécration de "King Kong" (1932). Il faut d'ailleurs souligner que si ce court-métrage a été réalisé en 1915, il n'est sorti qu'en 1917 lorsque la compagnie Edison l'a acheté et l'a distribué.
Georges MÉLIÈS est le père des effets spéciaux. Willis O'Brien est le père des effets spéciaux des films de monstre. Il est en effet l'un des pionniers de la technique d'animation en stop motion qui l'a rendu célèbre avec la création et l'animation du bestiaire de "King Kong" (1932) (y compris son gorille géant). Il a également réalisé un long-métrage célèbre "Le Monde perdu" (1925) dans lequel il a donné libre cours à sa passion pour les dinosaures. C'est cette passion conjuguée à celle des effets spéciaux qui l'a amené à faire du cinéma. Son premier film en 1915, "The Dinosaur and the Missing Link: A Prehistoric Tragedy" était déjà consacré à ces animaux préhistoriques.
La postérité de Willis O'Brien est immense. Elle se divise en deux grandes catégories. D'une part les cinéastes qui réalisent des films d'animation en volume et se réclament de son héritage comme Tim BURTON ou Nick PARK et de l'autre, les réalisateurs de films fantastiques et de science-fiction qui se sont fortement inspirés de son élève Ray HARRYHAUSEN: George LUCAS, Steven SPIELBERG, James CAMERON etc. Tous ont intégré de la stop motion à un moment ou à un autre dans leurs films (le jeu d'échecs animé de Star Wars par exemple) mais la filiation la plus éclatante est celle de "Jurassic Park" (1993) qui par sa thématique, ses choix de mise en scène et de techniques d'effets spéciaux a rendu "Le Monde perdu" (1925) éternel. Le titre de la suite est d'ailleurs sans équivoque, "THE LOST WORLD: JURASSIC PARK" (1997).
"The Ghost of slumber mountain" durait à l'origine 40 minutes. Mais à la suite d'une querelle entre Willis O'Brien et le producteur Herbert M. Dawley (à qui certains attribuent même la paternité du court-métrage) il fut réduit à 18 minutes. Il vaut surtout pour les séquences où apparaissent les bébêtes préhistoriques dans le viseur d'un objet permettant de voyager dans le temps: un brontosaure paissant dans un sous-bois, un oiseau géant mangeant un petit serpent, un combat entre deux tricératops et enfin, le clou du film, un combat entre un tricératops et un tyrannosaure.
La première version de "Frankenweenie" est une excellente introduction à l'univers de Tim BURTON. Parce qu'il a fait ensuite l'objet d'un auto-remake en 2012 en long-métrage d'animation stop-motion. Parce qu'il est une sorte de brouillon de son chef d'œuvre "Edward aux mains d'argent" (1990) en étant fondé comme lui sur une opposition frontale entre un freak issu d'un univers gothico-fantastique et une banlieue WASP typique dont l'aspect pimpant de bonbonnière cache une sombre morale inquisitrice (un aspect que l'on retrouve chez Peter WEIR dans "The Truman Show" (1998) ou sous une autre forme chez David LYNCH dans "Blue Velvet") (1986). Et parce que cette œuvre, au même titre que "L'Étrange Noël de Monsieur Jack" (1994) (qui n'a pas été réalisé par Tim BURTON mais qui a été scénarisé par lui) illustre de manière édifiante la relation compliquée entre Tim BURTON qui s'identifie bien évidemment aux freaks de ses films et les studios Disney qui incarnent les valeurs traditionnelles américaines. En dépit des efforts de Burton pour s'adapter aux exigences des studios Disney au sein desquels il travaillait et qui finançaient ses projets (ce qui explique par exemple une fin optimiste en tous points opposée à celle de "Edward aux mains d argent") (1990) il reste inassimilable à leur univers et est donc mis sur la touche dans un premier temps ("Frankenweenie" est resté invisible pendant des années et "L'Étrange Noël de Monsieur Jack" (1994) est sorti sous le label d'une filiale de Disney) avant d'être "récupéré" par la maison-mère une fois le succès au rendez-vous.
La version courte et live de "Frankenweenie" doté d'une belle photographie expressionniste en noir et blanc qui jure d'autant plus avec le paysage suburbain californien est une œuvre de jeunesse dont les coutures, comme celles de Sparky, le chien de Victor sont encore bien apparentes. L'hommage au "Frankenstein" (1931) de James WHALE y est littéral puisque la scène de résurrection est copiée-collée sur celle du film de 1931 tout comme la scène du moulin en flammes. Il faut dire que le sentiment d'étrangeté de Burton n'a rien à envier à celui qui taraudait Whale dans les années 30. Quant à la présence de Shelley DUVALL dans le rôle de la mère, elle permet à Burton de rendre hommage à l'auteure du roman, Mary Shelley (on oublie trop souvent le rôle important joué par les femmes écrivains dans le genre gothico-fantastique et dans le polar) et de faire un clin d'œil au "Shining" (1980) de Stanley KUBRICK.
Ce court métrage a été tourné dans l'hospice désaffecté Saint Louis d'Avignon pendant l'exposition « Le vivant et l'artificiel » qui avait lieu en 1984. La réalisatrice a laissé libre cours à son imagination et s'est approprié les lieux de l'exposition. Elle a elle-même du mal à définir son œuvre mais il semblerait qu'il s'agisse d'une sorte de recueil d'images en écho avec des sentiments perçus lors de sa confrontation avec les lieux. On peut définir cette technique de réalisation comme une application cinématographique de pensées immédiates d'où une succession de flashs et une ambiance globale surréaliste avec tout un travail esthétique qui préfigure ses films-installations comme "Les Plages d Agnès" (2007). Les références vont des natures mortes picturales jusqu'aux œuvres des artistes plasticiennes contemporaines Louise Bourgeois et Annette Messager. Les pièces névralgiques du film sont comme le titre l'indique la cuisine aux proportions digne d'un restaurant abritant une nourriture gélatineuse ou en plastique (comme les dinettes d'enfant mais à taille réelle) et la salle de bains, succession de boxes abritant des lavabos qui finissent recouverts de plumes et de poussière, comme s'ils étaient embaumés.
Mais l'aspect décousu du film ne l'est qu'en surface. En effet on a une unité de lieu qui est cet ancien hospice que la réalisatrice "fait parler" en faisant y ressurgir des mémoires. S'y télescopent les époques et les genres. D'un côté le documentaire avec quelques témoignages des anciennes pensionnaires ayant réellement vécu entre ses murs et n'en étant peut-être jamais parties. De l'autre la fiction avec un agent immobilier faisant visiter les lieux comme s'ils pouvaient intéresser des particuliers et évoquant le premier propriétaire, un médecin à travers lequel Agnès VARDA fait le procès du patriarcat. Son épouse soumise qui enchaîne les grossesses avant de confier les bébés à la bonne et dont il finit par se détourner avec dégoût quand elle vieillit (illustrant ainsi la répulsion des masculinistes vis à vis des femmes de plus de 50 ans) et ses six enfants sur lesquels il exerce une autorité tyrannique jusqu'à ce que sa fille aînée Louise se rebelle, incarnant les combats féministes des années 70. Louise cherche à s'échapper de ce "foyer" étouffant et de l'emprise de son père (dont elle porte le prénom féminisé) et trouve une alliée en la personne de la bonne, Yolande (Yolande MOREAU dont c'était la première apparition au cinéma) totalement provocante, du genre à fumer en cuisinant la blouse entrebâillée (ce qui est déjà trop pour Madame) et à cracher dans la soupe au sens propre ^^. L'agent évoque également un drame ayant poussé le médecin à s'enfuir avec ses enfants, on comprend à demi-mot qu'il a peut-être tué sa femme ou sa fille.
A ces deux mémoires, l'une réelle et l'autre fictionnelle, Agnès Varda ajoute une autre opposition, celle du corps humain fait de chair (elle filme d'ailleurs deux corps nus aux deux extrêmes de la vie, un bébé et une vieille dame, celle que l'on retrouve également dans "Sans Toit ni Loi") et celle de mannequins mécaniques grandeur nature dotés d'une respiration artificielle.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.