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Articles avec #cinema allemand tag

Tartuffe (Herr Tartüff)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1926)

Tartuffe (Herr Tartüff)

"Tartuffe", 454 ans et pas une ride. Mieux encore, il rajeunit à l'heure actuelle, porté par un contexte politico-religieux qui le rend plus que jamais pertinent. Derrière la figure du faux dévot, seule possibilité de passer les fourches caudines de la censure à l'époque du Grand Siècle, ce sont tous les fondamentalismes, toutes les intolérances que Molière dénonce. C'est pour cela que l'œuvre est si plastique, s'adaptant aussi bien au catholicisme d'hier qu'à l'islamisme d'aujourd'hui (la version algérienne de 1995 d'Ariane Mmouchkine le prouve) et plus généralement à toutes les religions et courants de pensée intégristes. Murnau et son scénariste Carl Mayer ont parfaitement compris cette extraordinaire universalité et intemporalité de la pièce. Le film utilise un dispositif alors encore très rare, celui de la mise en abyme. Mayer a encadré en effet la pièce d'un prologue et d'un épilogue se déroulant à son époque (les années 20). Quant à Murnau, il utilise des références picturales et architecturales du XVIII° et XIX° siècle (Chardin, le palais de Frédéric II de Prusse surnommé le « Sanssouci », Jean-Léon Gérôme) alors que la pièce se déroule au XVII° c'est à dire à l'époque de sa création.

Murnau avait des raisons très personnelles de remanier le scénario que Mayer avait écrit pour "Tartuffe", une pièce qui au début des années 20 venait juste alors d'être découverte en Allemagne. Et ce même si à l'origine il s'agissait d'une commande qui lui a été imposée par la Ufa (nom du studio allemand de l'époque). En tant qu'homosexuel, il ne pouvait qu'être sensible à une pièce qui dénonçait l'oppression exercée sur tous ceux qui s'écartaient de la norme rigoriste fixée par l'église en matière de morale sexuelle. De fait, il a accentué cet aspect qui est devenu le thème central du film. Si celui-ci n'est pas fidèle au texte de la pièce, il l'est certainement à l'esprit. Tellement fidèle d'ailleurs que la version américaine du film (hélas la mieux conservée et donc celle qui nous est montrée aujourd'hui) est amputée de 35 minutes jugées offensantes pour la religion « Un dévot dégénéré qui veut coucher avec la femme de son hôte. Un sujet de choix dans les pays catholiques » titrait alors le journal Variety. C'est dire si cette œuvre dérangeait.

Murnau a ainsi réalisé une sorte d'épure de la pièce originelle. Mayer n'avait gardé que les quatre personnages principaux (Orgon, Elmire, Tartuffe et Dorine.) Le personnage de Dorine est cependant minoré, car ce qui intéresse Murnau, c'est l'étude du comportement des trois autres face à la sexualité réprimée entre hypocrisie et frustration. Le dualisme entre la religion et la chair est symbolisé par un décor à deux étages. Celui du haut représente la perfection divine à laquelle Orgon aspire et que Tartuffe feint d'avoir atteint puisqu'il est qualifié de saint. Celui du bas représente la descente dans les bas instincts et agit donc comme un révélateur de la personnalité profonde de chacun. Sous l'emprise de Tartuffe que l'on peut comparer à un gourou, le désir sexuel d'Orgon se détourne de sa femme pour se reporter sur Tartuffe. Dans une scène censurée par la version US et rajoutée par Murnau, on voit Tartuffe exploiter le sentiment de culpabilité d'Orgon pour lui soutirer toute sa fortune, ce dernier, dominé et sous emprise consentant à tout pour son pseudo-ami « O mon frère ! C'est maintenant que je sais ce que tu es pour moi. ». Elmire, délaissée par son mari est décidée à lui prouver l'hypocrisie de Tartuffe en le séduisant. Ce qui donne lieu à des scènes assez troubles où elle s'offre à Tartuffe de manière plutôt frontale (elle se jette sur lui, se penche, relève sa robe...) sous les yeux de son mari. Tartuffe enfin, interprété de façon extraordinaire par Emil Jannings incarne la lubricité dans toute sa splendeur sous son vernis d'austérité. De façon très parlante pour notre époque contemporaine, Murnau le filme en train de manger comme un porc puis adopte son point de vue fixé sur la poitrine d'Elmire avant de montrer ses yeux porcins se rincer l'oeil devant ses jambes. Et comme tout bon harceleur qui se respecte, le regard est suivi d'un geste éloquent lorsqu'il pose son missel entre ses deux seins (sur des affiches, il les agrippe!)

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Metropolis

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1927)

Metropolis

Je ne vais pas répéter ce qui a été déjà très bien analysé dans les avis antérieurs mais plutôt apporter quelques compléments sur la portée mythologico-religieuse, politique et artistique de ce monument du cinéma mondial.

Metropolis est une œuvre matrice dont la postérité est impressionnante tant en ce qui concerne son esthétique qu'en ce qui concerne les thèmes abordés. On sait que Fritz Lang s'est inspiré de l'architecture new-yorkaise pour imaginer sa cité futuriste. Mais il a également rapporté dans ses bagages le tayloro-fordisme, les gestes standardisés et absurdes d'une armée d'ouvriers au service d'un Dieu-machine dans une technostructure démesurée. Juste retour des choses, les Temps modernes réalisé une dizaine d'années plus tard par Chaplin emprunte beaucoup d'éléments architecturaux et technologiques à Metropolis (exemple: l'écran de visioconférence) ainsi que sa vision du travail (gestes répétitifs et aliénants, dévoration par la machine, soumission à la technologie). Autre œuvre qui reprend la thématique molochienne de Metropolis: The Wall d'Alan Parker fondé sur le double album des Pink Floyd.

Car la relation entre l'homme et la machine n'est qu'un avatar de la relation de l'homme à Dieu, centrale dans Metropolis. Le Dieu qui dévore ses créatures, le Dieu-idole (les danses lascives de la fausse Maria au Yoshiwara s'apparentent à un culte païen), le Dieu-sauveur (la vraie Maria prêchant dans les catacombes comme au temps des premiers chrétiens) mais également les créatures qui veulent se faire l'égale de Dieu. Le savant fou Rotwang puise ses racines dans le mythe prométhéen pour donner la vie à une créature inanimée. Il n'est d'ailleurs pas le premier à le faire. Le docteur Frankenstein, premier "Prométhée moderne" l'avait précédé sur cette voie. L'originalité de Metropolis est liée au fait que la créature est une intelligence artificielle, une androïde clonée à partir d'une femme de chair et d'os. La postérité des IA, humanoïdes ou non dans les œuvres de science-fiction donne le tournis. Il y a les références évidentes comme Hal 9000 dans 2001 l'Odyssée de l'espace, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? de Philip K. Dick et son adaptation cinématographique Blade Runner de Ridley Scott qui a fait date. Il y a les films de George Lucas: C3PO n'est-il pas lui-même un clone de Maria? Et ceux de Spielberg comme A.I., intelligence artificielle. Les Terminator et les Aliens de Cameron. Les Matrix des frères Wachowski. Et puis il y a la prolifique SF japonaise tant en manga qu'en anime où cyborgs et androïdes se taillent la part du lion (Ghost in the shell étant sans doute la référence absolue du genre). Une SF dérivée comme toute la production manga de l'œuvre d'Osamu Tezuka et plus précisément d'Astro boy. Tezuka qui a créé sa propre version manga de Metropolis adaptée par la suite en animé par Rintarô.

Enfin impossible de passer sous silence le caractère politique de Metropolis. Comme dans nombre de ses œuvres, Fritz Lang nous montre les ravages de la manipulation des masses, l'homme en troupeau livré à ses plus bas instincts, les déchaînements de violence aveugle qui finissent par se retourner contre ceux qui s'y livrent. D'autre part face au risque de révolution prolétarienne lié à la division-hiérarchisation verticale du travail, le film utilise la métaphore organique du coeur jouant les médiateurs entre le cerveau et la main. Les médiateurs c'est le couple Maria (venue d'en bas) et Freder (venu d'en haut), le cerveau c'est le père de Freder, Joh Fredersen, maître de la cité et la main, c'est l'armée de prolétaires vivant dans les soubassements de la ville. Fritz Lang ne croyait pas à cette issue heureuse qu'il trouvait artificielle. En effet cette idée venait en réalité de son épouse, Théa von Harbou qui écrivit le roman dont le film est issu. Une idée qui séduisit Hitler et les nazis parce qu'ils cherchaient à supprimer (idéologiquement) les divisions de classe au profit de la communauté de sang. Lorsqu'il instaura sa dictature totalitaire, Hitler supprima les syndicats au profit d'une organisation unique "Le Front du travail" également appelée "Organisation du cerveau et de la main" en hommage direct à Metropolis. Un hommage dont Fritz Lang se serait bien passé, lui qui préféra fuir le nazisme plutôt qu'être récupéré par lui. Théa von Harbou en revanche s'en accommoda fort bien.

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Le testament du docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1933)

Le testament du docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse)

Le testament du Docteur Mabuse se situe à de nombreux carrefours. Il est le deuxième d'une trilogie consacrée au "génie du mal" après Docteur Mabuse le joueur (film muet situé pendant la crise d'après-guerre marquée par une forte inflation) et avant Le diabolique Docteur Mabuse, le dernier film de Lang réalisé en 1960. Il forme un dyptique avec M. Le Maudit réalisé l'année précédente car il reprend le même contexte, la même esthétique et le personnage (et acteur) emblématique du commissaire Lohmann. Enfin il existe deux versions du film, une allemande (dont il est question ici) et une française réalisées simultanément.

De façon encore plus explicite que dans M. Le Maudit, Lang analyse la profonde crise économique et sociale de son pays qui pousse les chômeurs à adhérer par désespoir au crime organisé. Un crime organisé qui prend l'allure d'une entreprise totalitaire. Mabuse, un méchant issu de la littérature populaire (souvent comparé à Fantômas créé à la même époque) devient dans le film le grand manitou qui dirige son organisation criminelle à distance depuis l'asile où il est enfermé. Pour cela il prend possession de l'esprit du directeur de l'asile, le docteur Baum qui devient sa marionnette. Mabuse meurt au cours du film mais il a laissé un testament écrit à l'asile qui est en fait son plan de prise du pouvoir par ce qu'il appelle "L'Empire du crime" ainsi qu'un fidèle serviteur pour l'exécuter. Bien entendu, impossible de ne pas faire le rapprochement avec Hitler en prison écrivant son livre-programme Mein Kampf. Goebbels (le ministre de la propagande d'Hitler) a d'ailleurs fait interdire le film et la version allemande dont nous disposons aujourd'hui n'est pas tout à fait complète (Lang n'avait pu s'enfuir qu'avec une copie de la version française).

On est bluffé par la lecture du testament et la description des méthodes employées par Mabuse-Baum pour tenir son organisation tant elles font penser non seulement au totalitarisme orwellien mais également au terrorisme de Daech. Le recours aux attentats sur les lieux stratégiques pour désorganiser l'Etat et démoraliser la population est systématiquement préconisé "Le chaos doit devenir la loi suprême"; "Etat d'incertitude et d'anarchie"; "Les crimes n'ont pour but que que répandre la peur" pour détruire la société allemande et préparer l'avènement des criminels au pouvoir. D'autre part Mabuse-Baum comme Big Brother utilise le dernier cri en matière d'invention technologique pour donner une impression d'omnipotence. Son visage n'apparaît jamais à ceux qu'il dirige, seule sa voix enregistrée et donc déformée mécaniquement donne des ordres (dissimulée derrière une porte ou un rideau). La déshumanisation via la machine est totale. Enfin la désobéissance et la trahison sont punies de mort "Une fois dans l'organisation, on n'en sort pas vivant, il n'y a pas de retour." Ce qui semble sceller le sort de Tom Kent, ex-chômeur et ex-taulard devenu membre de l'organisation mais qui refuse d'embrasser ses méthodes. Il se voit offrir la possibilité d'une rédemption grâce à une employée, Lilli mais tous deux sont aussitôt condamnés à mort par Mabuse. La salle piégée, murée de tous côtés et qui se remplit d'eau est un sommet de suspens et de claustrophobie!

Le testament du docteur Mabuse, deuxième film parlant de Fritz Lang après M Le Maudit est lui aussi très marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première scène du film est d'ailleurs dénuée de paroles bien que sonorisée pour faire la transition avec le premier Mabuse qui était muet. Les plans les plus fantastiques liés à la folie de Mabuse sont d'ailleurs traités à la manière du Cabinet du docteur Caligari que Lang avait refusé de réaliser.

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Le labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens)

Publié le par Rosalie210

Giulio Ricciarelli (2014)

Le labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens)

En 1958, la spécificité du sort des juifs pendant la seconde guerre mondiale n'est pas reconnue et leur parole est étouffée. Le mot d'ordre général est de tourner la page et de se consacrer à l'ennemi du moment qui est communiste dans les Etats de l'ouest. En RFA, la restauration de la fierté nationale se traduit notamment par la réintégration de la plupart des anciens nazis dans la société, et une amnésie collective qui plonge la jeune génération dans l'ignorance de son passé.

Le film raconte l'histoire de l'enquête qui aboutit au procès de Francfort. Celui-ci se tint entre 1963 et 1965 et pour la première fois obligea l'Allemagne a regarder en face la réalité des crimes commis pendant la guerre. Concomitant du procès Eichmann (dont le film révèle que l'arrestation est également lié à l'enquête de Francfort), il s'est appuyé sur les témoignages des victimes dont la parole s'est enfin libérée. Il souligne aussi les limites du procès: 22 anciens SS d'Auschwitz jugés alors que le camp en a compté plus de 6000, une partie d'entre eux seulement condamnés à de lourdes peines. Quant aux plus gros poissons, ils ont bénéficié de complicités nombreuses et hauts placées qui leur ont permis d'échapper à la justice comme on peut le voir avec Mengele qui a pu revenir plusieurs fois en Allemagne sans être inquiété.

Le film traite son sujet à la manière d'un thriller sobre et efficace. Aux côtés des figures historiques que sont le procureur Fritz Bauer et le journaliste Thomas Gnielka, le scénario ajoute un héros fictif, le jeune procureur Johann Radmann (dans la réalité ils étaient trois). Hélas, le parcours du personnage est écrit de façon bien maladroite. On passe très (trop) vite du jeune homme ambitieux propre sur lui qui demande naïvement: "Auschwitz? C'est quoi? Un camp de détention préventive?" à l'alcoolique hanté aux yeux cernés sur le point de tout plaquer: " QUOI? Papa aussi! Tous pourris, tous nazis, vous me dégoûtez tous." Sans même parler de sa petite amie qui joue les potiches.

Malgré ce manque de subtilité dans l'écriture de ses personnages fictifs ce film s'avère être une oeuvre salutaire pour le devoir de mémoire.

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M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1931)

M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

M Le Maudit est à la fois l'instantané d'une société dont Lang prophétise le basculement imminent dans le nazisme et un film qui analyse l'être humain dans toute sa complexité. D'un côté les institutions légales sont mises à mal par leur incapacité à capturer le criminel. Elles finissent par se faire doubler par une société parallèle clandestine venue des bas-fonds, celle de la pègre tout aussi organisée et dont les méthodes musclées sont couronnées de succès. Comment ne pas voir dans ce parallélisme (souligné par le montage alterné) un reflet de la faiblesse de la République de Weimar minée par la crise et menacée par la montée des extrêmes? Le chef de la pègre Stränker a d'ailleurs l'allure d'un milicien SA ou SS. Les signes de la crise sont partout: les bureaux éventrés, les usines désaffectées, le poids de la pègre, les inégalités sociales qui se creusent (la mère de la petite Elsie victime du meurtrier ne peut pas aller la chercher à l'école) et enfin la montée de la violence populaire.

Parallèlement Lang analyse en effet le mal à l'échelle d'un individu et d'une foule. Il choisit un pédophile comme personnage principal, l'une des formes de criminalité qui déchaîne les plus bas instincts. Son but est de montrer le populisme dans ce qu'il a de plus abject: la chasse à l'homme, le lynchage, la délation. L'humanité du meurtrier est niée "Nous devons le traiter comme un chien enragé, écrasez-le!" "Tuez la bête" révélant que cette bête est tapie en chacun de nous et qu'au lieu de la reconnaître, on la rejette sur un autrui qui sert de bouc-émissaire. Belle analyse au passage de l'idéologie nazie (une purification ethnique au détriment d'un peuple jugé porteur de tous les maux). Le meurtrier s'avère être en effet également une victime de lui-même autant que de ceux qui le traquent, un malade schizophrène démuni face à des actes qu'il n'arrive pas à contrôler. Les signes abondent d'ailleurs en ce sens (la figure spiralaire hypnotique en image et en musique avec l'air de Grieg, la figure phallique avec la flèche qui monte et descend...) Comme le dit son avocat une société civilisée doit soigner un tel homme et non le livrer au bourreau. Car traiter le mal par la vengeance ne fait que le faire grandir.

Premier film parlant de Fritz Lang, M n'en est pas moins fortement marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première séquence du film est un modèle en la matière avec les images signifiant la mort de la petite fille (images de lieux vides et d'objets abandonnés) ou la célèbre scène de la colonne Morris avec l'ombre du tueur qui couvre puis révèle le mot "meurtrier". De même le jeu de Peter Lorre est très corporel et poussé à l'extrême.

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Le dernier des hommes (Der Letzte Mann)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wihelm Murnau (1924)

Le dernier des hommes (Der Letzte Mann)

Murnau a porté le muet à un tel degré de perfection que le parlant paraît souvent bien fade à côté.
Pourquoi faut-il voir Le dernier des hommes?
- Pour la prouesse d'une narration entièrement visuelle. Murnau se passe d'intertitres hormis deux cartons au début et à la fin. Il prouve que l'image peut se substituer aux mots et devenir un langage à part entière.
- Pour la fluidité de la caméra qui évolue librement dans l'espace et place le spectateur en immersion.
- Pour la reconstruction d'une ville en studio avec de fausses perspectives et de multiples trucages pour un résultat étonnant de vie et de réalisme.
- Pour la performance d'Emil Jannings. Grand acteur expressionniste, il parvient à traduire par les postures de son corps et les expressions de son visage tous les états par lesquels il passe. On est frappé en particulier par le contraste saisissant entre sa droiture lorsqu'il arbore fièrement sa livrée de portier et son dos courbé lorsqu'il doit enfiler piteusement sa tenue de "Monsieur pipi".
-Pour la puissance métaphorique de l'utilisation des décors et des objets. Une porte-tambour qui symbolise la roue du destin, des portes battantes qui ouvrent sur une volée de marches descendantes jusqu'au sous-sol qui symbolisent la déchéance, des toilettes cellules-soupirail, une livrée chromée comme un uniforme de général etc.

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La vie des autres (Das Leben der Anderen)

Publié le par Rosalie210

Florian Henckel von Donnersmarck (2006)

La vie des autres (Das Leben der Anderen)

La vie des autres s'appuie sur un solide substrat historique et reconstitue avec précision la mise au pas des élites intellectuelles en RDA dans les années 80 par les dirigeants et leur police politique secrète la stasi (mise sur écoute, interdiction d'exercer leur art, de voyager, emprisonnement, tortures, "suicides", chantage à la délation sur l'entourage...) Il montre de façon tout aussi convaincante les conséquences de la chute du mur avec l'ouverture des archives de la stasi et la redécouverte par les allemands de l'est de tout un pan méconnu de leur passé.

Néanmoins, le film sait s'écarter de la véracité historique au profit du romanesque lorsqu'il s'agit de raconter le basculement d'un vaillant petit soldat de la stasi. Wiesler (le dernier rôle du formidable Ulrich Mühe) terrifiant robot obsédé par l'efficacité de ses méthodes répressives est brusquement arraché à son inhumanité par son écoute quotidienne de la vie d'un écrivain, Georg Dreyman (Sebastian Koch). Il est bouleversé à la fois par son amour pour sa compagne Christa Maria Sieland (Martina Gedeck) et par son talent d'artiste et devient son ange gardien. Son évolution psychologique (du réflexe conditionné aux retour du libre-arbitre et aux élans du coeur) est analysée avec beaucoup de finesse et son double jeu est jubilatoire pour le spectateur.

Le supérieur de Wiesler, le carriériste et cynique Grubitz joué par Ulrich Tukur s'oppose en tous points à son subordonné, qui comme Dreyman est un idéaliste déçu par ce qu'il découvre du fonctionnement réel de la RDA (à savoir le fait qu'il surveille Dreyman sur ordre du "camarade ministre" qui veut se débarrasser de lui pour s'emparer de sa petite amie). Dans Amen de Costa-Gavras Mühe et Tukur jouaient deux nazis mais Mühe était au-dessus de Tukur et il était du côté du mal alors que Tukur était l'idéaliste du côté du bien.

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Si loin, si proche! (In weiter Ferne, so nah!)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1993)

Si loin, si proche! (In weiter Ferne, so nah!)

Si loin si proche est la suite des Ailes du désir. Wenders a voulu faire un dyptique avant/après la chute du mur. Peut-être parce qu'elle ne bénéficie pas de l'effet de surprise du premier film, cette suite a été moins bien accueillie bien qu'elle ait quand même remporté à Cannes le grand prix du jury ce qui n'est pas rien! Elle est surtout pénalisée par le fait d'être peu diffusée depuis sa sortie cinéma. Le film est en effet introuvable en DVD zone 2 (il existe seulement en DVD zone 1.)

Si le premier film se concentrait sur Damiel et son désir d'embrasser la condition humaine, le second fait la part belle à Cassiel que son désir de sauver les gens finit également par transformer en humain. Mais contrairement à Peter Falk qui a trouvé sa voie dans l'art ou à Damiel qui s'est construit une famille et une vie dans le milieu alternatif berlinois entre l'association où sa femme et sa fille font du trapèze et sa pizzeria la "casa della angelo" (j'adore!) la vie terrestre de Cassiel tourne au tragique. Il est traqué par Emit Flesti c'est à dire "Time itself" (Daniel Defoe), un ange noir qui veut raccourcir sa vie pour le punir de sa désertion. Sa naïveté se conjugue à la malchance: il accumule les mauvaises rencontres et expériences jusqu'à tremper dans un trafic sordide qu'il finit par démanteler avec d'aide des amis trapézistes de Marion.

Malgré l'aspect maudit du destin de Cassiel, les passages drôles et poétiques ne manquent pas dans ce second volet. Poésie des dialogues (j'aime particulièrement le "petit klaxon de ton oreille" par lequel Doria définit la présence de l'ange Cassiel auprès de son père Damiel) des images (les trapézistes en apesanteur qui se balancent au plafond tout en se faisant passer les caisses d'armes et de vidéos dérobées au trafiquant Tony Baker ou encore le bateau de l'amicale des ex-anges l'Alekhan, allusion au directeur de la photographie) et de la musique (avec un nouveau ex-ange artiste jouant son propre rôle: Lou Reed). Passages ludico-comiques aussi avec Tony Baker les pieds dans une bassine de ciment en voie de solidification et Karl Engel (l'identité terrestre de Cassiel amusante allusion à son statut d'ex-ange tout autant qu'hommage aux pères fondateurs du socialisme) qui le sauve dans la tradition du film noir.

Le parcours de Cassiel croise (comme dans le premier film) celui de la grande Histoire. Gorbatchev fait une apparition au début du film et Cassiel est mêlé à l'histoire d'une famille qui résume celle de l'Allemagne.

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Paris, Texas

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1984)

Paris, Texas

"C'est l'histoire d'un homme né dans un paysage trop petit pour lui." Né en 1945 dans une Allemagne coupée en deux par la guerre froide, Wim Wenders décide d'élargir son horizon en réalisant son rêve américain. Mieux que cela même, son désir incendie la mythologie du grand ouest. Les paysages majestueux du désert mojave et les accords devenus mythiques de Ry Cooder qui ouvrent le film mettent tout simplement le frisson. Et tout petit dans cet immensité, un homme erre. On apprend bien plus tard qu'il a des doutes sur son origine. A-t-il été conçu au beau milieu du désert à Paris dans le Texas ou bien dans la capitale française? En tout cas ce doute fait le pont entre l'origine européenne du film et son ancrage américain.

Wenders choisit d'adapter un roman de Sam Shepard, Motel chronicles et de filmer l'itinéraire de cet homme perdu, privé de mémoire et de langage. Pourtant grâce à l'obstination de son frère Walt, le bien-nommé Travis (travel signifie voyager) revient parmi les hommes. Son voyage se transforme alors en quête pour renouer les liens familiaux brisés par sa faute. Il a en effet abandonné sa femme et son fils dans sa fuite. Il découvre que Jane a disparu et que le petit Hunter a été recueilli par son frère et sa belle-soeur qui l'élèvent comme leur propre fils.

Travis se donne alors pour mission rédemptrice de reprendre sa place de père auprès de Hunter, de retrouver sa mère et de les réunir. S'ouvre alors l'une des séquences les plus fortes du film, celle du Peep show où Travis et Jane monologuent puis dialoguent à travers un miroir sans tain comme à l'intérieur d'un confessionnal.

Les acteurs sont tous en état de grâce. Après une centaine de films dans des seconds rôles, Henry Dean Stanton trouve le rôle de sa vie, Nastasia Kinsky au faîte de sa jeunesse et de sa beauté est sublime, Dean Stockwell et Aurore Clément sont émouvants dans leur détresse de beaux-parents dépassés par la situation. Enfin Hunter Carson à l'époque âgé de 7 ans est d'une maturité bien au-dessus de son âge.

Paris-Texas est un road-movie d'une grande beauté et d'une grande densité émotionnelle. A mon avis le meilleur film de Wim Wenders, à égalité avec Les Ailes du désir.

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Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1987)

Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin)

Le début annonce la couleur si j'ose m'exprimer ainsi. Une plume écrit le poème "chanson sur l'enfance" de Peter Handke pendant que la voix de Bruno Ganz récite les premiers vers "Als das kind kind war (lorsque l'enfant était enfant)..." Les Ailes du désir n'est pas qu'un film, c'est un véritable poème cinématographique. La caméra de Wenders en apesanteur épouse le point de vue des anges et survole dans le noir et blanc sublimé d'Henri Alekan Berlin et ses stigmates. Les anges traversent les murs (on est en 1987, deux ans avant la chute du mur de Berlin) et écoutent les pensées des gens avec bienveillance. Ils tentent de leur redonner espoir. Bien sûr seuls les enfants peuvent voir les anges. Les adultes peuvent tout au plus ressentir leur présence.

Mais les anges ont une autre fonction, celle de conservateur de mémoire. Depuis des temps immémoriaux, ils notent et conservent jour après jour les faits et gestes qui leur paraissent significatifs. La bibliothèque de la ville est leur repaire ainsi que celui du conteur, lui aussi mémoire de la ville, Homère.

Le film est également une magnifique fable humaniste. L'incroyable présence des deux acteurs qui jouent les anges (Damiel alias Bruno Ganz et Cassiel alias Otto Sander) y est pour beaucoup ainsi que Peter Falk dans son propre rôle. Peter Falk dont le rôle emblématique de Columbo est sans cesse rappelé dans le film. Il est de passage à Berlin pour tourner un film sur la seconde guerre mondiale dont l'ombre pèse sur la ville au moins autant que son mur. Si Homère est le conteur, Peter Falk, acteur et ancien ange est le passeur, celui qui invite ses "companeros" à rejoindre le monde des humains en leur dépeignant les petites joies de l'existence (fumer, boire un café, se frotter les mains etc.)

Le désir permet en effet à l'ange de devenir humain. Damiel tombe amoureux de Marion, une trapéziste fan du chanteur Nick Cave et s'incarne en homme. Une nouvelle expérience commence pour lui avec un monde en couleurs, des sensations inconnues mais aussi les soucis matériels (temps, argent...)

A noter que 6 ans plus tard, Wenders tournera une suite tout aussi belle aux Ailes du désir, Si loin si proche dictée par la nécessité de rendre compte de la chute du mur et de ses conséquences.

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