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Vers la lumière (Hikari)

Publié le par Rosalie210

Naomi Kawase (2017)

Vers la lumière (Hikari)

Comment vivre avec la perte? Ou comment revivre après la perte? C'est avec une infinie douceur que Naomi Kawase tente d'apporter des réponses à ces questions universelles mais profondément ancrées dans une culture si sensible à l'impermanence des choses. Ces réponses, elle les apporte par le biais d'une réflexion sur le pouvoir du cinéma. Le cinéma est justement un moyen d'arrêter le temps et d'embrasser l'univers. C'est aussi comme le dit l'un des personnage du film un moyen de se connecter à la vie d'autres personnes qui sauve et aide à vivre. Encore-faut-il pouvoir y accéder ce qui s'avère compliqué pour les handicapés sensoriels. C'est la délicate mission de l'héroïne de l'histoire Misako (Ayame Misaki): permettre à ceux qui ont perdu la vue de continuer à accéder au cinéma en leur restituant l'essence d'un film par son travail d'audio-descriptrice. Mais comment rendre compte par la parole de ce qui est montré à l'écran sans trahir les intentions du cinéaste ni diriger le spectateur? Parmi le panel de mal-voyants chargés de critiquer son travail, il y en a un qui a la dent particulièrement dure, c'est le photographe Masaya Makamori (Masatoshi Nagase qui avait déjà joué le rôle principal dans le précédent film de la cinéaste "Les Délices de Tokyo"). Sa dureté blessante provient de sa peur grandissante de perdre complètement la vue qui le fait s'accrocher à son appareil photo comme à une bouée de sauvetage. Elle ne correspond pas à son œuvre dont Misako voit un aperçu dans un recueil. Une photo attire particulièrement son attention, celle d'un coucher de soleil qui lui rappelle son enfance et son père décédé. Elle tente alors d'entrer en communication avec Makamori pour qu'il lui montre le lieu où il a fixé sur pellicule ce moment lumineux de sa vie (la photographie sert ici de substitut au cinéma). Puisque celui-ci est privé de la vue et que l'ouïe s'avère plutôt source de souffrance et de malentendu, c'est le toucher qui devient primordial comme vecteur de transmission des émotions entre les deux personnages. C'est de lui qu'émane la lumière qui donne son titre au film avant qu'elle ne se fixe sur l'écran pour y être conservée. Ainsi l'élan par lequel Makamori se sépare de son appareil photo devenu inutile -une chose morte- est immédiatement contrebalancé par le baiser de Misako qui apporte avec lui le souffle de la vie comme le symbolise la lumière qui devient éclatante et envahit l'écran tout entier. Et j'aime beaucoup la scène de fin où Makamori dit à Misako de ne pas bouger (c'est à dire de ne pas chercher à le diriger) mais de le laisser venir jusqu'à elle malgré son handicap. Il en va évidemment de même dans l'accès au contenu d'un film: laisser l'imagination du spectateur travailler plutôt que d'imposer sa grille d'interprétation. C'est à cet endroit précis que les différents niveaux du récit (celui sur l'art, celui sur le handicap, celui sur l'amour, celui sur le deuil et la mort) se rejoignent dans une même ode à la liberté de l'esprit humain.

En France, la critique de cinéma (Télérama, les Inrockuptibles, Libération, le Monde etc.) est complètement passée à côté du film. Elle a buté sur ce qu'elle a cru voir et qu'elle rejette a priori, un aspect mélodramatique, romantique, une prétendue affectation, que ne sais-je encore sans s'interroger sur sa justesse de ton, sans reconnaître la profondeur et la richesse de sa réflexion, ses qualités de construction et d'interprétation manifestant à cause de ses préjugés et de sa grille de lecture prédéterminée un aveuglement bien plus profond que la cécité de Makamori. Elle ferait bien de méditer l'une de ses paroles "j'ai parfois été heurté par des choses que je ne voulais pas voir".

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Les Rapaces (Greed)

Publié le par Rosalie210

Erich von Stroheim (1924)

Les Rapaces (Greed)

"Je considère que je n'ai fait qu'un seul vrai film dans ma vie… et personne de l'a vu". En fait la phrase de Erich von Stroheim est inexacte puisque 12 personnes ont assisté à la projection de l'intégralité du film soit 9h en 1924. Conscient que c'était une durée inexploitable, il accepta de raccourcir son film mais pas suffisamment aux yeux de la MGM qui lui enleva le final cut. Il faut dire qu'il avait commencé son film sans savoir qu'il allait être une victime de la concentration d'entreprises avec entretemps la fusion de la Goldwyn Pictures pour laquelle il travaillait avec la Metro et la Louis B. Mayer Pictures. La version qui nous reste aujourd'hui de ce chef-d'oeuvre considéré à juste titre comme l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma est amputée de plus de moitié par rapport à la dernière validée par Erich von Stroheim soit 2h au lieu de 4 à 5h. Les scènes coupées qui semblent définitivement perdues (mais elles sont activement recherchées et qui sait, un jour peut-être on les retrouvera comme on a retrouvé celles de "Metropolis") sont remplacées par des photographies et des intertitres soit intercalés dans le film à l'emplacement où elles auraient dues être soit regroupées à part sur les bonus du DVD. Elles montrent que c'est surtout la première partie du film qui a pâti des coupes car elle est très affadie par rapport à ce qu'elle aurait dû être. Par exemple elle était beaucoup plus explicite sur l'atavisme familial du personnage principal. La deuxième partie en revanche peu presque se passer d'une reconstitution tant elle est puissante telle qu'elle est.

Contrairement aux autres films de Erich von Stroheim, centrés sur des aristocrates voire des têtes couronnées dégénérées, "Greed" se situe dans le milieu des petites gens. Il s'agit en effet de l'adaptation d'un roman naturaliste de Frank Norris, "Mc Teague" publié en 1899, pionnier du genre aux USA. Celui-ci par son histoire de déchéance fait beaucoup penser à "l'Assommoir" de Emile Zola, auteur-référence de Frank Norris. Il montre comment les pulsions primitives et les atavismes familiaux et environnementaux triomphent du vernis éducatif et civilisationnel inculqué aux individus pour s'emparer d'eux et les dévorer. De façon très symbolique, le roman et le film commencent dans une grande ville et se terminent dans le désert. Ils mettent en lumière les soubassements de la société américaine où puritanisme religieux et soif de l'or vont de pair, le deuxième servant de compensation névrotique aux frustrations imposées par le premier. De fait le "Greed" de Erich von Stroheim oscille souvent entre le trop et le trop peu, l'excès et la pénurie. Excès d'argent/pénurie de sexe, excès de nourriture/pénurie d'eau, excès d'alcool/pénurie d'argent etc. Bien que la délation attribuée à Marcus (Jean Hersholt) marque le début de la déchéance du couple formé par Trina (Zasu Pitts) et Mc Teague (Gibson Gowland), le ver est dans le fruit dès leur mariage. D'abord parce qu'on a vu dans la première partie la répugnance de cette dernière vis à vis des contacts physiques que lui impose Mc Teague ce qui ne laisse pas présager une sexualité épanouie, ensuite parce qu'on lui annonce qu'elle a gagné 5000 dollars à la loterie, 5000 dollars qui deviendront un objet de convoitise (pour lui et pour Marcus) et de rétention (pour elle), passions poussées jusqu'à la folie et à la mort, enfin parce que le mariage se termine par un banquet gargantuesque où la nourriture est engloutie aussi voracement que les mains qui plongent frénétiquement dans les pièces d'or. Par la suite, lorsque la déchéance du couple s'accentue, elle frappe également des objets au statut symbolique dont nous suivons le parcours. Dans la version filmée qui nous reste, on voit ainsi la photo de mariage subir des dégradations, se déchirer en séparant les deux membres du couple pour finir à la poubelle. Sur les photographies donc dans les scènes coupées, la dent en or offerte à Mc Teague pour servir d'enseigne à son activité de dentiste termine vendue à un confrère pour une bouchée de pain. Enfin le canari femelle meurt à peu près en même temps que Trina alors que Mc Teague emporte le mâle jusqu'au bout de son voyage dans la très symbolique Vallée de la mort. Le fait d'avoir tourné en décors naturels renforce considérablement la puissance du film que ce soit pour la reconstitution de la vie de quartier dans la ville de San Francisco ou pour le duel final dans le désert au milieu de conditions extrêmes.

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L'Auberge espagnole

Publié le par Rosalie210

Cédric Klapisch (2002)

L'Auberge espagnole

Ingénieux film-mosaïque générationnel qui établit un parallèle entre la construction de l'Europe et celle du héros, Xavier (Romain Duris, le Antoine Doinel de Cédric Klapisch), fils à papa qui pour peaufiner son plan de carrière doit partir un an à Barcelone dans le cadre du programme Erasmus. La première partie du film nous montre d'une façon alerte et amusante son parcours du combattant pour parvenir à ses fins: le dédale kafkaïen des formalités administratives, le stress du départ, la galère pour trouver un logement. Il ne faut pas oublier que le film date du début des années 2000 où les déplacements intra-européens n'étaient pas aussi faciles qu'ils le sont aujourd'hui. Internet ne s'était pas encore répandu, le téléphone mobile n'en était qu'à ses balbutiements (l'essentiel des appels se faisait encore sur téléphone fixe chez soi ou en cabine), l'euro n'était pas encore entré en application (le film a été tourné juste avant sa mise en service). La deuxième partie montre son intégration progressive dans une petite communauté de jeunes symbolisant la diversité des nationalités, des langues, des cultures (y compris à l'intérieur des Etats-nations avec les clivages catalan/castillan et wallon/flamand) et des sexualités. Il multiplie les expériences: amicale avec Isabelle (Cécile de France, excellente), sexuelle avec Anne-Sophie (Judith Godrèche) alors qu'il rompt avec sa petite amie restée en France, Martine (Audrey Tautou). Ses colocataires ne sont pas plus au clair que lui dans leur vie personnelle, laquelle ressemble de plus en plus à un "joyeux bordel". Isabelle qui est lesbienne trompe sa copine avec sa prof de flamenco, Wendy (Kelly Reilly) fait de même avec un américain (Olivier Raynal), suscitant une scène hilarante au cours de laquelle son copain Alistair (Iddo Goldberg) vient lui rendre visite à l'improviste et trouve le frère de Wendy (Kevin Bishop) qui veut lui sauver la mise au lit avec ledit américain. L'avenir tout tracé de Xavier se déglingue sous l'influence de ce parfum de liberté et d'exubérance qu'il respire en compagnie de ses colocataires. Il en revient transformé et incapable de se conformer à ce que l'on attend de lui.

La mise en scène de Cédric Klapisch colle parfaitement au contenu léger, coloré et allègre du film avec une esthétique de film-collage qui fait penser aux pages d'un album photo. Les split-screen, les images-mosaïques et les incrustations sont légion. L'utilisation de la caméra numérique donne également parfois un cachet de vidéo amateur au film.

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Persuasion

Publié le par Rosalie210

Adrian Shergold (2007)

Persuasion

Il y a beaucoup de maladresses dans ce téléfilm produit et diffusé par la BBC en 2007 qui semble avoir été réalisé avec des bouts de ficelle. Des maladresses scénaristiques tout d'abord avec une histoire qui fait la part belle au couple principal en laissant trop dans l'ombre les intrigues secondaires au point qu'on a du mal à identifier de nombreux personnages. Ceux-ci sont à peine esquissés alors qu'un vrai travail de fond permet toujours de rehausser le niveau d'ensemble. En découle un ton mélancolique voire amer assez monocorde qui peine à maintenir l'intérêt. Ensuite, la mise en scène qui manque d'élégance abuse des gros plans. Le gros plan, ça peut être merveilleux quand il s'agit de traquer des émotions sur le visage d'un personnage, dévoiler des vérités intimes dans les échanges. Mais là, cela devient un procédé systématique, vide de sens et donc lassant. Sans parler de la qualité d'image qui laisse à désirer (elle est granuleuse et tremblotante). Et que dire de la fin, trop longue, où l'héroïne court à droite et à gauche avec une caméra à l'épaule qui ne sait pas trop ou se placer (un procédé qui revient plusieurs fois et dont le rendu est particulièrement laid et brouillon). L'interprétation n'est pas non plus très convaincante, voire pas du tout, celle de Sally Hawkins excepté. C'est le premier film où je l'ai vue jouer et j'ai tout de suite été touchée par sa fragilité et sa sensibilité. Hélas, son costume et sa coiffure ne la mettent pas en valeur. Il ressort donc du visionnage du film une impression de travail bâclé à tous les niveaux. C'est dommage car "Persuasion", le dernier roman de Jane Austen, moins connu que "Orgueil et Préjugés" et "Raison et Sentiments" et bien que de tonalité plus grave que ces deux derniers méritait une adaptation plus soignée qui permette de mieux le découvrir. Ainsi Anne, l'héroïne peut être considérée à certains égards comme une lointaine cousine du Bingley de "Orgueil et Préjugés". Elle manque en effet de caractère et de "fermeté" d'âme" et de ce fait, se laisse influencer par les autres (d'où le titre "Persuasion") ce qui compromet ses chances de bonheur.

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Big Trouble

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1986)

Big Trouble

Le moment que je préfère dans "Big Trouble", le dernier film réalisé par John Cassavetes c'est le générique de fin. Au lieu de se dérouler sur un écran noir, il défile sur le film qui continue sans nous dans une joyeuse pagaille. On y voit les acteurs se lâcher, se bagarrer, se congratuler le tout sur "Une petite musique de nuit" de Mozart. Une improvisation qui est l'un des seuls moments où on reconnaît la patte du réalisateur. Pour le reste, il faut bien le dire "Big Trouble" ne lui ressemble guère. Il faut dire qu'il s'agit d'un costume qui n'avait pas été taillé par lui à la base. Mais le réalisateur initial, Andrew Bergman, également auteur du scénario se fit la malle en cours de tournage laissant en plan l'équipe technique et les acteurs et Peter Falk fit alors appel à son ami pour le terminer. Le résultat: une œuvre de commande, sorte de parodie burlesque de "Assurance sur la mort" où tout le monde en fait des tonnes. Pour éviter un procès en plagiat, la Columbia offrit deux scénarios à la Universal, propriétaire du film de Billy Wilder, dont l'un n'était autre que celui de "Retour vers le futur". Une bien mauvaise affaire puisque "Big Trouble" fit un bide (mérité) dans les salles. Alan Arkin en agent d'assurances dépassé par les événements et perpétuellement en quête de fonds pour que ses triplés aillent à Yale est très drôle par moments mais le film est quand même assez poussif dans l'ensemble, brassant beaucoup d'air pour un résultat assez creux. 

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Slumdog Millionnaire

Publié le par Rosalie210

Danny Boyle (2008)

Slumdog Millionnaire

Ce qui rend "Slumdog Millionnaire" passionnant, au-delà de la montée en puissance permise par sa construction et son caractère de conte de fée, c'est qu'il est paradoxalement en prise directe avec la réalité contemporaine, illustrant le va et vient permanent qui existe entre l'identité indienne du film et le contexte de mondialisation dans lequel il s'inscrit. Le titre évidemment fait référence à l'aspect le plus évident de cette mondialisation, le jeu "Qui veut gagner des millions?" décliné à la sauce indienne encore que celui-ci soit également le fruit de l'héritage colonial puisqu'il est d'origine britannique (nationalité par ailleurs du réalisateur Danny Boyle). Mais dans sa deuxième partie, le film montre aussi l'émergence de l'Inde en tant que grande puissance économique mondiale avec la construction des tours de bureaux dans les villes, le centre d'appel affichant des pendules aux différentes heures du monde ou le développement du tourisme international à travers le symbole qu'est le Taj Mahal. Cette modernisation coexiste toujours cependant avec la grande pauvreté, démultipliée par le fait que l'Inde est un géant démographique. A Mumbai (anciennement Bombay), les bidonvilles poussent dans les moindres interstices urbains et ce comme on peut le voir dans le film, jusqu'au pied de l'aéroport. Le héros de l'histoire, Jamal Malik en est issu ce qui rend improbable son isolent succès aux questions du jeu. Mais lorsqu'il est forcé de raconter comment il connaît les réponses, il raconte ses expériences et démontre que la culture de la rue est tout aussi influencée par la mondialisation que celle des élites. Une mondialisation sale et sombre, celle des mafias et des trafics, celle qu'a épousé Salim, le frère de Jamal alors que ce dernier a opté pour la "shining India", celle qui séduit le spectateur. Les couleurs saturées de l'image, le rythme échevelé de l'action, l'incroyable énergie qui se dégage du film et son clip final euphorisant ("Jai Ho") proviennent directement des canons du cinéma bollywoodien. "Slumdog Millionnaire" à l'image de la mondialisation peut être qualifié de film masala (métissé) parce qu'il mélange les genres (thriller, romance, social, conte, documentaire, reconstitution et images prises sur le vif dans la rue, au milieu de la foule) ainsi que les cultures. Ce qui explique aussi son succès mondial.

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Parasite (Gisaengchung)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2019)

Parasite (Gisaengchung)

"Parasite" comme "Metropolis" de Fritz Lang ou "Entre le ciel et l'enfer" de Akira Kurosawa se déroule dans une ville verticale symbolisant la hiérarchie sociale. Sur les hauteurs dans de spacieuses maisons design agrémentées d'espaces verts vivent les nantis pendant que dans les profondeurs croupissent les parias dans la promiscuité, l'humidité et la vermine. Les deux sociétés semblent séparées par une barrière étanche. Le père de la famille Park ne cesse d'ailleurs de clamer à propos de sa domesticité qu'il la tolère tant qu'elle ne dépasse pas les limites. Mais ce que la famille Park ignore, c'est qu'elle abrite des parias dans sa propre maison qui se sont infiltrés sans qu'elle s'en aperçoive.

Il est en effet beaucoup question de régurgitation et d'émanations dans "Parasite", bref tout ce qui déborde les limites que voudraient tracer des riches à la mentalité hygiéniste pour se protéger des pauvres vus comme une source d'infection: eau qui déborde des égouts et des toilettes, odeurs d'humidité qui collent à la peau et suscitent des remarques humiliantes de la part des patrons dont le fils a "flairé" la supercherie en remarquant que les employés de maison sentaient tous pareil, portes inquiétantes s'ouvrant sur les ténèbres ou sur un bunker souterrain d'où peut surgir à tout moment un ogre sanguinaire, meubles dissimulant des corps suintants qui ne devraient pas se trouver là etc. Bong Joon-ho fait d'ailleurs cohabiter avec maestria le thriller et l'humour (souvent noir) lié aux fakes (les ruses de la famille de Ki-taek pour se substituer au chauffeur et à la gouvernante de la famille Park sont hilarants) et quiproquos (ou plutôt "incidents" comme le dit la maîtresse de maison) qui émaillent le film avec un sens très précis du cadrage, du timing et de la disposition des corps dans l'espace. Ce dispositif rigoureux qui nous réserve son lot de scènes virtuoses et jouissives n'occulte pas l'essentiel, à savoir la guerre des classes qui se joue dans le film, doublée d'une concurrence féroce des prolos entre eux pour accaparer les emplois de maison. La loi de la jungle du capitalisme mondialisé dans le contexte d'un huis-clos en somme. Les personnages, qu'ils soient de la haute ou des bas-fonds ont tous leurs parts d'ombre et de lumière. Aucun n'est un monstre mais ils sont pris au piège d'un engrenage infernal qui les dépasse et qui aboutit à une explosion de violence. On pense beaucoup à "La Cérémonie" de Claude Chabrol, référence avouée de Bong Joon-ho autant pour les petites humiliations du quotidien que pour la spectaculaire résolution finale.

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Raison et Sentiments (Sense and Sensibility)

Publié le par Rosalie210

John Alexander (2008)

Raison et Sentiments (Sense and Sensibility)

Comme "Orgueil et Préjugés" de Simon Langton, "Raison et Sentiments" de John Alexander est une mini-série produite par la BBC et scénarisée par Andrew Davies.  Dans les deux cas, la longueur (ici trois épisodes de 60 minutes) permet d'être fidèle à l'œuvre. L'autre intérêt de cette adaptation est de mettre l'accent sur des points qui semblent secondaires dans le roman mais qui en réalité sont absolument cruciaux. Ainsi la première scène, volontairement transgressive, montre un prédateur sexuel en train de déshabiller une jeune fille. Son destin, nous ne l'apprenons qu'à la fin mais il menace les sœurs créées par Jane Austen aussi bien dans "Orgueil et Préjugés" que dans "Raison et Sentiments": privées de protection (paternelle notamment) et de fortune, elles se retrouvent à la merci d'hommes qui peuvent ruiner à jamais leurs perspectives d'avenir, ne serait-ce que sur la foi d'une simple rumeur. Tout comme Jane et Elizabeth, Elinor et Marianne sont deux victimes de ce système social qui broie les femmes livrées à elles-même et la richesse de l'œuvre consiste à analyser deux tempéraments opposés face à la même injustice: celle qui supporte son sort avec un stoïcisme apparent et celle qui se laisse consumer par la passion. Les hommes, au nombre de trois dans les deux romans représentent trois possibilités: l'amour réciproque et immédiat mais contrarié (Jane et Bingley, Elinor et Edward), le substitut paternel qui veille secrètement sur celle qu'il aime et dont la patience et le dévouement finissent par être récompensés (Darcy et Elizabeth, Brandon et Marianne) et enfin le séducteur, lâche, manipulateur et irresponsable spécialiste du détournement de mineures (les deux W, Wickham et Willoughby) qui s'en prennent aux filles protégées par le substitut paternel (la sœur de Darcy, la pupille de Brandon) et menacent directement ou indirectement de perdre leur grand amour. Pour parvenir à démêler le bon grain de l'ivraie, un repère est donné dans la série par cette citation: "ce qui est important, ce n'est pas ce qu'il dit ou ce qu'il ressent, c'est ce qu'il fait". Le casting n'est pas aussi flamboyant que dans le film de Ang Lee (qui reste ma version préférée du roman de Jane Austen) mais il est tout à fait satisfaisant (les fans de la série "Downton Abbey" reconnaîtront Dan Stevens dans le rôle de Edward Ferrars alors que ceux qui connaissent les films Harry Potter retrouveront Mark Williams dans le rôle de sir John Middleton). Le paysage maritime où viennent se retirer les sœurs Dashwood a même un côté un peu sauvage et primitif qui fait penser à "L'Aventure de Mme Muir" de Joseph L. Mankiewicz.

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La Femme de Jean

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1974)

La Femme de Jean

" Il y a quelque chose d'incroyable, c'est le racisme spontané des gens envers les femmes. On sonne, ils vous ouvrent et là ils vous disent avec un petit ton déçu: ah! C'est une dame. Ou bien: j'attendais un monsieur. Incroyable."

Incroyable surtout comme les mentalités ont peu évolué en un demi siècle puisque "La femme de Jean" a été réalisé en 1974 et que j'ai eu droit pas plus tard que le mois dernier à une réflexion à peu près identique de la part d'un vendeur lorsque je ne me suis présentée à son domicile pour retirer un DVD de Frank Borzage que j'avais acheté sur internet. Mais "La femme de Jean", comme son titre l'indique traite de la difficulté pour une femme de se construire une identité propre et surtout, de la préserver dans une société qui fait tout pour qu'elle y renonce. Une question qui avait été déjà soulevée par Simone de Beauvoir dans son ouvrage, "Le Deuxième sexe" en 1949: "On ouvre aux femmes les usines, les facultés, les bureaux mais on continue à considérer que le mariage est pour elle une carrière des plus honorables qui la dispense de toute autre participation à la vie collective. (…) La femme mariée est autorisée à se faire entretenir par son mari ; elle est en outre revêtue d'une dignité sociale très supérieure à celle de la célibataire. Comment le mythe de Cendrillon ne garderait-il pas toute sa valeur ? Tout encourage encore la jeune fille à attendre du "prince charmant" fortune et bonheur plutôt qu'à en tenter seule la difficile et incertaine conquête. (…) Les parents élèvent encore leur fille en vue du mariage plutôt qu'ils ne favorisent son développement personnel ; elle y voit tant d'avantages qu'elle le souhaite elle même ; il en résulte qu'elle est souvent moins spécialisée, moins solidement formée que ses frères, elle s'engage moins totalement dans sa profession ; par là elles se voue à y rester inférieure ; et le cercle vicieux se noue : cette infériorité renforce son désir de trouver un mari (...) Tant que subsistent les tentations de la facilité (...) elle aura besoin d'un effort moral plus grand que le mâle pour choisir le chemin de l'indépendance."

Epouser un rôle social traditionnel de "femme de" ou bien devenir soi-même est le choix qui s'offre à Nadine (France Lambiotte). En fait, ce n'est pas un choix, du moins au début. Nadine est quittée par son mari, Jean (Claude Rich, alors abonné aux rôles patriarcaux) pour une autre femme. Elle est anéantie car elle n'a plus l'impression d'exister, la relation conjugale traditionnelle rendant la femme dépendante de son mari sur tous les plans. Elle n'a face à elle qu'un grand vide. Le film est l'histoire de sa reconstruction en tant que femme libre et indépendante. Une reconstruction qui passe par la quête d'un travail, la reprise des études (qui sont, et c'est très symbolique, de l'astrophysique), une relation amoureuse n'entrant pas dans les cadres institutionnels et un changement d'apparence. Le tout sous les encouragements de son fils Rémi (Hippolyte Girardot alors âgé de 19 ans) qui appartient à la génération ayant connu la révolution des mœurs de 1968. Peu à peu, Nadine relève la tête, arrête de se victimiser, fait un travail sur elle-même et assume ses désirs. Assez ironiquement, c'est Jean, le mari qui vers la fin du film revient vers elle, incapable de rompre le lien conjugal (ce qui dévoile que la dépendance était réciproque) et déboussolé face à son changement. Mais c'est trop tard, elle n'a plus besoin de lui: "quand un type se tire, ce n'est pas un drame". Cette phrase n'avait rien d'évident dans les années 70 où beaucoup de femmes délaissées comme le rappelle Benoîte Groult dans les bonus du DVD sombraient dans la dépression, se suicidaient ou cherchaient compulsivement un autre homme pour remplacer celui qui était parti.

La spécificité de Yannick Bellon est de s'intéresser comme dans "Jamais plus toujours" au poids que le temps fait peser sur les existences. Comme le dit Simone de Beauvoir, ce n'est pas la contrainte qui pousse les femmes à se conformer, mais la tentation de la facilité, celle qui pousse à se laisser porter et à abdiquer toute responsabilité plutôt qu'à persévérer dans une voie propre qu'il faut cependant s'évertuer à défricher "On se fait grignoter, dévorer par les choses, par un certain confort." Le passage du temps étant irréversible, il confère au film une atmosphère mélancolique à l'image du beau visage de France Lambiotte (qui me fait un peu penser à celui de Françoise Hardy). Mais cette mélancolie est sereine, chaque mort, chaque fin s'accompagnant d'une renaissance: "Chaque époque dépose ses sédiments et tout recommence, autrement (…) Tout rentre dans l'ordre, un autre ordre."

 

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Orgueil et Préjugés (Jane Austen's Pride and Prejudice)

Publié le par Rosalie210

Simon Langton (1995)

Orgueil et Préjugés (Jane Austen's Pride and Prejudice)

La meilleure adaptation du plus célèbre roman de Jane Austen n'est pas un long-métrage de cinéma mais une mini-série télévisée en six épisodes de 50 minutes produite par la BBC et diffusée à partir de 1995. Elle fit sensation dans tous les pays anglo-saxons où elle fut diffusée et devint une œuvre culte, couverte de récompenses. Elle fit redécouvrir Jane Austen aux jeunes générations qui multiplièrent les initiatives pour faire revivre son œuvre (sites internet, marathons de lecture, fanfictions, bals d'époque). Helen Fielding s'en inspira (très) fortement pour sa saga littéraire consacrée à Bridget Jones que les adaptations cinématographiques rendirent indissociables de la mini-série avec de nombreux clins d'œil, à commencer bien sûr par le réemploi de Colin Firth en Mark Darcy.  Son influence s'exerça jusqu'au "Discours d'un roi" qui réunit pour la première fois depuis 1995 Colin Firth et Jennifer Ehle, le splendide couple phare de la version BBC (mais toute la distribution est remarquable). Ce dernier qui devint une star internationale à la suite de la diffusion de la série déclara d'ailleurs en 2006 que les trois femmes de sa vie étaient "sa mère, sa femme et Jane Austen" ^^.

Le format de la mini-série s'avère absolument idéal pour transposer le roman de Jane Austen. Il permet de coller au plus près de l'œuvre dont il restitue toute la richesse avec une grande fidélité grâce au travail scénaristique de Andrew Davies.  De plus, il la rend incroyablement vivante et actuelle, avec une mise en scène très dynamique de Simon Langton et une musique enlevée signée Carl Davis. L'histoire a beau se passer au début du XIX° siècle dans un contexte social et juridique beaucoup plus rigide et inégalitaire que le nôtre, l'écriture de "Orgueil et Préjugés" est très moderne dans son analyse de la difficulté à communiquer, dans son féminisme et dans son regard plein d'ironie vis à vis de la société dont elle croque les travers avec un humour caustique irrésistible. Une ironie qui est l'un des traits de caractère les plus saillants de Elizabeth Bennet (qui tient cela de son père avec lequel elle partage une délicieuse complicité), l'héroïne. Un esprit libre dans un corps toujours en mouvement plongé dans un monde corseté, vénal (il faut voir avec quelle vulgarité la mère d'Elizabeth affiche sur la place publique son obsession de voir ses filles faire un beau mariage) et étriqué. Un monde que semble incarner l'austère, froid et hautain Darcy. Mais dans cette histoire où les apparences sont trompeuses, Elisabeth va l'aider sans le vouloir (consciemment en tout cas) à se libérer du carcan qui l'aliène, rendu dans la série (comme chez James Ivory, autre as du genre) par les plans où le personnage la regarde par la fenêtre comme s'il était en prison. Car Darcy n'est pas plus conventionnel qu'Elizabeth notamment par le fait qu'il est trop intelligent pour se plier à la stupidité des règles du théâtre social et tout aussi incapable de mensonge. Il se révèle également le plus mature de tous les personnages de l'histoire avec un sens des responsabilités qui le fait se substituer aux pères défaillants (le sien, celui d'Elizabeth et même celui de Bingley). Même si sa première demande en mariage est humiliante et maladroite sur la forme elle est révélatrice sur le fond: il est incapable d'aller à l'encontre de ses sentiments, même si son orgueil doit en souffrir et en dépit de toutes les pressions sociales qu'il aura à subir du fait qu'il s'agit d'une mésalliance. Tout en respectant à la perfection tous ces aspects, la mini-série ajoute une dimension sensuelle qui n'existait pas dans le roman. Entre Elizabeth et Darcy, l'essentiel ne passe pas par les mots mais par le corps et surtout le regard, doté d'une charge émotionnelle et même érotique surpuissante qui culmine avec la scène cultissime de la chemise mouillée (qui me fait penser à la "Femme au corbeau" de Frank Borzage). Le désir féminin se fait donc une vraie place dans cette série (la littérature dérivée du type Bridget Jones est d'ailleurs qualifiée de "chick lit", "littérature de fille") tout à fait comparable à celui qui se manifeste dans les shojo mangas même s'il faut pour cela qu'il s'exprime à travers la petite lucarne, jugée moins "noble" que la grande. Heureusement que les apparences sont -parfois- trompeuses.

Orgueil et Préjugés (Jane Austen's Pride and Prejudice)

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