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Dimanche à Pékin

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1956)

Dimanche à Pékin

Au milieu des années cinquante, Chris MARKER qui avait alors une trentaine d'années partit en Chine dans le cadre d'un voyage collectif organisé par l'Association des amitiés franco-chinoises, liée au parti communiste français dans le cadre des célébrations du VI° anniversaire de la République populaire de Chine. Grâce à une caméra prêtée par le cinéaste Paul PAVIOTqui lui fournit également la pellicule, Chris MARKER put tourner des heures de film mais les contraintes budgétaires l'empêchèrent de filmer le monde du travail, faute d'éclairages appropriés. Pour rendre compte de la République populaire de Chine six ans après l'arrivée au pouvoir de Mao, il choisit alors de se focaliser sur le dimanche, jour d'inactivité. A l'image de son début, le film trace une gigantesque perspective temporelle allant de la Chine impériale jusqu'à la Chine du futur (qui pour nous est déjà du passé puisqu'il évoque l'an 2000) pour rendre compte d'un pays en pleine mutation. La subjectivité du réalisateur, le contexte historique et le fait de se concentrer sur la capitale donne l'impression que la Chine de Mao c'est déjà la Chine de Deng Xiaoping, en voie de modernisation rapide. Cet angle est bien entendu trompeur. D'une part, la Chine est encore de façon écrasante un pays rural et agricole en 1955, de l'autre les catastrophes humanitaires liées aux dérives idéologiques du maoïsme (grand bond en avant et révolution culturelle) n'ont pas encore eu lieu, la Chine imitant alors le modèle soviétique avec lequel elle rompra au début des années 60.

Malgré cet aspect daté et la faiblesse des moyens cinématographiques, le film (le premier de Chris MARKER a être distribué) qui fait déjà preuve de l'inventivité du réalisateur en matière de collage de formes hétéroclites est un régal d'écriture. De "cinécriture" comme le disait son amie Agnès VARDA qui est créditée au générique en tant que "conseillère sinologue"!! Avant d'être cinéaste, Chris MARKER a été écrivain et cette sensibilité littéraire transparaît dans un commentaire poétique tour à tour nostalgique et ironique (les amoureux y "parlent tendrement du dernier plan quinquennal"). Le temps et la mémoire est l'un des thèmes obsessionnels du cinéaste et le début n'est pas sans faire penser à celui de "La Jetée" (1963): "Rien n’est plus beau que Paris sinon le souvenir de Paris. Rien n’est plus beau que Pékin sinon le souvenir de Pékin. Et moi à Paris, je me souviens de Pékin, je compte les trésors. Je rêvais de Pékin depuis trente ans sans le savoir. J’avais dans l’œil une gravure de livre d’enfance sans savoir où c’était exactement. C’était exactement aux portes de Pékin, l’allée qui conduit au tombeau des Ming. Et un beau jour, j’y étais. C’est plutôt rare de pouvoir se promener dans une image d’enfance."

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Lettre de Sibérie

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1957)

Lettre de Sibérie

"Je vous écris d'un pays lointain". C'est par ces mots extraits du recueil de poèmes de Henri Michaux "Lointain intérieur" que s'ouvre et se referme "Lettre de Sibérie", documentaire de commande réalisé durant la coexistence pacifique entre les deux Grands que Chris MARKER a transformé en oeuvre toute personnelle. On y retrouve donc sa sensibilité littéraire mais aussi son orientation politique, d'autant plus prégnante que le sujet du documentaire se déroule aux confins de l'URSS de Khrouchtchev (exemple: "le diable serait à l'origine des forêts grandes comme les USA; le diable a peut-être aussi créé les USA"). Le documentaire montre les différents aspects de la modernisation du territoire (villes, transports, barrages et câbles électriques, pipelines, camions etc.) dans un océan de traditions. Pour alléger le propos, un aspect "conquête de l'est" copié sur les westerns est mis en avant ainsi qu'un véritable bestiaire décliné sous toutes les formes possibles pour amuser le spectateur: kolkhoze de canards qui vivent groupés, dessin animé sur les mammouths, ours apprivoisé tenu en laisse, fausse pub sur les rennes etc. Les défis propres aux hautes latitudes et au climat continental extrême ne sont pas oubliés: si le permafrost n'avait pas encore commencé sa fonte, les étés à 40° et les incendies sont évoqués sans parler du fait qu'un homme de 2021 ne peut que mettre en relation la "modernité" célébrée dans un documentaire qu'il faut replacer dans le contexte des 30 Glorieuses (notamment l'extraction d'énergies fossiles) et le réchauffement climatique actuel. D'autre part la vision positive que Chris MARKER a du communisme à cette époque explique sans doute que les aspects sombres du régime en Sibérie (à commencer par les goulags) soient complètement occultés. Mais là où le documentaire de Chris MARKER se distingue le plus du tout venant, c'est qu'en plus de son talent d'écriture il contient une géniale réflexion sur sa propre subjectivité. Dans un passage devenu célèbre situé au milieu du film, on voit les mêmes images repasser trois fois avec un commentaire qui les interprète différemment. Ainsi par exemple dans la version numéro 1 (propagandiste) l'autochtone qui passe devant la caméra est qualifié de "pittoresque" alors que dans la version numéro 2 (pamphlétaire) il est qualifié "d'inquiétant". Dans la version numéro 3 (neutre) il est juste affligé de strabisme. Les images sont donc comme les chiffres: on peut leur faire dire n'importe quoi!

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Si j'avais quatre dromadaires

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1966)

Si j'avais quatre dromadaires

"Si j'avais quatre dromadaires" est le pendant documentaire de "La Jetée" (1963) dans le domaine de la fiction. Il s'agit en effet d'un voyage à travers une succession de 800 photographies prises par Chris MARKER dans vingt-six pays différents entre 1955 et 1965 commentées par un photographe amateur et deux de ses amis. Le résultat est une belle réflexion sur l'acte de photographier aussi bien que sur ce qui est photographié.

Sur l'acte de photographier, le début du film en offre une belle définition:

" La photo c'est la chasse.
C'est l'instinct de la chasse sans l'envie de tuer.
C'est la chasse des anges...
On traque, on vise, on tire et clac!
Au lieu d'un mort, on fait un éternel."

On retrouve ainsi l'une des obsessions de Chris MARKER: le temps que la photographie fige pour le transformer en mémoire. Le rapport entre l'art et la mort est également évoqué. La vie est mouvement et changement perpétuel alors que la photographie, comme le cinéma l'arrête à un instant T qu'il fige pour l'éternité (si le support parvient à traverser le temps ou bien que son contenu soit récupéré à temps pour être sauvé sur un autre support ce qui là encore met en jeu les notions de mémoire et de transmission).

L'acte de photographier est également subjectif comme l'est toute forme d'art. C'est un regard sur le monde que nous offre Chris MARKER, son regard sur une époque marquée par la guerre froide qui divisait alors le monde en deux systèmes antagonistes. Bien que Chris MARKER penche nettement à gauche (critique mordante du capitalisme à l'aide de punchlines bien senties, fascination pour la Russie et Moscou en particulier, place privilégiée de Cuba, insistance sur les inégalités sociales et la pauvreté), son documentaire souligne ce qui réunit les peuples par delà ce qui les sépare. La succession des photographies abolit non seulement le temps mais aussi l'espace: ainsi la promenade des anglais à Nice est immédiatement suivie par "la promenade des chinois" sur la grande Muraille. Il n'y a plus qu'un seul fuseau horaire et je devrais dire, un seul langage de visages et de sons mêlés qui se répondent: par exemple la musique traditionnelle japonaise se fait entendre sur des images occidentales. Le documentaire (dont le titre se réfère à un poème de Guillaume Apollinaire) est par ailleurs divisé en deux parties inégales: l'une sur la culture ("le château") et l'autre sur la nature humaine ("le jardin").

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A.K.: Akira Kurosawa

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1985)

A.K.: Akira Kurosawa

Chris Marker a consacré plusieurs documentaires au Japon, l'une de ses terres de prédilection*: "Le mystère Koumiko" en 1965, le magnifique "Sans soleil" en 1982 et donc "A.K.", les initiales de Akira Kurosawa qu'il a pu filmer en train de tourner les séquences lunaires de "Ran" sur les pentes du mont Fuji en 1984. Mi portrait, mi journal de bord, "A.K." tire son originalité de sa forme. Il est en effet découpé en petites séquences avec un titre écrit en kanji qui au-delà de la description des méthodes du "maître" ("sensei" en japonais) invite à méditer sur sa capacité à faire avec l'imprévisibilité des éléments naturels, "cette beauté qui n'était pas la sienne" et qu'il sait pourtant admirablement capter. L'un des chapitres s'intitule en effet "patience", un autre "pluie", un autre "feu" et encore un autre "brouillard". Par contraste, une séquence que Chris Marker intitule "laque et or" d'après une technique décorative japonaise et qui se caractérise par sa complète artificialité (lune de Méliès dessinée par Kurosawa lui-même et épis peints en dorés) sera coupée au montage, sans doute justement parce qu'elle devait trop jurer avec le reste et ce bien qu'il y ait nombre de trucages disséminés dans le film. Le passé d'Akira Kurosawa est également évoqué quand il peut éclairer le présent, que ce soit un événement traumatique ayant eu lieu en 1923 et ayant pu lui inspirer la grande scène de massacre au milieu du film ou ses débuts en tant qu'assistant au travers de son amour des chevaux ou encore les films ayant pu préfigurer "Ran" comme "Le Château de l'araignée". Le résultat est un making of atypique assez aride et énigmatique mais qui rend bien compte de la démesure d'une telle entreprise que seul un génie du cinéma pouvait accomplir. On peut reprocher à Marker son admiration absolue pour Kurosawa mais au vu du chef d'oeuvre qu'est "Ran" et du travail titanesque qu'il a demandé, on ne peut qu'éprouver un profond respect et accepter de remettre la dimension critique à plus tard. 

* Un bar de Golden Gai dans le quartier de Shinjuku à Tokyo s'appelle "La Jetée" d'après son œuvre la plus célèbre.

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La Sixième Face du Pentagone

Publié le par Rosalie210

Chris Marker et François Reichenbach (1968)

La Sixième Face du Pentagone

"Si les cinq faces du Pentagone te paraissent imprenables, attaque par la sixième" (proverbe zen). C'est par cet adage que s'ouvre le film documentaire de Chris MARKER consacré à la marche antimilitariste de Washington du 21 octobre 1967 contre la guerre du Vietnam, adage qui lui donne aussi son titre. Quelle est donc cette mystérieuse et invisible sixième face du Pentagone qui serait aussi son point faible?

Plusieurs réponses possibles:

- La désobéissance civile non-violente qui caractérise les agissements des manifestants: marche pacifique sur le Pentagone, sit-in, destruction par le feu de livrets militaires (ce qui pouvait valoir à leurs propriétaires cinq ans de prison). A plusieurs reprises, Chris MARKER montre le désarroi des soldats chargés de protéger le Pentagone face à cette marée humaine désarmée qu'ils ne savent pas gérer autrement que par la répression violente. On entend d'ailleurs un manifestant dire à un soldat "et tu as peur, mon gros". Chris MARKER insiste également sur la diversité des manifestants majoritairement composés d'étudiants dont les idées vont de "Gandhi à Fidel Castro" mais qui comprend aussi des apolitiques et des néo-nazis pro-guerre venus faire leur propagande ("Gazez les viets", "Tuez tous les cocos" etc.)

- Le quatrième pouvoir, celui des journalistes américains comme étrangers laissés en roue libre. On ne le mesure pas toujours mais la guerre du Vietnam a été médiatisée sans le filtre du contrôle étatique sur les images qui étaient produites et retransmises à la télévision (qui était alors le principal media d'information des américains). Par conséquent les médias ont enregistré et retransmis tout ce qu'ils voyaient, tout ce à quoi ils assistaient, sans être mis à l'écart ou repoussés hors du champ des événements, sans que leur matériel soit confisqué et sans que la censure ne s'abatte sur leur travail. Ils ont pu ainsi rendre compte de la la montée des contestations aux USA parallèlement à l'enlisement du conflit et à l'incapacité du gouvernement à trouver une issue. Ils ont également fait connaître à l'opinion publique la réalité du terrain au Vietnam, exactions américaines comprises. La comparaison avec la première guerre du Golfe où les seules images qui ont filtré dans les médias étaient les "frappes chirurgicales" au service de la propagande de la "guerre propre" avec "zéro morts" montre que depuis, l'Etat a verrouillé la communication en temps de guerre.

-Enfin Chris MARKER ne se contente pas d'enregistrer ce qu'il voit de la manière la plus réaliste et la plus prenante possible pour en conserver la mémoire. En tant qu'antimilitariste convaincu, il prend parti pour les contestataires et fait de son film un manifeste de résistance à l'oppression illustré par les saisissantes photographies de Marc Riboud montrant une jeune fille donnant une fleur à la rangée de soldats qui pointent leurs fusils sur elle et plusieurs slogans tels que "Si vous donnez tous les pouvoirs aux militaires pour vous défendre, qui vous défendra des militaires?"

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Les statues meurent aussi

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais, Chris Marker, Ghislain Cloquet (1953)

Les statues meurent aussi

Respect, admiration totale pour ce documentaire sur ce que l'on nommait encore dans les années cinquante l'art nègre, un terme revendiqué avec fierté et non sans provocation par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor pour désigner l'identité africaine dans les années 30. Commandé par la revue "Présence africaine", il est réalisé par deux immenses cinéastes, Alain Resnais et Chris Marker, assistés du chef-opérateur Ghislain Cloquet.

La culture noire-africaine malmenée, menacée par la colonisation est au cœur de ce court-métrage qui allie la beauté esthétique au discours politique engagé. Les œuvres sont filmées de manière exceptionnelle, mises en valeur par l'éclairage et la science du montage dont Resnais et Marker ont le secret. Elles acquièrent ainsi une dignité que l'occident leur refusait à l'époque (le point de départ du documentaire n'est-il pas une interrogation sur le fait que l'art grec et égyptien se trouvaient au Louvre alors que l'art nègre devait se contenter du musée de l'Homme, comme un écho ségrégationniste à l'art "dégénéré" vilipendé par les nazis?) Quant au texte de Marker, lu par Jean Négroni, il s'interroge sur le mystère de ces œuvres, sur la culture qui les a produite "au temps de Saint Louis" et dont nous ne savons rien puisqu'elle était de tradition orale. Et il dénonce les ravages de la colonisation qui a mis sous vitrine (c'est à dire empaillé) les vestiges qui lui sont tombés entre les mains tout en éradiquant la source de nouvelles productions en imposant sa propre culture. Les monuments aux morts et la statuaire chrétienne ont balayé l'art africain sur le sol même de l'Afrique quand ce n'était pas l'islam qui le détruisait au nom de l'interdiction des images.

Produit peu de temps avant la décolonisation de l'Afrique, le documentaire de Resnais et Marker est censuré pendant 11 ans car la France n'admet pas les critiques sur son modèle colonialiste assimilationniste (même si cet assimilationnisme reste largement une chimère) et tente d'empêcher ses colonies d'obtenir leur indépendance, soit par la ruse, soit par la force comme en Algérie. Elle ne lâchera prise que lorsque la décolonisation de son Empire africain sera achevée.

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Sans soleil

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1983)

Sans soleil

Ne pas se fier à l'apparence décousue d'un documentaire qui saute sans arrêt du coq à l'âne et d'un lieu à l'autre. Tout est affaire de résonance, de correspondance et de leitmotiv. Le champ (chant) lexical musical est omniprésent, en témoigne cet aparté sur Tokyo " cette ville se déchiffre comme une partition. Ses grandes masses orchestrales renvoient à l'image vulgaire de Tokyo, mégapole surpeuplée, mégalomane, inhumaine. Lui croyait percevoir des cycles plus ténus, des rythmes, des clusters de visages attrapés au passage comme des grappes." Marker arrive à combiner cette poésie mystérieuse avec celle des îles du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ainsi qu'avec des images venues d'Islande et un pèlerinage à San Francisco sur les lieux du tournage de "Vertigo" le film d'Hitchcock qui est au cœur de son film le plus célèbre "La Jetée". Quels points communs relient ces lieux du bout du monde?

C'est bien entendu Marker lui-même, photographe, cinéaste et grand voyageur. Trois passions mêlées dans un carnet de voyages poétique où une narratrice (Florence Delay) lit les lettres d'un caméraman free-lance fictif Sandor Krasna. Par delà l'hétérogénéité du matériau, ce sont les mêmes obsessions qui reviennent en boucle:

-La relation entre l'histoire et la mémoire et le rôle des images dans la fabrication de cette dernière. Une mémoire en images (celle qu'ont le pouvoir de fabriquer le photographe et le cinéaste) qui donne à l'humain l'illusion de l'immortalité mais qui est foncièrement fragile car soumise aux aléas des catastrophes naturelles ou humaines.

-La relation entre l'espace et le temps. Le film s'ouvre sur une citation de Racine "L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps." auquel fait écho cette réflexion "Au XIX°, on avait réglé son compte à l'espace, le problème du XX° était la cohabitation des temps".

-La relation entre la vie et la mort, l'être et le non-être, le dit et le non-dit, la lumière et l'ombre (un des sens du titre) en opposition avec la vanité occidentale qui a privilégié les premiers sur les seconds. Ces relations sont au cœur des "deux pôles extrêmes de la survie" que sont la Guinée-Bissau et les îles du Cap Vert d'un côté menacés par la famine, le Japon de l'autre. Le Japon est en effet le seul pays riche à ne pas avoir oublié (à cause de l'épée de Damoclès qui pèse sur l'existence de l'archipel) ce qu'est l'état de survie et à chercher de ce fait à vivre, relier, transmettre par delà ce qui est visible, par delà ce qui est impermanent. D'où l'omniprésence du chat et de la chouette, et plus généralement des animaux médiateurs entre visible et occulte. Et l'importance accordée aux films d'épouvante asiatiques témoignant d'une "longue intimité des peuples d'Asie avec la souffrance" (voir le catalogue de la très belle -et éprouvante- exposition "Enfers et fantômes d'Asie" visible en ce moment au musée du Quai Branly à Paris).

A noter que dans la version japonaise, c'est Riyoko Ikeda, l'auteure du manga "La Rose de Versailles" (alias "Lady Oscar") qui est la narratrice du documentaire de Chris Marker.

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Tokyo-Ga

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1985)

Tokyo-Ga

Le voyage à Tokyo de Wim Wenders 30 ans après celui de Yasujiro Ozu est une quête des traces du Tokyo filmé par ce grand cinéaste japonais que Wenders admire pendant ses quarante années de carrière. Le désir d'aller découvrir une ville parce qu'un cinéaste vous l'a rendue proche est un sentiment que je connais bien. Par un bel effet de miroir, c'est le film de Wim Wenders "Les Ailes du désir" qui a créé une impression d'intimité avec Berlin et m'a donné envie de partir à sa découverte.

Néanmoins ce qui domine dans le documentaire de Wenders est le sentiment d'étrangeté, exactement comme dans le "Lost in Translation" de Sophia Coppola. Même s'il interroge longuement des collaborateurs d'Ozu (Chishu Ryu, son acteur phare et Yuharu Atsuta, son assistant caméra devenu caméraman principal) il peine à retrouver le regard d'Ozu (et notamment ses fameux plans à hauteur de tatami qui donnent à ses films leur caractère profondément humaniste) à travers son périple tokyoïte. La mégapole lui apparaît inhumaine, à la fois bruyante et pleine de solitude. En témoigne tous les passages un peu mécanistes du film autour du pachinko, du golf ou de la confection des mets en cire pour décorer les vitrines des restaurants. Néanmoins la méditation autour du kanji "mu" ("impermanence") qui orne la tombe de Ozu, la déambulation dans les cimetières où les japonais font l'hanami (pique-nique sous les cerisiers en fleur), la rencontre dans un bar de Shinjuku avec le photographe et cinéaste Chris Marker qui a réussi à créer un lien intime avec la culture japonaise ou encore l'entretien avec son compatriote Werner Herzog en déplacement à Tokyo en même temps que lui l'aident à surmonter sa déception et à apprivoiser la ville et sa poésie particulière.

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Les plages d'Agnès

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (2008)

Les plages d'Agnès

L'ouverture du film en forme d'installation d'art contemporain (les miroirs sur la plage) donne le ton: Les plages d'Agnès est un autoportrait de la réalisatrice en forme de mosaïque ou de collage. Sa structure n'est pas linéaire mais fragmentée, morcelée avec beaucoup d'allers-retours. Avant d'être cinéaste, Agnès Varda a été photographe et peintre d'où un goût du portrait, du cadre et de la composition évidents. Chacun de ses films s'apparente à un courant artistique pictural (réalisme pour les Glaneurs et la Glaneuse ou Sans toit ni Loi, impressionnisme pour le Bonheur, fresques pour Murs murs...)

L'eau sert de fil conducteur. Dès son premier film La pointe courte tourné à Sète ce motif apparaît essentiel et devient un élément récurrent, du Bonheur et sa rivière à Documenteur où l'héroïne écrit face à la mer. On peut y ajouter le miroir, récurrent lui aussi (Cléo de 5 à 7, Jeanne B. par Agnès V. etc.)

Agnès Varda utilise beaucoup de doubles et d'avatars à travers lesquels elle se raconte autant qu'elle se dissimule "je joue le rôle d'une petite vieille rondouillarde et bavarde qui raconte sa vie" Elle fait aussi bien allusion à Magritte et ses tableaux aux visages voilés qu'à la prise de distance du nouveau roman.

Ce dispositif sophistiqué coupe court à toute nostalgie car c'est du présent que parle Varda, de la mémoire au présent. Les chers disparus -à commencer par Demy- qu'elle se remémore avec émotion sont toujours présents dans son coeur (et via la magie du cinéma ou de la photo qui les ont rendus éternels), elle célèbre ses "80 balais" et est résolument tourné vers l'avenir, ses enfants et petits-enfants. Comme dans tous ses films, la vie et la mort sont indissociables.

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La Jetée

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1963)

La Jetée

Œuvre singulière par sa durée (30 minutes), sa forme (une succession de photos fixes retravaillées pour former un effet cinématographique à l'exception d'un plan filmé doté du mouvement), son genre (à mi-chemin du film d'anticipation et de l'oeuvre mystique portée par des chants liturgiques orthodoxes russes) la Jetée est un film-phare, une œuvre forte qui a inspiré de nombreuses œuvres ultérieures (dont un clip de David Bowie et le film-remake de Terry Gilliam 12 Monkeys).

Le scénario de la Jetée de Chris Marker a été écrit pendant le contexte de la crise de Cuba où le monde a failli basculer dans la guerre nucléaire mondiale. La jetée d'Orly qui venait d'être construite dans les années 60 était un symbole de progrès, celui des trente glorieuses. Il s'agissait d'un lieu de promenade dominical pour les familles qui regardaient décoller les avions. Marker, grand voyageur très marqué par la lecture de Jules Verne brise cet élan en montrant un homme mourir puis en dévastant la terre avec la "la troisième guerre mondiale", nucléaire bien sûr. Les rares survivants doivent se cacher sous terre, comme des rats et sont victimes d'une effroyable oppression. L'un d'entre eux qui a été témoin enfant de la mort de l'homme sur la jetée d'Orly devient un cobaye contraint d'effectuer sous la torture des voyages dans le temps, le passé et le futur étant le seul moyen de sauver l'humanité du présent.

La Jetée est également une relecture du Vertigo de Hitchcock, l'un des cinéastes qui a le plus influencé la nouvelle vague française. La séquence du séquoia est reprise à l'identique ainsi qu'une femme à la présence irréelle et fascinante dotée d'un chignon. Marker introduit ainsi une variation sur l'impossibilité d'échapper au temps (ce que Scottie voulait faire en ressuscitant une morte, Vertigo étant adapté d'un roman de Boileau-Narcejac D'entre les morts).

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