Il faut avoir la foi pour aimer "Tralala" mais la magie n'a pas opéré sur moi. Certes, il s'agit d'un film soigné notamment au niveau de la bande-son, de la photographie et des décors, un film qui a du style, du bon goût (clin d'oeil à Jacques DEMY, hommage à Alain BASHUNG avec un Bertrand BELIN à la troublante ressemblance y compris dans le phrasé) mais il manque l'essentiel: des personnages qui aient un tant soit peu de consistance et un scénario qui tienne la route. Le personnage de vagabond joué par Mathieu AMALRIC (abonné aux rôles distanciés) n'est pas suffisamment construit pour exister, il n'est qu'une enveloppe qui se glisse dans la peau d'une autre enveloppe, un jeune homme dont on ne sait rien sinon qu'il était un musicien et un séducteur irrésistible. Cet aspect est particulièrement peu crédible. La condition de SDF n'est pas vraiment ce qu'il y a de mieux pour tomber les filles à moins de s'en faire une idée très éloignée du réel. Il s'agit davantage d'une rêverie qu'autre chose. Le personnage de Melanie THIERRY en particulier semble avoir passé au moins vingt ans dans une grotte (^^) à attendre le retour de son amour de jeunesse, d'ailleurs elle dit que le temps n'a pas passé mais qu'elle va avoir quarante ans. J'espère pour elle qu'elle a vécu des choses intéressantes entretemps! L'autre ex jouée par MAIWENN n'est guère plus consistante en propriétaire d'hôtel de luxe qui elle aussi ne s'est jamais remise de ses parties de jambes en l'air dans la chambre 617 avec "Pat". Elle prétend avoir une fille de lui, Virginie (Galatea BELLUGI) alors que le vagabond était justement venu à Lourdes pour tenter une aventure avec cette dernière qu'il avait rencontré alors qu'elle faisait une fugue à Paris. Ce n'est pas de chance d'avoir endossé l'identité du père! Au moins si cela nous épargnait une scène gênante d'inceste à la "Trois places pour le 26" (1988)? Et bien même pas, puisque Tralala n'est pas son vrai père! Tout est à l'avenant, sans importance aucune. Les belles idées de mise en scène, c'est bien (Josiane BALASKO filmée à contre-jour et dont le visage peu à peu se dessine au fur et à mesure qu'elle dit reconnaître son fils disparu), mais sans aucune émotion pour leur donner vie, à quoi bon?
Laurent Cantet nous a quittés le 25 avril 2024. De lui, je connais deux films: "Entre les murs" qui lui a permis de décrocher la Palme d'or à Cannes en 2008 et "Ressources humaines", son premier long-métrage. Ces films se caractérisent par leur équilibre entre enjeu social et enjeu romanesque auquel correspond une forme hybride, entre documentaire et fiction, porté par des acteurs en majorité non-professionnels qui jouent leur propre rôle dans la vie. L'aspect documentaire social dans "Ressources humaines", c'est la vie d'une entreprise dans toutes les strates de sa hiérarchie: les ouvriers, les contremaîtres, les délégués syndicaux (dont l'intraitable cégétiste Madame Arnoux), la secrétaire, le DRH et le patron. C'est aussi un drame de la lutte des classes sur fond de réforme des 35 heures où planent les restructurations frappant les ouvriers spécialisés les plus âgés et les moins rentables. Presque un documentaire historique tant la désindustrialisation a rendu le travail à la chaîne exotique sur notre territoire. Là-dessus se greffe un récit initiatique ayant pour personnage principal Frank (Jalil Lespert) qui tout juste sorti d'une école de commerce se retrouve à faire un stage dans l'entreprise où son père ouvrier travaille depuis 30 ans. "Ressources humaines" résonne alors comme une variante cinématographique du livre d'Annie Ernaux, "La Place" et dramatise les enjeux autour des transfuges de classe. Frank est regardé de travers par son ancien milieu qui lui reproche sans le lui dire sa défection mais il n'est pas pour autant vraiment intégré dans son milieu d'accueil dont il ne maîtrise pas les règles et dans lequel il ne se reconnaît pas. Aussi son idée de changer le système en impliquant les ouvriers dans les décisions de l'entreprise est d'une grande naïveté. Lui-même ne se rend d'ailleurs pas tout de suite compte qu'il est manipulé par sa hiérarchie. Si l'idée de faire licencier le père par le fils n'est guère réaliste, évidemment sur le plan symbolique, il en va tout autrement. On s'interroge alors sur les contradictions de ce père soumis et consciencieux qui explique avec fierté à son fils comment fonctionne sa machine mais qui a tout fait pour qu'il le renie, quitte à ce qu'il ne sache plus qui il est et où est sa place.
Le biopic que Jalil LESPERT a consacré à Yves Saint-Laurent a souffert de sa comparaison avec celui que Bertrand BONELLO lui a consacré quelques mois plus tard auprès des critiques cinéphiles professionnels. Mais auprès d'eux seulement. Personnellement, je renvoie les deux films dos à dos: ils sont tous deux bancals et reflètent la personnalité de leur réalisateur. Si le film de Bonello est une oeuvre d'esthète qui se distingue par son raffinement mais aussi par sa fascination pour la décadence et son aspect narcissique et désincarné en dépit de la prestation brillante de Gaspard ULLIEL, le film de Lespert, très plan-plan dans son traitement (hormis deux ou trois scènes comme celle de la piscine qui condense une rencontre en quelques plans imagés faisant penser au film de Jacques DERAY) est plus sensible à l'influence qu'a eu le Maghreb dans les créations de Saint-Laurent (l'Algérie de ses origines et son Maroc d'élection) et donc à son progressisme envers l'image des femmes et des minorités. Progressisme qui s'arrête à l'image mais ce recul critique, le film de Lespert ne l'a pas plus que celui de Bonello. Cependant le film de Lespert est en réalité surtout celui de Pierre Bergé, l'ex-compagnon du grand couturier qui a sponsorisé et approuvé cette version contrairement à celle de Bonello qui le marginalisait dans la narration. Bergé est le narrateur de la version Lespert et le film reflète donc son point de vue sur la vie de Saint-Laurent dans laquelle il occupe une place centrale et protéiforme auprès du génie instable et torturé: agent, protecteur, père de substitution, psychanalyste etc. Cela aussi il faut le prendre avec des pincettes, ce que le film, très premier degré ne fait jamais (j'ai cru rêver quand j'ai entendu Jalil LESPERT dire qu'il avait voulu démontrer qu'il fallait croire en ses rêves, heu...) Le film doit donc l'essentiel de son intérêt à la prestation brillante de Pierre NINEY et de Guillaume GALLIENNE qui donnent de la profondeur et de la complexité à leurs personnages même si leur relation est largement romancée.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.