Orson WELLES et Shakespeare: une fructueuse collaboration d'où émergèrent trois chefs-d'oeuvre: "Macbeth" (1947), "Othello" (1951) et "Falstaff" (1966). L'introduction de "Othello" et son grandiose expressionnisme géométrique (repris par Francis Ford COPPOLA pour "Dracula") (1992) annonce la couleur d'un film en noir et blanc tout en clairs obscurs, où les décors monumentaux de Alexandre TRAUNER réduits à des ossatures ou des silhouettes écrasent et enferment les personnages. Un art de l'épure qui s'applique également au texte, réduit à l'os pour ce qui ressemble à un engrenage infernal entre Othello et Iago, la descente aux enfers de l'un se nourrissant de la manipulation experte de l'autre, les deux ayant en commun les tourments de la jalousie avec en toile de fond, des "pions", Desdémone, Cassio et Roderigo (une image qui me vient du fait que la stylisation, les contrastes et la symbolique me font penser à certaines images de "Le Septième sceau") (1957). "Othello" est un film indépendant dont Orson WELLES eut la totale maîtrise mais il eut aussi de grandes difficultés à boucler son budget, devant (comme John CASSAVETES) tourner des films comme acteur pour pouvoir injecter ses cachets dans celui de sa réalisation dont le tournage s'étira sur deux ans entre Maroc et Italie ce qui rendit particulièrement délicat l'assemblage. Le résultat est quasiment hallucinatoire, le patchwork d'influences (l'expressionnisme allemand mais également le cinéma de Sergei EISENSTEIN) s'harmonisant comme par miracle.
A force d'adapter les pièces de son idole, William Shakespeare à l'écran, il était inéluctable que Kenneth Branagh en vienne à interpréter le dramaturge lui-même dans ce qui est une biographie romancée (forcément au vu du peu d'éléments dont on dispose sur cet écrivain dont certains discutent encore aujourd'hui la paternité des oeuvres) et crépusculaire (rien à voir avec le très léger "Shakespeare in love", grand succès public made in Harvey Weinstein de la fin des années 90).
"All is true" qui fait partie des films de Kenneth Branagh jamais sortis sur les écrans français mais qui est maintenant disponible sur Netflix est esthétiquement d'une grande beauté, que ce soit dans le travail sur les couleurs dans les scènes d'extérieur ou sur la lumière dans celles d'intérieur (inspirées de la peinture hollandaise). Sur le plan du contenu, c'est un peu plus faible. Kenneth Branagh a choisi d'évoquer les dernières années de la vie de Shakespeare, mis en retraite forcée après l'incendie du théâtre du Globe à Londres en 1613. Il retrouve à Stratford-Upon-Avon la famille qu'il a délaissée, sa femme Anne, plus âgée que lui (Judi Dench) et ses deux filles adultes qu'il connaît mal, ainsi que le fantôme de son fils mort à l'âge de 11 ans dont il n'a pas fait le deuil. Si l'intrigue est un peu répétitive et le jeu des acteurs un peu trop contenu, le fait est que son développement est intéressant. A une époque où (on nous le rappelle) les hommes interprétaient sur les planches tous les rôles puisque les femmes étaient interdites de scène, la famille de Shakespeare l'oblige à se soucier de leur sort. Et il n'est guère reluisant. Anne est analphabète (un comble pour l'épouse de celui qui est devenue le symbole de la langue anglaise), Susanna est mal mariée à un puritain qui la néglige et l'étouffe en même temps et qu'elle est accusée de tromper. Judith est une célibataire aigrie qui culpabilise d'avoir survécu à son jumeau, mis sur un piédestal par son père avant même sa mort. Comme dans la société grecque antique, hommes et femmes menaient des vies séparées et étaient étrangers les uns aux autres. Conséquence logique, dans ces conditions, l'éclosion des sentiments amoureux était favorisé par la proximité entre personnes du même sexe. Ainsi lorsque le comte de Southampton (Ian McKellen), muse de Shakespeare vient lui rendre visite, celui-ci lui déclare sa flamme, littéralement, à se demander si ce n'est pas ça qui a mis le feu au Globe ^^.
Cinquième adaptation de Shakespeare par Kenneth BRANAGH (après "Henry V" (1989), "Beaucoup de bruit pour rien" (1993), "Hamlet" (1996) et "Peines d'amour perdues") (2000), "Comme il vous plaira" n'est jamais sorti en salles en France contrairement à ses prédécesseurs ce qui explique en partie sa moindre notoriété. Mais en partie seulement. Cette comédie fondée sur les quiproquos et le travestissement est une oeuvre mineure de Shakespeare qui est donc très loin d'atteindre le niveau d'un "Beaucoup de bruit pour rien". De plus, comme dans d'autres films de Kenneth BRANAGH, l'intrigue est transposée dans un contexte différent de l'oeuvre d'origine (ici le Japon de la fin du XIX°) mais après un début assez énergique, le film s'enlise dans une série de dialogues assez rasants dans la forêt que ni la mise en scène, ni l'interprétation ne viennent relever. Le spectateur s'ennuie donc beaucoup devant tant de platitude, à peine relevée par quelques passages au début et à la fin où l'esthétique japonisante est très réussie (que ce soit au niveau des décors, des costumes ou des génériques reprenant l'esthétique de l'estampe). Je pense que Kenneth BRANAGH a voulu rendre hommage au "Ran" (1985) de Akira KUROSAWA, magnifique transposition du "Roi Lear" dans le contexte du Japon féodal. C'était une fausse bonne idée tant l'inverse ne fonctionne pas. Evidemment l'aspect factice de la transposition ressort d'autant plus que le casting est tout sauf japonais et que l'explication censée apporter un minimum de vraisemblance historique à ce cosmopolitisme ne correspond pas du tout à l'intrigue de Shakespeare (les héros ne sont pas des négociants venus commercer dans les ports francs mais des nobles qui se disputent un duché). Cette version de "Comme il vous plaira" est donc passablement à côté de la plaque en plus d'adapter une oeuvre parfaitement anecdotique.
Alors que Ingmar BERGMAN est perçu comme un cinéaste austère réalisant des films ésotériques, c'est paradoxalement avec une comédie légère située à la Belle Epoque qu'il a rencontré le succès international au milieu des années cinquante. Pourtant c'est pour échapper à des idées suicidaires qu'il a réalisé "Sourires d'une nuit d'été" (d'ailleurs si on est attentif, des traces de cet esprit suicidaire demeurent dans la comédie: le père et son rival qui "jouent" à la roulette russe, le fils qui tente de se pendre) comme le faisait également Billy WILDER*. De fait le film qui est virevoltant et plein d'esprit avec des dialogues particulièrement percutants se place sous un double héritage. D'une part celui du théâtre, première passion de Ingmar BERGMAN (Shakespeare évidemment, c'est d'ailleurs limpide dans le choix du titre qui adapte la nuit d'été au jour permanent qui règne la nuit de la Saint-Jean dans le grand nord scandinave mais aussi Marivaux et Beaumarchais), d'autre part la screwball comédie du remariage américaine dans lesquelles les femmes mènent les hommes par le bout du nez. De fait le pauvre avocat Fredrick Egerman (Gunnar BJÖRNSTRAND) dont les agissements sont dictés par un souci permanent de respectabilité ne cesse de se faire ridiculiser: par sa jeune épouse, Anne (Ulla JACOBSSON), qui se refuse à lui avant de s'enfuir avec son fils Henrik (Björn BJELVENSTAM) et par sa maîtresse, Désirée (Eva DAHLBECK) qui le met en présence d'un rival, le comte Malcolm (Jarl KULLE) le contraignant à fuir dans la chemise de nuit dudit rival après qu'il soit tombé à l'eau devant elle. Mais Désirée avec la complicité de Charlotte (Margit CARLQVIST), l'épouse du comte Malcolm qui désire se venger des infidélités de son mari se joue également de l'officier pour mieux ferrer son poisson d'avocat. A ces chassé-croisé libertins entre aristocrates et bourgeois, il faut ajouter l'inévitable soubrette peu farouche, Petra (Harriet ANDERSSON) qui a pour mission de déniaiser Henrik avant qu'il n'effectue le grand saut de la conjugalité. Car cette comédie friponne qui débride les désirs par le biais d'un vin aphrodisiaque et d'un système de lit pivotant et de cloison coulissante qui permet de passer d'une chambre à l'autre accouche au final d'une remise en ordre très conservatrice, chacun finissant dans les bras de la chacune qui lui correspond le mieux en terme d'âge et de classe sociale.
* " Quand je suis très heureux je réalise des tragédies, quand je suis déprimé je fais des comédies. Pour "Certains l'aiment chaud" (1959) j'étais très déprimé, suicidaire."
James IVORY est un réalisateur dont je me suis sentie proche dès le premier film que j'ai pu voir de lui quand j'avais une vingtaine d'années. En approfondissant ma connaissance de sa filmographie, les raisons en sont devenues évidentes. Je partage en effet avec lui un certain nombre de caractéristiques. Tout d'abord la distorsion entre une apparence classique et une force subversive cachée. Chez James Ivory, l'académisme est un faux-semblant, de subtiles fissures craquelant les plafonds des institutions les plus vénérables. Autre point commun, lié au premier, le multiculturalisme. Ne me reconnaissant pas dans mes origines, j'ai construit ma vie à cheval sur plusieurs continents, exactement comme il l'a fait en partenariat avec le producteur indien Ismail MERCHANT (avec lequel il était en couple) et la scénariste Ruth PRAWER JHABVALA, allemande mariée à un indien, oeuvre artistique et vie intime ne faisant le plus souvent qu'un. C'est ainsi que dans la plupart de ses films, on suit deux types de personnages: ceux qui échouent à se libérer du carcan dans lequel ils sont emprisonnés et en souffrent (consciemment ou non) et ceux qui y parviennent, au prix du choix d'une certaine marginalité.
"Shakespeare Wallah", son deuxième film réalisé en 1965 raconte l'histoire d'une véritable famille d'acteurs britanniques shakespeariens, les Kendal, renommés pour le film les Buckingham (ils jouent donc leurs propres rôles, dans la vie et sur scène) qui ont choisi de vivre et de se produire dans l'Inde postcoloniale. Coupés de leurs racines mais pas vraiment intégrés à la société dans laquelle ils vivent, ils semblent évoluer dans un monde à part qui est pourtant condamné: leurs contrats se raréfient et le public se détourne d'eux pour des formes de spectacles plus modernes et plus proches d'eux culturellement, principalement le cinéma bollywoodien (même si ironiquement celui-ci s'inspire beaucoup du mode de vie bling-bling de son homologue américain). De façon très symbolique, Lizzie, la fille du couple Buckingham alias du couple Kendal (jouée par Felicity KENDAL qui avait alors l'âge de son rôle, 18 ans) tombe amoureuse d'un jeune indien riche et oisif qui mène en parallèle une liaison avec une star de Bollywood, Manjula (Madhur JAFFREY). Pourtant Sanju (Shashi Kapoor) éprouve des sentiments plus profonds pour Lizzie que pour Manjula qui est de plus dépeinte comme une gamine trop gâtée, jalouse et capricieuse (pour ne pas dire garce). Mais leur relation est entravée par la différence culturelle, Sanju ne pouvant envisager que sa femme soit une actrice en butte aux désirs concupiscents mais également aux humiliations du public. Et les parents de Lizzie se rendent bien compte avec le déclin de leur art que l'avenir de leur fille en Inde est compromis et qu'ils doivent l'envoyer dans leur pays d'origine où elle n'a jamais mis les pieds.
Malgré le manque de moyens, le film est de toute beauté (la scène d'amour dans un brouillard pourtant produit artificiellement est assez extraordinaire d'expressivité et ce alors que de l'aveu même de James Ivory, il la croyait ratée) et très marqué par une autre fructueuse collaboration: celle de James IVORY et de Satyajit RAY qui signe la musique.
"Ran" signifie "Chaos". C'est avec "Le Château de l'araignée" (inspiré de Macbeth) le plus shakespearien des films de Kurosawa puisqu'il s'agit d'une libre transposition du Roi Lear dans le Japon féodal. Les genres y sont inversés puisque les trois filles de Lear deviennent les trois fils du seigneur Hidetora Ichimonji dont le trait de caractère dominant est immédiatement identifiable à l'aide de la couleur primaire qui est attaché à chacun d'eux*. A Taro l'aîné revient le jaune de l'orgueil, à Jiro le cadet le rouge de la violence et enfin à Saburo le benjamin, le bleu de la sagesse, cette sagesse qui fait tant défaut à Hidetora en dépit de ses regards implorants vers le ciel et les nuages. Celui-ci en effet, aveuglé par son orgueil "voit rouge" quand Saburo ose mettre en doute la pertinence de sa stratégie de division du domaine familial. Bref il est jaune et rouge (les couleurs dominantes de ses costumes) mais certainement pas bleu. Autrement dit au lieu de la retraite tranquille à laquelle il aspire, il s'est préparé une descente aux enfers liée à son manque de discernement autant qu'à l'effet boomerang de son monstrueux passé. "Qui sème le vent récolte la tempête". Comment peut-il espérer de la gratitude de la part de fils à qui il n'a enseigné que l'orgueil et la violence? Le passé de terreur d'Hidetora s'incarne à travers Kaede et Sué, deux survivantes de clans adverses qu'il a exterminé, ne les épargnant elles que pour les marier à ses fils selon une logique de "butin de guerre" très semblable à celle de "L'Illiade". Les séquelles de cette politique de terre brûlée (symbolisée par les pentes volcaniques du Fuji-San où ont été tournées une partie des scènes) sont visibles dans la haine dévastatrice de Kaede, assoiffée de vengeance et "mauvais génie" du clan Ichimonji, dans les ruines du château de la famille de Sué et sur le corps de Tsurumuru son jeune frère dont les yeux ont été crevés par Hidetora (il n'a pas été tué parce qu'il était encore enfant au moment des faits mais Hidetora s'est assuré qu'il ne pourrait jamais se venger). Cependant, là encore, Kurosawa montre que l'être humain a toujours le choix, quels que soient les événements tragiques auxquels il a été confrontés. Sué en effet a trouvé l'apaisement dans la foi et le pardon tout comme Tsurumuru. Mais aucun d'eux ne peut arrêter la spirale infernale de violence dans laquelle finissent par sombrer corps et biens tous les Ichimonji.
La déchéance d'Hidetora et la destruction du clan Ichimonji sont admirablement dépeintes à travers un travail époustouflant sur les décors naturels qui reflètent les états d'âme des personnages tout en les noyant dans l'immensité d'un univers d'où la transcendance est visiblement absente. A une scène de folie d'Hidetora dans une prairie battue par les vents répond la zénitude de Sue au crépuscule. Mais les plans où Hidetora cherche une réponse divine restent muets et Tsurumuru est condamné à errer seul dans les ténèbres. Et la scène centrale de la bataille pour la prise du troisième château lors de laquelle les frères s'entretuent est d'une puissance inégalable (inégalée?) de par le choix du silence qui contraste avec l'accumulation des cadavres autour du vieillard à qui suprême ironie la mort est refusée au profit d'une errance spectrale autrement plus terrible.
*La formation de peintre de Kurosawa ressort de façon saisissante dans le film comme on peut le voir sur les images composées comme des tableaux avec une utilisation extraordinaire de la couleur.
Je pensais que "Romeo + Juliette" était un film anecdotique alors qu'il ne l'est pas du tout. C'est au contraire une transposition riche et passionnante du chef d'oeuvre de William Shakespeare à l'ère contemporaine. Dans une démarche très semblable à celle d'un dramaturge ou d'un metteur en scène d'opéra (ce qu'il était à l'origine), Baz LUHRMANN a cherché à revivifier une œuvre qui s'est retrouvée au fil du temps coupée de ses racines populaires. Or les œuvres de Shakespeare ont une universalité qui leur permet de franchir l'espace et le temps. Mieux encore, elles ont un caractère juvénile parfaitement transposable à notre époque comme l'ont montré les brillants exemples de "West side story" (1960) ou de "My Own Private Idaho" (1991).
Comme dans "West side story" (1960), le "Romeo + Juliette" de Baz LUHRMANN situe son histoire d'amour impossible sur fond de guerre des gangs dans un milieu urbain pluriethnique dégénéré/décadent/dégradé. Mais au lieu de New-York, l'intrigue est transposée sur la côte ouest, dans un quartier de Los Angeles fictif prénommé "Verona Beach". Quartier dans lequel les excès ne se réduisent pas au mode de vie "sex, drugs and rock and roll" des personnages mais s'étendent à la mise en scène survitaminée et à l'imagerie baroque et kitsch qui semble sortir des clips heighties de Madonna avec leur iconographie religieuse ostentatoire et sulfureuse. On ne compte plus les bijoux et tatouages, l'un des plus spectaculaires se trouvant sur le dos du père Laurence (Peter POSTLETHWAITE). Le film décline d'ailleurs toutes les formes du show: show business (les Montaigu et les Capulet sont des stars), TV show qui commente l'intrigue sous forme de reportage/fait divers, méga show du bal costumé des Capulet, où se produit un hallucinant Mercutio (Harold PERRINEAU) drag-queen et où Tybalt (John LEGUIZAMO) aborde des cornes évocatrices en diable ^^. Autres références qui me sont venues à l'esprit, le maniaco-dépressif "Spring Breakers" (2012) qui fait alterner de grandes séquences orgiaques hystériques sur la plage et des sas de décompression cafardeux et "Mad Max" (1979) notamment pour la séquence d'exil à Mantoue qui semble se dérouler dans un univers post-apocalyptique désertique et motorisé. La séquence de la première rencontre entre Roméo et Juliette à travers un aquarium est particulièrement inspirée tout comme leurs costumes respectifs. C'est en effet l'époque où Leonardo DiCAPRIO arborait une gueule d'ange qui n'allait pas tarder à exploser dans "Titanic" (1997). Et Claire DANES n'est pas en reste dans le genre beauté éthérée. En effet le film oppose de manière systématique l'eau (la pureté des sentiments du couple) et le feu, la sécheresse, l'aridité. Mais la séquence que je trouve la plus ébouriffante est celle des morts respectives des "chefs de bande" charismatiques Mercutio et Tybalt menée à un train d'enfer.
Franco ZEFFIRELLI n'est pas en soi un très bon réalisateur mais sa version de "Roméo et Juliette" est une merveille d'esthétisme mise au service d'un grand texte. Les décors, les costumes, la photographie restent plus d'un demi-siècle après un régal pour les yeux. La musique de Nino ROTA (le compositeur du film "Le Parrain (1972) et de nombreux Fellini) est merveilleuse. Autre point fort, le choix des acteurs et en particulier du couple vedette qui avait à peu près alors l'âge des personnages imaginés par William Shakespeare. Roméo et Juliette sont des adolescents, fougueux, passionnés mais également irréfléchis et puérils. Seule l'extrême jeunesse peut amener à aimer d'une façon aussi foudroyante et absolue et à braver les interdits sans se soucier des conséquences pourtant terribles que cet amour entraînera sur leurs deux familles rivales. En plus de cela Leonard WHITING et Olivia HUSSEY souvent filmés en gros plans sont beaux comme des dieux* et font penser à des peintures de la Renaissance. Il en va de même de la plupart des autres acteurs, je pense en particulier à Tybalt (Michael YORK) et à la nourrice (Pat HEYWOOD). En plus de cela la mise en scène est particulièrement dynamique avec de belles scènes de danse et des combats impeccablement chorégraphiés.
* Ils ont quelque chose d'angélique dans le visage et leurs costumes de couleur opposée (bleu pour les Montaigu, rouge pour les Capulet) m'ont fait penser à ceux que portent Catherine DENEUVE et Jacques PERRIN dans le film féérique de Jacques DEMY "Peau d'âne" (1970) qui est contemporain du film de Franco ZEFFIRELLI et qui utilise le même "code couleur".
Les années 90 ont été propices aux transpositions ou aux réécritures modernes des pièces de Shakespeare. Je pense aux premiers films de Kenneth Branagh ("Henry V", "Beaucoup de bruit pour rien", "Hamlet"), à "My Own Private Idaho" de Gus van Sant qui contient des allusions à "Henry IV" mais aussi à la saga littéraire du "Trône de fer" de George R. R. Martin dont le premier volume est sorti en 1996 (popularisée par la suite par son adaptation en série sous le nom de "Game of Thrones") et qui revisite les pièces historiques de Shakespeare, "Richard III" en particulier.
C'est donc dans ce contexte favorable que Richard Loncraine a réussi un joli coup de maître en transposant la célèbre pièce de Shakespeare au cœur d'une Angleterre fascisante dans les années 30. Ce malade du pouvoir qu'est Richard dont les difformités physiques nourrissent l'âme torturée et les actions sanguinaires se marie en effet très bien avec le décorum nazi. Ian McKellen incarne par ailleurs le rôle à la perfection. Impossible d'oublier son sourire en biais qui annonce à chaque fois quelque nouvelle tragédie. Du début à la fin on est tenu en haleine par une spirale de fatalité qui ressemble à la tyrannie totalitaire en ce qu'elle aboutit à faire le vide autour du protagoniste principal. En faisant assassiner tous ceux qui se dressent entre lui et le pouvoir suprême (d'abord ses rivaux, puis les membres de sa propre famille), Richard finit par faire l'unanimité contre lui. A force de voir des ennemis partout, les grands paranoïaques finissent ainsi par réellement les créer, les quelques survivants du massacre orchestré par Richard finissant ainsi par se retourner contre lui et se fédérer pour le vaincre. Ajoutons que la distribution anglo-américaine est de premier ordre: Maggie Smith, Kristin Scott Thomas, Jim Broadbent, Jim Carter, Annette Bening ou encore Robert Downey Jr.
Il y a des films qui au moins ne cherchent pas à masquer leur caractère de pure opération commerciale. D'autres comme celui-ci sont plus hypocrites car ils sont calibrés à la fois pour plaire au plus large public possible et pour rafler des prix prestigieux. Le tristement célèbre producteur Harvey Weinstein a ainsi fait une OPA sur la "marque" Shakespeare (auteur dont la vie reste largement mystérieuse), trouvé sa caution culturelle (le scénariste Tom Stoppard) pour reconstituer avec un sérieux de façade le théâtre élisabéthain, engagé des comédiens américains bankable bien cul-cul la praline pour les rôles principaux (un bellâtre aussi fadasse que Joseph Fiennes pour jouer un génie franchement c'est Shakespeare qu'on assassine) tout en reléguant les remarquables acteurs britanniques qui auraient été tellement plus appropriés au second voire dernier plan, fait pondre un scénario qui se veut intelligent mais qui est juste insignifiant en plus d'être truffé d'anachronismes et d'invraisemblances. Mais le tour de passe-passe a si bien fonctionné tant auprès du public que du jury des Oscars (au minimum influencés, au pire corrompus) qu'on a osé nous vendre ce film d'un financier véreux, phallocrate et criminel sexuel comme féministe! Mais il en va de ce dernier comme de Shakespeare, c'est un simple affichage derrière lequel se cache le sexisme le plus rétrograde. Le rôle de Viola (Gwyneth Paltrow), cette aristocrate (fictive) qui se travestit pour pouvoir jouer et prend un amant pour se rebeller contre son mariage arrangé est mince comme du papier à cigarette et ne tient pas la route. Les filles sont en réalité montrées comme les supports de purs fantasmes masculins: faciles, à la disposition des hommes qui n'ont qu'à claquer des doigts (ou à débiter un ou deux sonnets, c'est censé être du Shakespeare quand même!) pour les mettre à poil et les trousser avec une affligeante vulgarité. Évidemment elles adorent. Ah oui et Shakespeare est censé être un infatigable Don Juan qui puise son inspiration dans ses histoires de coeur (ou plutôt de fesses): à quand "Juliette Harlequin" et "Hamlet porno chic"? La recette est inépuisable!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.