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Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll et Mr. Hyde)

Publié le par Rosalie210

John S. Robertson (1920)

Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll et Mr. Hyde)

Avant la version de John S. ROBERTSON, il y a eu plusieurs films muets consacrés au héros à deux visages du roman de Robert Louis Stevenson publié en 1886 mais c’est celui qui a fixé les canons repris ensuite par les versions parlantes ultérieures. Parmi eux le choix de situer l’intrigue dans l’époque victorienne qui par sa rigidité morale est propice au dédoublement entre le « surmoi » de Jekyll et le « ça » de Hyde (« Hide »). Le film narre donc la fabrication d’un monstre de par la séparation de l’être en deux entités distinctes de façon manichéenne. Une opération permise par la science qui connaît des avancées très importantes au XIX° mais suscite des craintes liées au pouvoir sans limite qu’elle donne à l’homme et qui sans conscience peut aboutir aux pires catastrophes. Cependant le film montre surtout comment la science moderne reprend à son compte la vision chrétienne de la dualité corps/esprit à travers l’interprétation puissante de John BARRYMORE (petit frère de Lionel BARRYMORE et de Ethel BARRYMORE). Même avant de boire la potion, Jekyll est présenté comme une figure christique, un saint qui accomplit des miracles auprès des plus déshérités et qui se désintéresse de la vie terrestre. Lord Carew (Brandon HURST), le père de sa fiancée Millicent (Martha MANSFIELD) représente Charon, celui qui l’introduit aux enfers en l’initiant aux plaisirs charnels comme cela se pratiquait beaucoup au XIX° dans les milieux bourgeois (la fiancée virginale versus la prostituée qui servait d’égout aux pulsions de ces messieurs). Ayant goûté au fruit défendu, Jekyll ne peut plus s’en passer mais pour ne pas souiller son âme immaculée, il a l’idée de transférer ses bas instincts sur une créature qu’il invente de toutes pièces. Le fantastique traduit ainsi un mécanisme psychologique bien connu, celui de la projection sur un bouc-émissaire de ce que l’on rejette de soi. Hyde avec ses longs doigts crochus, son crâne protubérant, ses yeux exorbités et son rictus est plus proche de la bête que de l’homme. Il rappelle aussi ce que le cinéma des origines doit au « freak show » des fêtes foraines : la métamorphose du saint en démon est le clou du film à la fois par le jeu habité de John BARRYMORE, les trucages en surimpression et l’apparence hideuse de Hyde. Comme dans « Frankenstein », la créature échappe rapidement au contrôle de son créateur. Elle s’empare de lui et le dévore après avoir au passage détruit Lord Carew, le tentateur.

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Liz et l'Oiseau bleu (Rizu to aoi tori)

Publié le par Rosalie210

Naoko Yamada (2018)

Liz et l'Oiseau bleu (Rizu to aoi tori)

C’est un film d’animation magnifique, tout en délicatesse et subtilité. Déjà dans son précédent film "Silent Voice" (2016) Naoko YAMADA faisait preuve d’une grande finesse dans l’évocation des difficultés de communication entre adolescents. Dans « Liz et l’Oiseau bleu », elle s’attache dans le huis-clos d’un lycée à étudier la relation entre deux adolescentes très différentes dont l’amitié fusionnelle -admirablement disséquée dans toute la complexité de ses composantes- est à la croisée des chemins. En effet avec la fin du lycée arrive l’heure des choix de vie et avec eux, la douloureuse mais inévitable séparation. Tous les enjeux du film se cristallisent autour d’un morceau de musique tiré d’une adaptation de « L’Oiseau bleu » de Maurice Maeterlinck que les deux amies -l’une flûtiste et l’autre joueuse de hautbois- doivent interpréter ensemble pour le concours de fin d’année de leur orchestre scolaire. Mais elles ne parviennent pas à le jouer harmonieusement parce que Mizore bride son talent pour ne pas surpasser Nozomi. Mizore est en effet terrifiée à l’idée d’être abandonnée par Nozomi, vivant dans son ombre, n’existant qu’à travers elle et s’attachant à suivre le moindre de ses pas, sans un bruit ou presque car l’asynchronie entre elles est tangible dès la première séquence du film. Mizore est en effet solitaire, extrêmement timide et renfermée alors que Nozomi est extravertie, sociable et volubile. Néanmoins les apparences sont trompeuses et la plus faible des deux n’est pas celle que l’on croit. Seulement, l’affirmation de soi passe par une remise en question du mode relationnel déséquilibré que les deux jeunes filles ont tissé entre elles depuis des années. Les mots étant impuissants à traduire la complexité des êtres, Naoko YAMADA saisit les plus ténus mouvements de l’âme par une attention extrême vis-à-vis du langage du corps, celui des regards, des gestes, des postures, des tics, des sons et des silences au travers de plans souvent décentrés et parcellaires sur des mouvements de pieds, des mains qui touchent nerveusement une mèche de cheveux ou des nuances de lumière dans les yeux. Elle la métaphorise également au travers de la musique mais aussi du conte de « Liz et l’oiseau bleu », un livre illustré à l’aquarelle dont nous voyons des extraits tout au long du film. Celui-ci raconte l’histoire de Liz, une jeune fille solitaire proche de la nature qui s’éprend d’un oiseau bleu métamorphosé en jeune fille (un leitmotiv de l’animation japonaise que l’on retrouve aussi bien dans "Ponyo sur la falaise" (2008) que dans "La Tortue rouge") (2016) dont pourtant elle pressent l’inéluctable envol.

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Les soeurs Brontë

Publié le par Rosalie210

André Téchiné (1979)

Les soeurs Brontë

"Les Sœurs Brontë" est un très beau film de André TÉCHINÉ, soutenu par une équipe technique de grande qualité (Pascal BONITZER au scénario, Bruno NUYTTEN à la photographie, Philippe SARDE à la musique) qu'il faut absolument redécouvrir. Il est aux sœurs Brontë ce que "2001, l'odyssée de l'espace" (1968) est… à l'espace. Autrement dit les partis pris de dépouillement extrême de l'intrigue comme du jeu peuvent déconcerter mais ils sont cohérents avec le sujet traité et ne cherchent pas à l'enjoliver artificiellement. Cette volonté d'authenticité a pour but de comprendre le lien entre la vie des sœurs Brontë et leur œuvre. Et effectivement, il apporte quelques éléments de réponse. Emily (jouée par Isabelle ADJANI à qui le rôle va à la perfection) est dépeinte comme le double de Catherine, son héroïne des "Hauts de Hurlevent". Sauvage, secrète, irascible et passionnée, on la voit arpenter la lande du Yorkshire en habits d'hommes. Son asociabilité et sa vie à l'écart du monde lui octroient une grande liberté doublée d'une proximité avec la nature. D'autre part le film répond à une question que se sont posés de nombreux spécialistes à savoir comment elle a pu raconter une histoire d'amour aussi puissante en n'en ayant pas vécue une elle-même. Le réponse semble se trouver dans sa relation fusionnelle avec son frère autodestructeur, Branwell (Pascal GREGGORY dont c'était le premier rôle important au cinéma) qu'elle suit comme son ombre et à qui elle ne survivra pas. Bien que n'ayant pas laissé d'œuvre en propre (on le voit symboliquement s'effacer du portrait familial), Branwell semble avoir été extrêmement important dans le processus créatif de ses sœurs et le film lui donne une grande place si ce n'est la première. Enfin, l'autre personnage important est bien évidemment l'aînée, Charlotte (Marie-France PISIER) plus mature et ouverte sur l'extérieur que le reste de la famille. Sans son intervention déterminante, les œuvres de ses sœurs n'auraient jamais été publiées. Elle prit également la décision de dévoiler à l'éditeur leur véritable identité (toutes trois avaient pris des pseudonymes masculins pour des raisons évidentes). Elle fut la seule à connaître le succès de son vivant et à avoir accès à une vie sociale et mondaine même si la scène de fin à l'opéra montre que sa simplicité est en décalage complet avec les codes en vigueur dans la bonne société. D'autre part, la genèse de "Jane Eyre" semble se trouver dans la passion non réciproque de Charlotte pour l'un de ses professeurs à Bruxelles bien plus âgé qu'elle, Constantin Heger (Xavier DEPRAZ) qui lui aurait inspiré le personnage de Rochester, elle-même s'étant dépeinte sous les traits de Jane (qui est d'ailleurs préceptrice, comme elle). Si Emily est en effet attirée par son frère, attirance qui est la colonne vertébrale de la relation Cathy-Heathcliff, Charlotte est en revanche attirée par des figures paternelles. Elle finit d'ailleurs par épouser le vicaire de ce dernier, M. Nicholls (Roland BERTIN). Reste la troisième sœur, Anne qui tout comme dans la réalité apparaît en retrait par rapport ses deux aînées, ses romans n'ayant pas connu le même succès et d'après les spécialistes, n'ayant pas la même qualité littéraire. Isabelle HUPPERT est tout à fait convaincante dans le rôle mais elle était en rivalité avec Isabelle ADJANI alors star montante comme elle ce qui rendait l'ambiance sur le plateau irrespirable. Cette absence de solidarité qui s'est manifestée jusqu'au festival de Cannes ne se ressent pas dans le film, mais celui-ci a été tout de même amputé d'une heure à la demande des producteurs et jamais restauré depuis, les scènes coupées ayant été définitivement perdues entre temps.

Les soeurs Brontë

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La Grande Illusion

Publié le par Rosalie210

Jean Renoir (1937)

La Grande Illusion

"La Grande Illusion", le titre le plus polysémique et réversible du cinéma français résume à la perfection ce qui sépare et ce qui réunit les hommes. Ce qui les sépare, c'est le "théâtre", toutes ces fictions générées par le jeu social (dont deux ans plus tard, Jean RENOIR dévoilera la règle) qui jettent les hommes les uns contre les autres. Le théâtre de la guerre sur fond de nationalisme revanchard mais aussi d'antisémitisme (le film a pour cadre la première guerre mondiale mais tourné en 1937, il a pour horizon le déclenchement de la seconde) mais aussi celui de la lutte des classes. Tout en étant laissés hors-champ, ils pèsent sur les comportements des personnages qui se retrouvent pourtant réunis dans le huis-clos des camps de prisonniers. Ce qui les réunit outre leur expérience commune c'est bien entendu leur humanité qui les pousse les uns vers les autres, souvent pour se heurter aux barrières construites par l'éducation, plus fortes encore que celles qui s'érigent entre les nations "Les frontières sont une invention des hommes, la nature s'en fout". A travers les liens qui s'érigent entre de Boeldieu (Pierre FRESNAY) et von Rauffenstein (Erich von STROHEIM) séparés par leur nationalité mais réunis par leurs origines sociales et une communauté de destin, Renoir dépeint le basculement du monde dans le XX° siècle dans lequel l'aristocratie n'a pas sa place. Le sens de l'honneur de de Boeldieu le pousse à se sacrifier là où von Rauffenstein observe avec fatalisme son inexorable déclin. Surtout de Boeldieu a fait siennes les valeurs de la révolution française de liberté, d'égalité et de fraternité là où von Rauffenstein réagit avec les oeillères de l'officier prussien. C'est pourquoi, bien que séparés par leurs origines sociales, un lien se créé aussi entre de Boeldieu et deux officiers issus de la plèbe: Rosenthal le bourgeois (Marcel DALIO) et Maréchal le prolétaire (Jean GABIN) qui tous deux représentent l'avenir. Ce dernier exprime à plusieurs reprises sa frustration et sa gêne face à l'impossibilité d'établir une véritable camaraderie avec l'aristocrate alors qu'ils sont pourtant soudés par leur projet d'évasion. C'est pourquoi seul le sacrifice de Boeldieu permet à Rosenthal et à Maréchal de s'enfuir. Une fuite qui permet de dessiner de nouveaux clivages, cette fois entre le bourgeois et le prolétaire mais aussi entre le juif et le catholique chez qui l'épreuve fait ressurgir des relents d'antisémitisme alors que là encore ils sont pourtant réunis par une communauté de destin et ont besoin l'un de l'autre pour s'en sortir. La séquence chez Elsa (Dita PARLO) dessine encore une autre configuration "explosive" avec un amour naissant entre un français et une allemande (sujet ô combien sensible dans une France remontée à bloc contre l'ennemi depuis la défaite de 1870 et qui allait bientôt subir l'occupation) pendant que Rosenthal joue le rôle de traducteur. "La Grande Illusion" de par sa profonde humanité démontre ainsi à la fois l'absurdité des clivages entre les hommes tout en révélant combien ils les conditionnent et les broient. 

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The Rocky Horror Picture Show

Publié le par Rosalie210

Jim Sharman (1975)

The Rocky Horror Picture Show

Film défouloir kitschissime entre glam rock et movida tout entier polarisé sur Frank, sa star transgenre charismatique et l’hallucinante performance de celui qui l’incarne, Tim (MER)CURRY ^^. Bien que bourré de références de toutes sortes, notamment aux films hollywoodiens de monstres souvent détournés ou parodiés (J’aime particulièrement la créature de Frankenstein new look bodybuildée et bronzée sortant d’un cercueil arc en ciel et puis tel King-Kong, faisant l’ascension de la tour RKO avec Frank évanoui), le film est profondément ancré dans les seventies (dimension contestataire et libertaire, paranoïa). Face au couple aseptisé joué par Susan SARANDON et Barry BOSTWICK, Frank apparaît par antithèse comme un vampire sexuel affamé de chair fraîche. Les chansons et même certaines chorégraphies ont encore de la gueule aujourd’hui. Mais il manque à ce film une vraie mise en scène (on est davantage dans un enchaînement de numéros dans des décors statiques) et un vrai scénario. Voir tous ces pantins sans consistance s’agiter frénétiquement sans but véritable finit par lasser. Quant à l’hédonisme débridé du film, il n’est que l’envers de la médaille du puritanisme du début, une autre forme d’aliénation phallocrate symbolisée par l’emprise que Frank a sur ses créatures déshabillées et utilisées comme des poupées gonflables à usage unique, puis transformées en statues puis en pantins transformistes décalquées sur leur modèle. L’affichage transgenre dissimule en réalité un sexisme tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Janet passe ainsi du statut de sainte-nitouche à celui de salope (comme un air de déjà vu). Quant à Frank, une fois ses méfaits accomplis, il repart dans l’espace et n’aura constitué qu’une parenthèse de carnaval servant au final à conforter l’ordre établi.

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Les Coeurs du monde (Hearts of the World)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1918)

Les Coeurs du monde (Hearts of the World)
Griffith pendant le tournage du film

Griffith pendant le tournage du film

La propagande moderne est née avec la première guerre mondiale et le cinéma en est un de ses principaux vecteurs. En 1916, après avoir réalisé son monumental "Intolérance" (1916), D.W. GRIFFITH fait une tournée de promotion au Royaume-Uni. Il rencontre le premier ministre britannique Lloyd George qui le convainc de réaliser un film de guerre pour convaincre l'opinion publique américaine alors réticente de s'engager dans le conflit (comme le fera Frank CAPRA au début de la seconde guerre mondiale avec la série des "Pourquoi nous combattons : Prélude à la guerre" (1942)). Mais lorsque les USA entrèrent finalement en guerre, D.W. GRIFFITH n'avait pas encore eu le temps de tourner la moindre image ce qui réorienta la film vers une dimension plus romanesque et épique.

Le premier intérêt de "Cœurs du monde" est donc d'avoir été tourné au cœur des événements. Même si une partie d'entre eux ont été reconstitués, D.W. GRIFFITH ayant tourné près des lignes de front en France mais aussi en Angleterre et aux USA, il fait preuve d'un réalisme assez cru dans sa description de la violence sur le front mais aussi à l'arrière (certaines images chocs peuvent faire penser au début de "Il faut sauver le soldat Ryan" (1998)). Si un spectateur de 1918 voyait tout de suite la différence entre le documentaire et la fiction, celui d'aujourd'hui ne les distingue plus l'un de l'autre. En revanche les orientations propagandistes du film le feront sourire. "Cœurs du monde" est en effet germanophobe, les allemands étant présentés comme des brutes épaisses martyrisant la France symbolisée par le personnage de Marie jouée par la muse de D.W. GRIFFITH, Lillian GISH. Il est intéressant de souligner que, comme dans l'entre deux guerres, la personnification de l'Allemagne échoit à Erich von STROHEIM. Celui-ci est à la fois co-réalisateur, conseiller technique et acteur de figuration dans le film (on le voit passer plusieurs fois au fond du champ) et il donne son nom à l'espion allemand Von Strohm (George SIEGMANN), l'un des protagonistes principaux. A l'inverse, le patriotisme américain est exalté jusqu'au ridicule, Douglas le jeune premier (Robert HARRON) s'engage ainsi dans l'armée pour défendre la France alors qu'il est américain et la fin célèbre avec force flonflons le triomphe de l'armée des USA alors même que la guerre n'était pas encore terminée au moment de la sortie du film en mars 1918!

Le deuxième intérêt de "Cœurs du monde" provient du génie propre à D.W. GRIFFITH pour mêler, outre la fiction et le documentaire la grande et la petite histoire comme il l'avait fait dans ses films précédents. Ainsi les décisions des Etats-majors ont des répercussions directes sur un petit village paisible dont le seul tort est d'être situé près de la ligne de front. D.W. GRIFFITH se focalise sur deux familles américaines vivant l'une à côté de l'autre dans une maison double dans la très symbolique rue de la paix, celle de Douglas et celle de Marie qui sont bien entendus destinés l'un à l'autre mais que la guerre sépare. Pour pimenter l'intrigue, il introduit également un personnage d'intruse joué par la propre sœur de Lillian GISH, Dorothy GISH aussi photogénique que sa sœur mais au tempérament beaucoup plus exubérant. Avec son amoureux, mister Cuckoo (Robert ANDERSON) ils offrent un contrepoint plus léger au couple principal dans la veine des comédies shakespeariennes. Ce jeu d'échelles se répercute sur la grammaire cinématographique, D.W. GRIFFITH alternant les plans en 4/3 pour les scènes de village et les plans en cinémascope pour le champ de bataille.

Au final "Cœurs du monde", moins connu que les grandes fresques de "Naissance d une Nation" (1915) et "Intolérance" (1916) mérite d'être redécouvert tant pour le génie de la mise en scène de D.W. GRIFFITH qui parvient à faire d'un patchwork un tout cohérent et à impliquer le spectateur par son montage trépidant que pour sa vision de la guerre, orientée certes mais qui ne se borne pas au front et met l'accent sur ses dégâts collatéraux. C'est aussi par sa contradiction que le film est intéressant, dénonçant les horreurs de la guerre d'un côté, exaltant le nationalisme guerrier (xénophobie incluse) de l'autre.

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A Country Cupid

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1911)

A Country Cupid


Parmi les très nombreux courts-métrages tournés par D.W. GRIFFITH avant 1915, "A Country Cupid" apparaît assez anecdotique. Son atmosphère fait penser à celle de "La petite maison dans la prairie" avec son école du Midwest à classe unique accueillant des enfants d'âge et de classe sociale différents (on le remarque surtout à la présence ou non de chaussures aux pieds des enfants. Pour mémoire, Mary et Laura Ingalls se rendaient à l'école pieds-nus mais avec une coiffe sur la tête, tout comme une partie des fillettes du film). La mise en scène transcende ce que l'histoire (une dispute puis une réconciliation entre la maîtresse et son fiancé) peu avoir de banal. Comme toujours chez D.W. GRIFFITH, l'intrigue est très lisible et les personnages, relativement nombreux pour un court-métrage ont tous une bonne raison d'être. On remarquera en particulier l'ingéniosité de l'utilisation du petit Billy (en réalité joué par une petite fille) et la fin en montage alterné typique du cinéaste pour faire monter le suspense (Jack joué par Edwin AUGUST arrivera-t-il à temps pour sauver sa fiancée?) Enfin, un aspect moins réjouissant du film mais tout aussi caractéristique de l'œuvre de D.W. GRIFFITH est la stigmatisation des minorités. Le croquemitaine amateur de chair fraîche bien blanche (l'actrice qui joue la maîtresse se nomme d'ailleurs Blanche SWEET!) est à rechercher du côté des noirs-américains ou pire des métis ("Naissance d une Nation") (1915), des gitans ("Ce que disent les fleurs") (1910) ou ici des handicapés mentaux, le "half-wit" s'avérant être l'intrus que la communauté doit éliminer pour vivre en parfaite harmonie.

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La Rue rouge (Scarlet Street)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1945)

La Rue rouge (Scarlet Street)


"La Rue Rouge" est le remake américain de "La Chienne" (1931) de Jean RENOIR tout en étant le film jumeau de "La Femme au portrait" (1945) le précédent film réalisé par Fritz LANG. Le site Critikat a d'ailleurs rebaptisé le film "La Chienne au portrait" ^^ mais il aurait également pu s'appeler "La Chatte au portrait" puisque le personnage féminin est surnommé Kitty ^^. De ce fait bien qu'intéressant par lui-même, il est assez amusant de le comparer à ses modèles pour en déduire les ressemblances et les différences.

Par rapport au film de Jean RENOIR, il est clair que la contrainte majeure du code Hays alors en vigueur aux Etats-Unis a sensiblement modifié l'œuvre en rendant sous-jacent ce qui était explicite. Ainsi pour comprendre que Kitty (Joan BENNETT) est une prostituée et non une "actrice" comme elle se définit elle-même, il faut se référer au titre qui est une allusion à la grande prostituée de Babylone dans l'Apocalypse selon Saint-Jean ainsi qu'à son comportement vénal et vulgaire (il est rare dans un film hollywoodien de cette époque ou tout est léché de voir le laisser-aller dans lequel elle vit). De même, l'attitude de Johnny (Dan DURYEA) son amant qui ne cesse de la jeter dans les bras d'hommes pour qu'elle leur soutire de l'argent permet de comprendre qu'il est son maquereau sans que jamais cela ne soit dit. Fritz LANG flirte ainsi avec l'interdit, il s'est d'ailleurs attiré quelques ennuis auprès des ligues de vertu à cause notamment d'une scène de chambre à coucher dans laquelle Kitty se fait vernir les ongles de pieds par Chris (Edward G. ROBINSON). Et puis encore une fois, Fritz LANG parvient à contourner la règle selon laquelle le criminel doit être puni. Chris échappe à la justice mais son tourment intérieur est tel que la chaise électrique apparaît comme une délivrance à côté du fardeau de la vie de paria écrasé de culpabilité qu'il est obligé de porter.

"La Rue rouge" est par ailleurs une déclinaison de la "La Femme au portrait" (1945), Fritz LANG ayant établi de nombreux points communs entre les deux films, du casting à la photographie en passant par les personnages et les thèmes évoqués. Chris Cross (!) comme Richard Wanley est insatisfait de sa vie de petit-bourgeois et rêve de vivre une aventure dans les bras d'une femme jeune et belle qui va provoquer sa déchéance. La peinture sert d'ouverture sur l'inconscient, celle que pratique Chris magnifiant ses sujets sous l'effet de la passion (le pissenlit à moitié fané dans le verre mais offert par Kitty devient ainsi un tournesol!) Mais la peinture s'avère également être un piège qui coupe Chris de la réalité. En dépit du fait que Kitty joue très mal la comédie, il se laisse manipuler par elle, elle-même étant manipulée par Johnny envers qui elle se montre tout aussi stupide et aveugle. Pour elle un homme, un vrai c'est celui qui la domine et lui met des beignes comme quoi le machisme peut être parfaitement bien intériorisé par celles qui en sont victimes. "La Rue rouge" est un film très pessimiste sur la nature humaine. Le manque de lucidité y est tel que les mensonges et les faux-semblants y règnent en maître, forgeant des destins tragiques. Chris Cross passe ainsi à côté de sa vie, se faisant rabaisser et dépouiller de tout ce qu'il possède par les femmes et les hommes qui agissent dans leur ombre. Mais ce n'est pas un personnage qui suscite l'empathie pour autant.Mais ce n'est pas un personnage qui suscite l'empathie pour autant car c'est un faible qui se laisse dominer par ses pulsions meurtrières, le couteau/pic à glace planté dans la chair servant de vengeance au rejet sexuel qu'il subit de la part de sa femme Adèle puis de Kitty. Lorsqu'il découvre qu'il a été bafoué par Kitty et Johnny, il les tue, l'une de façon active en l'assassinant et l'autre de façon passive en le laissant se faire exécuter à sa place. 

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Phantom of the Paradise

Publié le par Rosalie210

Brian De Palma (1974)

Phantom of the Paradise

Il ne suffit pas d'accumuler, détourner ou parodier des références pour faire un bon film mais quand le cocktail est réussi comme dans le flamboyant et baroque "Phantom of the Paradise", il envoie du lourd. Le film est autant un énorme chaudron-hommage à toute une série d'œuvres d'art l'ayant précédée qu'une distanciation ironique et désespérée analysant l'impossibilité de créer en dehors du système: celui-ci vous broie ou vous récupère ou plutôt vous récupère ET vous broie. Brian De PALMA parlait alors en connaissance de cause car le studio qui l'employait avait pris le contrôle de son film précédent "Get to know your rabbit" (1970). Il a donc eu l'idée d'accommoder à la sauce opéra-rock le thème du pacte avec le diable, le prix à payer pour la perte de son intégrité artistique s'incarnant dans le personnage du compositeur Winston Leach (William FINLEY) qui se situe à mi-chemin entre " Le Fantôme de l'Opéra" (1925) de Rupert JULIAN d'après Gaston Leroux et "Faust" (1926) de Friedrich Wilhelm MURNAU d'après Goethe. Quant au producteur qui symbolise son âme damnée (Paul WILLIAMS), il n'est pas en reste questions références puisque lui aussi a fait un pacte maudit à la Dorian Gray pour rester éternellement jeune sauf que l'image qui vieillit à sa place est sur pellicule et non dans un tableau. Son allure de dandy et son nom proustien, Swan illustre par ailleurs son obsession d'arrêter le temps tout comme celui de la muse interprète à qui il veut voler sa voix, Phoenix (Jessica HARPER).

Le style glam-rock grand-guignolesque du film typique des seventies se marie ainsi avec une atmosphère fantastique qui suggère admirablement le vampirisme à l'œuvre derrière le strass et les paillettes. Les décors expressionnistes rappellent ceux du "Le Cabinet du docteur Caligari" (1919) et la mise en scène du spectacle final, "Frankenstein" (1931). Le vampirisme est d'ailleurs autant le fait du manipulateur de l'ombre qu'est le producteur que celui du public attiré par ces nouveaux "jeux du cirque" où l'on s'enflamme en direct. Brian De PALMA reprend ainsi de façon remarquable la séquence inaugurale de la "La Soif du mal" (1958) de Orson WELLES pour en faire un show à retardement avec une vraie bombe planquée dans une voiture au beau milieu de la scène. Il s'amuse aussi avec son cinéaste favori, Alfred HITCHCOCK en nous offrant une version parodique délectable de la scène de la douche de "Psychose (1960) et de la scène du tireur embusqué en plein concert de "L Homme qui en savait trop" (1956).

Enfin on peut noter que ce film bourré de références a généré son propre mythe au point d'être devenu à son tour matriciel pour toute une nouvelle génération d'artistes de Bertrand BONELLO (M. Swan de "Saint Laurent") (2014) aux Daft PUNK masqués par un casque comme le fantôme et qui se sont associés le temps d'une chanson avec Paul WILLIAMS, l'acteur jouant le personnage de Swan et compositeur de la BO du film.

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Sculptrices, ni muses ni modèles

Publié le par Rosalie210

Emilie Valentin (2018)

Sculptrices, ni muses ni modèles

Ce passionnant documentaire diffusé en 2018 sur ARTE et disponible en DVD brise l'idée reçue sexiste selon laquelle "L'homme créé, la femme procréé" et analyse les mécanismes sociaux et culturels qui ont entraîné la raréfaction et l'invisibilisation des femmes dans le deuxième art. La sculpture occidentale est le fruit d'une société patriarcale qui a donc défini dès l'antiquité le rôle passif de la femme dans l'art. Celle-ci devait se cantonner à un rôle de muse ou de modèle c'est à dire d'inspiratrice, le créateur étant forcément masculin. Le judéo-christianisme en identifiant le divin au père a encore davantage ancré dans les mentalités cette répartition des rôles au point que des œuvres parfois très connues créées par des femmes ont été attribuées à des hommes ou bien sont longtemps restées dénuées de "paternité" et pour cause puisque le patriarcat est également inscrit dans le langage et que celui-ci structure la pensée. Enfin les préjugés liés aux différences biologiques ont décrété que la sculpture était une technique artistique trop "physique" pour les femmes ce qui s'est avéré être une absurdité.

A ce conditionnement mental, il faut ajouter une discrimination sociale qui s'est doublée au XIX° d'une discrimination juridique avec le code Napoléon à la suite duquel les femmes ont été interdites aux Beaux-Arts. Le poids des moeurs catholiques a joué un rôle important dans cette interdiction. Même lorsque les femmes ont été admises aux Beaux-Arts en 1897 à la suite de l'action d'une sculptrice, Hélène Bertaux, il est resté compliqué pour une femme artiste (non mariée la plupart du temps ou veuve) de croquer des nus masculins ou de gagner le prix de Rome qui impliquait d'aller séjourner à la villa Médicis au milieu des hommes. Enfin un préjugé tenace tendait à ne pas prendre les femmes au sérieux, leur activité artistique étant considérée comme un simple passe-temps.

Enfin, le film analyse également comment l'histoire écrite par les hommes a effacé les femmes artistes, leurs œuvres sombrant dans l'oubli ou étant attribuées à des artistes masculins. Il fait donc un travail considérable de réécriture historique pour redonner aux femmes leur juste place dans la création artistique. Il ne se contente pas de sortir des noms de l'oubli mais il les resitue dans leur contexte historique par ordre chronologique et analyse en détail plusieurs œuvres fascinantes dont voici quelques exemples:

- Le bas relief de Joseph et la femme de Putiphar de Properzia de' Rossi conservé dans la basilique de San Petronio à Bologne est une œuvre du XVI° de la plus ancienne sculptrice dont le nom ait été conservé grâce à Giorgio Vasari. On y voit une femme qui tente de retenir l'homme qu'elle désire pour l'entraîner dans son lit: une expression particulièrement directe du désir féminin libéré de toute entrave!

- La Pythie qui se niche dans le foyer de l'opéra Garnier est une œuvre de Adèle d'Affry qui pour échapper aux préjugés liés au genre a tout comme George Sand signé ses œuvres d'un nom masculin, Marcello.

- La gracieuse et androgyne Psyché sous l'empire du mystère de Hélène Bertaux bouleverse la représentation du corps féminin longtemps accaparée par les hommes tout comme l'expression du désir.

- Camille Claudel est l'une des rares sculptrices aujourd'hui célèbre mais ses œuvres n'ont pas atteint le degré de notoriété de celles de Rodin. Elles se caractérisent par leur déséquilibre qui exprime bien son tourment intérieur, notamment la poignante sculpture de l'âge mur où elle voit partir pour toujours l'homme qu'elle aime.

- Enfin les monumentales nanas colorées de Niki de Saint Phalle ont valeur de manifeste histoire de donner aux femmes la visibilité dont elles ont été privées dans l'espace public. 

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