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La Femme de Jean

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1974)

La Femme de Jean

" Il y a quelque chose d'incroyable, c'est le racisme spontané des gens envers les femmes. On sonne, ils vous ouvrent et là ils vous disent avec un petit ton déçu: ah! C'est une dame. Ou bien: j'attendais un monsieur. Incroyable."

Incroyable surtout comme les mentalités ont peu évolué en un demi siècle puisque "La femme de Jean" a été réalisé en 1974 et que j'ai eu droit pas plus tard que le mois dernier à une réflexion à peu près identique de la part d'un vendeur lorsque je ne me suis présentée à son domicile pour retirer un DVD de Frank Borzage que j'avais acheté sur internet. Mais "La femme de Jean", comme son titre l'indique traite de la difficulté pour une femme de se construire une identité propre et surtout, de la préserver dans une société qui fait tout pour qu'elle y renonce. Une question qui avait été déjà soulevée par Simone de Beauvoir dans son ouvrage, "Le Deuxième sexe" en 1949: "On ouvre aux femmes les usines, les facultés, les bureaux mais on continue à considérer que le mariage est pour elle une carrière des plus honorables qui la dispense de toute autre participation à la vie collective. (…) La femme mariée est autorisée à se faire entretenir par son mari ; elle est en outre revêtue d'une dignité sociale très supérieure à celle de la célibataire. Comment le mythe de Cendrillon ne garderait-il pas toute sa valeur ? Tout encourage encore la jeune fille à attendre du "prince charmant" fortune et bonheur plutôt qu'à en tenter seule la difficile et incertaine conquête. (…) Les parents élèvent encore leur fille en vue du mariage plutôt qu'ils ne favorisent son développement personnel ; elle y voit tant d'avantages qu'elle le souhaite elle même ; il en résulte qu'elle est souvent moins spécialisée, moins solidement formée que ses frères, elle s'engage moins totalement dans sa profession ; par là elles se voue à y rester inférieure ; et le cercle vicieux se noue : cette infériorité renforce son désir de trouver un mari (...) Tant que subsistent les tentations de la facilité (...) elle aura besoin d'un effort moral plus grand que le mâle pour choisir le chemin de l'indépendance."

Epouser un rôle social traditionnel de "femme de" ou bien devenir soi-même est le choix qui s'offre à Nadine (France Lambiotte). En fait, ce n'est pas un choix, du moins au début. Nadine est quittée par son mari, Jean (Claude Rich, alors abonné aux rôles patriarcaux) pour une autre femme. Elle est anéantie car elle n'a plus l'impression d'exister, la relation conjugale traditionnelle rendant la femme dépendante de son mari sur tous les plans. Elle n'a face à elle qu'un grand vide. Le film est l'histoire de sa reconstruction en tant que femme libre et indépendante. Une reconstruction qui passe par la quête d'un travail, la reprise des études (qui sont, et c'est très symbolique, de l'astrophysique), une relation amoureuse n'entrant pas dans les cadres institutionnels et un changement d'apparence. Le tout sous les encouragements de son fils Rémi (Hippolyte Girardot alors âgé de 19 ans) qui appartient à la génération ayant connu la révolution des mœurs de 1968. Peu à peu, Nadine relève la tête, arrête de se victimiser, fait un travail sur elle-même et assume ses désirs. Assez ironiquement, c'est Jean, le mari qui vers la fin du film revient vers elle, incapable de rompre le lien conjugal (ce qui dévoile que la dépendance était réciproque) et déboussolé face à son changement. Mais c'est trop tard, elle n'a plus besoin de lui: "quand un type se tire, ce n'est pas un drame". Cette phrase n'avait rien d'évident dans les années 70 où beaucoup de femmes délaissées comme le rappelle Benoîte Groult dans les bonus du DVD sombraient dans la dépression, se suicidaient ou cherchaient compulsivement un autre homme pour remplacer celui qui était parti.

La spécificité de Yannick Bellon est de s'intéresser comme dans "Jamais plus toujours" au poids que le temps fait peser sur les existences. Comme le dit Simone de Beauvoir, ce n'est pas la contrainte qui pousse les femmes à se conformer, mais la tentation de la facilité, celle qui pousse à se laisser porter et à abdiquer toute responsabilité plutôt qu'à persévérer dans une voie propre qu'il faut cependant s'évertuer à défricher "On se fait grignoter, dévorer par les choses, par un certain confort." Le passage du temps étant irréversible, il confère au film une atmosphère mélancolique à l'image du beau visage de France Lambiotte (qui me fait un peu penser à celui de Françoise Hardy). Mais cette mélancolie est sereine, chaque mort, chaque fin s'accompagnant d'une renaissance: "Chaque époque dépose ses sédiments et tout recommence, autrement (…) Tout rentre dans l'ordre, un autre ordre."

 

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