Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Manège

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet, Marc Caro (1980)

Le Manège

"Le Manège" est le deuxième court-métrage du tandem Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro. Il a obtenu le césar du meilleur court-métrage d'animation en 1981. Il faut dire que les films d'animation pour adultes français n'étaient pas légion à l'époque, il s'agissait d'un créneau marginal et où il était difficile de s'imposer comme le montre l'exemple de René Laloux. Mais Jeunet et Caro qui se se sont rencontrés au festival d'Annecy ont en commun une grande passion pour cette forme de cinéma très visuelle et ouvrant sur un imaginaire débridé. C'est en artisans qu'ils abordent la fabrication du "Manège" qui recourt au procédé de l'animation en volume et stop motion. Jeunet fabrique les squelettes métalliques articulés des personnages, anime et réalise, Caro modèle les corps, les visage et décore le manège miniature qui est au centre de l'histoire. Le court-métrage se distingue également par sa superbe photographie signée d'un autre ami de Jean-Pierre Jeunet promis à un très bel avenir, Bruno Delbonnel. Celui-ci créé une atmosphère nocturne pluvieuse, dense et oppressante où les personnages (pâles et falots) semblent toujours sur le point de se faire engloutir par les ténèbres.

Outre son aspect artisanal et sa photographie, "Le Manège" se distingue aussi par ses contrastes. Il se situe dans le même univers que celui d'Amélie Poulain (un Paris vieillot de carte postale avec sa station de métro art nouveau et son manège de chevaux de bois) mais il en explore le côté sombre. Le tour de manège et l'attraction du pompon rouge semblent un instant marquer une rupture avec cette ambiance pesante et poisseuse mais ce n'est qu'un leurre comme le montre un final particulièrement grinçant.

Voir les commentaires

Jusqu'au bout du monde (Bis ans Ende der Welt)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1991)

Jusqu'au bout du monde  (Bis ans Ende der Welt)

Mon avis porte sur la version longue DVD de 4h30 car je n'ai pas vu la version de 3h sortie au cinéma et introuvable aujourd'hui en France (sauf en import depuis les USA). La version longue est de toutes façons celle que voulait Wenders dès l'origine mais il avait dû la sacrifier pour des raisons commerciales.

"Jusqu'au bout du monde" est le film-somme de Wenders. On y retrouve ses thèmes favoris (l'errance, l'identité, le multilinguisme, la réflexion sur les images, l'ambivalence de la technologie...) ses lieux favoris (Japon, Berlin, Australie, Lisbonne), ses genres favoris (film noir, aventure, road movie), ses acteurs fétiches (Solveig Dommartin, Rüdiger Vogler et son personnage Philip Winter), une B.O d'anthologie qui va des Talking Heads à Peter Gabriel en passant par U2, R.E.M, Depeche Mode et d'autres artistes des années 80 à qui il a demandé de composer un titre des années 2000. Le genre principal du film est en effet l'anticipation même si en réalité il s'agit davantage d'un film rétro-futuriste.

Il y a deux parties distinctes dans "Jusqu'au bout du monde" d'une durée à peu près équivalente.

La première est une course-poursuite à travers une dizaine de lieux éparpillés dans le monde entre plusieurs personnages qui jouent à "fuis-moi, je te suis, suis-moi, je te fuis":

- Gene, un écrivain britannique ennuyeux (Sam Neill, définitivement abonné au rôle ingrat du cocu) poursuit Claire Tourneur, son ex-petite amie qui l'a plaqué (Solveig Dommartin)
- Claire poursuit "Trevor" alias Sam (William Hurt) un mystérieux américain compromis avec des personnages louches dont elle est raide dingue.
-Claire et Gene mettent sur le coup un détective privé allemand, Philip Winter (Rüdiger Vogler) chargé de suivre leurs cibles à la trace.
-Claire est également tracée par deux gangsters français qui lui ont confié l'argent d'un hold-up, Raymond et Chico (Eddy Mitchell et Chick Ortega). Raymond étant mis hors-jeu rapidement, seul Chico poursuit la quête.

L'aspect patchwork de cette partie est atténué par la similitude des lieux visités dont on voit surtout les parkings et les lieux souterrains éclairés au néon. Une esthétique très eighties ("Parking" de Jacques Demy n'est pas loin) mais qui fait penser aussi aux affiches de "Playtime" de Jacques Tati et ses villes uniformisées par la modernité. Cependant il y a quelques digressions comme un très beau passage dans un ryokan du Japon rural traditionnel (même sans connaître "Tokyo-Ga", on comprend de Wenders connaît son sujet contrairement à la Russie et à la Chine qui sont expédiées en quelques images décevantes).

La deuxième partie se caractérise au contraire par sa stabilité. Les personnages de la première partie ne se courent plus après. Ils sont accueillis façon "auberge espagnole" chez les parents de Trevor/Sam, Henry et Edith (Max Von Sydow et Jeanne Moreau) qui vivent dans l'outback australien, en plein territoire aborigène. Cette deuxième partie repose sur un contraste entre la culture aborigène et celle des occidentaux, marquée par une civilisation scientifique et technologique sans conscience qui selon les mots de Claire les dévore vivants. C'est l'explosion du satellite nucléaire qui menace la viabilité du monde mais aussi une sorte de casque enregistreur d'images extrêmement convoité. Par le biais des impulsions cérébrales de celui qui enregistre il peut rendre la vision aux aveugles mais "retourné" il peut aussi enregistrer les images de l'inconscient et notamment les rêves. On imagine ce que entre de mauvaises mains cette pénétration de l'esprit a de néfaste mais ce que Wenders montre surtout, c'est les ravages produits par l'addiction aux écrans. De ce point de vue, son film est visionnaire! Il anticipe d'ailleurs dans le film des inventions liées à la géolocalisation: le GPS, le traçage à partir de l'utilisation de la carte bancaire, les conversations par skype. Et il utilise également la haute définition alors balbutiante pour produire les images oniriques de toute beauté se situant entre l'art pictural et la video.

"Jusqu'au bout du monde" est sans doute "too much" mais il est audacieux, généreux et d'une grande richesse thématique et formelle. En dépit de sa longueur et de quelques maladresses il est beaucoup moins aride et nombriliste que "L'Etat des choses" et en cela, il vaut largement que l'on s'y arrête

Voir les commentaires

Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto del Fauno)

Publié le par Rosalie210

Guillermo del Toro (2006)

Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto del Fauno)

"Le labyrinthe de Pan" (traduction infidèle à l'original qui est "Le labyrinthe du faune") est un film hybride. Et comme beaucoup de films hybrides, il a pu susciter à sa sortie de l'incompréhension et du rejet, d'autant qu'il n'a pas été "vendu" pour ce qu'il était réellement: un conte de fée horrifique ou un film d'horreur onirique. Bien que très différent par sa forme du "Brazil" de Terry Gilliam, il partage sur le fond un même principe fondamental, celui de l'échappée imaginaire au coeur d'une réalité terrifiante, les deux univers entretenant des rapports de plus en plus étroits au fur et à mesure de la progression du film.

"Le labyrinthe de Pan" est aussi un grand film sur le choix. Il rappelle que même dans les situations les plus terribles (comme le contexte de terreur franquiste du film), c'est ce que l'être humain conserve de plus précieux. L'héroïne Ofelia est pourtant de par son âge et son genre dans une situation de dépendance et de vulnérabilité absolue. Et pourtant c'est elle qui incarne les bons choix (et au final la figure sacrificielle du sauveur) face à sa mère qui incarne les mauvais choix. Celle-ci renonce en effet à son indépendance d'adulte en échange d'une illusoire protection auprès de celui qui lui paraît être le plus fort (il y a de quoi méditer, même aujourd'hui à ce sujet). De ce fait non seulement elle régresse en redevenant une petite fille impuissante et dépendante (comme le symbolise le fauteuil roulant) mais elle nous montre toute l'étendue de sa soumission face à un mari misogyne qui la rabaisse (encore le symbole du fauteuil roulant), la tient à distance et est prêt à la sacrifier pour accéder à l'immortalité (à travers le fils qu'elle lui donnera et qui sera son miroir comme lui est le miroir de son propre père: bel exemple de narcissisme qui nie l'altérité.)

Logiquement, la dualité et le conflit sont le moteur du film (homme contre femme, enfant contre adulte, rêve contre réalité, choix contre renoncement fataliste, bleu contre orange). Si on reste sur l'exemple développé un peu plus haut, Carmen, la mère veut que sa fille se soumette à l'ordre franquiste auquel elle s'est elle-même soumise. Mais Ofelia résiste avec toutes les forces de son esprit. Son premier contact avec le capitaine Vidal consiste à serrer ses livres contre elle comme un bouclier et à lui tendre la main gauche, une déclaration de guerre (la main gauche est associée au diable). Les trois épreuves qu'elle affronte sont le reflet de cette résistance. La première qui rappelle fortement "Alice au pays des merveilles" mais aussi "Mon voisin Totoro" la voit affronter et triompher d'un énorme crapaud (son beau-père) qui stérilise un arbre creux (symbole utérin du féminin) dont elle sort couverte de boue. Ainsi elle échappe au dîner où sa mère voulait qu'elle paraisse en petite fille modèle pour plaire à son beau-père. La deuxième épreuve la met aux prises d'un ogre attablé devant un festin et dont le comportement sanguinaire évoque le tableau de Saturne dévorant ses enfants peint par Goya. L'allusion à Vidal est transparente puisqu'il détient sous clé un énorme stock de vivres qu'il utilise comme arme de guerre. Ofelia va jusqu'à le provoquer en touchant au festin et en refusant de se plier au temps qu'il veut lui imposer (Vidal se prend en effet pour le maître des horloges). Plutôt que de sortir par la porte qu'il contrôle à l'aide d'un sablier, elle trace sa propre porte à la craie, une belle manifestation de libre-arbitre devant laquelle il est désemparé (incapable d'empathie, Vidal ne comprend aucun autre choix que les siens). La troisième épreuve, la plus cruciale consiste au prix de son sacrifice à arracher son petit frère des griffes du monstre pour briser le cercle vicieux de la reproduction du même.

Pour conclure, le capitaine Vidal (joué de façon magistrale par Sergi Lopez) est certes le monstre de l'histoire mais Guillermo del Toro pointe tout autant du doigt ceux et celles qui nourrissent la bête tout en se défaussant de leur responsabilité d'adulte. C'est d'ailleurs pourquoi Ofelia finit par se choisir une mère de substitution dans la résistance, la gouvernante Mercedes.

Voir les commentaires

L'Epouvantail (The Scarecrow)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1920)

L'Epouvantail (The Scarecrow)

Un court-métrage scindé en deux parties. La première relève du pur génie et nous montre une maison condensée dans une seule pièce grâce à des systèmes ingénieux, fonctionnels et parfaitement rationnalisés. Chaque objet a un double emploi: la table est aussi un cadre, la bibliothèque cache un garde-manger et le gramophone un fourneau, le bureau contient un évier, la baignoire se transforme en canapé-lit, l'autre lit faisant aussi office de piano. De nombreux objets nécessaire aux repas descendent du plafond attachés à des ficelles, la corbeille à pain va et vient le long d'un rail. De plus il s'agit d'une maison écologique où l'on pratique le recyclage des déchets avec quatre-vingt ans d'avance. Les restes sont versés dans l'auge des porcelets et les eaux usées deviennent une mare aux canards.

La deuxième partie qui se déroule à l'extérieur de la maison n'atteint pas ce niveau de créativité, elle est beaucoup plus classique avec des rivalités amoureuses entraînant des chutes, acrobaties, déguisements, gifles et coups de pied aux fesses et enfin courses-poursuite (celle de Keaton et du "chien enragé" est toutefois très enlevée et drôle, ledit chien appartenant en réalité à Roscoe Arbuckle) .

Voir les commentaires

Malec aéronaute (Balloonatic)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1923)

Malec aéronaute (Balloonatic)

Au vu de l'aspect décousu et passablement perché de ce court-métrage on peut légitimement se demander quel genre de substance avait fumé Buster Keaton. Ou plutôt bue, l'eau étant l'élément prédominant du film en dépit de la présence des autres éléments (l'air avec le voyage en ballon, la terre sur laquelle Buster Keaton chute lourdement et le feu qui brûle le fond de son embarcation). Cependant quand on y regarde de plus près, l'histoire fait sens.

La première partie du film se situe en ville, dans une fête foraîne où Keaton essaye vaguement de dragouiller les jupons qui passent à sa portée en profitant notamment des situations d'intimité permises par les attractions (une maison hantée, une promenade en barque sous un tunnel). Comme il ne fait qu'accumuler les rateaux, il s'éloigne un peu pour prendre du recul et se retrouve à la faveur d'un concours de circonstances perché au sommet d'une mongolfière qui l'entraîne au coeur de la montagne. Dans cet environnement sauvage, Keaton se ressource en faisant preuve d'inventivité pour dompter les éléments et se nourrir. Néanmoins le résultat manque d'efficacité car Keaton n'a pas trop l'esprit pratique. Heureusement pour lui, il est sauvé de la noyade par une jeune campeuse (Phyllis Haver, une des "bathing beauty" de Mack Sennett). Après s'être quelque peu frités, les deux adeptes du camping sauvage flashent et finissent dans le même bateau, planant au-dessus de la cascade qui les auraient engloutis si le fameux ballon ne s'y retrouvait pas accroché. Une très belle fin poétique et surréaliste en forme de septième ciel.

Voir les commentaires

OSS 117: Le Caire, nid d'espions

Publié le par Rosalie210

Michel Hazanavicius (2006)

OSS 117: Le Caire, nid d'espions

Il est beauf, suffisant, raciste, macho, ignare, en un mot il est bête à pleurer… de rire, l'agent secret frenchie Hubert Bonisseur de la Bath (Jean Dujardin) alias OSS 117. Mais si Hubert est bas de plafond, le film de Michel Hazanavicius pétille d'intelligence. En effet, comme toute reconstitution historique qui se respecte, y compris dans la comédie, il joue sur deux tableaux ou plutôt deux temporalités. D'une part, celle de la narration qui nous plonge dans le contexte du milieu des années cinquante quand la France s'illusionnait encore sur sa puissance coloniale en Afrique peu de temps avant sa première déculottée dans la crise de Suez. De l'autre, celui du tournage cinquante ans plus tard qui permet de transformer la figure d'une colonisation autosatisfaite et aveugle en punching ball pour les anciens colonisés. On goûtera par exemple l'échange savoureux avec le contremaître égyptien que Hubert tutoie et traite de façon paternaliste et condescendante. Lorsqu'il lui demande combien il a d'enfants (les indigènes étant perçus comme des lapins se reproduisant à toute vitesse), le contremaître lui répond qu'il en a deux et un peu plus tard lorsque Hubert lui dit qu'il va acheter des chaussures pour eux, il répond que ce n'est pas possible car ils terminent leurs études à New-York. Les phrases de Hubert datent des années cinquante, celles du contremaître des années 2000 ce qui créé un décalage comique jouissif que l'on retrouve aussi dans le domaine de la religion ou des femmes.

Le jeu sur le décalage temporel se retrouve aussi dans la forme. "OSS 117: Le Caire, nid d'espions" ressemble à un pastiche à la fois élégant et grotesque des films d'espionnage exotique des années cinquante. Tout sonne faux, du jeu outrancier des acteurs allant avec leurs personnages caricaturaux jusqu'aux décors de carton-pâte et aux trucages cheap. Mais derrière cette apparente grossièreté de série B (voire Z), il y a énormément de soin apporté à la reconstitution des films de cette époque, des inscriptions en surimpression des plans-clichés de villes jusqu'au travail sur la couleur avec des contrastes qui donnent un rendu technicolor très convaincant. On se croirait dans un "James Bond" de la période Sean Connery ou dans "L'Homme qui en savait trop" d'Hitchcock (d'autant que les transparences dans les scènes filmées à l'intérieur d'une automobile étaient l'une de ses marques de fabrique). Et l'outrance de certaines scènes comme celles des flashbacks édéniques entre "amis" (qui font penser à certains moments à du soap opera) est profondément ironique, surlignant l'homosexualité refoulée des personnages masculins par la censure/autocensure de l'époque. 

Voir les commentaires

Frigo l'esquimau (The Frozen North)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1922)

Frigo l'esquimau (The Frozen North)

"The Frozen North" est un court-métrage qui a perdu une partie de sa saveur de nos jours, sauf si l'on se replonge dans le contexte de sa réalisation. Le personnage de Keaton est une parodie de l'acteur de western William S. Hart qui était à l'époque une célébrité. Keaton l'avait pris pour cible car il avait été un des plus virulents à accuser Roscoe Arbuckle (ami et ancien partenaire de Keaton) de mauvaises mœurs dans l'affaire qui brisa sa carrière alors qu'il ne le connaissait même pas. D'autre part Keaton apparaît un bref instant aux yeux de la belle qu'il convoite déguisé Karamzin, faux comte russe mais vrai Don Juan dans "Folies de femmes" d'Erich Von Stroheim sorti en 1922 et qui avait fait scandale.

Même sans avoir ces références en tête, le film reste très agréable à voir de par son côté surréaliste et ses nombreuses trouvailles (je recommande particulièrement les guitares-raquettes et l'hélice montée à l'envers qui fait partir le véhicule en arrière). Le choix d'un milieu sauvage est un bon moyen de libérer les pulsions refoulées. Le personnage de Keaton est un cow-boy sans foi ni loi (logique au vu de celui qui l'a inspiré), voleur, roublard et assassin. Son comportement avec les femmes est primaire et brutal, il prend celle qui lui plaît après avoir neutralisé le mari et jette celle qui ne lui plaît plus comme une vieille chaussette. 

Voir les commentaires

Full Metal Jacket

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1987)

Full Metal Jacket


"Full Metal Jacket", l'avant-dernier film de Kubrick est une éprouvante initiation où celui-ci démontre avec une impressionnante rigueur formelle par A+B comment la machine de guerre US déshumanise ses jeunes recrues et combien il est difficile voire impossible de conserver un tant soit peu sa personnalité et son libre-arbitre une fois qu'on a mis les doigts dans l'engrenage militariste. Un thème cher à Kubrick, même en dehors de ses films de guerre ("Orange mécanique" en est le plus bel exemple).

"Full Metal Jacket" se divise en deux grandes parties reliées par une transition un peu faible. La première partie est consacré au conditionnement des recrues par le terrifiant et grotesque sergent-instructeur Hartman (L. Lee Hermey), lequel utilise l'humiliation et les brimades pour les mettre au pas et détruire leur personnalité et leur humanité (considérée comme une impardonable faiblesse). On peut d'ailleurs faire un parallèle avec les camps de concentration: les recrues portent un uniforme, ont les cheveux rasés et sont affublés de sobriquets dévalorisants en lieu et place de leurs noms véritables ("Blanche-Neige", "Grosse Baleine", "Guignol" etc.) Les plans-séquences se succèdent, montrant la répétition des mêmes entraînements de forçat, des mêmes chants virilistes, des mêmes insultes racistes, antisémites, sexistes, homophobes jusqu'à ce que le bourrage de crâne produise ses effets: l'adaptation servile ou le pétage de plombs sanglant. Il n'y a que deux voies possible. Kubrick nous montre dès cette première partie que les efforts de "Guignol" (Matthew Modine) pour conserver son individualité sont voués à l'échec, il finit par rentrer dans le rang et même par se montrer plus zélé que les autres lors de l'expédition punitive contre "Grosse Baleine" (Vincent d'Onofrio).

La deuxième partie montre ce que ce conditionnement produit sur le terrain. Là encore les efforts du dénommé "Guignol" pour préserver son identité de sujet pensant et critique dans le conflit échouent et il sombre corps et âme dans la pire des visions du monde, celle du darwinisme où on tue pour ne pas être tué. La scène du sniper filmée comme une partie d'échecs est une grande leçon de mise en scène mais c'est aussi une leçon d'histoire. Kubrick filme ce qu'est un conflit asymétrique entre une armée et une guérilla qui a l'avantage du terrain. Un ennemi invisible et insaisissable réussit à abattre méthodiquement plusieurs hommes et à terrifier tout un groupe qui l'imagine puissant et musclé... alors qu'il s'agit d'une frêle jeune fille isolée. Et le conditionnement de la première partie de révéler non seulement sa cruauté (ça on le savait déjà) mais aussi son insondable bêtise. De quoi faire réfléchir sur les causes de l'échec des USA au Vietnam et du traumatisme durable de ses soldats.

Voir les commentaires

Easy Rider

Publié le par Rosalie210

Dennis Hopper (1969)

Easy Rider

« C’est dur d’être libre quand on est un produit acheté et vendu sur le marché. Mais ne leur dit pas qu’ils ne sont pas libres, ils sont capables de massacrer pour prouver qu’ils le sont. S’ils voient un individu libre, ils ont peur, ça les rend dangereux. »

Cette citation de George Hansen (Jack Nicholson dans son premier film important) est l’étendard d’ « Easy Rider ». Le film narre l’odyssée de deux motards hippies, Wyatt (Peter Fonda, fils de Henry et frère de Jane) et Billy (Dennis Hopper), « Born to be Wild » pour reprendre le titre phare de Steppenwolf (mais toute la BO est somptueuse). Sur leurs choppers achetés avec l’argent de la drogue, ils traversent l’Amérique à contresens (ils sont d'ailleurs pour la majorité des sédentaires un contresens) pour aller fêter Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans. Leur apparence et leurs manières jugées provocatrices (Wyatt par exemple arbore une panoplie de motard aux couleurs du drapeau US qui lui vaut le surnom de « Captain America ») leur vaut un rejet systématique qui les oblige à vivre en marge, c’est à dire à littéralement coucher dehors en attendant de servir de défouloir à la violence verbale et physique des rednecks haineux et bornés. C’est ça le prix de la liberté dont parle le personnage de Nicholson. Le nihilisme qui clôt le film suggère qu’elle n’existe pas ce qui remet en cause la prétendue démocratie américaine. "Born to be wild" devient comme en écho "Born to kill" dans "Full Metal Jacket" de Kubrick qui commence par la tonte des cheveux de la chair à canon destinée au bourbier vietnamien (les cheveux longs des hippies obsèdent les rednecks).

« Easy Rider » n’est pas qu’un plaidoyer pour la liberté sur le fond, il l’est aussi sur la forme. Le film est considéré comme le point de départ du Nouvel Hollywood, ce courant cinématographique né à la fin des années soixante qui s’inspire à la fois du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française. Du premier, il a ce regard documentaire très cru sur l’Amérique profonde et son intolérance viscérale à l’égard de l’autre ainsi que sur le mouvement hippie. Du second, il adopte le style heurté d’un « À bout de souffle »avec les « flashs mentaux » et le trip hallucinogène dans le cimetière, la jeunesse de ses protagonistes et leur côté indomptable. Des deux mouvements, il reprend le tournage à petit budget, en décors naturels avec un sens de la débrouille qui produit un résultat confondant de naturel.
 

Voir les commentaires

Malec chez les indiens (The Paleface)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1922)

Malec chez les indiens (The Paleface)

Un western burlesque et politique très réussi. Sur le plan de l'efficacité comique, "Malec chez les indiens" (plus connu aujourd'hui sous le titre "Buster chez les indiens") n'est peut-être pas le meilleur court-métrage de Keaton mais il comporte des scènes de cascades vraiment impressionnantes ainsi que des gags très drôles. Mais surtout il résonne de façon très actuelle sur le plan politique. En effet il s'agit d'un film engagé pro-indien (ce qui contredit au passage l'opinion communément admise selon laquelle ce type de film serait apparu dans les années cinquante). Le film s'ouvre sur une scène pas du tout comique qui analyse les procédés crapuleux par lesquels une compagnie pétrolière s'empare du titre de propriété des terres sur lesquelles vivent les indiens. Preuve que les capitalistes sont insatiables, ce sont aujourd'hui les réserves indiennes qui sont menacées par le passage d'oléoducs géants. On voit bien où mène le processus: à leur disparition pure et simple.

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 > >>