J'ai bien aimé sur le moment les films précédemment vus de Baz Luhrmann ("Roméo + Juliette", "Moulin Rouge", "Ballroom Dancing") mais honnêtement, je n'en ai pas retenu grand-chose. "Elvis" tout aussi démesuré et baroque dans sa mise en scène me semble se situer un cran au-dessus des films précédemment cités. Donc être un film plus mémorable, et ce au moins pour trois raisons. La première tient à l'acteur qui incarne Elvis, Austin Butler qui est troublant de vérité en plus d'être incroyablement charismatique et d'avoir une voix proche de celle du King (sans parler de sa façon de bouger sur scène). On sent que son engagement est total. La deuxième tient à une lecture non manichéenne des personnages et de leurs relations qui fait l'objet d'un travail de fond. C'est une bonne idée d'avoir fait du colonel Parker (Tom Hanks, remarquable), l'impresario d'Elvis le narrateur du récit. Cet escroc manipulateur à l'identité mystérieuse et au passé trouble est à la fois celui qui a compris le potentiel d'Elvis et l'a amené au sommet et celui qui a tout fait pour lui couper les ailes afin de l'exploiter jusqu'à l'os avec un sens consommé du marketing. Et face à cette emprise, Elvis adopte une attitude étrange, tantôt soumise et néfaste, tantôt rebelle, comme s'il avait besoin d'une figure paternelle coercitive pour pouvoir s'affirmer et faire briller son talent. Enfin la troisième réside dans la lisibilité des enjeux autour de l'histoire et de la personnalité artistique du King. Le film se divise clairement en deux parties. Dans la première (années 50 et 60) qui repose sur une mise en scène hystérique coutumière du réalisateur avec une succession rapide de plans voire une combinaison d'images hétéroclites reliées par le split-screen, Elvis est un chanteur subversif qui s'attire les foudres du patriarcat puritain et raciste WASP en popularisant auprès des blancs une musique pétrie d'influences afro-américaines et en excitant les jeunes filles avec son déhanché suggestif. Dans la seconde au contraire (années 70) à la réalisation beaucoup plus posée permettant d'approfondir la dramaturgie, il se retrouve enfermé dans une tour d'ivoire par le colonel Parker qui parvient ainsi à le contrôler en l'empêchant de voyager hors des USA (car alors il lui aurait échappé) et à le transformer en machine à cash lui permettant d'éponger ses dettes de jeu en empochant jusqu'à 50% de ses gains (la norme étant 10% comme le souligne la série du même nom). Cette mue donne au film toute sa résonance et s'avère prometteuse pour la suite de la carrière de Baz Luhrmann.
"Ballroom Dancing" est le premier long-métrage de Baz Luhrmann mais en un sens, c'est aussi un aboutissement logique de ses précédentes expériences artistiques: la danse, le théâtre et l'opéra. Il s'agit également du premier volet de la trilogie du Rideau rouge (qui ouvre et ferme chaque film), complété par la suite avec "Roméo + Juliette" et "Moulin Rouge". Mais contrairement à ses deux successeurs, "Ballroom Dancing" est une comédie à petit budget mi-satirique, mi-success story qui se situe quelque part entre "Little Miss Sunshine", "La fièvre du samedi soir" et "Dirty Dancing". Il partage avec le premier une peinture satirique d'un milieu kitschissime, celui des concours de danse de salon encadré par des règles rigides qui font ressembler les participants quelle que soit la qualité de leur technique à des mannequins de cire. Mais il partage avec les deux autres un héros aussi talentueux que rebelle qui se trouve une partenaire qui lui correspond hors de son milieu social et du cadre imposé par la Fédération de danse. On remarquera en effet que celle-ci est d'origine latino et vit dans un quartier modeste alors que les danseurs vedettes sont tous WASP (l'histoire se déroule en Australie mais elle pourrait tout aussi bien se dérouler en Amérique). Telle Cendrillon ou le vilain petit canard, celle-ci va se métamorphoser au contact de son "prince charmant" dont elle partage le non-conformisme. La spontanéité et la fraîcheur du couple tranchent radicalement avec l'académisme des autres danseurs mais aussi avec les membres du jury qui ressemblent à des poupées fardées grotesques façon Michou peroxydées et bronzées. C'est cette exubérance ainsi que l'énergie des numéros de danse qui rendent le film intéressant en dépit de son intrigue hyper convenue.
Cela vaut la peine de ne pas s'arrêter au premier quart d'heure d'un film dont on voit alors surtout les défauts (le côté hystérique du montage, les effets visuels pas toujours de bon goût et un jeu outrancier du côté des personnages secondaires). Cela vaut le coup parce que Baz Luhrmann dépoussière dans "Moulin Rouge" la comédie musicale d'une manière aussi audacieuse et intelligente qu'il l'avait fait pour le drame de Shakespeare "Romeo + Juliette". Bien que cette référence ne soit pas revendiquée par la réalisateur "Moulin Rouge" ressemble à une version baroque, pop-rock et barrée de "La Traviata" avec Christian dans le rôle d'Alfredo et Satine dans celui de Violetta. Ce n'est certainement pas par hasard que Ewan Mc Grégor et Nicole Kidman ont marqué les esprits, le premier chantant divinement bien, la seconde déployant son charisme dans de superbes chorégraphies, avec notamment la reprise du "Diamonds are a girl's best friend" chanté et dansé par Marilyn Monroe dans "Les Hommes préfèrent les blondes" (mélangé au "Material Girl" de Madonna) et une dernière demi-heure bollywoodienne de folie. Mais j'ai trouvé remarquable aussi l'abattage de Jim Broadbent (Horace Slughorn dans la saga Harry Potter) dans le rôle de Harold Zidler. le propriétaire du cabaret-club. Son interprétation du "Like a Virgin" de Madonna a largement sa place aux côtés de la séquence introductive de "Réservoir Dogs" dans les annales de l'exégèse de ce tube éternel.
Car c'est dans la réinvention des standards de la pop culture que le film atteint le nirvana ^^. Chacune est un vrai petit bijou, drôle, décalé, surprenant et le plus fort dans tout cela c'est que cela ne jure jamais avec le cadre Belle-Epoque que ce soit pour Madonna, David Bowie, Nirvana, Police, Elton John ou Freddy Mercury (ces deux derniers par leur sens de la démesure et leur extravagance se seraient bien entendu avec Baz Luhrmann, je le sens). Mine de rien, Baz Luhrmann confère à cette culture populaire ses lettres de noblesse en lui donnant la dimension d'un opéra et à l'inverse, il revitalise celui-ci d'une manière aussi flamboyante que le titre que porte le show du film "Spectacular, Spectacular".
Je pensais que "Romeo + Juliette" était un film anecdotique alors qu'il ne l'est pas du tout. C'est au contraire une transposition riche et passionnante du chef d'oeuvre de William Shakespeare à l'ère contemporaine. Dans une démarche très semblable à celle d'un dramaturge ou d'un metteur en scène d'opéra (ce qu'il était à l'origine), Baz LUHRMANN a cherché à revivifier une œuvre qui s'est retrouvée au fil du temps coupée de ses racines populaires. Or les œuvres de Shakespeare ont une universalité qui leur permet de franchir l'espace et le temps. Mieux encore, elles ont un caractère juvénile parfaitement transposable à notre époque comme l'ont montré les brillants exemples de "West side story" (1960) ou de "My Own Private Idaho" (1991).
Comme dans "West side story" (1960), le "Romeo + Juliette" de Baz LUHRMANN situe son histoire d'amour impossible sur fond de guerre des gangs dans un milieu urbain pluriethnique dégénéré/décadent/dégradé. Mais au lieu de New-York, l'intrigue est transposée sur la côte ouest, dans un quartier de Los Angeles fictif prénommé "Verona Beach". Quartier dans lequel les excès ne se réduisent pas au mode de vie "sex, drugs and rock and roll" des personnages mais s'étendent à la mise en scène survitaminée et à l'imagerie baroque et kitsch qui semble sortir des clips heighties de Madonna avec leur iconographie religieuse ostentatoire et sulfureuse. On ne compte plus les bijoux et tatouages, l'un des plus spectaculaires se trouvant sur le dos du père Laurence (Peter POSTLETHWAITE). Le film décline d'ailleurs toutes les formes du show: show business (les Montaigu et les Capulet sont des stars), TV show qui commente l'intrigue sous forme de reportage/fait divers, méga show du bal costumé des Capulet, où se produit un hallucinant Mercutio (Harold PERRINEAU) drag-queen et où Tybalt (John LEGUIZAMO) aborde des cornes évocatrices en diable ^^. Autres références qui me sont venues à l'esprit, le maniaco-dépressif "Spring Breakers" (2012) qui fait alterner de grandes séquences orgiaques hystériques sur la plage et des sas de décompression cafardeux et "Mad Max" (1979) notamment pour la séquence d'exil à Mantoue qui semble se dérouler dans un univers post-apocalyptique désertique et motorisé. La séquence de la première rencontre entre Roméo et Juliette à travers un aquarium est particulièrement inspirée tout comme leurs costumes respectifs. C'est en effet l'époque où Leonardo DiCAPRIO arborait une gueule d'ange qui n'allait pas tarder à exploser dans "Titanic" (1997). Et Claire DANES n'est pas en reste dans le genre beauté éthérée. En effet le film oppose de manière systématique l'eau (la pureté des sentiments du couple) et le feu, la sécheresse, l'aridité. Mais la séquence que je trouve la plus ébouriffante est celle des morts respectives des "chefs de bande" charismatiques Mercutio et Tybalt menée à un train d'enfer.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.