"Le Péril jeune" est un film culte de la première moitié des années 90. Plus exactement un téléfilm commandé par Arte dans le cadre d'une collection sur les années lycée et qui s'est autonomisé du lot pour sortir au cinéma avec le succès et la postérité que l'on sait. D'ailleurs à la même époque, Arte avait commandé une autre série de téléfilms sur l'adolescence, "tous les garçons et les filles de leur âge" d'où sont sortis également quelques films importants transposés au cinéma dont "Les Roseaux sauvages" (1994) de Andre TECHINE avec Elodie BOUCHEZ qui jouait également dans "Le Péril jeune". Ces films ont en effet permis d'apporter un renouveau dans le regard porté sur l'adolescence et du sang frais dans le cinéma français. Le casting du film de Cedric KLAPISCH comporte plusieurs futures stars, Romain DURIS en tête qui avait 19 ans, dont c'était le premier rôle et qui crevait l'écran. Cedric KLAPISCH venait de dénicher son Antoine Doinel avec lequel il allait tourner par la suite sept films dont la trilogie de l'auberge espagnole traitant également de thèmes proches. On voit déjà dans "Le Péril jeune" (qui n'était que le deuxième film de Klapisch) s'esquisser une famille de cinéma avec des seconds rôles tels que Zinedine SOUALEM ou Marina TOME et même Renee LE CALM qui prononce la phrase donnant son titre au film. Cedric KLAPISCH lui-même fait plusieurs caméos dans le film ce qui deviendra son habitude.
"Le Péril jeune" est emblématique des films de jeunesse de Cedric KLAPISCH quand celui-ci savait saisir les changements à l'oeuvre dans un quartier, dans la famille ou dans la jeunesse avec justesse et légèreté tout en l'inscrivant toujours dans une certaine mélancolie. Je suis nostalgique de cette période de sa filmographie car je trouve que sa patte s'est depuis considérablement alourdie. L'idée de génie de "Le Péril jeune", outre le refrain "on s'était dit rendez-vous dans 10 ans" qui fait fonctionner le film en flash-backs, l'inscrivant d'emblée dans un cadre nostalgique de jeunesse révolue et de passage de témoin avec l'attente de la naissance d'un enfant, c'est le personnage de Tomasi. Sa disparition le transforme en symbole, l'incarnation de l'adolescent rebelle, fauché au zénith de sa jeunesse ce que les dernières images transcrivent parfaitement. Il s'inscrit dans une lignée qui évoque aussi bien James DEAN que Jim MORRISON d'autant que ce dernier appartient à la même époque que la jeunesse du film, à savoir la première moitié des années 70 marquée par le rock, la contre-culture, l'émancipation des filles mais aussi la montée du chômage de masse et la drogue, bref l'angoisse du "no future" qu'incarne parfaitement Tomasi, cet être solaire qui porte en lui la mort.
J'ai préféré "En Corps" à "Deux Moi" mais sans faire de jeu de mots, je trouve que ce n'est pas "en corps" ça. Avec l'âge, je trouve que Cédric Klapisch a perdu en vivacité et est devenu mou du genou. Un autre défaut majeur que j'ai relevé dans les deux films est leur côté très lourdement démonstratif avec une enfilade de clichés. Dans "En Corps", Muriel Robin qui joue un rôle de facilitatrice comme le faisait Simon Abkarian dans "Deux Moi" les enfile comme des perles tout comme Yann le kiné (François Civil qui arbore un look qui le fait ressembler à Romain Duris, l'alter ego de Klapisch quand il était jeune mais sans son charisme). L'héroïne, Elise (Marion Barbeau) n'a plus qu'à les appliquer à la lettre et hop, tout est résolu: une déception sentimentale et elle se blesse, une nouvelle histoire d'amour (bâclée) et elle guérit, un bon conseil de tata Robin et elle demande à son père avocat qui n'a jamais approuvé sa carrière (joué par Denis Podalydès) de lui dire qu'il l'aime et on comprend dans l'une des scènes finales qu'il s'est exécuté et ainsi de suite. Bref tout ça est lourd et convenu. Heureusement qu'il y a la danse pour relever un peu le niveau. Cédric Klapisch clame son amour pour cet art avec une réflexion très intéressante sur ce qui sépare la danse classique et les danses contemporaines en terme de technique, de spiritualité mais aussi en terme de sociologie. La séquence de début et celle de fin qui se répondent sont très réussies. J'aurais cependant aimé que la danse prenne "en corps" plus de place dans le film, qu'elle soit au coeur de l'intrigue (comme dans "Black Swan") plutôt que le prétexte d'une histoire aussi téléphonée. Une belle occasion gâchée...
"Deux Moi" c'est "Chacun cherche son chat" (1995) remis à jour en version "2.0". En effet les deux films dressent le portraits de jeunes parisiens plus ou moins dépressifs (et égocentriques) en quête de l'âme sœur. Evidemment dans "Chacun cherche son chat", cela passait par des sorties nocturnes dans les bars du 11° arrondissement alors qu'en parallèle, Cédric Klaspisch faisait le portrait d'un quartier attachant et bigarré en pleine mutation sociologique. Dans "Deux Moi", les rencontres sont montrées comme virtuelles, du moins dans un premier temps. Il y a encore un peu de musique, de fumée de cigarette et même un chat blanc pour rappeler l'opus précédent de Klapisch mais en mode mineur. L'univers dépeint, celui du 18° en 2019 est beaucoup plus froid et désincarné que ne l'était le 11° en 1995 en dépit de l'îlot de chaleur que représente l'épicerie tenue par le personnage joué par Simon Abkarian. Les quelques traits d'humour du film proviennent de lui et de ses employés. Les remarques sur le bio par exemple où se téléscopent la vision des bobos et celle des immigrés où celles évoquant les salons de coiffure antillais tenus par des maliens (ou pour le massage thaï, par des chinois) rappelle le talent de Klapisch pour croquer le cosmopolitisme des métropoles mondiales. Mais cela ne suffit pas à animer un film tristounet qui se traîne sur un rythme mollasson. Le rapprochement des deux solitudes incarnées par Mélanie (Ana Girardot) et Rémy (François Civil) est plutôt lourdement souligné par la mise en scène alors que les dialogues sont eux parsemés de clichés gros comme une maison. La palme revient de ce point de vue à la psy jouée par Camille Cottin qui les enfile comme les perles d'un collier. On se demande d'ailleurs pourquoi Mélanie perd son temps à la payer alors qu'elle trouverait la même liste de phrases toutes faites dans un manuel de développement personnel à 25 euros. Mais bon, elle manque tellement de personnalité qu'il n'est guère étonnant qu'elle morde à tous les hameçons consuméristes de notre époque*. De toutes façons le parcours des personnages est tellement balisé que les quelques bons moments finissent par s'évanouir en fumée dans l'esprit du spectateur pour ne laisser place qu'à un vide intersidéral.
* Le psy de Rémy est tout aussi cliché mais comme son patient, il est plus taiseux et François Berléand arrive avec sa sobriété à s'en tirer à peu près.
"Casse-tête chinois" est la troisième et dernière partie de la trilogie de Cédric Klapisch consacrée aux tribulations sentimentales et géographiques de Xavier Rousseau, son Antoine Doinel joué par Romain Duris. Dans "L'Auberge espagnole" (2002), il était un étudiant en quête d'identité, dans "Les Poupées russes", c'était un trentenaire instable et dans "Casse-tête chinois", devenu quadragénaire, il a beau s'être assagi, sa situation sentimentale et géographique reste toujours compliquée. Séparé de sa compagne anglaise Wendy (Kelly Reilly) avec laquelle il a vécu dix ans et eu deux enfants, il part à New-York pour pouvoir garder un contact avec eux. Là-bas, il retrouve sa pote lesbienne Isabelle (Cécile de France) qui vit en couple sans se priver de petits extras histoire d'entretenir la flamme de la jeunesse tout en désirant fonder une famille dont le père biologique ne serait autre que lui. Et puis pour corser encore la recette, s'ajoute Martine (Audrey Tautou) elle aussi séparée et flanquée de deux gosses et les services de l'immigration qui enquêtent sur le mariage (blanc) que Xavier a contracté pour rester sur le sol américain.
"Casse-tête chinois", tout aussi frais, dynamique et savoureux que ses deux prédécesseurs contient de délicieux moments de comédie tout en conservant l'esthétique du patchwork culturel propre au contexte cosmopolite dans lequel il s'inscrit. L'histoire se déroule pour l'essentiel dans le quartier chinois de New-York (ville par ailleurs filmée de façon très originale, comme un village convivial et familier!) et aborde des thématiques sociétales telles que les familles recomposées ou l'homoparentalité. En effet même si la recette est identique aux deux premiers films, l'âge abordé fait que la question de la parentalité et de la filiation est centrale dans "Casse-tête chinois". S'y ajoute une amusante (bien que superficielle) mise en abyme avec le roman que Xavier écrit pour mettre de l'ordre (et du sens) dans sa vie et que son éditeur (joué par Dominique Besnehard) commente à distance par Skype. Bref je ne me joins pas à tous les pisse-froid qui ont démoli le film en le jugeant inutile ("réchauffé", "embourgeoisé", "clipesque et publicitaire" etc.) car j'ai pris grand plaisir à le voir et le revoir.
En 2005, Cédric KLAPISCH donnait une suite à "L Auberge espagnole" (2002) pour ce qui allait finalement devenir une trilogie, conclue avec "Casse-tête chinois" (2013). "Les Poupées russes" censé se dérouler cinq ans après "L'Auberge espagnole" (2002) nous révèle un Xavier (Romain DURIS, le Antoine Doinel du réalisateur) proche de la trentaine dont la vie est complètement "en vrac". Tout comme le film, plus primesautier que jamais avec ses nombreux effets de montage, incrustation, split screen, film dans le film qui donnent l'impression d'une vie éparpillée façon puzzle.
Après avoir échappé à un destin tout tracé dans "L'Auberge espagnole" (2002), 'Les Poupées russes" montre un Xavier qui ne parvient pas à quitter l'adolescence. Son instabilité est aussi bien géographique (il squatte chez les amis, est souvent entre deux trains), professionnelle (il est un écrivain toujours un peu sur la corde raide, obligé de baratiner banquiers et éditeurs pour obtenir des boulots alimentaires ou rallonges financières sur fond d'air de pipeau ^^) et enfin sentimentale (son désordre amoureux donne lieu à d'hilarants quiproquos). Ses amis de "L'Auberge espagnole" du moins ceux dont la vie est un peu développée (Isabelle alias Cécile DE FRANCE, Martine alias Audrey TAUTOU, Wendy alias Kelly REILLY et William alias Kevin BISHOP) sont globalement plus stables que lui sur le plan professionnel mais tout aussi perdus sur le plan personnel (sauf William, et encore, son histoire avec la ballerine russe Natacha jouée par Evguenia OBRAZTSOVA a quelque chose d'irréel et il a la nausée le jour de son mariage). Par rapport à "L'Auberge espagnole" (2002) qui représentait l'âge des possibles et des expérimentations, "Les Poupées russes" établit un premier bilan qui fait naître derrière la légèreté de façade une sourde mélancolie. Ce qui est le plus important est ce qui se dit en creux, les questionnements liés à l'incapacité d'avancer et de construire faute de parvenir à choisir (c'est à dire à renoncer). C'est particulièrement frappant dans la deuxième moitié du film quand Xavier a la possibilité d'établir une vraie relation avec Wendy (Kelly REILLY est particulièrement émouvante) mais qu'il ne parvient pas à renoncer à sa chimère de la "femme parfaite" incarnée par une Célia (Lucy GORDON) insaisissable.
Ingénieux film-mosaïque générationnel qui établit un parallèle entre la construction de l'Europe et celle du héros, Xavier (Romain Duris, le Antoine Doinel de Cédric Klapisch), fils à papa qui pour peaufiner son plan de carrière doit partir un an à Barcelone dans le cadre du programme Erasmus. La première partie du film nous montre d'une façon alerte et amusante son parcours du combattant pour parvenir à ses fins: le dédale kafkaïen des formalités administratives, le stress du départ, la galère pour trouver un logement. Il ne faut pas oublier que le film date du début des années 2000 où les déplacements intra-européens n'étaient pas aussi faciles qu'ils le sont aujourd'hui. Internet ne s'était pas encore répandu, le téléphone mobile n'en était qu'à ses balbutiements (l'essentiel des appels se faisait encore sur téléphone fixe chez soi ou en cabine), l'euro n'était pas encore entré en application (le film a été tourné juste avant sa mise en service). La deuxième partie montre son intégration progressive dans une petite communauté de jeunes symbolisant la diversité des nationalités, des langues, des cultures (y compris à l'intérieur des Etats-nations avec les clivages catalan/castillan et wallon/flamand) et des sexualités. Il multiplie les expériences: amicale avec Isabelle (Cécile de France, excellente), sexuelle avec Anne-Sophie (Judith Godrèche) alors qu'il rompt avec sa petite amie restée en France, Martine (Audrey Tautou). Ses colocataires ne sont pas plus au clair que lui dans leur vie personnelle, laquelle ressemble de plus en plus à un "joyeux bordel". Isabelle qui est lesbienne trompe sa copine avec sa prof de flamenco, Wendy (Kelly Reilly) fait de même avec un américain (Olivier Raynal), suscitant une scène hilarante au cours de laquelle son copain Alistair (Iddo Goldberg) vient lui rendre visite à l'improviste et trouve le frère de Wendy (Kevin Bishop) qui veut lui sauver la mise au lit avec ledit américain. L'avenir tout tracé de Xavier se déglingue sous l'influence de ce parfum de liberté et d'exubérance qu'il respire en compagnie de ses colocataires. Il en revient transformé et incapable de se conformer à ce que l'on attend de lui.
La mise en scène de Cédric Klapisch colle parfaitement au contenu léger, coloré et allègre du film avec une esthétique de film-collage qui fait penser aux pages d'un album photo. Les split-screen, les images-mosaïques et les incrustations sont légion. L'utilisation de la caméra numérique donne également parfois un cachet de vidéo amateur au film.
Une comédie culte qui bénéficie de trois atouts majeurs:
-La réalisation inspirée de Cédric Klapisch qui réussit à donner du relief et du rythme à une adaptation théâtrale et à faire oublier la grisaille des décors: bistrot décrépi, terrain vague, cité. A l'image de certains cuisiniers qui parviennent à concocter des recettes savoureuses avec trois fois rien, Klapisch réussit une leçon de mise en scène avec un comptoir de bar, un juke-box, une table et quatre chaises.
-La finesse d'observation et d'écriture du duo Jaoui/Bacri qui fait mouche et a donné lieu à des répliques cultes à la fois cruelles et tendres qui écornent les relations familiales. Loin d'être un refuge, la famille est montrée comme un milieu d'incommunicabilité ou tout le monde parle mais personne ne s'écoute tant chacun est enfermé dans les projections-préjugés des autres autant que dans ses propres préoccupations.
-L'interprétation si remarquable qu'on a du mal à imaginer d'autres comédiens dans la peau de ces personnages. Catherine Frot joue génialement Yoyo l'épouse soumise et pas très maligne du suffisant et égocentrique Philippe (Vladimir Yordanoff), le fils préféré de la famille qui la méprise et la houspille. De même, Jean-Pierre Bacri compose un inénarrable Henri dont le "petit gilet du vendredi" est passé à la postérité. Henri est le mal-aimé de la famille, un homme bourru et irascible enfermé en lui-même mais non dénué de bonté. Ma préférence va toutefois au duo moins connu et assez anticonformiste Betty-Denis. Betty (Agnès Jaoui) la sœur cadette est une éternelle adolescente rebelle un peu garçon manqué qui forme un couple touchant avec Denis (Jean-Pierre Darroussin) le garçon de café rêveur délicat et lettré qui apporte une grande humanité au film.
Chacun cherche son chat est un film qui réussit à capturer l'atmosphère d'un quartier de Paris en pleine transformation. Deux histoires cohabitent. Celle de Chloé, une petite maquilleuse mal dans sa peau qui s'efface derrière les superbes modèles dont elle s'occupe. Et celle d'un onzième arrondissement de Paris en pleine boboïsation où se côtoient deux mondes: un milieu populaire voué à disparaître représenté par de vieilles dames jouant leur propre rôle (dont la fameuse Madame Renée) et un milieu bourgeois-bohème en pleine expansion. Klapisch filme cette transition de façon documentaire: les démolitions, les déménagements en banlieue, le café des Taillandiers où le petit noir pris au comptoir ne coûte que 4 francs, les boutiques de fringues ou de disques, les bars de nuit, les tubes rétros et les tubes branchés... Les deux histoires se rejoignent dans la solitude commune à tous les personnages. Chacun cherche moins le chat perdu de Chloé qu'un peu de chaleur humaine, une amitié ou une histoire d'amour.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.