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Articles avec #feyder (jacques) tag

Visages d'enfants

Publié le par Rosalie210

Jacques Feyder (1925)

Visages d'enfants

C'est en faisant des recherches sur "Gribiche" (1925), avec le même jeune acteur, Jean Forest, que j'ai entendu parler de "Visages d'enfants", le précédent film de Jacques FEYDER, réalisé en 1923 mais qui n'est sorti qu'en 1925 en raison d'un désaccord entre lui et l'un des producteurs du film. Tourné partiellement dans les Alpes suisses magnifiquement cadrées et photographiées, ce film prenant est frappant de par la justesse avec laquelle il dépeint la dérive d'un enfant trop sensible pour le monde certes majestueux mais âpre et rude dans lequel il vit. La finesse de la mise en scène montre le décalage entre une communauté villageoise qui vit encore de façon très primitive au rythme des saisons et des coutumes ancestrales et un enfant dont la sensibilité est bien trop grande pour pouvoir s'en s'accommoder. Alors que le remariage de son père avec Jeanne est montré comme un acte pragmatique (préserver l'équilibre de deux cellules familiales en péril depuis la mort de leurs conjoints respectifs), Jean, le fils aîné âgé de 10 ans ne parvient pas à s'adapter à la nouvelle situation, étant dans l'incapacité de faire le deuil de sa mère dont il se sentait très proche. Une très belle scène suffit à montrer le gouffre qui le sépare désormais de son père: lorsqu'ils prennent des chemins différents, l'un pour aller retrouver Jeanne et l'autre pour aller au cimetière. Gouffre accentué par l'incapacité du père à communiquer avec son fils, le premier étant visiblement effrayé par l'hypersensibilité du second. A une époque où la souffrance psychologique était négligée au profit de la seule survie quotidienne et du salut spirituel, Jean est donc voué à une solitude absolue. Le malentendu avec son environnement est total comme le montre la scène de la robe de sa mère que Jeanne avec son esprit terre-à-terre veut récupérer pour coudre dedans de nouveaux habits sans comprendre combien ce geste est indélicat aux yeux de Jean. D'ailleurs ni elle ni le père de Jean ne comprennent pourquoi celui-ci préfère déchirer la robe plutôt que de la lui laisser. De même, ils négligent la haine de plus en plus délétère que Jean voue à Arlette, la fille de Jeanne qui a le même âge que lui et qui lui sert d'exutoire. Par conséquent, il faudra en arriver à des extrémités dramatiques pour que le contact entre Jean et sa nouvelle famille soit établi. "Visages d'enfants" porte bien son titre, c'est un film centré sur les enfants, tourné à hauteur d'enfants, où l'on voit le monde à travers leurs yeux, qui leur donne une pleine et entière personnalité ce qui était novateur à l'époque (on est plusieurs décennies avant Françoise Dolto et cie). C'est donc un film précurseur de tout un pan du cinéma français consacré à l'enfance (les films de Jacques DOILLON) par exemple) tout en bénéficiant de la force expressive du muet et d'un lien très fort avec les éléments et le cadre naturel.

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Poil de Carotte

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1925)

Poil de Carotte

Comme Alfred HITCHCOCK ou Leo McCAREY, Julien DUVIVIER a fait un remake de l'une de ses propres oeuvres tenant compte des différentes révolutions technologiques du cinéma. C'est pourquoi il existe deux versions de son adaptation du roman de Jules Renard, l'une muette et l'autre parlante datant de 1932. Julien DUVIVIER aurait même souhaité réaliser une troisième version, en couleur cette fois mais cela ne s'est pas concrétisé.

"Poil de Carotte" est en effet une oeuvre qui lui tenait à coeur, dans laquelle il se retrouvait et dont il a réalisé une version muette aussi brillante que sensible. Je ne sais pas si c'est comme cela s'est dit son meilleur film muet (j'aime beaucoup "Au bonheur des dames" (1930) aussi). Ce qui est sûr, c'est qu'il s'est approprié le roman à épisodes de Jules Renard et en a fait quelque chose d'intime. Le fait d'avoir déplacé l'intrigue dans les Alpes fait encore mieux ressortir le caractère étouffant de la vie chez les Lepic. Car le film dépeint avant tout une famille dysfonctionnelle, définie dès le début du film par la phrase lapidaire qu'écrit François surnommé Poil de Carotte "ce sont des personnes qui vivent sous le même toit mais ne peuvent pas se sentir". De fait l'ambiance est lourde chez les Lepic entre un père démissionnaire retranché derrière ses journaux et une mère tyrannique, cancanière et hypocrite qui vénère son fils aîné, menteur, voleur et sournois et persécute le plus jeune qui au contraire est plein de joie de vivre et de sensibilité. Julien DUVIVIER utilise un langage cinématographique saisissant pour montrer la subjectivité de deux êtres en souffrance dans leur propre foyer: le père et son plus jeune fils. Les premières scènes montrent le bavardage incessant de Mme Lepic et des autres commères du village comme un supplice pour M. Lepic à l'aide de gros plans, de surimpressions et de duplications du visage ou seulement de la bouche de Mme Lepic. Ces mêmes procédés permettent de faire ressentir l'emprise qu'elle a sur son fils qui sent son regard sur lui même quand il dort. Progressivement, sous l'effet des brimades sadiques de Mme Lepic et de l'indifférence des autres hormis la servante de la maison, on voit François s'étioler et finir par envisager divers moyens pour se supprimer. Parallèlement, Julien DUVIVIER instaure un suspense autour de la relation père/fils. Parviendront-ils à se rencontrer, à communiquer avant qu'il ne soit trop tard? Question présente dans le roman mais dans laquelle Julien DUVIVIER rejoue sa propre histoire. M. Lepic n'est pas doué pour exprimer ses sentiments et a projeté sa propre indifférence (et sa propre bêtise émotionnelle) sur son fils qu'il pense débile et insensible. Il est donc tenté par l'évasion dans une carrière politique municipale plus prompte à flatter son ego avant que son irresponsabilité en tant que père ne lui revienne en pleine figure telle un boomerang. André Heuze qui joue Poil de Carotte est confondant de naturel et ultra charismatique, on ne peut que s'attacher à son personnage d'enfant meurtri qui paye le seul fait d'être né. Et on mesure combien l'évolution des moeurs (et des outils de maîtrise de la fécondité) ont permis de réduire le douloureux sort des enfants non désirés.

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Gribiche

Publié le par Rosalie210

Jacques Feyder (1925)

Gribiche

"Gribiche" est un conte moral très touchant, merveilleusement interprété, mis en scène, éclairé et photographié (tous aspects particulièrement bien mis en valeur par la restauration de la cinémathèque). C'est le premier film que Jacques FEYDER a tourné pour les studios Albatros qui a employé tout ce que le cinéma français pouvait compter de jeunes talents dans les années vingt. C'est aussi le premier rôle important de Françoise ROSAY, l'épouse de Jacques FEYDER dans un rôle qui lui va comme un gant: celui de la dame patronnesse, bourgeoise américaine richissime qui se consacre à des oeuvres de charité mais découvre à ses dépends qu'elle ne peut acheter le bonheur d'autrui. En l'occurence celui de Gribiche, jeune garçon qu'elle a décidé d'adopter après qu'il lui ait rendu son sac à main qu'elle avait perdu dans un grand magasin. Celui-ci accepte pour soulager sa mère et se retrouve dans une luxueuse cage dorée meublée et décorée avec le plus grand soin (c'est un festival art déco) dans lequel chaque moment de sa vie est réglé comme du papier à musique. Jacques FEYDER utilise le comique de répétition pour montrer les excès hygiénistes de Mme Maranet et aussi comment celle-ci déforme de plus en plus le récit de sa rencontre avec Gribiche auprès de ses amis, celui-ci devenant larmoyant et misérabiliste. Or si Gribiche est issu d'un milieu populaire, sa mère ne vit pas dans la misère. Loin de la veuve de guerre éplorée de l'image d'Epinal, c'est une une bonne vivante qui aime rire, paresser au lit, aller au restaurant, à la fête foraine et au bal sans parler du fait qu'elle est amoureuse du contremaître. Des lieux bondés, grouillant de vie que les chefs opérateurs de Jacques FEYDER ont réussi à capturer sur le vif, y compris en extérieur nuit sans aucun éclairage artificiel ce qui pour l'époque était un tour de force. Par contraste, la grande maison de Mme Maranet avec ses immenses pièces et sa grande hauteur sous plafond apparaît terriblement vide et on y voit le pauvre gamin y dépérir d'ennui et par manque de chaleur humaine. Dans le rôle de Gribiche, Jean FOREST qui était alors âgé de 13 ans en était déjà à sa troisième collaboration avec Jacques FEYDER qui l'avait casté dans la rue trois ans auparavant. Malheureusement, cet enfant-acteur surdoué n'a pas réussi à percer véritablement une fois devenu adulte au temps du cinéma parlant.

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