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Les Coeurs du monde (Hearts of the World)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1918)

Les Coeurs du monde (Hearts of the World)
Griffith pendant le tournage du film

Griffith pendant le tournage du film

La propagande moderne est née avec la première guerre mondiale et le cinéma en est un de ses principaux vecteurs. En 1916, après avoir réalisé son monumental "Intolérance" (1916), D.W. GRIFFITH fait une tournée de promotion au Royaume-Uni. Il rencontre le premier ministre britannique Lloyd George qui le convainc de réaliser un film de guerre pour convaincre l'opinion publique américaine alors réticente de s'engager dans le conflit (comme le fera Frank CAPRA au début de la seconde guerre mondiale avec la série des "Pourquoi nous combattons : Prélude à la guerre" (1942)). Mais lorsque les USA entrèrent finalement en guerre, D.W. GRIFFITH n'avait pas encore eu le temps de tourner la moindre image ce qui réorienta la film vers une dimension plus romanesque et épique.

Le premier intérêt de "Cœurs du monde" est donc d'avoir été tourné au cœur des événements. Même si une partie d'entre eux ont été reconstitués, D.W. GRIFFITH ayant tourné près des lignes de front en France mais aussi en Angleterre et aux USA, il fait preuve d'un réalisme assez cru dans sa description de la violence sur le front mais aussi à l'arrière (certaines images chocs peuvent faire penser au début de "Il faut sauver le soldat Ryan" (1998)). Si un spectateur de 1918 voyait tout de suite la différence entre le documentaire et la fiction, celui d'aujourd'hui ne les distingue plus l'un de l'autre. En revanche les orientations propagandistes du film le feront sourire. "Cœurs du monde" est en effet germanophobe, les allemands étant présentés comme des brutes épaisses martyrisant la France symbolisée par le personnage de Marie jouée par la muse de D.W. GRIFFITH, Lillian GISH. Il est intéressant de souligner que, comme dans l'entre deux guerres, la personnification de l'Allemagne échoit à Erich von STROHEIM. Celui-ci est à la fois co-réalisateur, conseiller technique et acteur de figuration dans le film (on le voit passer plusieurs fois au fond du champ) et il donne son nom à l'espion allemand Von Strohm (George SIEGMANN), l'un des protagonistes principaux. A l'inverse, le patriotisme américain est exalté jusqu'au ridicule, Douglas le jeune premier (Robert HARRON) s'engage ainsi dans l'armée pour défendre la France alors qu'il est américain et la fin célèbre avec force flonflons le triomphe de l'armée des USA alors même que la guerre n'était pas encore terminée au moment de la sortie du film en mars 1918!

Le deuxième intérêt de "Cœurs du monde" provient du génie propre à D.W. GRIFFITH pour mêler, outre la fiction et le documentaire la grande et la petite histoire comme il l'avait fait dans ses films précédents. Ainsi les décisions des Etats-majors ont des répercussions directes sur un petit village paisible dont le seul tort est d'être situé près de la ligne de front. D.W. GRIFFITH se focalise sur deux familles américaines vivant l'une à côté de l'autre dans une maison double dans la très symbolique rue de la paix, celle de Douglas et celle de Marie qui sont bien entendus destinés l'un à l'autre mais que la guerre sépare. Pour pimenter l'intrigue, il introduit également un personnage d'intruse joué par la propre sœur de Lillian GISH, Dorothy GISH aussi photogénique que sa sœur mais au tempérament beaucoup plus exubérant. Avec son amoureux, mister Cuckoo (Robert ANDERSON) ils offrent un contrepoint plus léger au couple principal dans la veine des comédies shakespeariennes. Ce jeu d'échelles se répercute sur la grammaire cinématographique, D.W. GRIFFITH alternant les plans en 4/3 pour les scènes de village et les plans en cinémascope pour le champ de bataille.

Au final "Cœurs du monde", moins connu que les grandes fresques de "Naissance d une Nation" (1915) et "Intolérance" (1916) mérite d'être redécouvert tant pour le génie de la mise en scène de D.W. GRIFFITH qui parvient à faire d'un patchwork un tout cohérent et à impliquer le spectateur par son montage trépidant que pour sa vision de la guerre, orientée certes mais qui ne se borne pas au front et met l'accent sur ses dégâts collatéraux. C'est aussi par sa contradiction que le film est intéressant, dénonçant les horreurs de la guerre d'un côté, exaltant le nationalisme guerrier (xénophobie incluse) de l'autre.

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