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Articles avec #joon-ho (bong) tag

Tokyo!

Publié le par Rosalie210

Michel Gondry, Leos Carax, Bong Joon-ho (2007)

Tokyo!

D'ordinaire, je n'aime pas les films à sketchs, collectifs ou individuels. La fragmentation en plusieurs moyens métrages est frustrante, à peine entré dans une histoire qu'il faut déjà passer à autre chose sans que rien ne puisse être approfondi. Mais dans ce cas précis, la réunion de trois grandes pointures du cinéma d'auteur autour de la capitale japonaise fait des étincelles. D'ailleurs les trois segments sont de qualité à peu près équivalente (ce qui est un exploit) et entretiennent entre eux des relations plus étroites qu'il n'y paraît autour de l'exclusion et de la folie, en dépit du style très différent de leurs réalisateurs respectifs.

- Le premier volet "Interior design" signé de Michel GONDRY dépeint le mal-être d'une jeune fille qui ne parvient pas à trouver sa place à Tokyo. Un surprenant virage fantastique lui fait subir une cruelle métamorphose qui résout son problème existentiel et donne son sens au titre. Peut-être le moins (relativement) abouti des trois parce qu'il faut attendre la fin pour qu'il déploie tout son potentiel.

- Le second, signé Leos CARAX, prototype de l'une des séquences les plus célèbres de "Holy Motors" (2012) est intitulé "M. Merde". Une immonde créature surgie des égouts (de l'inconscient) jouée par Denis LAVANT sème le chaos dans la ville la plus policée du monde en multipliant les gestes puis une fois arrêtée, les propos iconoclastes. Le résultat est décoiffant et plus subversif que dans "Holy Motors" qui recherche davantage au travers du même personnage un résultat esthétique ("la belle et la bête") plutôt que politique. On reconnaît en M. Merde un avatar des créatures bestiales fantastiques nocturnes qui hantent le cinéma de Carax (le gorille de Dieu, Nosferatu...)

- Enfin le troisième segment, réalisé par BONG Joon-ho et intitulé "Tokyo shaking" établit un parallèle entre les tremblements de terre et les ébranlements du coeur de son protagoniste principal qui est tellement allergique au changement et au contact humain qu'il est devenu hikikomori c'est à dire reclus volontaire. Ce repli sur soi semblable à l'autisme (le refus du social et même simplement du contact visuel avec autrui, la compulsion de répétition routinière, d'accumulation d'objets, empilés ou alignés avec un perfectionnisme maniaque) est montré au final comme un fléau collectif: lorsque le héros se décide à sortir, il se retrouve dans une ville dont les espaces publics ont été désertés par leurs habitants. Quant à la jeune fille dont il est amoureux, on ne sait pas si elle est de nature humaine ou mécanique. Le résultat est étrangement hypnotique et poétique.

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Okja (Ok-ja)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2017)

Okja (Ok-ja)

"Okja" comme "Roma" ou "The Irishman" fait partie des films signés par de grands réalisateurs mais produits par Netflix et qui de ce fait a été accusé de participer à la mort du cinéma en salles. Mais la réalité est que Netflix permet à des films originaux de voir le jour et d'être vus, films qui n'auraient peut-être pas été financés et distribués dans les circuits traditionnels. De plus il faut bien admettre que le public des cinémas est vieillissant, la jeune génération préférant se tourner vers les plateformes de streaming. Le covid a accéléré le processus comme le montre la décision de Disney de sortir leur version live de "Mulan" directement sur Disney +. Ce n'est peut-être pas la mort du cinéma tel qu'on le connaissait mais la diversification de ses supports est il me semble quant à elle irréversible, notamment pour les films grand public. Et n'a pas que des aspects négatifs comme le montre la chute du nabab Harvey Weinstein.

Ce préalable posé, il serait temps de s'intéresser à "Okja" pour lui-même et non pour ce qu'il représente. C'est un film puissant, à mi chemin entre "Snowpiercer" et "The Host", deux des meilleurs crus de Bong Joon-ho
. L'influence américaine sur la Corée du Sud est une nouvelle fois critiquée. Sauf qu'il ne s'agit plus de rejets toxiques dans les rivières mais de manipulations génétiques issues des laboratoires de la FTN Mirando, allusion transparente à Monsanto. La bébête obtenue n'est cette fois plus un monstre mais une victime de la cupidité de la mondialisation néolibérale (sous couvert d'hypocrites préoccupations sociales et environnementales). Seule Mija (Ahn Seo-Hyun), une adolescente vivant en symbiose avec la créature dans les montagnes depuis sa toute petite enfance ose se dresser contre cet ordre qui veut exploiter médiatiquement sa belle histoire pour embellir l'image de la firme (ça c'est le versant marketing incarné par Lucy Mirando) avant de transformer le cochon géant en chair à pâté (ça c'est le versant productiviste incarné par Nancy, la jumelle de Lucy, Tilda Swinton incarnant les deux rôles façon "bonnet blanc et blanc bonnet").

Mais le film n'est pas pour autant un face à face manichéen entre David et Goliath (clin d'oeil à Spielberg auquel on pense beaucoup, la relation viscérale entre Mija et Okja devant beaucoup à Elliott et E.T.) Car il y a un troisième protagoniste dans l'histoire, les activistes de la FLA (front de libération des animaux) qui comme dans la dystopie de Terry Gilliam "L'armée des 12 singes" sont assimilés à des terroristes alors qu'ils se veulent altermondialistes et non violents. Leur cause est noble puisqu'ils luttent pour informer le monde des mensonges de Mirando et de leur cruauté envers les animaux. Mais le problème est qu'ils utilisent les mêmes méthodes que leurs adversaires, le mensonge et la manipulation pour arriver à leurs fins. Ils bafouent ainsi le souhait de Mija de ramener Okja à la maison, préférant livrer cette dernière à ses bourreaux au nom de leur cause. Néanmoins des dissensions et des contradictions se font jour entre eux et en eux ce qui rend certains d'entre eux passionnants, tout particulièrement leur leader, Jay* (Paul Dano, remarquable une fois de plus) qui a quelque chose du prince Ashitaka face à Mija en princesse Mononoké. Car l'hommage à Hayao Miyazaki ne se réduit pas à la scène édénique dans laquelle Mija et Okja jouent à "Mon voisin Totoro" mais il est présent en filigrane dans tout le film.

Il y a cependant un personnage en trop, celui du très fatiguant docteur Johnny Wilcox, mi bateleur de foire façon "Hunger Games" mi tortionnaire néo-nazi (la fin du film est d'ailleurs une métaphore de la Shoah). Les deux aspects ne font pas bon ménage ou bien est-ce le jeu ultra cabotin (et uniforme) de Jake Gyllenhaal, toujours est-il que j'ai trouvé que les passages dans lesquels il intervenait étaient pénibles, passant à côté de l'effet burlesque cartoon recherché.

* Personnage toujours en contradiction avec lui-même, Jay possède une dimension chevaleresque alliant courage, abnégation et fidélité à de nobles principes qui par moments le font déraper du côté du dictateur gourou dogmatique. De même, la douceur exquise et sincère dont il fait preuve avec Mija qu'il veut protéger de la violence qui les entoure au péril de sa vie (le passage à tabac du groupe par la police-milice de Mirando est d'une brûlante actualité) est contredite par ses propres accès de sauvagerie, au point que c'est Mija qui doit arrêter son bras prêt à frapper Okja devenue folle après les mauvais traitements subis. C'est donc ironiquement cette innocente démunie (d'armes et d'idéologie) qui sans le vouloir le protège de lui-même en l'empêchant de basculer dans la négation de ce qu'il représente (le défenseur non-violent de la cause animale). Dans un même personnage cohabitent ainsi Bob Dylan, Alex de "Orange Mécanique" (la correction musclée d'un camarade "déviant") et Che Guevara (ne pas rater la postface de trois minutes qui succède au générique de fin).

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Memories of murder (Salinui chueok)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2003)

Memories of murder (Salinui chueok)

Le deuxième film de Bong Joon-ho "Memories of murder" est aussi l'un de ses plus grands films. Il s'inspire d'une pièce de théâtre elle-même issue d'un fait divers qui avait défrayé la chronique en Corée: le viol et le meurtre d'une dizaine de femmes de tous âges à Hwaseong au sud de Séoul entre 1986 et 1991 par un serial killer, le premier du genre au pays du matin calme et qui n'a été confondu que trente ans après les faits c'est à dire en 2019.

Le film de Bong Joon-ho qui se concentre sur la traque infructueuse du coupable tient en haleine du début à la fin avec une montée en puissance impressionnante sur la dernière demi-heure qui tourne à la tragédie noire à l'entrée d'un tunnel ferroviaire. Avec un sujet pareil, on pourrait s'attendre à un film seulement très sombre mais en maestro du mélange des genres, Bong Joon-ho en fait aussi un film très drôle. Un humour burlesque ravageur qui souligne l'incompétence de la police de l'époque dans un contexte politique par ailleurs troublé. En effet le trio d'enquêteurs, Park (Song Kang-ho) le policier local, son brutal coéquipier Jo Young-goo et un inspecteur venu de Séoul leur prêter main-forte, Seo (Kim Sang-kyeong) vont systématiquement se retrouver mis en échec par un tueur insaisissable qui profite des failles béantes du système pour s'évanouir dans la nature. La Corée du sud des années 80 n'était pas développée comme elle l'est aujourd'hui et elle était encore en transition entre l'autoritarisme et la démocratie. Par conséquent les policiers manquent de rigueur scientifique et de moyens pour mener leur enquête. Les tests ADN ne peuvent être menés qu'aux USA*, les scènes de crime ne sont pas assez protégées et face au manque de preuves Park se réfugie dans toute une série de pistes plus farfelues les unes que les autres (le "contact visuel" alors qu'une scène prouve qu'il est incapable de différencier un coupable d'une victime, la méthode chamanique, la visite des saunas pour tenter de repérer des hommes imberbes, le criminel ne laissant aucun poil sur les lieux de ses crimes, la recherche d'un auditeur qui demande la même chanson à la radio les soirs de meurtre etc.) Par ailleurs, on voit ces mêmes policiers utiliser la torture pour faire endosser les crimes à des boucs-émissaires tels qu'un attardé mental ou un miséreux surpris en pleine forêt en train de se masturber avec des dessous féminins volés. Des séquences qui pourraient être révoltantes mais qui tournent au grotesque avec les interrogatoires surréalistes des hommes incriminés. Hommes à qui n'est offert par la suite qu'une réparation dérisoire. Enfin le régime offre un boulevard au meurtrier en utilisant les forces de police pour la répression des manifestants plutôt que pour traquer les criminels et en imposant un couvre-feu qui facilite d'autant son passage à l'acte (les lumières qui s'éteignent symbolisent un régime qui ferme les yeux). Alors des années plus tard quand Park qui a changé de métier (on le comprend) revient sur les lieux du premier crime et apprend de la bouche d'une fillette que le tueur est venu s'y recueillir peu de temps auparavant, il regarde droit dans les yeux par un regard caméra les spectateurs de son pays pour qu'ils ne puissent plus jamais détourner le regard.

* C'est d'ailleurs par son ADN que le meurtrier a fini par être confondu. Les bavures, les erreurs de l'enquête et le retard technologique m'ont fait penser à l'affaire Grégory qui date de la même époque et qui reste irrésolue.

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Mother (Madeo)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2009)

Mother (Madeo)

Avant de commencer ma critique proprement dite, je mets en garde contre tout risque de confusion entre le film du coréen Bong Joon-ho et celui plus récent et plus connu de Daren Aronofsky avec Jennifer Lawrence et Javier Bardem qui porte le même titre mais qui est suivi d'un point d'exclamation.

"Mother" (sans ! donc) qui a été réalisé en 2009 entre "The Host" et "Snowpiercer" est nettement moins flamboyant et spectaculaire qu'eux. Il est aussi, il faut le dire plus rébarbatif avec des personnages peu sympathiques plongés dans une situation sordide non compensée par les touches d'humour habituelles du cinéaste. Il s'inscrit cependant dans le style d'un réalisateur qui est passé maître dans le mélange des genres, ici le mélo familial et le thriller policier. S'il y a un film auquel on peut comparer "Mother" c'est "Psychose" d'Alfred Hitchcock qui fait d'une histoire de fusion monstrueuse entre mère et fils la substance de son intrigue policière. Il y a d'ailleurs une phrase quasi-identique prononcée dans les deux films: "Elle ne ferait pas mal à une mouche" (à propos de Mrs Bates dans "Psychose"), "Il ne ferait pas même pas mal à une araignée d'eau" (à propos de Do-joon dans "Mother") alors qu'ils sont tous deux accusés de meurtre.

Contrairement à "Psychose", Do-joon et sa mère sont deux entités vivantes aux corps distincts, une séparation matérialisée la plupart du temps par une vitre. Mais l'emprise de la seconde sur le premier tant physique que mentale est très forte puisque Do-joon souffre de retard mental ce qui l'empêche d'être indépendant. Et il est significatif que sa mère n'ait pas de nom, ce qui définit bien comment son identité se confond avec son rôle de mère. Dans l'une des premières scènes du film, Bong Joon-ho définit de façon admirable ce qu'est la non-séparation psychique. La mère massicote des racines au fond d'une pièce tout en surveillant son fils grâce à une baie vitrée qui ouvre sur l'autre côté de la rue où il se trouve. Arrive le moment où il se fait renverser par une voiture, elle se précipite vers lui en hurlant qu'il saigne mais découvre que c'est elle qui s'est coupé au niveau du doigt comme s'ils ne formaient plus à ce moment là qu'un seul corps. Et ces moments de fusion, on les retrouve ponctuellement tout au long du film, le fils étant "programmé" de façon pavlovienne par sa mère et celle-ci prête à toutes les extrémités pour sauver son fils (en raison d'un sentiment de culpabilité inconscient).

"Mother" possède cependant une dimension proprement asiatique, la mère s'avérant dans les (magnifiques) première et dernière scène du film étroitement connectée aux forces de la nature avec lesquelles elle danse, faisant ainsi circuler à travers elle les flux énergétiques de l'univers*. En occident, elle aurait été depuis longtemps brûlée comme sorcière mais en Corée, elle exerce (illégalement) la profession d'acupunctrice et connaît donc bien les différents points du corps qui doivent être stimulés pour que l'énergie vitale y circule de façon harmonieuse. Elle a d'ailleurs appris à son fils une technique qui lui permet de retrouver la mémoire, technique qui joue un rôle clé dans le film tout comme celle qui consiste à se défendre quand on le traite d'idiot. Le film joue beaucoup sur les apparences trompeuses. Tout est fait pour que le spectateur croient Do-joon et sa mère inoffensifs mais le sont-ils vraiment?

Ces dimensions psychiques et spirituelles enrichissent considérablement un film qui en surface ne serait qu'une banale intrigue policière autour du thème du faux coupable (Hitchcock, encore) aggravé par les tares de la société coréenne bien mises en avant par le réalisateur (corruption, inégalités sociales, incompétence) et rehaussé par une mise en scène brillante (voir la scène à suspens où la mère tente de quitter la pièce jonchée de bouteilles sans réveiller l'homme qu'elle surveille et qu'elle croit être le vrai meurtrier). Elles donnent au personnage de la mère* toute sa richesse, en surface une femme pauvre, seule, faible, démunie (sa couleur fétiche, le violet est celle des veuves et des martyrs) mais en profondeur un maelstrom de forces obscures d'une terrifiante puissance capables de dévaster tout sur leur passage. De quoi bien faire réfléchir sur l'ambivalence de l'instinct maternel et du dévouement sans limite.

* Un équivalent de ce Qi-Gong dans la nature peut être trouvé chez les amérindiens du film de Terrence Malick "Le Nouveau Monde".

* Beaucoup de références des films de Bong Joon-ho nous échappent. Ainsi pour "Mother", il a choisi une actrice qui symbolise la mère aux yeux des coréens, rôle qu'elle a joué de multiples fois dans la production locale.

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The Host (Gwoemul)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2006)

The Host (Gwoemul)

Les américains ont King-Kong. Les japonais Godzilla. Et depuis 2006 grâce à Bong Joon-ho, les coréens possèdent leur propre monstre géant, symbole de sociétés "évoluées" mais dénaturées confrontées à l'effet boomerang de leurs ravages écologiques. Mais dans "The Host", plus grand succès du cinéma sud-coréen sur le sol national comme à l'étranger (du moins jusqu'à ce que Bong Joon-ho ne pulvérise son propre record avec ses films suivants dont "Parasite" en 2019), il ne se contente pas de brillamment renouveler le genre du film de monstre. C'est en effet le propre de ce réalisateur d'investir des genres populaires à grand spectacle et tout en y étant à l'aise comme un poisson dans l'eau, de leur donner une portée sociologique et géopolitique qui n'est pas artificiellement plaquée mais qui fait corps avec l'histoire, avec les décors, avec les personnages, une famille de losers aussi imparfaite qu'attachante confrontée à des événements qui la dépassent. Pas étonnant qu'il obtienne à la fois les faveurs des critiques et du grand public et que son cinéma ait fini par avoir une résonance universelle. 

"The Host" est d'abord une critique de l'occupation américaine en Corée du sud qui s'est maintenue après la fin de la guerre froide en raison de la persistance du conflit avec la Corée du nord communiste (soutenue en sous-main par la Chine). Quelques années avant la réalisation du film, des bases militaires et scientifiques US avaient été accusées d'avoir déversé des rejets polluants dans la rivière Han qui traverse Séoul, la capitale de la Corée du sud. C'est cet épisode qui constitue le point de départ de "The Host" où l'on voit un scientifique américain ordonner à son employé de vider les stocks de déchets polluants dans l'évier, pollution qui est directement à l'origine de la naissance du monstre qui quelques années plus tard terrorise Séoul. Par la suite les méthodes US pour "gérer" la crise sont elles aussi épinglées que ce soit au niveau de la (dés)information avec le récit parfaitement fictif du virus que transmettrait la bébête par simple contact* ou de leurs méthodes d'éradication avec l'agent jaune qui fait référence sans nul doute à l'agent orange qui fut employé lors des guerres au Vietnam mais aussi en Corée. Au passage on voit bien affleurer le racisme des américains vis à vis des asiatiques qu'ils considèrent comme des cobayes et on peut mesurer à quel point le concept de souveraineté limitée utilisé par Brejnev pour justifier la mise sous tutelle des "Etats satellites" de l'URSS s'applique aussi aux relations entre la Corée du sud et les USA (qui lui dictent en gros sa politique).

Mais la société coréenne n'est pas non plus épargnée par Bong Joon-ho qui dépeint ses concitoyens en employant des touches burlesques et grotesques. Les autorités incompétentes sont tournées en ridicule (le porte-parole qui vient "informer" les survivants mis en quarantaine dans un gymnase commence par se vautrer sur le sol) de même que les médias qui mitraillent la famille Park en train de se rouler par terre tout en passant sous silence les véritables événements dans un premier temps. La famille Park elle-même se compose d'anti-héros avec Kang-du (Song Kang-ho, acteur récurrent des films de Bong Joon-ho) un fils aîné léthargique qui semble avoir deux neurones dans le cerveau, un cadet diplômé mais chômeur et une sœur championne de seconde zone au tir à l'arc, ces deux derniers regardant néanmoins leur frère aîné de haut. Mais l'adversité (l'enlèvement par le monstre de Hyun-seo l'adorable fille adolescente de Kang-du jouée par Ko Ah-seong, autre habituée du cinéaste) autant que le refus des autorités de rechercher la gamine va les ressouder. A ce propos, il y a une scène que je trouve très belle, c'est celle du dernier repas pris en famille où Hyun-seo qui pourtant ne peut être présente physiquement apparaît au milieu des autres sans que ceux-ci ne s'en étonnent. Au passage, on note la tendresse particulière que Bong Joon-ho voue aux parias de la société à travers le portrait de la famille Park et plus particulièrement de Kang-du (défendu jusqu'au bout par son père Hee-bong), mais aussi l'aide apportée par un SDF et enfin l'importance du petit Se-joo, lui aussi sans-abri et orphelin de surcroît.

* Les mensonges d'Etats oups, les "faits alternatifs" ne datent pas de l'ère Trump, il suffit de se souvenir des fioles brandies par Colin Powell à l'ONU en février 2003 censées prouver que l'Irak possédait des armes de destruction massive pour justifier l'intervention américaine imminente dans le pays dirigé alors par Saddam Hussein et qui ce sont avérées être des fakes.

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Snowpiercer, le Transperceneige (Seolgungnyeolcha)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2013)

Snowpiercer, le Transperceneige (Seolgungnyeolcha)

Six ans avant "Parasite", Bong Joon-ho réalisait un blockbuster d'anticipation complètement givré et totalement prophétique sur notre époque confinée, cynique et déréglée à partir d'une BD des années 80. Mélange assez détonnant de "Mad Max" (pour la violence et l'ambiance post-apocalyptique), du "Truman Show" (une vie sous cloche dirigée par un "Deus ex machina" joué par Ed Harris), de "Wall-E" (pour la catastrophe écologique et la fragile renaissance de la fin) ou encore de "Métropolis" (pour la lutte des classes compartimentées mais à l'horizontale, les huiles à l'avant, les espaces productifs au milieu, les misérables à l'arrière), le transperceneige est une sorte d'arche de noé ferroviaire qui abrite les derniers survivants de l'humanité après que des expériences sensées enrayer le réchauffement climatique aient transformé la terre entière en pôle nord*.

L'histoire se déroule 18 ans après ces événements quand les parias de l'arrière qui ne supportent plus leur condition décident de se soulever pour investir l'avant. Comme dans "Parasite", Bong Joon-ho traduit avec beaucoup d'inventivité visuelle dans un espace très architecturé la ségrégation socio-spatiale en subvertissant le système par l'infiltration des pauvres dans l'univers des riches. Et la profondeur de cette réflexion, indissociable de l'action qui est menée de main de maître avec des scènes de combat très puissantes visuellement alors même que l'espace est réduit ne faiblit jamais. En effet la révolution fait intégralement partie du système comme on le découvre à la fin. Elle joue un rôle malthusien et darwinien (réduire la population, sélectionner les meilleurs), le leader étant ensuite corrompu pour prendre la place du maître à bord sans que rien ne change… ou presque. Car dans cette superproduction où le casting anglo-saxon est majoritaire (coproduction américaine oblige), il y a aussi deux acteurs coréens qui mènent la révolution aux côtés de Curtis (Chris Evans). Et alors que celui-ci dont on découvre au passage le monstrueux passé fonce tête baissée dans le piège d'un avenir en forme d'éternel recommencement (symbolisé par un train qui tourne autour de la terre sans pouvoir s'arrêter pour ne pas geler sur place), Namgoong Min-soo (Song Kang-ho) l'ingénieur du train fait un pas de côté et lui montre l'issue de secours latérale, celle qui mène à l'extérieur. Car pendant que Curtis (et les autres) gobaient tout cru la propagande que Wilford (Ed Harris) leur servait (sur le refrain bien connu de "there is no alternative") Namgoong a remarqué que la neige fondait** et que peut-être il redevenait possible de vivre hors du train donc hors du système***. Il est intéressant de constater que même aliéné à l'extrême dans ce qui s'apparente à un système concentrationnaire, un homme a toujours la possibilité de faire des choix imprévisibles. C'est ce libre-arbitre qui fera toujours dérailler les systèmes les mieux huilés.

* Expériences basées sur des propositions scientifiques hasardeuses qui existent actuellement pour tenter de modifier le climat.

** Les wagons situés à l'arrière n'ayant pas de fenêtre, il est impossible pour les plus pauvres d'imaginer un autre monde que celui dans lequel ils sont plongés. Ceci étant les classes sociales supérieures étant embrigadées par le récit de Wilford basé sur les sept personnes qui ayant tenté de sortir du train ont été changées en statues de glace, elles ne peuvent pas non plus imaginer qu'un autre monde est possible.

*** De façon assez symbolique là aussi, les classes dirigeantes du train sont blanches alors que les deux seuls humains qui parviennent à s'en extraire sont une adolescente asiatique, Yona dotée du don de clairvoyance et un petit garçon noir, Timmy. L'une doit la vie à son père Nangoong Min-soo et l'autre, à Curtis qui l'a extrait de l'esclavage de la machine et l'a protégé avec son corps, une manière de se racheter pour le mal qu'il a fait quand il était jeune. Quant à l'ours polaire qu'ils rencontrent et qui est la preuve qu'une vie est possible à l'extérieur de la machine, il symbolise la mère des coréens et donc une renaissance possible de l'histoire sur fond de page blanche à écrire (la neige environnante). Une fin qui n'est pas sans analogie avec "Les fils de l'homme" d'Alfonso Cuaron.

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Parasite (Gisaengchung)

Publié le par Rosalie210

Bong Joon-ho (2019)

Parasite (Gisaengchung)

"Parasite" comme "Metropolis" de Fritz Lang ou "Entre le ciel et l'enfer" de Akira Kurosawa se déroule dans une ville verticale symbolisant la hiérarchie sociale. Sur les hauteurs dans de spacieuses maisons design agrémentées d'espaces verts vivent les nantis pendant que dans les profondeurs croupissent les parias dans la promiscuité, l'humidité et la vermine. Les deux sociétés semblent séparées par une barrière étanche. Le père de la famille Park ne cesse d'ailleurs de clamer à propos de sa domesticité qu'il la tolère tant qu'elle ne dépasse pas les limites. Mais ce que la famille Park ignore, c'est qu'elle abrite des parias dans sa propre maison qui se sont infiltrés sans qu'elle s'en aperçoive.

Il est en effet beaucoup question de régurgitation et d'émanations dans "Parasite", bref tout ce qui déborde les limites que voudraient tracer des riches à la mentalité hygiéniste pour se protéger des pauvres vus comme une source d'infection: eau qui déborde des égouts et des toilettes, odeurs d'humidité qui collent à la peau et suscitent des remarques humiliantes de la part des patrons dont le fils a "flairé" la supercherie en remarquant que les employés de maison sentaient tous pareil, portes inquiétantes s'ouvrant sur les ténèbres ou sur un bunker souterrain d'où peut surgir à tout moment un ogre sanguinaire, meubles dissimulant des corps suintants qui ne devraient pas se trouver là etc. Bong Joon-ho fait d'ailleurs cohabiter avec maestria le thriller et l'humour (souvent noir) lié aux fakes (les ruses de la famille de Ki-taek pour se substituer au chauffeur et à la gouvernante de la famille Park sont hilarants) et quiproquos (ou plutôt "incidents" comme le dit la maîtresse de maison) qui émaillent le film avec un sens très précis du cadrage, du timing et de la disposition des corps dans l'espace. Ce dispositif rigoureux qui nous réserve son lot de scènes virtuoses et jouissives n'occulte pas l'essentiel, à savoir la guerre des classes qui se joue dans le film, doublée d'une concurrence féroce des prolos entre eux pour accaparer les emplois de maison. La loi de la jungle du capitalisme mondialisé dans le contexte d'un huis-clos en somme. Les personnages, qu'ils soient de la haute ou des bas-fonds ont tous leurs parts d'ombre et de lumière. Aucun n'est un monstre mais ils sont pris au piège d'un engrenage infernal qui les dépasse et qui aboutit à une explosion de violence. On pense beaucoup à "La Cérémonie" de Claude Chabrol, référence avouée de Bong Joon-ho autant pour les petites humiliations du quotidien que pour la spectaculaire résolution finale.

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