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Articles avec #court-metrage tag

La Tour

Publié le par Rosalie210

René Clair (1928)

La Tour

"La Tour" est un film emblématique de la période muette de René CLAIR. D'abord parce qu'il reprend la "star" de son premier film "Paris qui dort" (1925) à savoir la tour Eiffel qui le fascinait. A ceci près que "Paris qui dort" était un film de science-fiction alors que "La Tour" est un documentaire. Ensuite parce que, comme Jean EPSTEIN, René CLAIR a tourné quatre films pour les studios Albatros en deux ans (mais lui c'était entre 1927 et 1929) et qu'il s'agit du deuxième. On peut d'ailleurs souligner que le goût prononcé de René CLAIR à cette époque pour les hauteurs et les mouvements aériens se combine bien avec le nom de la compagnie (son premier film en leur sein s'intitulait "La Proie du vent") (1926).

"La Tour" est un poème cinématographique, une ode à la dame de fer que René CLAIR filme sous toutes les coutures, de bas en haut et de haut en bas, évoquant également les différentes étapes de sa construction, zoomant sur telle ou telle partie de la tour au point de ne plus filmer que sa géométrie: des lignes, des courbes qui s'entrecroisent, formant une sorte de dentelle métallique qu'à force de voir, on ne remarque même plus. Le regard de Clair rend à la tour son originalité voire son étrangeté foncière grâce notamment à des angles de prise de vue parfois insolites.

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La Carrière de Suzanne

Publié le par Rosalie210

Eric Rohmer (1963)

La Carrière de Suzanne

Comme le premier film de la série des six contes moraux de Éric ROHMER, "La Boulangère de Monceau" (1962), "La Carrière de Suzanne" (1963) le deuxième opus est un métrage fauché (comme d'autres films débutants des cinéastes de la nouvelle vague) se caractérisant par sa durée écourtée, ses acteurs amateurs, un son post synchronisé etc. Néanmoins on reconnaît parfaitement la thématique à venir de ce cinéaste sur les apparences trompeuses, les mensonges que l'on se raconte à soi-même et aux autres, sur soi-même et sur les autres. Le contexte historique et sociologique, très important chez Rohmer est minutieusement décrit. C'est celui de la jeunesse étudiante du quartier latin quelques années avant la révolution de 1968. Le film tourne principalement autour de trois jeunes dont il interroge les rapports amicaux et amoureux. Des rapports qui n'ont d'ailleurs d'amicaux et d'amoureux que la façade puisque ce qui est en réalité étudié, ce sont les relations de domination et de soumission. Guillaume le bourgeois séducteur et manipulateur a besoin d'un confident, d'un spectateur (de ses exploits), d'un admirateur, d'un miroir etc. Il trouve tout cela auprès de l'influençable et mollasson Bertrand qui bien que non dupe de la "crapulerie" de son "ami" (dont on devine qu'il est son modèle) le suit partout sans résister et semble épouser son point de vue (puisque c'est lui que l'on entend en voix-off). Ces deux parfaits spécimens de petits goujats misogynes, vieux avant l'âge jettent leur dévolu sur ce qu'ils pensent être une "pauvre fille" qu'ils passent leur temps à humilier et exploiter de toutes les façons possibles. Sauf que la fille en question n'est pas la gourde qu'elle a l'air d'être ce qui laisse au spectateur tout le loisir d'apprécier le savoureux retournement final.

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Charlotte et son jules

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1958)

Charlotte et son jules

Dans les courts-métrages de Jean-Luc GODARD, "Tous les garçons s appellent Patrick" (1957) et toutes les filles s'appellent "Charlotte et Véronique" (1957). Mais si le trio devait autant sa paternité à Jean-Luc GODARD qu'à Éric ROHMER, "Charlotte et son jules" est une esquisse de "À bout de souffle" (1959). En effet, bien que sorti sur les écrans en 1961 dans la foulée du premier long-métrage de Godard, il a été tourné juste avant, en 1958 avec une actrice inconnue (et qui allait le rester) et un acteur inconnu de 25 ans (mais qui n'allait pas le rester longtemps, lui). "Charlotte et son jules" scelle en effet la rencontre de deux iconoclastes du cinéma tel qu'il se pratiquait alors, Jean-Luc GODARD, qui allait devenir un des réalisateurs phare de la nouvelle vague et l'acteur Jean-Paul BELMONDO dont le physique hors-norme (par rapport au style du jeune premier canonique de l'époque) lui faisait manger de la vache enragée. Encore que dans ce film, Belmondo ne prête que son corps à la caméra étant donné que sa voix est celle de Godard lui-même, l'acteur étant indisponible au moment de la post synchronisation (film fauché oblige!). On ne peut pas mieux figurer la fusion entre un acteur et un cinéaste (Vanityfair évoque un monstre à deux têtes qui s'appellerait Belmondard ou Golmondo!) Quant au film lui-même, il fonctionne tout entier sur une méprise, celle de "Jules" qui croit que Charlotte qui l'a quitté veut revenir avec lui. S'ensuit 12 minutes de quasi-monologue de misogyne aigri durant lequel la belle dont les interventions sont réduites pour l'essentiel à des onomatopées semble ouvertement se moquer des propos de son ex ce que confirme une chute très ironique qui renverse complètement la perspective du film: l'identité de l'idiot n'est pas celle que l'on croit.

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Toute la mémoire du monde

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1956)

Toute la mémoire du monde

Dans la première partie de sa carrière, Alain RESNAIS a réalisé nombre de courts-métrages dont le plus célèbre est "Nuit et brouillard" (1956). "Toute la mémoire du monde" comme "Le chant du styrène" (1958) est une oeuvre de commande au service de la célébration du progrès (celui des 30 Glorieuses) que le réalisateur s'approprie. Le discours institutionnel vantant le progrès technique et la modernité propre à une époque (donc destiné à se démoder très vite) est mis au service d'un enjeu intemporel et universel: conserver la mémoire de l'humanité. Mi-cathédrale, mi-fourmillière, la Bibliothèque Nationale de France est filmée le plus souvent soit à l'aide de travellings qui soulignent l'aspect labyrinthique du lieu, soit en plongée ce qui en accentue l'aspect démesuré par rapport à la taille humaine. Le compte-rendu de la conservation des documents joue également sur les deux échelles: celle du travail de fourmi que représente le fait de répertorier, trier, classer tout ce qui est imprimé jour après jour via le dépôt légal pour en conserver l'existence mais aussi celui de restaurer les vieux documents abîmés par le temps et le gigantisme du résultat. En dépit de l'aide apporté par les machines et les outils des années cinquante, on reste dans un cadre largement artisanal et ce d'autant qu'on est presque un demi-siècle avant la révolution numérique. On découvre que la BNF (qui ouvrait ses portes pour la première fois à une équipe de tournage) ne contient pas seulement des imprimés et des manuscrits (certains très célèbres sont évoqués comme les romans de Zola ou les Pensées de Pascal) mais également des cartes, des plans, des médailles, des estampes ou encore des partitions de musique. Evidemment le sujet et son traitement renvoient aux obsessions de Resnais, cinéaste du temps et de la mémoire.

A noter que Agnès Varda fait une courte apparition dans le film dans le rôle muet d'une usagère de la bibliothèque.

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Dimanche à Pékin

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1956)

Dimanche à Pékin

Au milieu des années cinquante, Chris MARKER qui avait alors une trentaine d'années partit en Chine dans le cadre d'un voyage collectif organisé par l'Association des amitiés franco-chinoises, liée au parti communiste français dans le cadre des célébrations du VI° anniversaire de la République populaire de Chine. Grâce à une caméra prêtée par le cinéaste Paul PAVIOTqui lui fournit également la pellicule, Chris MARKER put tourner des heures de film mais les contraintes budgétaires l'empêchèrent de filmer le monde du travail, faute d'éclairages appropriés. Pour rendre compte de la République populaire de Chine six ans après l'arrivée au pouvoir de Mao, il choisit alors de se focaliser sur le dimanche, jour d'inactivité. A l'image de son début, le film trace une gigantesque perspective temporelle allant de la Chine impériale jusqu'à la Chine du futur (qui pour nous est déjà du passé puisqu'il évoque l'an 2000) pour rendre compte d'un pays en pleine mutation. La subjectivité du réalisateur, le contexte historique et le fait de se concentrer sur la capitale donne l'impression que la Chine de Mao c'est déjà la Chine de Deng Xiaoping, en voie de modernisation rapide. Cet angle est bien entendu trompeur. D'une part, la Chine est encore de façon écrasante un pays rural et agricole en 1955, de l'autre les catastrophes humanitaires liées aux dérives idéologiques du maoïsme (grand bond en avant et révolution culturelle) n'ont pas encore eu lieu, la Chine imitant alors le modèle soviétique avec lequel elle rompra au début des années 60.

Malgré cet aspect daté et la faiblesse des moyens cinématographiques, le film (le premier de Chris MARKER a être distribué) qui fait déjà preuve de l'inventivité du réalisateur en matière de collage de formes hétéroclites est un régal d'écriture. De "cinécriture" comme le disait son amie Agnès VARDA qui est créditée au générique en tant que "conseillère sinologue"!! Avant d'être cinéaste, Chris MARKER a été écrivain et cette sensibilité littéraire transparaît dans un commentaire poétique tour à tour nostalgique et ironique (les amoureux y "parlent tendrement du dernier plan quinquennal"). Le temps et la mémoire est l'un des thèmes obsessionnels du cinéaste et le début n'est pas sans faire penser à celui de "La Jetée" (1963): "Rien n’est plus beau que Paris sinon le souvenir de Paris. Rien n’est plus beau que Pékin sinon le souvenir de Pékin. Et moi à Paris, je me souviens de Pékin, je compte les trésors. Je rêvais de Pékin depuis trente ans sans le savoir. J’avais dans l’œil une gravure de livre d’enfance sans savoir où c’était exactement. C’était exactement aux portes de Pékin, l’allée qui conduit au tombeau des Ming. Et un beau jour, j’y étais. C’est plutôt rare de pouvoir se promener dans une image d’enfance."

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Lettre de Sibérie

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1957)

Lettre de Sibérie

"Je vous écris d'un pays lointain". C'est par ces mots extraits du recueil de poèmes de Henri Michaux "Lointain intérieur" que s'ouvre et se referme "Lettre de Sibérie", documentaire de commande réalisé durant la coexistence pacifique entre les deux Grands que Chris MARKER a transformé en oeuvre toute personnelle. On y retrouve donc sa sensibilité littéraire mais aussi son orientation politique, d'autant plus prégnante que le sujet du documentaire se déroule aux confins de l'URSS de Khrouchtchev (exemple: "le diable serait à l'origine des forêts grandes comme les USA; le diable a peut-être aussi créé les USA"). Le documentaire montre les différents aspects de la modernisation du territoire (villes, transports, barrages et câbles électriques, pipelines, camions etc.) dans un océan de traditions. Pour alléger le propos, un aspect "conquête de l'est" copié sur les westerns est mis en avant ainsi qu'un véritable bestiaire décliné sous toutes les formes possibles pour amuser le spectateur: kolkhoze de canards qui vivent groupés, dessin animé sur les mammouths, ours apprivoisé tenu en laisse, fausse pub sur les rennes etc. Les défis propres aux hautes latitudes et au climat continental extrême ne sont pas oubliés: si le permafrost n'avait pas encore commencé sa fonte, les étés à 40° et les incendies sont évoqués sans parler du fait qu'un homme de 2021 ne peut que mettre en relation la "modernité" célébrée dans un documentaire qu'il faut replacer dans le contexte des 30 Glorieuses (notamment l'extraction d'énergies fossiles) et le réchauffement climatique actuel. D'autre part la vision positive que Chris MARKER a du communisme à cette époque explique sans doute que les aspects sombres du régime en Sibérie (à commencer par les goulags) soient complètement occultés. Mais là où le documentaire de Chris MARKER se distingue le plus du tout venant, c'est qu'en plus de son talent d'écriture il contient une géniale réflexion sur sa propre subjectivité. Dans un passage devenu célèbre situé au milieu du film, on voit les mêmes images repasser trois fois avec un commentaire qui les interprète différemment. Ainsi par exemple dans la version numéro 1 (propagandiste) l'autochtone qui passe devant la caméra est qualifié de "pittoresque" alors que dans la version numéro 2 (pamphlétaire) il est qualifié "d'inquiétant". Dans la version numéro 3 (neutre) il est juste affligé de strabisme. Les images sont donc comme les chiffres: on peut leur faire dire n'importe quoi!

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Si j'avais quatre dromadaires

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1966)

Si j'avais quatre dromadaires

"Si j'avais quatre dromadaires" est le pendant documentaire de "La Jetée" (1963) dans le domaine de la fiction. Il s'agit en effet d'un voyage à travers une succession de 800 photographies prises par Chris MARKER dans vingt-six pays différents entre 1955 et 1965 commentées par un photographe amateur et deux de ses amis. Le résultat est une belle réflexion sur l'acte de photographier aussi bien que sur ce qui est photographié.

Sur l'acte de photographier, le début du film en offre une belle définition:

" La photo c'est la chasse.
C'est l'instinct de la chasse sans l'envie de tuer.
C'est la chasse des anges...
On traque, on vise, on tire et clac!
Au lieu d'un mort, on fait un éternel."

On retrouve ainsi l'une des obsessions de Chris MARKER: le temps que la photographie fige pour le transformer en mémoire. Le rapport entre l'art et la mort est également évoqué. La vie est mouvement et changement perpétuel alors que la photographie, comme le cinéma l'arrête à un instant T qu'il fige pour l'éternité (si le support parvient à traverser le temps ou bien que son contenu soit récupéré à temps pour être sauvé sur un autre support ce qui là encore met en jeu les notions de mémoire et de transmission).

L'acte de photographier est également subjectif comme l'est toute forme d'art. C'est un regard sur le monde que nous offre Chris MARKER, son regard sur une époque marquée par la guerre froide qui divisait alors le monde en deux systèmes antagonistes. Bien que Chris MARKER penche nettement à gauche (critique mordante du capitalisme à l'aide de punchlines bien senties, fascination pour la Russie et Moscou en particulier, place privilégiée de Cuba, insistance sur les inégalités sociales et la pauvreté), son documentaire souligne ce qui réunit les peuples par delà ce qui les sépare. La succession des photographies abolit non seulement le temps mais aussi l'espace: ainsi la promenade des anglais à Nice est immédiatement suivie par "la promenade des chinois" sur la grande Muraille. Il n'y a plus qu'un seul fuseau horaire et je devrais dire, un seul langage de visages et de sons mêlés qui se répondent: par exemple la musique traditionnelle japonaise se fait entendre sur des images occidentales. Le documentaire (dont le titre se réfère à un poème de Guillaume Apollinaire) est par ailleurs divisé en deux parties inégales: l'une sur la culture ("le château") et l'autre sur la nature humaine ("le jardin").

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Gagarine

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2015)

Gagarine

Pour se faire une idée de la merveille qu'est le premier long-métrage de Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH, il est possible de voir sur le net leur court-métrage au titre éponyme réalisé en 2015. Bien sûr, en quinze minutes et sur petit écran, le résultat n'est pas aussi grandiose mais il s'agit bien du prototype du film qui aurait été en compétition à Cannes si l'édition 2020 avait pu se tenir et qui sort au cinéma demain, 23 juin 2021.

"Gagarine" croise deux thématiques: la banlieue et la science-fiction. Le film est ancré dans un lieu unique, la cité Gagarine d'Ivry-sur-Seine, inaugurée en 1963 avec la visite du célèbre cosmonaute soviétique qui a donné son nom a la cité détruite en 2018 après des décennies d'abandon et de taudification comme nombre d'autres grands ensembles de la banlieue rouge. Les images d'archives de 1963 ouvrent le court comme le long métrage et rappellent que ces logements représentaient à l'époque d'un progrès social. En 2015 (pour le court-métrage) et 2018 (pour le long-métrage) on peut mesurer l'étendue de la dégradation des locaux. Paradoxalement le jeune Youri (en référence à Gagarine) qui a 20 ans dans le court-métrage se sent attaché à la cité et tente de la retaper à lui tout seul pour la sauver. Inutile de préciser qu'il plane très loin de la réalité ce que symbolise sa chambre dédiée à sa passion pour l'espace. Le court-métrage mettant en scène peu d'acteurs, il ne fait pas ressortir autant que le long-métrage le déchirement collectif que représente la décision (très politique) des pouvoirs publics de détruire la cité et de reloger les habitants plutôt que de la rénover. Youri apparaît juste comme un peu toqué alors que les quelques personnes qu'il croise ont toutes accepté voire espèrent cette issue. Par contre Youri est mieux entouré puisqu'il vit en famille avec notamment une mère aimante alors que son isolement est le facteur déclencheur de son expérience autarcique dans le long-métrage. On voit également l'esquisse des rêveries de Youri avec des séquences à la limite du fantastique jouant sur les lumières et les formes. Certains plans comme celui qui se réfère à "2001, l odyssée de l espace" (1968) sont repris à l'identique dans le long-métrage. Idem en ce qui concerne les mouvements de caméra qui font ressentir l'apesanteur. Et la dernière séquence dans laquelle la cité devient un vaisseau spatial est une belle variante de celle du long-métrage.

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Chien bleu

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2018)

Chien bleu

Après l'émerveillement et l'émotion qu'a suscité en moi le premier long-métrage de Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH, j'ai eu envie de voir leurs courts-métrages et j'ai trouvé sur le net ce magnifique "Chien bleu" qui contient en miniature toute la beauté et la sensibilité qui les caractérisent.

Le titre "Chien bleu" est polysémique. Il se réfère d'abord au célèbre album jeunesse de Nadja édité par l'Ecole des loisirs et d'ailleurs on retrouve dans le film un plan identique à la couverture où le chien bleu se détache sur un fond jaune. Cet hommage est lié au fait qu'il y a toujours des traces nostalgiques de l'enfance dans leurs films. Comme dans "Gagarine" (2020), le travail sur la couleur des deux cinéastes est exceptionnel, déclinant ici toutes les nuances du bleu pâle au bleu nuit avec également en parallèle un travail sur les formes géométriques, rectangulaires et circulaires.

Mais ce travail formel est au service d'un récit qui comme dans "Gagarine" s'ancre dans le bitume des cités taudifiées de banlieue pour s'élever vers le ciel. Le bleu prend alors tout son sens, plus exactement un double sens contradictoire. D'un côté des "idées bleues" du père de Yoann (Rod PARADOT que j'aimerais voir plus souvent au cinéma tant il est éclatant de sensibilité) qui vit cloîtré chez lui en proie à une profonde dépression qui se manifeste par une obsession monochrome pour le bleu qui sature son environnement et qu'il a déteint sur son chien. Et de l'autre, le bleu est aussi la couleur de Soraya (Mariam Makalou), la jeune femme solaire que rencontre Yoann et qui pratique la danse tamoul sur les toits, en référence aux divinités hindoues. Car le bleu, couleur du ciel est aussi la couleur des dieux. Cette élévation spirituelle est déjà une façon de s'arracher à la pesanteur et à la tristesse qui l'accompagne pour devenir aussi léger que les oiseaux, ceux-ci (de couleur bleue) étant également longuement filmés par le duo. Par l'intermédiaire de Yoann qui cherche une issue pour son père, celui-ci peut donc quitter sa bulle bleue (dans laquelle il se sent en sécurité), mettre son casque (en se peignant le visage) pour rejoindre la station orbitale dans laquelle gravitent les danseuses qui l'attendent pour une rencontre "avec les yeux" pour reprendre la célèbre chanson de Christophe qui accompagne le film. "Le soleil a rendez-vous avec la lune". ^^

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Foutaises

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet (1989)

Foutaises

"Foutaises" qui signifie "chose insignifiante, sans intérêt" est un petit concentré de sept minutes de tout ce qui fait la magie du cinéma de Jean-Pierre JEUNET. Son générique est le parfait prototype de celui de "Delicatessen" (1990) (bien que la première phrase soit "j'aime pas les étalages de boucherie" on retrouve des acteurs tels que Marie-Laure DOUGNAC et Chick ORTEGA) et son contenu ressemble beaucoup au début de "Le Fabuleux destin d Amélie Poulain" (2001) puisqu'il est construit sur le principe d'une liste binaire en forme de "j'aime" et "j'aime pas" renvoyant à Georges Pérec. Dit comme cela, ça paraît simpliste mais en fait, pas du tout car ce langage renvoie à celui de l'enfance et l'inventaire nostalgique qui suit fait penser à la petite boîte-madeleine de Dominique Bretodeau, ce quinquagénaire qui par le biais des traces matérielles de son passé, renouait avec son enfance, les émotions qui allaient avec et pouvait enfin communiquer avec son petit-fils. Là c'est "la muse" de Jean-Pierre JEUNET qui s'exprime face caméra, Dominique PINON (j'ai lu ce terme dans un article et j'ai trouvé le détournement de ce terme tellement amusant que je le place ici), avec son éternel faciès d'enfant-clown qui se remémore depuis le décor neutre de sa chambre ce qu'il aime (ou n'aime pas) aujourd'hui mais surtout ce qu'il aimait (ou n'aimait pas) hier. Et c'est là qu'intervient le plus l'aspect proustien du cinéma de Jean-Pierre JEUNET. Car comme Amélie Poulain, le héros de "Foutaises" se connecte au monde par les sensations et se remémore le passé par elles, le petit beurre ayant remplacé la madeleine à l'heure du goûter "Quand j’étais gosse, j’aimais l’odeur du pain grillé, le matin, le plastique à recouvrir les livres, à la rentrée, et puis les petits pots de colle blanche, à l’école. J’aimais prendre les escalators dans le mauvais sens, dérouler la toile cirée, et fouler la neige immaculée. Mais j’aimais pas, et j’aime toujours pas, les cadavres des sapins de Noël sur les trottoirs en janvier." Les images qui accompagnent les propos de Dominique PINON accentuent cette nostalgie par leur effet rétro, aspect présent dans tout le cinéma du réalisateur. Dans "Foutaises" on est plongé dans les années trente et soixante (époque de l'enfance du réalisateur) au travers de l'évocation des départs en vacances en train qui sentent fort les premiers congés payés et aussi via des images abîmées de vieux films français tels que "Le Quai des brumes" (1938), d'anciens acteurs tels que Richard WIDMARK ou de vieilles séries comme "Thierry la Fronde" (1963) ou encore d'images de BD franco-belges.

Et c'est là que "Foutaises" prend tout son sens. Car en fait c'est une antiphrase. Jean-Pierre JEUNET laisse entendre à travers son catalogue poétique que ce qui fonde notre identité se trouve dans l'enfance et que celle-ci construit son rapport au monde par les sensations, ces fameux "tout petits plaisirs" qui semblent insignifiants alors qu'ils sont la clé du bonheur qu'on peut emporter partout avec soi à l'image du sable de la plage que l'on retrouve des mois après à l'intérieur des pages du livre lu à ce moment-là. Le fait d'en conserver la mémoire fait de nous des êtres humains à part entière alors que ceux qui l'ont oublié sont coupés d'eux-mêmes et des autres.

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