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La Croisière du Navigator (The Navigator)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Donald Crisp (1924)

La Croisière du Navigator (The Navigator)

A l'origine du Navigator il y eut le Buford. Ce paquebot joua un sombre rôle lors de la première crise de paranoïa anticommuniste et xénophobe que traversèrent les USA en 1919. 250 étrangers furent arrêtés lors des Palmers Raids et expédiés sur le Buford jusqu'en Finlande. Le maître d'œuvre de cette opération n'était autre que John Egard Hoover le futur patron du FBI.

C'est pour un usage bien différent qu'il fut ensuite loué par Buster Keaton qui le rebaptisa le Navigator et ainsi lui redonna son "innocence". Il transforma en effet le navire en gigantesque terrain de jeu pour son nouveau film qui fut son plus grand succès avec le "Mécano de la Général" tourné deux ans plus tard.

Tout dans ce film suggère le point de vue enfantin des protagonistes. Rollo (Buster KEATON) est un jeune homme très riche dont les premières séquences nous offrent une satire de son mode de vie oisif. Comme un petit enfant, il n'a pas la moindre autonomie. Un domestique lui sert son déjeuner, un autre lui prépare ses habits et son chauffeur le conduit pour traverser la rue (c'est peut-être une coïncidence mais cette séquence fait penser à celle où dans "Toy Story 2" (1999) Al prend sa voiture pour traverser la route qui sépare son domicile de son magasin de jouets). Sa demande en mariage est puérile puisqu'il en a eu le désir en voyant un couple de mariés dans la rue (comme les enfants qui voient un beau jouet et exigent le même). Sa "fiancée" (Kathryn McGUIRE) est une fille à papa gâtée issue du même monde.

Tous deux se retrouvent (d'une manière un peu invraisemblable d'ailleurs) à bord d'un paquebot désert à la dérive. Conçu pour 500 personnes, l'échelle du navire est démesurée par rapport à eux ce qui entretient le lien avec l'enfance. Par exemple la plupart des ustensiles de cuisine sont beaucoup trop grands et ces deux enfants gâtés qui ne savent rien faire de leurs 10 doigts multiplient les bourdes (celle du café à l'eau salée rappelle un peu le thé à la craie des "Malheurs de Sophie"). Peu à peu, ils vont s'adapter à leur nouvelle vie et trouver d'ingénieuses solutions à leurs problèmes. La machinerie qui permet de faire les déjeuners est une extension de celle du court-métrage "L Épouvantail" (1920) où Buster KEATON expérimentait déjà d'ingénieux systèmes de cordes et de poulies pour faciliter la plupart des tâches ménagères de la maison. Il est probable que Robert ZEMECKIS s'en est inspiré pour les machines à petit-déjeuner de "Retour vers le futur" (1985) et Retour vers le futur III" (1990).

Et puis d'autre part, le couple habite le bateau comme s'il s'agissait d'un parc d'attractions, suscitant tantôt du plaisir et tantôt de la peur, une ambivalence typique de l'enfance. Côté plaisir il y a les courses-poursuites chrorégraphiées utilisant toutes les possibilités horizontales et verticales offertes par l'espace du bateau un peu comme une sorte de parcours aventure avant la lettre, les déguisements, les pétards, le mini-canon, le jeu de cartes et le plus spectaculaire, l'attaque des cannibales qui fait penser à un assaut de château-fort. Côté peur, le bateau prend la nuit un caractère de manoir hanté avec des fantômes invisibles qui ouvrent les portes des cabines (une illusion d'optique très réussie), font apparaître un visage grimaçant par le hublot et entendre des voix sinistres. Pas étonnant que Rollo et sa dulcinée finissent par faire leur nid dans le ventre du navire, bien à l'abri dans la salle des machines.

Il y a enfin dans ce film de très beaux moments de poésie liés à l'émotion amoureuse (le désir dont l'ombre s'affiche sur le mur, la cabine du sous-marin qui chavire à 360° lorsque ce désir se concrétise) qui rappellent que ces enfants sont aussi à la frontière de l'âge adulte et que leur périple à bord du Navigator les a aidés à grandir.

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