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Tartuffe (Herr Tartüff)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1926)

Tartuffe (Herr Tartüff)

"Tartuffe", 454 ans et pas une ride. Mieux encore, il rajeunit à l'heure actuelle, porté par un contexte politico-religieux qui le rend plus que jamais pertinent. Derrière la figure du faux dévot, seule possibilité de passer les fourches caudines de la censure à l'époque du Grand Siècle, ce sont tous les fondamentalismes, toutes les intolérances que Molière dénonce. C'est pour cela que l'œuvre est si plastique, s'adaptant aussi bien au catholicisme d'hier qu'à l'islamisme d'aujourd'hui (la version algérienne de 1995 d'Ariane Mmouchkine le prouve) et plus généralement à toutes les religions et courants de pensée intégristes. Murnau et son scénariste Carl Mayer ont parfaitement compris cette extraordinaire universalité et intemporalité de la pièce. Le film utilise un dispositif alors encore très rare, celui de la mise en abyme. Mayer a encadré en effet la pièce d'un prologue et d'un épilogue se déroulant à son époque (les années 20). Quant à Murnau, il utilise des références picturales et architecturales du XVIII° et XIX° siècle (Chardin, le palais de Frédéric II de Prusse surnommé le « Sanssouci », Jean-Léon Gérôme) alors que la pièce se déroule au XVII° c'est à dire à l'époque de sa création.

Murnau avait des raisons très personnelles de remanier le scénario que Mayer avait écrit pour "Tartuffe", une pièce qui au début des années 20 venait juste alors d'être découverte en Allemagne. Et ce même si à l'origine il s'agissait d'une commande qui lui a été imposée par la Ufa (nom du studio allemand de l'époque). En tant qu'homosexuel, il ne pouvait qu'être sensible à une pièce qui dénonçait l'oppression exercée sur tous ceux qui s'écartaient de la norme rigoriste fixée par l'église en matière de morale sexuelle. De fait, il a accentué cet aspect qui est devenu le thème central du film. Si celui-ci n'est pas fidèle au texte de la pièce, il l'est certainement à l'esprit. Tellement fidèle d'ailleurs que la version américaine du film (hélas la mieux conservée et donc celle qui nous est montrée aujourd'hui) est amputée de 35 minutes jugées offensantes pour la religion « Un dévot dégénéré qui veut coucher avec la femme de son hôte. Un sujet de choix dans les pays catholiques » titrait alors le journal Variety. C'est dire si cette œuvre dérangeait.

Murnau a ainsi réalisé une sorte d'épure de la pièce originelle. Mayer n'avait gardé que les quatre personnages principaux (Orgon, Elmire, Tartuffe et Dorine.) Le personnage de Dorine est cependant minoré, car ce qui intéresse Murnau, c'est l'étude du comportement des trois autres face à la sexualité réprimée entre hypocrisie et frustration. Le dualisme entre la religion et la chair est symbolisé par un décor à deux étages. Celui du haut représente la perfection divine à laquelle Orgon aspire et que Tartuffe feint d'avoir atteint puisqu'il est qualifié de saint. Celui du bas représente la descente dans les bas instincts et agit donc comme un révélateur de la personnalité profonde de chacun. Sous l'emprise de Tartuffe que l'on peut comparer à un gourou, le désir sexuel d'Orgon se détourne de sa femme pour se reporter sur Tartuffe. Dans une scène censurée par la version US et rajoutée par Murnau, on voit Tartuffe exploiter le sentiment de culpabilité d'Orgon pour lui soutirer toute sa fortune, ce dernier, dominé et sous emprise consentant à tout pour son pseudo-ami « O mon frère ! C'est maintenant que je sais ce que tu es pour moi. ». Elmire, délaissée par son mari est décidée à lui prouver l'hypocrisie de Tartuffe en le séduisant. Ce qui donne lieu à des scènes assez troubles où elle s'offre à Tartuffe de manière plutôt frontale (elle se jette sur lui, se penche, relève sa robe...) sous les yeux de son mari. Tartuffe enfin, interprété de façon extraordinaire par Emil Jannings incarne la lubricité dans toute sa splendeur sous son vernis d'austérité. De façon très parlante pour notre époque contemporaine, Murnau le filme en train de manger comme un porc puis adopte son point de vue fixé sur la poitrine d'Elmire avant de montrer ses yeux porcins se rincer l'oeil devant ses jambes. Et comme tout bon harceleur qui se respecte, le regard est suivi d'un geste éloquent lorsqu'il pose son missel entre ses deux seins (sur des affiches, il les agrippe!)

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