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Articles avec #liatard (fanny) tag

Gagarine

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2015)

Gagarine

Pour se faire une idée de la merveille qu'est le premier long-métrage de Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH, il est possible de voir sur le net leur court-métrage au titre éponyme réalisé en 2015. Bien sûr, en quinze minutes et sur petit écran, le résultat n'est pas aussi grandiose mais il s'agit bien du prototype du film qui aurait été en compétition à Cannes si l'édition 2020 avait pu se tenir et qui sort au cinéma demain, 23 juin 2021.

"Gagarine" croise deux thématiques: la banlieue et la science-fiction. Le film est ancré dans un lieu unique, la cité Gagarine d'Ivry-sur-Seine, inaugurée en 1963 avec la visite du célèbre cosmonaute soviétique qui a donné son nom a la cité détruite en 2018 après des décennies d'abandon et de taudification comme nombre d'autres grands ensembles de la banlieue rouge. Les images d'archives de 1963 ouvrent le court comme le long métrage et rappellent que ces logements représentaient à l'époque d'un progrès social. En 2015 (pour le court-métrage) et 2018 (pour le long-métrage) on peut mesurer l'étendue de la dégradation des locaux. Paradoxalement le jeune Youri (en référence à Gagarine) qui a 20 ans dans le court-métrage se sent attaché à la cité et tente de la retaper à lui tout seul pour la sauver. Inutile de préciser qu'il plane très loin de la réalité ce que symbolise sa chambre dédiée à sa passion pour l'espace. Le court-métrage mettant en scène peu d'acteurs, il ne fait pas ressortir autant que le long-métrage le déchirement collectif que représente la décision (très politique) des pouvoirs publics de détruire la cité et de reloger les habitants plutôt que de la rénover. Youri apparaît juste comme un peu toqué alors que les quelques personnes qu'il croise ont toutes accepté voire espèrent cette issue. Par contre Youri est mieux entouré puisqu'il vit en famille avec notamment une mère aimante alors que son isolement est le facteur déclencheur de son expérience autarcique dans le long-métrage. On voit également l'esquisse des rêveries de Youri avec des séquences à la limite du fantastique jouant sur les lumières et les formes. Certains plans comme celui qui se réfère à "2001, l odyssée de l espace" (1968) sont repris à l'identique dans le long-métrage. Idem en ce qui concerne les mouvements de caméra qui font ressentir l'apesanteur. Et la dernière séquence dans laquelle la cité devient un vaisseau spatial est une belle variante de celle du long-métrage.

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Chien bleu

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2018)

Chien bleu

Après l'émerveillement et l'émotion qu'a suscité en moi le premier long-métrage de Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH, j'ai eu envie de voir leurs courts-métrages et j'ai trouvé sur le net ce magnifique "Chien bleu" qui contient en miniature toute la beauté et la sensibilité qui les caractérisent.

Le titre "Chien bleu" est polysémique. Il se réfère d'abord au célèbre album jeunesse de Nadja édité par l'Ecole des loisirs et d'ailleurs on retrouve dans le film un plan identique à la couverture où le chien bleu se détache sur un fond jaune. Cet hommage est lié au fait qu'il y a toujours des traces nostalgiques de l'enfance dans leurs films. Comme dans "Gagarine" (2020), le travail sur la couleur des deux cinéastes est exceptionnel, déclinant ici toutes les nuances du bleu pâle au bleu nuit avec également en parallèle un travail sur les formes géométriques, rectangulaires et circulaires.

Mais ce travail formel est au service d'un récit qui comme dans "Gagarine" s'ancre dans le bitume des cités taudifiées de banlieue pour s'élever vers le ciel. Le bleu prend alors tout son sens, plus exactement un double sens contradictoire. D'un côté des "idées bleues" du père de Yoann (Rod PARADOT que j'aimerais voir plus souvent au cinéma tant il est éclatant de sensibilité) qui vit cloîtré chez lui en proie à une profonde dépression qui se manifeste par une obsession monochrome pour le bleu qui sature son environnement et qu'il a déteint sur son chien. Et de l'autre, le bleu est aussi la couleur de Soraya (Mariam Makalou), la jeune femme solaire que rencontre Yoann et qui pratique la danse tamoul sur les toits, en référence aux divinités hindoues. Car le bleu, couleur du ciel est aussi la couleur des dieux. Cette élévation spirituelle est déjà une façon de s'arracher à la pesanteur et à la tristesse qui l'accompagne pour devenir aussi léger que les oiseaux, ceux-ci (de couleur bleue) étant également longuement filmés par le duo. Par l'intermédiaire de Yoann qui cherche une issue pour son père, celui-ci peut donc quitter sa bulle bleue (dans laquelle il se sent en sécurité), mettre son casque (en se peignant le visage) pour rejoindre la station orbitale dans laquelle gravitent les danseuses qui l'attendent pour une rencontre "avec les yeux" pour reprendre la célèbre chanson de Christophe qui accompagne le film. "Le soleil a rendez-vous avec la lune". ^^

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Gagarine

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2020)

Gagarine

"Gagarine" qui devait sortir fin 2020 et qui finalement sortira le 23 juin 2021 est le premier long-métrage de Fanny LIATARD et de Jérémy TROUILH d'après leur court-métrage éponyme réalisé en 2015. Soit le même parcours que pour "Les Misérables (2019). Mais le parallèle avec le film de Ladj LY ne s'arrête pas là et confirme la "montée en gamme" du film dit "de banlieue" dans le sens où c'est en s'y arrachant, en dépassant son sujet, en se détachant du documentaire social, de l'ici et du maintenant qu'il en parle le mieux en touchant l'universel. "Les Misérables" convoquait le passé de Montfermeil et Victor Hugo. "Gagarine" s'ouvre sur des images d'archives qui rappellent également le terreau historique dans lequel a germé la cité: celui des 30 Glorieuses mais aussi d'un certain âge d'or de l'Etat-providence quand la menace communiste en pleine guerre froide poussait les élites dirigeantes à jouer le jeu de la redistribution des richesses pour réduire les inégalité sociales. La construction d'une cité HLM à Ivry-sur-Seine dans la banlieue rouge de Paris inaugurée par le cosmonaute soviétique Youri Gagarine en 1963 est donc emblématique de cette époque de progrès économique et social sur fond de course à l'armement (et à l'espace). Mais un demi-siècle plus tard, la cité Gagarine, comme la plupart des grands ensembles de HLM construits dans ces années-là se sont taudifiés en raison d'un changement radical de contexte économique, social, diplomatique et idéologique. La fin de la guerre froide et le triomphe du capitalisme libéral mondialisé ont sonné le glas des idéaux de justice sociale. Les cités sont devenus des ghettos habités par les populations les plus pauvres, souvent d'origine immigrée. Des "sans-voix" que les pouvoirs publics déplacent comme des pions sans les consulter, leur infligeant un nouveau traumatisme en décidant d'évacuer la cité et de la dynamiter plutôt que de la rénover. Un choix d'urbanisme très politique comme le montrait déjà Ladj LY en ressuscitant à l'intérieur des cités les barricades proscrites par les grandes percées haussmaniennes du XIX° siècle. Car atomiser la cité, c'est atomiser une communauté, un réseau de solidarités en milliers de petites cellules individualisées beaucoup plus facile à dominer (diviser pour mieux régner).

Mais pour les populations de la cité, la décision de leur expulsion est un drame en ce qu'elle les oblige à revivre le traumatisme de leur déracinement, eux qui avaient réussi à s'ancrer quelque part. Elle les renvoie à leur statut de dominés qui n'ont aucune prise sur leur propre vie. En un geste symbolique dérisoire, l'un des habitants décide d'emporter sa boîte aux lettres, signifiant par là que cela au moins, c'est à lui. Et c'est dans ce contexte que le héros, Youri, décide d'entrer en résistance contre cet ordre des choses. Tout d'abord en s'improvisant bricoleur avec quelques amis pour tenter de rénover lui-même la cité. La tache démesurée est vouée à l'échec. Et puis il découvre lui aussi que "sa" cité est en fait considérée par les pouvoirs publics comme leur bien et non celui des habitants. Alors, le bien-nommé Youri se tourne vers les étoiles, transforme la cité vidée de ses habitants mais pas encore détruite en gigantesque vaisseau spatial pour la faire décoller avec lui. Une envolée magnifique, magique qui permet au film de déployer ses ailes dans l'onirisme poétique et renvoie à d'autres actes de résistance similaires: c'est Karl, le vieillard cerné de tous côtés par les immeubles que l'on veut exproprier et envoyer en maison de retraite et qui transforme sa maison en montgolfière ("Là-haut" de Pete DOCTER). Ce sont aussi les employés des assurances Crimson qui après avoir neutralisés leur hiérarchie partent à l'abordage de la finance en transformant leur immeuble en vaisseau de pierre dans le court-métrage de Terry GILLIAM en ouverture de "Monty Python : Le Sens de la vie (1982). Youri recréé un microcosme déconnecté du réel dans lequel il se réfugie comme un enfant sous sa tente grâce à son imaginaire et des matériaux de récupération là où d'autres se résignent ou sombrent dans le désespoir suicidaire. Les réalisateurs subliment cet environnement peu propice à la rêverie grâce à un travail exceptionnel sur les cadrages et les jeux de lumières. Avec eux, les tours et les barres mais aussi les grues et même les chantiers deviennent des fusées et des paquebots futuristes se nimbant de mystère, certains plans renvoyant directement vers "2001, l odyssée de l espace" (1968). On est transporté dans un autre univers, on revit son enfance et on ressent plus que jamais les points communs de tous ceux qui ne parviennent pas à trouver leur place en ce monde et de ce fait se sentent un peu "extra-terrestre": les migrants, les gens du voyage (la petite amie de Youri est Rom et sa communauté vit dans un climat tout aussi marqué par la précarité et l'arbitraire), les handicapés, les inadaptés, les vieux désargentés, les chômeurs, bref toutes les formes de marginalité.

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