Franco ZEFFIRELLI n'est pas en soi un très bon réalisateur mais sa version de "Roméo et Juliette" est une merveille d'esthétisme mise au service d'un grand texte. Les décors, les costumes, la photographie restent plus d'un demi-siècle après un régal pour les yeux. La musique de Nino ROTA (le compositeur du film "Le Parrain (1972) et de nombreux Fellini) est merveilleuse. Autre point fort, le choix des acteurs et en particulier du couple vedette qui avait à peu près alors l'âge des personnages imaginés par William Shakespeare. Roméo et Juliette sont des adolescents, fougueux, passionnés mais également irréfléchis et puérils. Seule l'extrême jeunesse peut amener à aimer d'une façon aussi foudroyante et absolue et à braver les interdits sans se soucier des conséquences pourtant terribles que cet amour entraînera sur leurs deux familles rivales. En plus de cela Leonard WHITING et Olivia HUSSEY souvent filmés en gros plans sont beaux comme des dieux* et font penser à des peintures de la Renaissance. Il en va de même de la plupart des autres acteurs, je pense en particulier à Tybalt (Michael YORK) et à la nourrice (Pat HEYWOOD). En plus de cela la mise en scène est particulièrement dynamique avec de belles scènes de danse et des combats impeccablement chorégraphiés.
* Ils ont quelque chose d'angélique dans le visage et leurs costumes de couleur opposée (bleu pour les Montaigu, rouge pour les Capulet) m'ont fait penser à ceux que portent Catherine DENEUVE et Jacques PERRIN dans le film féérique de Jacques DEMY "Peau d'âne" (1970) qui est contemporain du film de Franco ZEFFIRELLI et qui utilise le même "code couleur".
Le principal défaut de cette adaptation de la pièce de Shakespeare est son absence de point de vue. Franco Zeffirelli est un cinéaste très conventionnel qui semble illustrer plutôt que proposer une vision du patrimoine littéraire qu'il adapte. Par conséquent le film est très impersonnel ce qui est dommageable car ce qu'il en ressort au final, c'est un ringardisme absolu dans la manière d'aborder les rapports hommes-femmes comme une lutte de pouvoir dans laquelle l'homme, mû par l'appât du gain et l'orgueil doit mater la femme colérique (une émotion considérée comme indésirable dont l'éradication justifie la maltraitance et donne du crédit à ce que l'on appelle aujourd'hui la culture du viol). Cette vision misogyne et mercantile des rapports amoureux flatte les pires instincts de ceux qui n'envisagent les relations humaines qu'en terme de rapports de force*. Reste le plaisir pour l'œil de regarder des costumes vraiment magnifiques et les prises de bec entre Elizabeth Taylor et Richard Burton qui en font des tonnes au point que le film est limite un documentaire sur leur relation mouvementée ^^^^. Inutile de préciser que les personnages secondaires sont parfaitement inexistants, le film se focalisant sur ces deux monstres sacrés qui "bouffent la caméra" dès qu'ils apparaissent à l'écran.
* Je n'apprécie pas non plus les versions "féministes" de la pièce qui font de Catherine une Lady Macbeth comique. C'est le rapport de forces en lui-même qui est problématique, le fait d'envisager une relation en terme de dominant/dominé.
"Jane Eyre" de Franco Zeffirelli sorti en 1996 est la première version du roman de Charlotte Brontë à avoir été tournée à Haddon Hall dans le Derbyshire. Ce lieu est devenu un écrin si parfait que les versions ultérieures y sont toutes revenues: aussi bien la formidable mini-série de Susanna White de 2006 que le film de Cary Fukunaga de 2011. Haddon Hall est le principal apport d'une version guère impérissable tant elle échoue à restituer tout ce qui fait la puissance et la modernité du roman. L'aspect le moins raté de la transposition est l'enfance de Jane grâce principalement au jeu de Anna Paquin qui trois ans plus tôt crevait déjà l'écran dans "La Leçon de piano" de Jane Campion. Néanmoins les choix scénaristiques et de mise en scène manquent déjà pour le moins de subtilité. Je pense en particulier au fait de ne mettre en avant que les sévices subis à l'école Lowood (en les concentrant sur Helen Burns qui plus est dans un malheureux syncrétisme entre le film de Stevenson et le roman) sans montrer qu'il s'agit aussi d'un lieu de formation. De même le personnage de Brocklehurst est juste montré comme la terreur de l'établissement alors que Charlotte Brontë fustigeait surtout son hypocrisie (et avec elle, celle des dévots bien-pensant écrasant les jeunes filles pauvres sous leur botte tout en parant leurs propres filles de beaux atours). Mais là où le film se crashe complètement, c'est à partir de la deuxième partie, quand Jane adulte se rend à Thornfield Hall pour devenir la gouvernante d'Adèle. Dire que les raisons de l'attirance de Jane pour Rochester (et réciproquement) restent mystérieuses pour le spectateur est un faible mot tant les deux acteurs, visiblement mal dirigés échouent à transmettre quoi que ce soit en terme d'alchimie ou d'émotion. On ne ressent à aucun moment la moindre complicité intellectuelle ou le moindre désir charnel entre eux. Charlotte Gainsbourg a le physique du rôle, c'est sans doute celle qui correspond le plus à la description qu'en fait Charlotte Brontë. Mais on ne peut pas dire qu'elle fait montre d'une quelconque personnalité, elle donne juste l'impression d'assister passivement, les yeux écarquillés, aux événements. Il n'y a aucun raccord possible avec le visage si énergique et déterminé de Anna Paquin. Toute la force de caractère de Jane, sa capacité de résistance au carcan patriarcal est complètement évacuée. Quant à William Hurt, il a 10 ans de trop pour le rôle mais cela n'aurait aucune importance s'il lui transmettait une quelconque flamme. Or il est tellement éteint et monolithique qu'on ne peut pas croire deux secondes qu'il est Rochester. On touche cependant le fond avec la troisième partie qui est précipitée en 15-20 minutes et au final massacrée. La séquence d'avant et surtout d'après le mariage raté n'est quasiment pas traitée ce qui ôte tout enjeu à ces événements alors qu'ils sont pourtant cruciaux (Jane va-t-elle à cause de sa passion renoncer à son libre-arbitre pour se faire entretenir dans une chimérique vie de princesse derrière laquelle se cache la réalité d'une domination patriarcale?) D'ailleurs elle ne s'enfuit même pas (pourquoi le ferait-elle d'ailleurs puisqu'il n'y a aucun désir qui passe entre elle et Rochester, donc aucun danger) elle se rend tranquillement dans la maison de sa tante où l'attend St John (un mélange issu également du film de Stevenson) que l'on arrive pas à situer vu qu'il n'a que quelques minutes pour s'exprimer. Donc sa propre capacité d'emprise sur Jane, son puritanisme tyrannique sont complètement passés sous silence. Lorsqu'elle revient à Thornfield, il ne s'est écoulé que quelques minutes, inutile de dire que c'est un peu court pour faire d'autres expériences et mûrir. Ses retrouvailles avec Rochester tombent donc complètement à plat tout comme l'est ce film académique (je dirais même stupide) qui ne va pas au delà de la surface des choses.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.