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Articles avec #drame tag

L'opinion publique (A Woman of Paris)

Publié le par rosalie210

Charles Chaplin (1923)

L'opinion publique (A Woman of Paris)

Film en trompe l'œil. Sous les apparences du mélodrame, une tragédie couve (ou drame d'une femme "marquée par le destin"). Mais la tragédie est surtout liée à l'absence de perspective, de ligne de fuite. A la campagne les pères tyranniques et tout-puissants (dont l'ombre expressionniste souligne l'aspect monstrueux) écrasent leurs enfants de leur puritanisme qui n'ont d'autre choix que de fuir. La ville est le royaume d'une autre basse-cour, mondaine, cynique et jouisseuse où les truffes au champagne sont "déterrées par des porcs et constituent un mets délicat pour les porcs et les gentlemen" (la porte d'entrée de l'une des soirées est surmontée d'une pancarte "Sagouin"). Chaplin renvoie ainsi dos à dos puritanisme et débauche comme les deux facettes de la même médaille.

Face à cet horizon bouché, le couple impossible formé par Marie Saint-Clair (Edna Purviance) et Jean Millet (Carl Miller) ne semble pas avoir beaucoup de marge de manœuvre. Néanmoins Chaplin laisse entrevoir avec beaucoup de finesse qu'ils sont également victimes d'eux-mêmes. La tragédie dissimule une clairvoyante étude de mœurs et de caractères. Marie semble être une jeune fille simple et sans malice mais elle finit par rejeter la pauvreté et la domination masculine pour vivre dans le luxe et se jouer des hommes tout en restant à leur merci. Le riche amant qui l'entretient Pierre Revel (Adolphe Menjou dont la retenue fait merveille) n'est pas dupe de ce qu'elle est et s'amuse beaucoup de la voir s'empêtrer dans ses contradictions (la scène où elle jette le collier avant de courir pour aller le récupérer montre que celui-ci est bien une nouvelle chaîne autour du cou). La fin elle aussi en trompe l'œil est un retour à la case départ à la campagne sous la houlette d'un nouveau "père". La morale américaine est sauve. Marie expie ses péchés en faisant de bonnes oeuvres. Amen. Dans une fin alternative amorale conçue pour l'Europe plus libérale en matière de moeurs (en VO le film s'intitule A Woman in Paris perçue comme une ville de plaisirs) elle restait dans la capitale française et se remettait avec Pierre. Dans les deux cas, pas d'issue. Jean qu'il soit rural ou urbain ne paraît jamais en mesure de s'affirmer face à ses parents. Sous la tutelle de son père castrateur à la campagne, de sa mère possessive en ville il se révèle faible, lâche, résigné et préfère fuir dans la mort que de se battre pour atteindre l'âge adulte.

Chaplin réalise un film mature, sobre (dans le jeu des acteurs, le choix du hors-champ), concis (l'art de l'ellipse), subtil et en avance sur son temps. Il n'est guère étonnant que le public ait été dérouté par autant de radicalité même s'il avait annoncé qu'il ne jouerait pas dans son film et que celui-ci serait un drame sérieux.

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La Rose et la Flèche (Robin and Marian)

Publié le par Rosalie210

Richard Lester (1976)

La Rose et la Flèche  (Robin and Marian)

C'est un film qui m'a marquée par son réalisme et sa dureté aux antipodes de la légende glorieuse entourant la figure de Robin des bois. Les années 70, contestataires, étaient propices à la démythification. Par delà la légende de Robin des bois c'est toute une image idéalisée du Moyen-Age qui vole en éclats.

-Tout d'abord l'un des thèmes principaux du film est le vieillissement, véritable tabou de nos sociétés jeunistes. La première image du film montre des pommes vertes. Il s'agit de Robin et Marianne jeunes, sujet central de la légende mais pas du film. Ces pommes deviennent mûres dès la deuxième image. 20 ans ont passés, Robin et Marianne ont vécu, vieillis, perdus leurs illusions et ce sont à ces personnages quadragénaires interprétés par des acteurs eux-mêmes vieillissants (Sean Connery et Audrey Hepburn) que s'intéresse le film. La dernière image reprend le même symbolisme mais cette fois les pommes sont pourries car Robin et Marianne sont parvenus à la fin de leur vie.

- Le rythme du film est conditionné par ces esprits fatigués et ces corps usés mais aussi par une volonté de réalisme quasi-documentaire refusant le spectaculaire. Les gestes de Robin sont lourds, lents, il a du mal à se lever et à manier les armes. Le combat contre le shérif de Nottingham (Robert Shaw) montre deux hommes vieux (pour l'époque) suer sang et eau pour soulever leurs épées et se mouvoir dans leurs armures.

- La société féodale que dépeint le film est obscurantiste et barbare. Les nobles sont des rustres qui dédaignent le shérif parce qu'il sait lire (ce qui était plus ou moins réservé au clergé). Le roi Jean (Ian Holm) persécute les catholiques. Son frère, Richard cœur de lion (joué par Richard Harris) est un orgueilleux despote mû par la cupidité et une cruauté sans limites. Les atrocités qu'il ordonne contre les femmes et d'enfants lors des croisades font penser à la Shoah mais sa violence est aussi sociale lorsqu'il traite Robin de "paysan" ne supportant pas qu'il s'oppose à lui. La révolte de Robin trouve ses racines dans l'injustice sociale qui place les nobles dans l'impunité alors que les pauvres sont châtiés pour un oui ou pour un non. La forêt de Sherwood est une contre-société libertaire utopique dont l'existence apparaît plus qu'hypothétique. Face au pot de fer, le pot de terre ne fait pas le poids.

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Ghost in the Shell (Kōkaku kidōtai)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Oshii (1995)

Ghost in the Shell (Kōkaku kidōtai)

Ghost in the shell est à la SF japonaise ce que Blade Runner de Ridley Scott est au cinéma occidental ou Neuromancien de William Gibson à la littérature: un pilier de la culture cyberpunk. A ceci près qu'il s'agit d'une œuvre de la première moitié des années 90 alors que Blade Runner et Neuromancien ont contribué à l'émergence 10 ans auparavant de cette nouvelle branche de la SF, dystopique et centrée sur les dérives des sociétés addicts à la technologie.

L'originalité profonde de Ghost in the shell est lié à la culture animiste nippone. Alors que chez Philip K. Dick (auteur du livre dont Blade Runner est l'adaptation), les androïdes sont perçus comme les ennemis des humains, alors que chez Asimov des lois les brident pour qu'ils restent des machines au service des humains, dans les œuvres japonaises ils peuvent se mêler aux humains voire devenir comme eux. En résulte toute une gamme de possibilités d'hybridations dont Ghost in the Shell se fait l'écho.

Ainsi le moment que je préfère dans l'anime, réalisé par Mamoru Oshii, c'est la séquence de début. Sur une musique envoûtante de Kenji Kawai "Making of Cyborg" mélange d'harmonies bulgares et d'ancien japonais (le Yamato) on voit naître sous nos yeux un être hybride. Une machine certes mais baignant dans un liquide amniotique et repliée sur elle-même en position fœtale. Motoko Kusagani surnommée "le Major" s'avère à l'image du film tout entier comme profondément duale. Machine à tuer aux ordres d'un côté ce qui donne lieu à de spectaculaires scènes d'action, être pensant rempli d'interrogations métaphysiques sur sa propre nature de l'autre ce qui donne lieu à de magnifiques scènes contemplatives (où revient le thème musical de départ et l'élément aquatique). Dans ce monde où la plupart des hommes se sont fait implanter des éléments cybernétiques dans le corps et le cerveau au point de pouvoir se faire hacker comme un ordinateur que signifie encore être humain? La réponse provient du "puppet master", un cybercriminel insaisissable qui s'infiltre dans tous les esprits et que poursuit sans relâche le Major "Ni la science ni la philosophie n'ont pu définir la vie. Je suis une entité vivante, pensante (...) mais incomplète. Il me manque la reproduction et la mort." Puppet Master (alias le marionnettiste) se définit comme Descartes "Je pense, donc je suis". Pourtant de son propre aveu il est incomplet. Plus encore qu'il ne le dit. Il lui manque en effet un corps (ce problème est résolu à la fin du film puisqu'il fusionne avec le Major) et surtout des émotions. Mais l'absence d'émotions est le point commun de tous les personnages du film, qu'ils soient davantage hommes ou davantage robots. La scène la plus emblématique à cet égard est celle où un éboueur manipulé par le marionnettiste découvre qu'on lui a implanté de faux souvenirs dans lesquels il a une femme et un enfant. En réalité il n'a personne.

C'est donc un monde totalement déshumanisé que dépeint Ghost in the Shell. Un monde sans amour, sans haine, sans tristesse et sans joie. Un monde sans nature. Un monde où les machines ont pris le pouvoir et les hommes, perdus leur liberté et leur identité. Un monde terrifiant et sans espoir. On comprend que Rupert Sanders ait tourné le dos à cette vision radicale pour le remake américain sorti en France le 29 mars. Il a voulu réinjecter de l'humanité à ce monde avec des liens filiaux, amicaux, amoureux, recréer une véritable hybridité ce qui avait du sens. Dommage qu'il l'ait fait de façon aussi maladroite.

Ghost in the Shell a eu un impact considérable dans les pays occidentaux. Tout comme Akira, il a contribué à faire émerger et apprécier un cinéma d'animation adulte dans des pays où celle-ci était cantonnée aux seuls programmes jeunesse. Il a surtout influencé tout un courant de la SF américaine (qui lui rend un hommage respectueux aujourd'hui). James Cameron, amoureux de profondeurs océaniques et de cyborgs ne pouvait qu'être fan de ce film. Quant aux frères Wachowski, ils ont trouvé le cocktail de la matrice directement dans Ghost in the shell. 

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Ghost in the Shell

Publié le par Rosalie210

Rupert Sanders (2017)

Ghost in the Shell

Depuis la sortie du remake live made in US de Ghost in the Shell, les avis sont très partagés et s'expriment bruyamment (y compris lors de la séance à laquelle j'ai assisté. A peine le film terminé, deux pré-ados ont éructé à haute voix que "c'était nul, gros clichés, on aurait dû aller voir le dernier Kev Adams" alors que mes voisines étaient en revanche emballées). Les fans du manga cyberpunk, politique et philosophique de Masamune Shirow adapté en 1995 en anime par Mamoru Oshii ne sont pas les moins critiques mais ce n'est guère étonnant car un fan a tendance à s'approprier l'œuvre (ou plutôt la vision qu'il en a) et à crier à la "trahison" dès qu'une nouvelle version s'en écarte.

Personnellement, je n'ai pas trouvé la version de Rupert Sanders honteuse même si elle n'est pas transcendante non plus. Sanders tente un bel effort de vulgarisation et donc de démocratisation d'une œuvre complexe voire absconse quitte à parfois trop simplifier. L'héroïne n'est ainsi plus présentée comme un robot qui se pose des questions ("cogito ergo sum") mais comme une humaine "modifiée" qui cherche à retrouver ses souvenirs (son passé humain). Ce n'est pas une erreur car le Major Kusanagi (rebaptisée Mira Killian dans le film de Sanders) est un cyborg, un être hybride que l'on peut tirer sans faire de contresens dans un sens ou dans l'autre. Mais il est clair que le choix du réalisateur ratisse plus large que celui du mangaka. D'autre part beaucoup de personnages sont réduits à leur plus simple expression. J'avoue m'être demandé quelles étaient les motivations du méchant de l'histoire Cutter car elles sont trop simplistes pour être convaincantes. De même la scène entre Mira et sa mère est assez ridicule tant elle est invraisemblable et maladroite. Et je pourrais donner d'autres exemples du même genre. Mais ne chargeons pas trop la barque. Je suis d'accord avec l'avis d'un spectateur pour qui " si l'adaptation du manga culte est light, pour un blockbuster US actuel c'est beau et plein de réflexion." Les coquilles vides des superhéros made in USA ont en effet bien besoin d'un peu de cette anima venue du Japon. C'est déjà ça de pris.

Sanders réalise une œuvre sinon fidèle, du moins respectueuse. Les décors s'inspirent de ceux de Blade Runner de Ridley Scott ce qui est judicieux car Ghost in the Shell doit beaucoup de son existence à cette œuvre. Et Scarlett Johansson contrairement à ce qui a pu être dit un peu partout est parfaitement légitime pour jouer ce rôle. D'abord parce qu'il s'inscrit dans une lignée de films où l'actrice (toujours un peu "lost in Translation" in Tokyo) se dématérialise en mêlant humanité et technologie de façon symbiotique, accédant à une forme supérieure de conscience qui embrasse l'ensemble de l'univers (je pense en particulier à Her de Spike Jonze où elle "incarne" la voix d'un ordinateur et à Lucy de Luc Besson où boosté par une drogue expérimentale, son cerveau connaît une augmentation exponentielle de ses capacités). D'autre part on a longtemps reproché aux japonais de se représenter en anime avec des traits occidentaux (les fameux "grands yeux"), il est étrange de retourner ainsi ce reproche contre Scarlett Johansson jugée pas assez asiatique pour tenir le rôle. Cela en dit long sur les représentations bornées et pleine de préjugés des uns et des autres.

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Le Procès

Publié le par Rosalie210

Orson Welles (1962)

Le Procès

Ce n'est pas le film d'Orson Welles que je préfère. Trop froid, trop cérébral, trop monocorde dans son inhumanité. C'est voulu bien sûr mais quitte à adapter Kafka, autant le faire avec un peu plus de fantaisie comme dans Brazil de Terry Gilliam (dont je suis une inconditionnelle).

Malgré ces réserves subjectives, le film est une réussite incontestable, tout à la fois exercice de style virtuose (décors, cadrages, lumières expressionnistes) et réflexion brillante sur la machine étatique qui écrase l'individu. On pense évidemment aux systèmes totalitaires et particulièrement au nazisme pour qui les juifs étaient simplement coupables d'exister. Certains plans se réfèrent directement à le seconde guerre mondiale (vieillards dévêtus et affublés d'un matricule, explosion "atomique" finale) Le caractère insondable de la machine bureaucratique s'allie avec l'absurdité de la situation de K et des autres accusés pris au piège d'un système opaque, organisé pour les broyer et dont les ramifications ne semblent pas avoir de fin.

On peut également donner à ce film une tout autre interprétation: celui de l'exploration d'une psyché torturée à la manière du film Cube ou d'un cauchemar à la façon d'Inception. Les décors étouffants, géométriques, labyrinthiques, qui s'emboîtent les uns dans les autres, les distorsions d'échelle (homme tout petit/porte immense), les situations irréelles (alignement d'hommes qui tournent le dos, disparitions/apparitions brutales...) vont dans le sens de cette thèse. On est frappé aussi par le fait que la justice, la police et les accusés sont tous des hommes, les premiers en situation de dominants castrateurs et les seconds de dominés humiliés. Les femmes, interchangeables, sont des objets de désir qui se dérobent et dont l'accès est interdit par les mâles dominants. La libido traitée surtout par le lapsus est refoulée ce qui conforte la sensation que l'on explore un inconscient dont le complexe d'Œdipe n'aurait pas été résolu.

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Agora

Publié le par Rosalie210

Alejandro Amenabar (2009)

Agora

Je ne suis pas du tout fan de péplum car ils me restent sur l'estomac la plupart du temps, façon pudding indigeste. Mais j'ai adoré Agora et chaque nouveau visionnage me conforte dans l'idée qu'il s'agit d'un film suprêmement intelligent.

Le film est peut-être truffé d'inexactitudes historiques, j'ai envie de dire et alors? D'une part reconstituer une période de l'antiquité sans faire d'erreur est une mission impossible au vu des sources fragmentaires que nous possédons sur ce passé lointain. D'autre part Agora a le mérite de l'honnêteté en ne cherchant pas à cacher qu'à travers l'antiquité, ce sont des enjeux contemporains qui sont traités ce qui est TOUJOURS le cas des films historiques. Ceux-ci en effet nous renseignent au moins autant sur le contexte dans lequel ils ont été réalisé que sur la période qu'ils reconstituent.

Le film met au premier plan l'affrontement séculaire entre deux sources de savoir. Celui de la science et celui de la religion. La science est incarnée par la philosophe Hypatie d'Alexandrie qui a réellement existé mais dont on connaît mal les travaux, ceux-ci ayant été détruits dans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie (événement évoqué par le film). Qu'importe, Amenabar fait d'elle un précurseur de Galilée qui découvre les lois de la gravité et de l'héliocentrisme tout en enseignant ses découvertes à ses disciples. De plus il s'agit d'une femme. Même de nos jours l'autocensure les bride dans leur accès au monde scientifique. Il est donc d'autant plus important de faire connaître leurs figures illustres, Marie Curie n'étant que l'arbre qui cache la forêt. Le fait qu'Hypatie soit une femme souligne encore plus l'obscurantisme religieux auquel elle se heurte. Les accusations de sorcellerie qu'elle subit peuvent paraître anachroniques mais elles n'en sont pas moins justes car la fin du IV° siècle après JC se situe à la veille de l'effondrement de l'Empire romain et du basculement de l'occident dans l'obscurantisme du Moyen-Age. Nous savons aujourd'hui que les accusations de sorcellerie et la mise à mort qui s'ensuivait était un moyen pour l'Eglise à l'époque de l'Inquisition (à 100% aux mains du pouvoir masculin) de briser toutes les femmes puissantes. D'autre part s'il est erroné de ne montrer les religions cohabitant à Alexandrie que sous l'angle de l'affrontement, certains faits sont avérés. Le sac du temple de Sérapis en 391 après JC par exemple lié à l'interdiction du paganisme dans l'Empire Romain. Pour le reste, le choix de montrer un christianisme univoquement fanatique et manipulateur de masses s'il est largement simpliste repose également sur des faits avérés. Surtout il entre en résonnance avec les totalitarismes contemporains, tout particulièrement le nazisme (pour la milice des parabalani, les autodafés des manuscrits de la bibliothèque d'Alexandrie et les massacres de juifs) et l'islamisme radical de Daech (pour le vandalisme des œuvres païennes c'est à dire pré-chrétiennes).

Là ou selon moi le film atteint le génie, c'est qu'il évite tous les pièges du péplum. Aucune reconstitution empesée, aucune lourdeur, aucune grandiloquence, aucune affectation guindée. Les lieux, reconstitués avec beaucoup de soin et l'aide des meilleurs historiens de la période, respirent le vécu. Un maximum de scènes semblent prises sur le vif, comme un documentaire. Les personnages s'expriment et se comportent de façon réaliste. Les affrontements ne sont jamais magnifiés, l'accent étant mis sur leur barbarie. Et puis il y a tous ces plans absolument poignants qui à chaque vague de massacres et de destructions prennent de la hauteur. Une hauteur aérienne (les plans en plongée) ou cosmique. S'agit-t-il d'adopter le point de vue de Dieu? D'opposer la petitesse, la mesquinerie humaine à l'immensité de l'univers? D'épouser les interrogations métaphysiques d'Hypatie qui a sacrifié sa vie terrestre (résumée par le sang menstruel qu'elle "offre" à l'un de ses prétendants pour mieux l'éconduire) sur l'autel de son obsession céleste? Ou encore de montrer l'élévation de la pensée par contraste avec la bassesse des vils instincts? Les quatre à la fois? En tout cas c'est absolument magnifique.

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Une femme nommée Golda (A Woman Called Golda)

Publié le par Rosalie210

Alan Gibson (1982)

Une femme nommée Golda (A Woman Called Golda)

Biopic du début des années 80 sur la vie de Golda Meir dont le destin se confond avec l'histoire de l'Etat d'Israël et du sionisme. Ce téléfilm en deux parties d'une durée totale de plus de trois heures offre deux intérêts principaux.

Tout d'abord ce fut le dernier rôle d'une actrice de légende: Ingrid Bergman. Celle-ci était déjà malade au moment du tournage et disparut quatre mois après à l'âge de 67 ans. Néanmoins elle offre une interprétation marquante de ce personnage dont elle nous fait ressentir la force de caractère inébranlable. Golda Meir a en effet été une femme d'une envergure politique exceptionnelle qui avant Margaret Thatcher a été surnommée "la dame de fer". Dans le reste du casting on peut souligner la présence de Judy Davis âgée de seulement 27 ans dans le rôle de Golda jeune et de Léonard Nimoy (M. Spock) dans le rôle du mari de Golda, Morris.

Le deuxième intérêt du téléfilm est son aspect didactique. Il retrace en effet toute l'histoire contemporaine du peuple juif en Palestine de la déclaration Balfour de 1917 jusqu'à l'assassinat d'Anouar El Sadate au début des années 80. Il rappelle que l'origine du sionisme réside dans les pogroms subis par les juifs d'Europe centrale et orientale (Golda Meir née en 1898 est d'origine russe et a émigré avec sa famille aux USA). Après la disparition de l'Empire ottoman en 1918, il montre les tensions entre juifs et arabes dans l'entre-deux-guerres dans la Palestine sous mandat britannique. Golda et son mari vivent alors dans un kibboutz et celle-ci fait déjà figure de frondeuse. Puis après la seconde guerre mondiale alors qu'ils ont déménagé à Jérusalem, Golda se lance dans des négociations pour permettre aux enfants d'immigrants juifs d'entrer en Palestine alors que les britanniques, craignant une guerre civile ne les laissaient entrer qu'au compte-goutte. Elle rencontre ensuite dans des conditions rocambolesques le roi de Jordanie pour le convaincre de ne pas prêter main-forte à la ligue arabe qui veut attaquer Israël dès le jour de sa création. En vain, mais elle réussit à faire lever des fonds pour l'achat d'armes auprès de la communauté juive américaine. Par la suite alors que son mariage se défait et qu'elle s'éloigne de ses enfants on voit Golda gravir les échelons, devenir ministre du travail, des affaires étrangères puis premier ministre sans renoncer pour autant à son idéal de paix avec les pays arabes voisins. Mais la question palestinienne est à peine abordée dans le téléfilm alors que c'est le principal problème qui empêche la pacification de la région. Lorsque Golda meurt en 1978, rien n'est en réalité réglé. 

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The lift

Publié le par Rosalie210

Robert Zemeckis (1972)

The lift

La plupart des grands cinéastes ont commencé par des courts-métrages qui nous donnent les bases de leur style et de leurs thèmes de prédilection. The Lift est un film de fin d'études, réalisé à l'université de Los Angeles (l'USC) alors que Robert Zemeckis n'avait que 19 ans. En dépit de son aspect expérimental (et donc un peu aride, noir et blanc et sans paroles) on reconnaît parfaitement la marque de fabrique de ce cinéaste:

- Un scénario écrit au cordeau et le montage incisif qui en découle (Zemeckis est avant tout un brillant scénariste).

- Le thème du temps routinier qui emprisonne dans une mécanique deshumanisante avec des gros plans répétitifs sur des réveils, des tableaux de bord et des cadrans (comme dans Retour vers le futur). L'absurdité de cette mécanique a quelque chose de kafkaïen.

- Un homme seul face à un monde d'objets (comme dans Seul au monde).

- La mécanisation du quotidien dans ses aspects les plus triviaux (les machines du petit déjeuner annoncent celles de Retour vers le futur) et des moyens de transport sous toutes leurs formes (Retour vers le futur, Pôle Express, Contact...)

- Une touche de fantastique dans le quotidien avec un ascenseur capricieux qui semble obéir à sa propre logique. La notion d'aléa, de hasard et de destin est au cœur de l'œuvre de Zemeckis ("La vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur lequel on va tomber" dit Forrest Gump.)

- Et pour finir encore le temps mais non plus le temps cyclique de la routine mais le temps linéaire de la vie, le temps qui passe et mène à la mort.

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L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (The Horse Whisperer)

Publié le par Rosalie210

Robert Redford (1998)

L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (The Horse Whisperer)

C'est un film qui m'avait transportée à sa sortie au cinéma en 1998. Force est de constater que près de 20 ans après, je n'ai pas ressenti la même ferveur en le revoyant. L'histoire m'est apparue trop convenue, les rebondissements trop prévisibles et la fin, bien conventionnelle (chacun retourne chez soi et les vaches seront bien gardées). Le livre de Nicholas Evans dont est tiré le film était nettement moins politiquement correct. Reste la splendeur des paysages du Montana, la qualité de l'interprétation de Kristin Scott Thomas (Annie) et de Scarlett Johansson (Grace) alors toute jeune mais dont on sent le potentiel et une philosophie qui prend le contrepied du modèle dominant en faisant l'éloge de la lenteur, de la patience et du lâcher-prise. Voir l'homme se faire tout petit dans la nature, entrer dans un dialogue thérapeutique avec un animal traumatisé (et par extension sa propriétaire) en lui laissant son libre-arbitre au lieu de chercher à le dominer et à le dresser a quelque chose de revigorant. De même que la capacité d'Annie à sentir d'instinct la connexion entre sa fille et son cheval, à refuser la facilité (l'euthanasie de l'animal et l'abandon moral de Grace) et à tout lâcher pour tenter de les sauver tous les deux.

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Le secret de Brokeback Mountain (Brokeback Mountain)

Publié le par Rosalie210

Ang Lee (2005)

Le secret de Brokeback Mountain (Brokeback Mountain)

Ang Lee est un cinéaste d'une grande délicatesse qui filme avec finesse les non-dits, les hésitations, les élans contrariés, les regards éloquents bref les frémissements de l'âme qui s'impriment à travers le corps. Brokeback mountain a déghettoïsé l'amour homosexuel en le rendant universel. Cette approche y est pour beaucoup. L'histoire tirée d'une nouvelle d'une quarantaine de pages également. Elle prend en effet le contrepied des clichés. Les deux protagonistes principaux échappent aux catégorisations. Ce sont les circonstances qui vont les rapprocher. Isolés durant des semaines au coeur de la montagne pour la transhumance des moutons de leur patron, il est facile de comprendre en quoi la solitude et la promiscuité attisent leur désir sexuel et leurs besoins affectifs, l'éloignement des carcans sociaux favorisant le passage à l'acte. On trouve une analyse très semblable chez Frison-Roche (La grande crevasse, Retour à la montagne) sauf que le grand amour vécu dans la haute montagne et contrarié par la société y unit un guide d'origine paysanne et une bourgeoise. La grandeur de la nature fait écho à celle des sentiments et s'oppose à l'aliénation du quotidien. Enfin l'interprétation contribue également à renverser les barrières. On ne le dira jamais assez mais la mort d'Heath Ledger nous a privé d'un grand acteur. Il est absolument bouleversant dans le rôle d'Ennis, cet homme muré en lui-même dont les mots peinent à franchir ses mâchoires serrées. Cet homme profondément seul, triste, accablé, semant la désolation autour de lui à force de faux-fuyants, incapable d'affronter l'homophobie et le lynchage. Jusqu'au moment où il réalise le courage de son amant Jack Twist (joué par l'excellent Jake Gyllenhaal) qui a préféré mourir plutôt que de continuer à se laisser détruire à petit feu. Soulignons également l'excellence des seconds rôles. Les familles de Jack et d'Ennis ne sont pas sacrifiées dans le scénario et Lee pose un regard tout aussi sensible sur les épouses, l'une souffrant en silence (Alma jouée par Michelle Williams) , l'autre murée dans l'indifférence (Lureen jouée par Anne Hathaway), l'incapacité à communiquer étant leur dénominateur commun. Lee observe des familles qui se défond, des hommes précarisés et mis à l'écart par des patriarches castrateurs et odieux, des murs de silence et d'incompréhension et quelques moments de bonheur volés chèrement payés. Un portrait bien sombre d'une Amérique qui écrase ses enfants lorsqu'ils refusent d'entrer dans le moule étroit de leurs parents. Et que les paysages, somptueux mais glacés ne peuvent ni réchauffer, ni consoler.

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