« Un film sur les possibilités de la vie, pour moi, c’est aussi forcément un film sur les possibilités du cinéma ». Pour son troisième film qui lui a permis de se faire connaître à l'international (je l'ai d'ailleurs vu au cinéma à sa sortie), Tom Tykwer imagine un récit minimaliste mais à la forme très travaillée, le tout sur un rythme effréné et une musique endiablée. Lola, une jeune fille aux cheveux rouge feu doit trouver en 20 minutes top chrono 100 mille marks et les donner avant l'heure fatidique à Manni, son petit ami qui l'attend à l'autre bout de la ville. Faute de quoi, la mort est au bout du chemin. Mais la magie du cinéma où tout est possible fait que Lola peut revenir au point de départ et retenter sa chance. Elle a droit à trois essais.
Tom Tykwer utilise quatre techniques différentes (photographie, vidéo, animation et cinéma) afin de démultiplier les possibilités de son récit de course contre la montre sans perdre le spectateur. Ainsi l'histoire du couple principal (très fortement identifié par des couleurs primaires flamboyantes, le rouge pour ce qui touche à Lola, le jaune pour ce qui concerne Manni) se joue en format cinéma, les intrigues secondaires qu'ils percutent mais qui n'ont pas de lien direct avec eux (les péripéties sentimentales du père de Lola par exemple) sont tournées en vidéo dans des teintes très ternes, le futur potentiel des passants qu'ils croisent apparaît sous forme de flashs instantanés et fixes qui se succèdent à toute vitesse (on entend même le bruit répétitif de l'appareil photo) alors que les flashbacks sont eux réalisés en noir et blanc. Enfin les séquences impossibles à réaliser en prise de vue réelle sont remplacées par l'animation, notamment la scène de l'escalier au début de chaque partie du triptyque qui s'avère déterminante pour la suite.
En effet, comme dans la saga "Retour vers le futur", "Cours, Lola, cours" est un film sur le temps ou plutôt la distorsion du temps au cinéma (d'où les accélérations, les split-screen comme dans la série "24h chrono" etc.) Aucune explication rationnelle ne vient éclairer la possibilité qu'a l'héroïne de recommencer trois fois son parcours. On peut donc tout imaginer, y compris une expérience de mort imminente qui conduit à "rembobiner le film" et à proposer une nouvelle version. Comme dans la boucle temporelle de "Un jour sans fin", l'héroïne apprend de ses erreurs ce qui contribue à modifier le récit par des réactions en chaîne (l'effet papillon). On peut également y voir un écho à l'univers du jeu vidéo où on remet les pendules à zéro et on recommence une partie en temps limité en essayant de faire mieux (on constate par exemple que les trajectoires de Lola sur le dallage en plongée ne sont pas les mêmes d'une version à l'autre, d'abord en diagonale, puis en ligne droite). Enfin Lola est aussi le double du réalisateur, deus ex machina qui a un contrôle total sur le film. La scène du casino, totalement irréelle, peut également s'entendre ainsi, d'autant que c'est l'une de celles où les références cinématographiques sont les plus évidentes. Le tableau montrant le chignon d'une femme vue de dos fait penser à "Vertigo" qui faisait justement de Scottie un scénariste et un réalisateur en puissance puisqu'il réorganisait le monde selon ses désirs. De plus le chignon renvoie au motif de la spirale qui est au coeur du film de Alfred Hitchcock mais aussi de Tom Tykwer. Le cri de Lola (la nouvelle Marlène Dietrich?) qui casse le verre et l'aide à gagner à la roulette est une allusion évidente à "Le Tambour" qui lui aussi influait de façon invisible et décisive sur le destin.