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Les statues meurent aussi

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais, Chris Marker, Ghislain Cloquet (1953)

Les statues meurent aussi

Respect, admiration totale pour ce documentaire sur ce que l'on nommait encore dans les années cinquante l'art nègre, un terme revendiqué avec fierté et non sans provocation par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor pour désigner l'identité africaine dans les années 30. Commandé par la revue "Présence africaine", il est réalisé par deux immenses cinéastes, Alain Resnais et Chris Marker, assistés du chef-opérateur Ghislain Cloquet.

La culture noire-africaine malmenée, menacée par la colonisation est au cœur de ce court-métrage qui allie la beauté esthétique au discours politique engagé. Les œuvres sont filmées de manière exceptionnelle, mises en valeur par l'éclairage et la science du montage dont Resnais et Marker ont le secret. Elles acquièrent ainsi une dignité que l'occident leur refusait à l'époque (le point de départ du documentaire n'est-il pas une interrogation sur le fait que l'art grec et égyptien se trouvaient au Louvre alors que l'art nègre devait se contenter du musée de l'Homme, comme un écho ségrégationniste à l'art "dégénéré" vilipendé par les nazis?) Quant au texte de Marker, lu par Jean Négroni, il s'interroge sur le mystère de ces œuvres, sur la culture qui les a produite "au temps de Saint Louis" et dont nous ne savons rien puisqu'elle était de tradition orale. Et il dénonce les ravages de la colonisation qui a mis sous vitrine (c'est à dire empaillé) les vestiges qui lui sont tombés entre les mains tout en éradiquant la source de nouvelles productions en imposant sa propre culture. Les monuments aux morts et la statuaire chrétienne ont balayé l'art africain sur le sol même de l'Afrique quand ce n'était pas l'islam qui le détruisait au nom de l'interdiction des images.

Produit peu de temps avant la décolonisation de l'Afrique, le documentaire de Resnais et Marker est censuré pendant 11 ans car la France n'admet pas les critiques sur son modèle colonialiste assimilationniste (même si cet assimilationnisme reste largement une chimère) et tente d'empêcher ses colonies d'obtenir leur indépendance, soit par la ruse, soit par la force comme en Algérie. Elle ne lâchera prise que lorsque la décolonisation de son Empire africain sera achevée.

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Sophie Scholl-Les derniers jours (Sophie Scholl – Die letzten Tage)

Publié le par Rosalie210

Marc Rothemund (2005)

Sophie Scholl-Les derniers jours (Sophie Scholl – Die letzten Tage)

1942-1943 est un tournant dans l'histoire du IIIeme Reich. Alors que l'Allemagne nazie baigne encore dans le mythe de son invincibilité, elle connaît ses premiers revers militaires, en Afrique du nord, en Sicile et surtout à Stalingrad qui égratigne au passage un autre mythe, celui du surhomme aryen. Cette fragilisation radicalise encore un peu plus le régime, lancé dans une guerre totale à outrance depuis l'invasion de l'URSS en juin 1941 qui se traduit notamment par l'extermination des juifs d'Europe mise en œuvre en URSS puis étendue à toute l'Europe en 1942.

C'est dans ce contexte que se situent les événements racontés par le film. La résistance intérieure était très difficile en Allemagne à cause de la répression impitoyable et de la puissance de l'embrigadement des esprits. Cependant, elle existait, notamment dans les milieux chrétiens dont les convictions humanistes étaient foulées aux pieds par les agissements du régime hitlérien. Le milieu universitaire à la longue tradition critique n'était pas non plus totalement asservi. C'est d'ailleurs sans doute pour neutraliser ces deux institutions qu'Hitler embrigadait les jeunes dans les organisations nazies. Sans toujours cependant parvenir à les lobotomiser. Sophie Scholl, une étudiante âgée d'une vingtaine d'années avait fondé en juin 1942 avec son frère Hans et d'autres étudiants un mouvement antinazi baptisé "La Rose blanche". Leur activité consistait principalement à imprimer et distribuer des tracts, à écrire des slogans sur les murs et collecter du pain pour les prisonniers des camps de concentration.

Le film se concentre sur les six derniers jours de la vie de Sophie Scholl, de son arrestation le 17 février 1943 à son exécution le 22 février. Il se base sur une abondante documentation historique, notamment les procès-verbaux d'interrogatoires de la Gestapo de Hans et Sophie longtemps dissimulés dans les archives est-allemandes et rendus accessibles après la fin de la guerre froide. Cela se traduit dans la plus grande partie du film par un dispositif théâtral épuré où une héroïne aux convictions humanistes inébranlables tient tête à un policier de la gestapo dont l'argumentaire idéologique s'effrite pour laisser place à des motivations bien connues dans la victoire d'Hitler (la revanche sur la France avec l'humiliation du traité de Versailles) ou bassement humaines (l'ambition carriériste). Ce policier est néanmoins montré sur un jour bien trop favorable par rapport à la réalité historique. Le film passe en effet complètement sous silence le fait que Sophie Scholl est sortie de l'interrogatoire avec la jambe cassée. De même, son frère et leur ami restent propres sur eux jusqu'à la fin. L'édulcoration de la réalité passe également par les gestes d'humanité des geôlières de Sophie ou le silence penaud des témoins nazis du procès lorsque Sophie parle en leur nom "Vous en avez assez de cette guerre mais vous n'osez pas le dire". Cet adoucissement est dommageable car il rend moins évident le courage dont Sophie a fait preuve, témoignant que quelles que soient les circonstances, l'être humain garde toujours son libre-arbitre.
 

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Frigo capitaine au long cours (The Boat)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton, Edward F. Cline (1921)

Frigo capitaine au long cours (The Boat)

« The Boat » est l’un des courts-métrages qui exprime le mieux la philosophie de vie de Keaton. Il y a une proximité certaine avec « One Week ». Que ce soit en couple ou en famille, la construction d’un foyer s’avère une succession d’échecs et de pertes. La malchance, la maladresse, l’adversité, les aléas naturels, tout concourt à la destruction du pôle de stabilité que Keaton tente de créer. Comme « One Week », « The Boat » fait référence à l’esprit pionnier et sa contradiction entre la sédentarité et le voyage. Résultat, la maison comme le bateau se transforment en toupies folles. Auparavant, chaque tentative pour « enfoncer le clou » débouche sur une catastrophe de plus. Le bateau sort de son cocon en détruisant la maison, sa mise à l’eau provoque le naufrage de la voiture et du bateau lui-même, la famille ne peut jamais se livrer à ses activités dans la cale sans que celle-ci ne se mette sans dessus dessous ni la décorer sans provoquer une voie d’eau. Même le canot de sauvetage (le dernier vestige de la maison et du bateau) finit au fond de l’eau. La fin est ambivalente. La famille naufragée est saine et sauve mais doit tout recommencer à zéro sur une terre inconnue.

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Carnets de notes sur vêtements et villes (Aufzeichnungen zu Kleidern und Städten)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1989)

Carnets de notes sur vêtements et villes (Aufzeichnungen zu Kleidern und Städten)

Wenders s'interroge une fois de plus sur son identité en tant que cinéaste. Il est inquiet de l'évolution de son métier qui à l'aube des bouleversements numériques (nous sommes en 1989) semble menacer de dissoudre le cinéma d'auteur dans les métiers d'images manufacturées de consommation de masse (publicité, jeux vidéos, clips). Mais plutôt que de se plaindre ou de se regarder le nombril, il préfère interroger le créateur de mode japonais Yohji Yamamoto en plein travail et lors de défilés entre Paris et Tokyo avec lequel il se découvre de profondes affinités.

Elles sont d'abord biographiques évidemment, les deux hommes sont de la même génération, nés dans l'après-guerre dans deux pays agresseurs, tortionnaires, vaincus et en ruines. La mère de Yamamoto était d'ailleurs veuve de guerre (dans le film, Yamamoto explique que son père a été envoyé à la guerre contre sa volonté). Cette histoire a profondément influencé leur art respectif ce que soit dans la quête des origines pour Wenders ou le brouillage de la frontière entre les sexes pour Yamamoto.

Yamamoto recherche la vérité dans la représentation. Bien qu'artiste d'avant-garde, il puise son inspiration dans des photographies anciennes représentant des artisans ou des ouvriers (l'un de ses livres de chevet est "Hommes du XXeme siècle", un recueil de portraits du photographe allemand August Sander) parce qu'il veut justement échapper aux effets de mode ce qui fait de lui selon Wenders un paradoxe vivant. Yamamoto est fasciné par les gens qui ne font qu'un avec leurs vêtements, les gens qui ne portent pas des vêtements par désir de les consommer mais par besoin, pour se protéger du chaud ou du froid. Toute la filmographie de Wenders étant travaillée par la question de l'incarnation, il n'est guère étonnant qu'il soit fasciné lui aussi par les clichés d'August Sander d'autant qu'il est à l'origine photographe.

La recherche de la vérité est indissociable de la quête identitaire. Comme Yamamoto, Wenders est hybride, écartelé entre plusieurs villes, plusieurs langues, plusieurs cultures, plusieurs espaces et plusieurs temps. Il l'exprime dans le film en insérant des images vidéo dans les images tournées en 35 mm. L'écran est fragmenté en deux, trois, parfois quatre parties avec un écran cinéma, un écran vidéo, une fenêtre (l'extérieur), un miroir (l'intérieur). Yamamoto ne travaille qu'en noir et blanc et défend l'asymétrie comme symbole de l'imperfection humaine. Mais l'alliance du noir et du blanc ressemble au ying et au yang, facteur d'harmonie.

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L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1951)

L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train)

Quand Patricia Highsmith rencontre Hitchcock cela donne "L'Inconnu du Nord-Express". Deux rails parallèles qui convergent en un même point avant de se dénouer au terme d'une course folle à bord d'un manège qui s'emballe. A bord d'un train, un homme sans histoire (en apparence), Guy Haines rencontre son double inversé, Bruno Antony pour qui il éprouve des sentiments ambivalents (ça c'est pour Highsmith). En dépit de ses réticences, il accepte de déjeuner avec lui, signant tacitement un pacte faustien (ça c'est pour Hitchcock). Bruno propose de tuer l'épouse encombrante de Guy et demande à ce dernier en échange de le débarrasser de son père qu'il déteste. Bien entendu Guy n'assume pas sa part du contrat et tente de fuir Bruno mais son ombre le poursuit.

Les pulsions sexuelles refoulées et transmuées en pulsions meurtrières sont comme souvent chez Hitchcock au cœur du film. Guy a un problème avec les femmes. Il est pris en tenaille entre "la vierge et la putain" c'est à dire une promise frigide et une épouse lubrique qui "ne pense qu'à ça" (avec d'autres, suggérant ainsi que le pauvre Guy ne la satisfait pas). Tout dans la mise en scène suggère son attraction-répulsion pour Bruno, cet "obscur objet du désir" qu'il refoule mais qui revient toujours le hanter quelque part dans un coin de l'image. Bruno quant à lui est piégé au cœur d'un conflit oedipien. Il souhaite tuer son père par procuration pour (inconsciemment) pouvoir coucher avec sa mère abusive selon un schéma très proche de celui de Norman Bates dans "Psychose". Comme Norman, Bruno est un psychopathe qui éprouve une haine meurtrière vis à vis des femmes, surtout lorsqu'elles sont désirables. L'attirance qu'il éprouve pour Guy est carnassière: il veut le dominer, le manipuler, le dévorer et la fin sur le manège avec le va et vient du sabot du cheval et sa position au-dessus de sa victime métaphorise le viol.

Comme il est impossible dans les années 50 d'exprimer directement de telles turpitudes, tout est en effet suggéré par la mise en scène, les lieux et les objets. Le train et le tunnel ("of love") sont une métaphore bien connue de l'acte sexuel comme dans "La Mort aux trousses" mais comme Hitchcock fusionne l'amour et la mort, le "tunnel of love" devient le "tunnel of death" lorsque l'ombre de Bruno recouvre celle de la femme qu'il s'apprête à étrangler. Un acte qui est filmé comme un baiser et vu à travers les lunettes de la jeune femme, métaphore du regard voyeuriste de la mère castratrice (c'est la même métaphore que la longue-vue de "Fenêtre sur cour" dont le personnage principal a la jambe -c'est à dire sa virilité- dans le plâtre). Et de même que Bruno est le double maléfique de Guy (comme Tom l'était de Jonathan dans "L'Ami Américain" autre transposition d'Highsmith), la femme que Bruno pense avoir détruit renaît à travers un double (joué par Patricia Hitchcock, la fille de Sir Alfred qui a droit à deux zooms saisissants), preuve que la mère est indestructible. Quant aux relations entre les deux hommes, la mise en scène suggère combien elle se développe dans le refoulement et la clandestinité avant que leurs pulsions n'explosent dans la scène du manège, celle-ci étant une scène de violence et de plaisir coupable entremêlés débouchant sur la mort, la petite et la grande.

Si en dépit de toutes ses qualités le film n'est pas tout à fait un chef d'œuvre, c'est la faute de l'interprétation, très inégale. Si Robert Walker est excellent dans le rôle de Bruno, Farley Granger est catastrophique dans celui de Guy. Il est totalement inexpressif, ne semble jamais être vraiment concerné par ce qui lui arrive ce qui affadit le film, celui-ci reposant en partie sur ses épaules.

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Burn-E

Publié le par Rosalie210

Angus Mac Lane (2008)

Burn-E

"Burn-E" est un court-métrage produit en même temps que "Wall-E". A l'origine il devait être inséré dans le long-métrage mais il ralentissait trop le rythme général de l'histoire en décentrant le point de vue sur une victime collatérale des agissements de Wall-E. L'idée d'en faire un court-métrage indépendant s'est donc avéré être une bonne idée. Comme le long-métrage, "Burn-E" est un hommage à la science-fiction des années 60 ("2001 l'Odyssée de l'espace"), 70 ("Alien") et 90 ("Stargate") ainsi qu'au cinéma burlesque des origines avec un jeu de variations sur le comique de répétition très efficace et une absence totale de dialogues. Doté d'un rythme qui ne faiblit jamais, "Burn-E" est une extension amusante du film original qui se focalise sur deux robots ouvriers de l'Axiom, le dénommé Burn-E (pour Basic Utility Repair Nano Engineer) qui est un robot soudeur distrait et malchanceux et son comparse, Supply-R (pour Spare Ultra Plottic Pandron ​L. Yorth: Ranger class) qui lui fournit les lampadaires dont il a besoin pour effectuer sa réparation. On aperçoit brièvement Burn-E dans "Wall-E" au moment où il se retrouve coincé à l'extérieur du vaisseau, le sas de sécurité s'étant refermé au passage de Wall-E et d'Eve. Le court-métrage nous explique par quel enchaînement de circonstances il s'est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment et offre un angle de vue différent sur les péripéties se déroulant à la fin du long-métrage (la lutte entre le capitaine et Auto, le déséquilibrage du vaisseau et son atterrissage notamment).

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Les Guichets du Louvre

Publié le par Rosalie210

Michel Mitrani (1974)

Les Guichets du Louvre

C'est au moment de la sortie de "La Rafle" en 2010 que l'on s'est brusquement souvenu des "Guichets du Louvre", le premier film français consacré à la rafle du Vel d'Hiv, sorti en 1974 qui était depuis tombé dans l'oubli.

Les années 70 marquent en effet en France le réveil des mémoires de la seconde guerre mondiale jusque-là occultées par le résistancialisme du Général de Gaulle selon lequel les français auraient été tous résistants ("la France n'a pas besoin de vérités, la France a besoin d'espoir"). "Le Chagrin et la Pitié" de Marcel Ophüls sorti en 1969 en dépit des conditions difficiles de sa diffusion est un tournant qui ouvre la porte à d'autres films explorant la réalité de la collaboration comme "Lacombe Lucien" de Louis Malle sorti la même année que les "Guichets du Louvre" ou "Monsieur Klein" de Joseph Losey sorti en 1976.

A l'origine des "Guichets du Louvre", il y a le livre éponyme de Roger Boussinot écrit vingt ans après les faits qui raconte en détails le déroulement de la funeste journée du 16 juillet 1942 à laquelle il a pris part essentiellement en tant que témoin. Alors étudiant d'obédience anarchiste, il a essayé avec d'autres jeunes de sauver (en vain) des juifs. Son impuissance l'a plongé dans une amnésie traumatique dont il a mis 20 ans à sortir "la première censure infligée à ce récit fut la difficulté, pour moi-même d’accepter ce souvenir." Son livre s'est ensuite heurté à une censure plus officielle car il y mettait en cause les protagonistes français de la rafle: la police du régime de Vichy, la gendarmerie mobile et les membres du PPF (parti populaire français de Jacques Doriot, un mouvement fasciste, véritable pépinière de futurs miliciens). Rappelons qu'il fallut attendre 1995 pour que le président Jacques Chirac reconnaisse officiellement la collaboration de l'Etat français à la Shoah.

Le film de Michel Mitrani propose une véritable immersion dans le récit du livre qui se déroule quasi-intégralement dans le quartier du Marais, bouclé par la police pour y rafler les juifs tout au long de la journée (la rafle s'est d'ailleurs poursuivie le lendemain). En 1974, le quartier n'avait pas été rénové et la reconstitution minutieuse produit un saisissant effet de réalisme. Il en va de même en ce qui concerne les réactions des protagonistes. Le jeune homme se heurte à la passivité, l'incrédulité ou la méfiance des juifs qu'il vaut sauver d'autant que la mission consiste à entraîner avec lui une femme et/ou des enfants ce qui le fait passer au choix pour un violeur ou pour un pédophile. Quant aux policiers et aux témoins non-juifs (dont Paul, le héros de l'histoire et double de Boussinot), ils ne sont pas univoques, il y en a qui font du zèle et se réjouissent, d'autres s'indignent et font de la résistance passive ou active, la majorité étant tout simplement indifférente.

Si le film n'a cependant pas réussi à marquer les mémoires, c'est en raison de la faiblesse de son intrigue principale, celle de la rencontre amoureuse éphémère entre Paul (Christian Rist) et Jeanne (Christine Pascal), la jeune fille juive qu'il tente d'escorter hors de la zone dangereuse. Leur histoire traîne en longueur, se répète beaucoup et se perd dans les sables. Leurs réactions à lui et à elle manquent de subtilité. Il aurait mieux valu sacrifier cette histoire au profit d'une narration moins classique où seul l'aspect kafkaïen de la trajectoire du héros aurait été conservé. Il y aurait gagné en puissance.

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Cause toujours, tu m'intéresses!

Publié le par Rosalie210

Edouard Molinaro (1979)

Cause toujours, tu m'intéresses!

"Cause toujours, tu m'intéresses" est une comédie beaucoup plus fine que ce que son titre (débile) laisse entendre. Certes la mise en scène est sans aucun relief et la photographie a bien vieilli mais le scénario signé Veber fait mouche, hier comme aujourd'hui. Quant à l'interprétation, elle est remarquable. Jean-Pierre Marielle et Annie Girardot sont tous deux sensibles et justes.

Le contraste entre le romanesque des rencontres virtuelles et le prosaïsme de la réalité quotidienne n'est pas un thème nouveau. L'ordinateur et le smartphone se sont substitués aux téléphones fixes à fil en bakélite des années 70 mais, ce sont toujours les mêmes ultra-modernes solitudes que ces interfaces technologiques mettent en contact (comme l'a montré récemment "Her" de Spike Jonze). On peut même se passer de la technologie, remonter plus loin, jusqu'aux romances épistolaires où l'on fantasmait déjà sur son correspondant en l'absence de tout moyen de se le représenter. Et où l'on tremblait de peur à l'idée de se montrer sous son vrai jour.

A ce questionnement s'en superpose un autre, celui de la différence et de l'exclusion. L'intégration sociale de François (Jean-Pierre Marielle) et de Christine (Annie Girardot) est une pure façade. En réalité ils sont seuls et en proie à un profond mal-être pour ne pas dire à une honte de soi. François le petit journaliste ne parvient pas à se comporter en mâle alpha ce qui le met sur la touche. Une des sources de comique (teinté de mélancolie) du film provient de ses tentatives pathétiques pour singer le grand reporter Georges Julienne qui travaille à RTL comme lui (son prestige, sa pipe, son 4x4, ses conquêtes). Quant à Christine la pharmacienne ou plutôt l'infirmière de service, à force d'avoir joué le rôle de la femme dévouée qui s'oublie pour les autres, elle est tout aussi perdue. La scène où on la découvre chez elle au milieu d'une collègue qu'elle héberge, son bébé braillard et la jeune fille au pair chargée de s'en occuper montre qu'elle s'est laissé envahir et qu'elle n'a plus d'espace à elle (elle se réfugie dans la baignoire de la salle de bain, le seul cocon dans lequel elle peut recevoir les appels du dénommé "Thibault"). Significativement, leurs relations "miroirs" appartiennent à des minorités discriminées. Pour François, c'est le voisin de palier sénégalais que tout le monde rejette (on est en 1979, avant la percée de l'antiracisme). Pour Christine, c'est son collègue homosexuel (joué par Jacques François) qui parle peu mais n'en pense pas moins.  

Quant à la fin, contrairement à beaucoup, je ne la trouve pas "trop simple", ou "résignée" ou "trop gentille". Je la trouve belle, tout simplement. Thibault est ce que François voudrait être et ce que Christine rêverait qu'il soit. Ils ont tous deux besoin de s'accrocher à cette illusion pour avoir le courage d'apprendre à se connaître véritablement dans toutes leurs limites et faiblesses. Car le courant passe entre eux en dépit des malentendus. Christine a sans doute compris bien avant d'aller dans son appartement que Thibault et François étaient la même personne mais il lui faut du temps pour l'accepter. François l'a compris lui aussi puisqu'il finit par prendre le risque de se montrer tel qu'il est. Et c'est cette acceptation qui est la plus intéressante. Car ce n'est pas de la résignation. Cela signifie qu'ils ont réussi à créer un lien hors d'atteinte du jugement social (exactement comme dans "La Garçonnière" de Billy Wilder qui suscite les mêmes commentaires dépréciateurs du genre "deux solitudes, "deux chômeurs" etc.) Selon ce jugement complètement aliénant, François est un minable sans avenir et Christine une vieille fille "hors service".

Mais comme le dit si bien Manfredi dans "Rome, ville ouverte" lorsqu'il s'adresse à sa maîtresse Marina (qui est sur le point de le livrer à la Gestapo contre un manteau de fourrure), le bonheur ne réside pas dans un bel appartement (ni dans une quelconque breloque, ni dans un titre ou une position, aussi avantageuse soit-elle). Vive les réalisateurs lucides qui savent voir par-delà les apparences! 

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Frigo à l'Electric Hôtel (The Electric House)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1922)

Frigo à l'Electric Hôtel (The Electric House)

Même si ce court-métrage est un peu anecdotique dans la filmographie de Buster Keaton, il ne manque pas d'intérêt. Cela commence par un mélange des diplômes qui est une source de comique subversif. Car à l'origine, ceux-ci avait été attribués selon les stéréotypes classiques: au lunaire, la botanique, à la fille la manucure et la coiffure et au type "sérieux", l'ingénierie électrique. C'est le lunaire (Buster Keaton) qui hérite donc du fameux diplôme d'ingénieur et qui va électrifier la maison du doyen de façon poétique, ludique et avant-gardiste. Pour l'aspect avant-gardiste il y a l'escalator et le lave-vaisselle, pour l'aspect ludique le petit train qui apporte les plats et le billard électrique ou encore le le balconing (se jeter dans la piscine depuis un balcon même si dans le film ce n'est pas volontaire). Mais comme souvent chez Keaton, la réalité (ou plutôt l'ordre social dominant) reprend ses droits et Keaton finit rejeté dans le réseau d'égouts comme un déchet.

C'est dans ce court-métrage que Keaton se cassa une jambe et dut arrêter tout tournage pendant quatre mois. La scène où il se casse la jambe dans l'escalator est présente dans le film.

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Sans soleil

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1983)

Sans soleil

Ne pas se fier à l'apparence décousue d'un documentaire qui saute sans arrêt du coq à l'âne et d'un lieu à l'autre. Tout est affaire de résonance, de correspondance et de leitmotiv. Le champ (chant) lexical musical est omniprésent, en témoigne cet aparté sur Tokyo " cette ville se déchiffre comme une partition. Ses grandes masses orchestrales renvoient à l'image vulgaire de Tokyo, mégapole surpeuplée, mégalomane, inhumaine. Lui croyait percevoir des cycles plus ténus, des rythmes, des clusters de visages attrapés au passage comme des grappes." Marker arrive à combiner cette poésie mystérieuse avec celle des îles du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ainsi qu'avec des images venues d'Islande et un pèlerinage à San Francisco sur les lieux du tournage de "Vertigo" le film d'Hitchcock qui est au cœur de son film le plus célèbre "La Jetée". Quels points communs relient ces lieux du bout du monde?

C'est bien entendu Marker lui-même, photographe, cinéaste et grand voyageur. Trois passions mêlées dans un carnet de voyages poétique où une narratrice (Florence Delay) lit les lettres d'un caméraman free-lance fictif Sandor Krasna. Par delà l'hétérogénéité du matériau, ce sont les mêmes obsessions qui reviennent en boucle:

-La relation entre l'histoire et la mémoire et le rôle des images dans la fabrication de cette dernière. Une mémoire en images (celle qu'ont le pouvoir de fabriquer le photographe et le cinéaste) qui donne à l'humain l'illusion de l'immortalité mais qui est foncièrement fragile car soumise aux aléas des catastrophes naturelles ou humaines.

-La relation entre l'espace et le temps. Le film s'ouvre sur une citation de Racine "L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps." auquel fait écho cette réflexion "Au XIX°, on avait réglé son compte à l'espace, le problème du XX° était la cohabitation des temps".

-La relation entre la vie et la mort, l'être et le non-être, le dit et le non-dit, la lumière et l'ombre (un des sens du titre) en opposition avec la vanité occidentale qui a privilégié les premiers sur les seconds. Ces relations sont au cœur des "deux pôles extrêmes de la survie" que sont la Guinée-Bissau et les îles du Cap Vert d'un côté menacés par la famine, le Japon de l'autre. Le Japon est en effet le seul pays riche à ne pas avoir oublié (à cause de l'épée de Damoclès qui pèse sur l'existence de l'archipel) ce qu'est l'état de survie et à chercher de ce fait à vivre, relier, transmettre par delà ce qui est visible, par delà ce qui est impermanent. D'où l'omniprésence du chat et de la chouette, et plus généralement des animaux médiateurs entre visible et occulte. Et l'importance accordée aux films d'épouvante asiatiques témoignant d'une "longue intimité des peuples d'Asie avec la souffrance" (voir le catalogue de la très belle -et éprouvante- exposition "Enfers et fantômes d'Asie" visible en ce moment au musée du Quai Branly à Paris).

A noter que dans la version japonaise, c'est Riyoko Ikeda, l'auteure du manga "La Rose de Versailles" (alias "Lady Oscar") qui est la narratrice du documentaire de Chris Marker.

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