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Articles avec #cinema iranien tag

Le Client (Forushande)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2015)

Le Client (Forushande)

"Le Client" est un bon film mais inférieur à "Une séparation" (2010). C'est le revers de la médaille de la consécration internationale. Le fait de concourir à Cannes, à Berlin ou à Venise et d'y remporter des prix entraîne des répercussions sur les films de leurs auteurs qui ont tendance à se standardiser selon des canons occidentaux. Certes, "Le Client" évoque une agression sous la douche à côté de laquelle celle de "Psychose" (1960) qui était pourtant censurée par le code Hays paraît ultra osée. C'est bien simple, dans le film de Asghar FARHADI, tout se passe en hors-champ et la nature de l'agression ne sera jamais explicitement dévoilée. Mais le fait de passer par une mise en abyme théâtrale (celle d'une pièce de Arthur Miller "Mort d'un commis voyageur") pour expliciter par le décalage absurde entre les répliques ("je suis sans vêtements") et l'actrice enveloppée des pieds à la tête qu'il est inconcevable qu'une femme iranienne se déshabille devant un public est en revanche un procédé usé jusqu'à la corde ("Drive My Car" (2021) tout récemment en faisait de même avec Tchékhov). De même, si l'on peut comprendre pourquoi la jeune femme ne veut pas porter plainte (déjà que la France n'est pas un modèle en la matière alors l'Iran où l'on tue des femmes pour des cheveux qui dépassent du foulard, n'en parlons pas), la manière dont son mari en fait une affaire de vengeance personnelle ressemble à des dizaines d'histoires semblables où on ne porte pas plainte et où l'on enquête soi-même avec une déconcertante facilité par rapport à la vie réelle. L'aspect le plus intéressant du film finalement est ce que l'agression révèle des dissensions au sein du couple (perceptibles dès les premières images avec les murs lézardés de leur chambre). Le vernis moderne se craquèle pour laisser place aux réactions violentes du mari mortifié dans son amour-propre et qui ne supporte pas que sa femme puisse être de quelque façon que ce soit amalgamée à une putain. L'image et l'honneur sont bien plus importants à ses yeux que le bien-être de sa femme ou l'état de santé de l'homme qu'il finit par coincer. Dommage que Asghar FARHADI ait eu la main très lourde sur la fin qui est trop longue et trop démonstrative.

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Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2011)

Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin)

"Une Séparation" est le cinquième film de Asghar FARHADI et celui qui lui a valu la consécration internationale avec notamment l'Ours d'or à Berlin, le César, l'Oscar et le Golden Globe du meilleur film étranger. De plus, grâce à son succès en salles, il a permis à beaucoup de gens de découvrir le cinéma iranien et sa société conflictuelle ("séparation" entre les sexes, les générations, les classes sociales, les valeurs, la religion) dans laquelle comme chez Jean RENOIR, chacun a ses raisons. Autrement dit, même si "Une Séparation" est en grande partie un film de procédure judiciaire, ce n'est pas un film qui juge ses protagonistes. Bien au contraire, il expose toute la complexité de leur situation derrière leurs actes sans que pour autant leurs conséquences désastreuses ne soient évacuées. Ainsi dès la première scène, on voit un couple issu d'une classe sociale plutôt aisée, Nader (Payman MAADI) et Simin (Leila HATAMI) se déchirer autour d'une procédure de divorce. Simin veut profiter du visa d'immigration qu'elle a obtenu pour partir à l'étranger et donner à leur fille Termeh (Sarina FARHADI) un meilleur avenir. Mais Nader refuse de la suivre parce qu'il ne veut pas abandonner son vieux père atteint de la maladie d'Alzheimer et dont il a la charge. N'obtenant pas satisfaction, Simin part vivre chez ses parents, espérant sans doute ainsi faire changer d'avis son mari et prend de l'argent pour payer un supplément aux déménageurs sans le lui dire. Cette méthode qui repose sur le non-dit et le rapport de forces provoque une série de catastrophes en chaîne en mêlant aux problèmes de Nader et Simin ceux d'un autre couple, beaucoup plus pauvre, Razieh (Sareh BAYAT) et Hodjat (Shahab HOSSEINI) où là encore règne les problèmes de communication. Voyant son mari (qui est du genre à perdre facilement son sang-froid) noyé jusqu'au cou dans les problèmes d'argent, Razieh décide sans le lui dire d'aller s'employer chez Nader qui a besoin d'une aide à domicile pour son père après le départ de sa femme. Mais Razieh qui, habitant loin et n'ayant pas de voiture met beaucoup de temps à se déplacer est vite dépassée par l'ampleur de la tâche entre sa gamine Somayeh qui est dans ses pattes et fait des bêtises, sa grossesse (qu'elle a également caché pour se faire embaucher) qui la fatigue et le père de Nader dont elle n'arrive pas à correctement s'occuper, autant pour les raisons citées plus haut qu'en raison de ses croyances religieuses. Lorsque les deux couples en viennent à porter plainte l'un contre l'autre, on réalise le tissu de mensonges qui s'est dressé entre ces êtres, empêchant toute résolution à l'amiable. Derrière les conflits interpersonnels, c'est aussi un cruel portrait de l'Iran que dresse Asghar FARHADI: la sujétion de la femme, le poids de la religion, l'absence ou l'insuffisance d'éducation et de perspectives, l'abandon des plus fragiles. Le tout sous le regard des plus jeunes, Termeh et Somayeh qui apparaissent comme les principales victimes des adultes et de la société.

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Le Passé (Gozashte)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2012)

Le Passé (Gozashte)

Contrairement à Hirokazu KORE-EDA qui a perdu son identité en tournant à Paris "La Vérité" (2019), bel objet de prestige parfaitement creux, Asghar FARHADI a réussi à transplanter son univers dans le terreau français pour son premier film tourné hors d'Iran. Il faut dire que contrairement à son homologue japonais qui n'a fait tourner que des stars occidentales dans un cadre fermé et huppé, le film de Farhadi est multiculturel, brassant des acteurs venus d'horizons variés, donnant l'un des rôles principaux, celui d'Ahmad à un acteur iranien (Ali MOSAFFA) et montrant des personnages issus de la classe moyenne dans leur pavillon de banlieue en cours de rafraîchissement comme dans la banalité de leur travail. C'est d'ailleurs davantage cet ancrage réaliste qui m'a touché de prime abord que le thème principal du film à savoir le poids du passé sur le présent et donc la difficulté à tourner la page et à aller de l'avant. Mais grâce à la qualité d'écriture et à l'impeccable direction d'acteurs, on accroche à l'histoire de cette famille recomposée aux rapports conflictuels mais également prise dans les non-dits avec des rebondissements dignes d'un thriller qui nous tiennent en haleine du début à la fin. Les personnages parviennent à exister, non seulement le trio principal, Marie (Bérénice BEJO), Ahmad son ex-mari et Samir (Tahar RAHIM) son nouveau compagnon mais aussi les enfants, notamment Lucie et Fouad et Naïma (Sabrina OUAZANI) l'employée de Samir. Leurs motivations sont suffisamment complexes et développées pour éviter l'écueil du jugement facile. La scène finale qui fait écho à celle qui ouvre le film complète le panorama de la tragédie ordinaire de l'incommunicabilité entre individus qui s'aiment.

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Trois Visages (Se rokh)

Publié le par Rosalie210

Jafar Panahi (2018)

Trois Visages (Se rokh)

"Trois visages", le dernier film en date de Jafar PANAHI qui purge actuellement la peine de prison prononcée contre lui en 2010 pour sa dissidence vis à vis d'un régime qui ne cesse de se durcir a été réalisé clandestinement comme "Taxi Téhéran" (2014). Avant d'en arriver à l'emprisonner, le régime iranien lui a en effet interdit d'exercer son activité et de quitter l'Iran.

Si l'on mesure l'état d'une société à la façon dont elle traite les femmes et les artistes, alors on peut affirmer que l'Iran est très mal en point. "Trois visages" désigne trois générations d'actrices qui se rencontrent dans le film: la première, dont on ne verra que la silhouette est une ancienne vedette de l'Iran du Shah tombée en disgrâce à la suite de la révolution islamique et ostracisée par le village dans lequel elle vit (ce qui lui donne paradoxalement plus de libertés, comme celles que se permet Jafar Panahi qui va tourner dans l'un des coins les plus reculés du pays pour être sous les radars mais où les habitants se sentent abandonnés par l'Etat). La seconde est une actrice d'aujourd'hui, Behnaz Jafari qui joue son propre rôle et reçoit une vidéo d'une jeune fille à qui sa famille refuse de faire une carrière d'actrice en dépit du fait qu'elle ait été reçue au conservatoire l'appelant à l'aide. Avec l'aide de Jafar PANAHI dans son propre rôle, ils se rendent dans son village proche de la Turquie pour enquêter sur son sort. Ce faisant et comme dans "Taxi Téhéran" (2014), Jafar Panahi offre un film à multiples entrées sur les contradictions de la société iranienne, le statut ambigu des images (la vidéo de la jeune fille est ainsi questionnée comme étant une mise en scène de fiction avec un effet de montage plutôt qu'un plan-séquence documentaire ce qui renvoie au film lui-même qui se tient à la frontière des deux genres) ou encore un hommage implicite à Abbas KIAROSTAMI dont Jafar Panahi a été l'assistant. J'ai reconnu dans un plan la même route aride à lacets que celle que l'on voit tout au long de "Le Goût de la cerise" (1997) qui se déroule d'ailleurs d'après mes souvenirs en grande partie dans l'habitacle d'une voiture, cocon protecteur qui dans un hommage là encore à son mentor termine avec le pare-brise fissuré. Un plan prémonitoire.

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Leila et ses frères (Leila's brothers)

Publié le par Rosalie210

Saeed Roustaee (2022)

Leila et ses frères (Leila's brothers)

En voyant "La loi de Téhéran" et son truand tragique, j'avais fait le rapprochement avec Francis Ford Coppola et la trilogie du Parrain. "Leila et ses frères" m'a confortée dans cette impression: il y a quelque chose de l'ordre de la tragédie grecque et shakespearienne dans le cinéma de Saeed Roustaee (ce que lui-même reconnaît), une fatalité qui s'acharne sur les personnages et des familles qui se déchirent jusqu'à la mort. Le caractère universel de ces références n'est pas surprenant. Coppola s'est lui-même inspiré d'un film de Akira Kurosawa pour l'ouverture du premier volet du Parrain, Kurosawa étant lui-même très influencé par Shakespeare.

"La loi de Téhéran" était une claque cinématographique et "Leila et ses frères" poursuit donc dans la même lignée avec un récit ample et dense et une mise en scène qui ne l'est pas moins. L'ouverture, magistrale dresse en montage alterné le portrait des trois acteurs majeurs du récit: le père, Esmail (Saeed Poursamimi), affamé de réussite sociale auprès de sa communauté; sa fille Leila (Taraneh Alidoosti, actrice connue pour avoir joué dans les films de Asghar Farhadi) qui ne l'est pas moins mais la recherche au sein d'un temple de la consommation de luxe, symbole du capitalisme mondialisé; et enfin Alireza (Navid Mohammadzadeh, acteur fétiche du cinéaste déjà impressionnant dans "La loi de Téhéran", Payman Maadi, l'autre acteur récurrent des films du cinéaste interprétant l'un de ses frères), le seul de ses frères qui semble capable de maturité mais qui pourtant lorsque les ouvriers de son usine se soulèvent contre leur patron qui les a escroqué préfère prendre la fuite ce qui nous renseigne sur son caractère. La suite est donc logiquement une guerre d'influence entre le père et la fille ayant pour objet l'investissement des économies de la famille avec un Alireza qui préfère botter en touche quand il n'est pas dépassé par la situation. La situation sociale précaire de la famille et la promiscuité induite par la cohabitation dans un espace restreint des parents et d'enfants adultes ne pouvant partir faute de moyens exacerbe les tensions. Le conflit générationnel est si aigu que père et fille en arrivent aux mains et à souhaiter la mort de l'autre. Conséquence tout aussi logique, une famille qui se tire ainsi dans les pattes sur fond de crise économique et de corruption généralisée (Saeed Roustaee utilise remarquablement le contexte pour amplifier encore sa dramaturgie avec la dévaluation accélérée de la monnaie iranienne) ne peut arriver qu'à s'autodétruire ce qui donne lieu à quelques scènes spectaculaires dignes comme je le disais en introduction du théâtre shakespearien.

 

Entretien avec Saeed Roustaee réalisé le 8 juillet 2022 à Paris par Mitra Etemad (pour Trendyslemag), Florence Oussadi (pour Cinépassion) et Vincent Pelisse (pour C'est quoi le cinéma).

Leila et ses frères (Leila's brothers)

Mitra Etemad (ME): Ma première question c'est que Leila est le fil rouge de cette histoire, c'est elle qui essaye de sortir son frère et sa famille des difficultés qu'ils vivent mais il y a la situation économique de l'Iran qui ne lui permet pas de s'en sortir et les traditions de la famille qui pèsent encore plus lourd sur elle. Elle envoie les idées mais c'est quand même la validation de ses frères qu'elle doit obtenir pour avancer. Elle donne tout mais elle reste en retrait parce que c'est les hommes qui décident et je vois que moi ça fait quarante ans que j'ai quitté l'Iran mais ça n'a toujours pas changé, ça encore empiré, est-ce que c'est bien ça?

Saeed Roustaee (SR): Est-ce que ça a changé? Je ne sais pas comment c'était il y a quarante ans, je n'ai que trente-deux ans, mais bon franchement, je pense que les choses ont changé. Rien que le visage de la ville, les coutumes, la culture, il y a beaucoup de choses quand même qui ont changé. Mais je ne suis pas tout à fait d'accord. Leila ne décide pas pour elle-même, elle veut aider les autres à améliorer leur situation. Parce qu'elle a fait des études, elle a un travail. Elle peut avec le travail qu'elle a avoir une assez bonne vie. Mais c'est pour sa famille, c'est à eux d'avoir le fin mot de l'histoire parce qu'elle a vu en fait à quoi ressemble une vie un peu meilleure que celle qu'ils ont. Pour elle, la solution c'est qu'ils aient un bon travail. Mais sa famille ne veut pas ou ne peut pas changer à cause des traditions, à cause aussi des problèmes de la société. Ils n'ont pas la capacité, ils n'ont pas la patience de changer tout ça tandis que Leila, elle voit la réalité en face, elle sait qu'il faut faire quelque chose.

Florence Oussadi (FO): J'avais une question très courte. Je voulais savoir pourquoi le film s'appelle Leila et ses frères et pas Leila et son père?

SR: Parce que Leila se soucie de ses frères et que son père est plutôt un obstacle.

FO: Oui et c'était cela le sens de ma question. Pourquoi, étant donné que l'affrontement est surtout entre Leila et son père et que c'est aussi un axe fort du film je trouve.

SR: Déjà il faut en fait savoir que le film en persan ne s'appelle pas Leila et ses frères mais les frères de Leila. Le personnage principal pour moi c'est la famille, c'est le noyau familial et le sujet du film, c'est de trouver un emploi.

Vincent Pelisse (VP): La séquence la plus marquante du film, c'est celle du mariage qui débute comme une célébration et qui s'achève presque comme une exécution publique donc j'aimerais qu'il nous parle un peu de la façon dont il a élaboré cette scène.

SR: Cette scène est dans le continuum du récit, elle n'arrive ni au début ni à la fin donc c'est vraiment la logique du récit qui le demande. J'avais un ami qui lorsqu'il avait vu cette scène, ça l'avait tellement énervé qu'il m'a dit: écoute franchement cette scène, on va prendre les frères, ils vont venir et ils vont tous les massacrer, ça va faire du bien à tout le monde, le spectateur se sentira super bien et on finira le film ici. J'ai dit: oui a un moment donné le spectateur se sentira bien mais il n'y aura plus de logique dans mon récit. Mais il faut savoir qu'il y a une expression en iranien qui dit: si vous voulez faire tomber quelqu'un, faites-le tomber de très haut pour que ses os se cassent et que ça fasse beaucoup de bruit. C'était ça aussi l'idée, qu'on puisse voir vraiment la descente en enfer du personnage du père d'un coup. Tout est faux dans ce mariage en fait, ce titre est faux, ce qu'on voit n'est pas vrai et ce vide il fallait vraiment le montrer.

ME: Pour rebondir sur cette scène de mariage qui est spectaculaire, au moment où le père de Leila monte, la musique baisse, on entend que ses pas, le bruit lourd de ses pas qui montent, la fête commence, c'est la descente aux enfers et au moment où il redescend c'est pareil, il y a le bruit des pas. C'est exactement l'image de la société iranienne qui est en permanence en train de monter ou descendre, ça va bien, ça va moins bien. Par cette situation d'humiliation que subit cet homme il montre aussi ce que subit la société iranienne.

SR: A ce moment là la musique n'a pas commencé. On entend donc vraiment le pas de l'homme qui monte et le moment où il descend. Pourquoi? Parce que j'insiste sur la façon dont il monte puis descend et tombe finalement Mais après, est-ce que ça ressemble à la société iranienne, ce n'est pas à moi à le dire, cela relève de la lecture de chaque spectateur.

FO: Moi j'avais aussi une question qui recoupe un petit peu celle-là. Je trouve que les films, que ce soit Leila et ses frères ou la Loi de Téhéran ont quelque chose de très shakespearien et je voulais savoir quel était son rapport au théâtre et en particulier au théâtre de Shakespeare.

SR: Je regarde beaucoup de pièces de théâtre, j'ai toujours été très théâtrophile d'une certaine manière. J'ai beaucoup lu et j'ai beaucoup lu Shakespeare bien sûr. Mais ce qui vous fait rappeler Shakespeare en regardant ce film c'est la tragédie. Parce que l'histoire de mes personnages dans ce film est extrêmement tragique. Regardez en fait d'un côté de la rue, vous traversez, vous êtes de l'autre côté et il y a l'inflation. Là on le voit avec les lingots d'or dans le film. Je me rappelle quand j'avais donné le scénario, Payman Maadi m'avait dit que c'était comique en fait. Je lui avait dit: comique en effet mais tellement vrai. En fait ce film vient de la vie des gens. La tragédie, c'est que la classe moyenne est en train de disparaître, les pauvres deviennent plus pauvres, la classe moyenne s'appauvrit alors qu'un tout petit pourcentage devient très riche grâce aux sanctions.

FO: Le comique et le tragique, c'est très proche, ça a la même source dont ça fait rire aussi.

SR: C'est tout à fait ça.

VP: Pour aller plus loin dans le lien avec la tragédie shakespearienne, il m'a semblé reconnaître dans la fratrie un parallèle avec les frères et soeurs du Parrain de Coppola. Donc je voulais savoir si c'est quelque chose auquel il avait pensé dans le processus d'écriture.

SR: J'adore Coppola, j'adore Le Parrain, c'est l'un de mes films préférés. Je n'y avais pas pensé dans l'histoire des frères et soeurs mais par contre il y a une séquence où je fais directement référence à la dernière séquence du premier film du Parrain. C'est le moment dans mon film où il y a le changement d'habits noirs vers le blanc et là j'ai essayé dans le découpage, dans la mise en scène de faire une référence claire pour rendre hommage au chef-d'oeuvre de Coppola.

ME: Où a-t-il tourné les scènes du film? L'appartement, est-ce un décor ou existe-t-il vraiment? C'est chez qui?

SR: En fait c'étaient deux petites maisons qu'on avait trouvé dans un quartier pauvre du sud de Téhéran. On a essayé de les mixer ensemble pour que ça devienne un lieu de tournage de 90 m2. C'était donc un lieu réel et non un studio, mais la manière dont on l'a travaillé avec toutes les lumières qu'on avait mis par exemple donne l'impression que c'est un studio mais c'est un lieu qui existe, c'est une ruelle qui existe et quand vous voyez le plan d'ensemble quand les frères et la soeur sont sur la terrasse, vous voyez des maisons derrière qui sont réelles. Par contre on a fait beaucoup de changements, on a acheté des colonnes par exemple pour pouvoir aménager comme on le voulait. Quand le tournage a été fini, les gens qui avaient acheté cet endroit là l'ont détruit pour reconstruire un immeuble de 6-7 étages. Maintenant, ça n'existe plus.

ME: Dans la scène où les deux frères se parlent dans la voiture, ça me rappelle vachement La loi de Téhéran, cette espèce d'intensité dans les dialogues, cette puissance où tous les deux sont sûrs de ce qu'ils disent, ils s'affrontent en fait et ça me rappelle beaucoup l'intensité de La loi de Téhéran sauf que dans Leila c'est beaucoup plus calme en fait, c'est sur la durée et que la Loi de Téhéran, est intense dès le départ et nous plonge dans une espèce d'enfer tandis que là il va crescendo. Est-ce que c'est exprès qu'il a pris des petits codes de La loi de Téhéran ou est-ce vraiment sa signature?

SR: Au moment de l'écriture du scénario, c'est à ce moment-là que je pense aux acteurs. Ce n'est pas parce qu'ils étaient dans mon autre film que je vais les choisir. Même si on est très  potes et qu'on est super amis avec Navid et Payman. Néanmoins les acteurs s'imposent à moi au moment de l'écriture, c'est dans mon inconscient. Pendant que j'écris je vois tel ou tel acteur qui est en train de dire le dialogue que je suis en train d'écrire. Ils viennent à moi, ils s'imposent à moi, ce n'est pas moi qui vais les choisir. En sachant qu'on habite tous en Iran même si Payman est plus aux Etats-Unis.

FO: J'avais été très frappée par la pugnacité aussi bien dans La loi de Téhéran que dans Leila et ses frères de Nacer [le truand de "La loi de Téhéran"] et de Leila. Je trouve que ces deux personnages se ressemblent dans leur rage de vivre et de lutter par la parole, par l'action mais surtout par la parole contre un sort qui leur est contraire et je voulais savoir si il concevait le cinéma comme un combat, à la manière de ses personnages.

SR: Le cinéma pour moi c'est la vie avant tout et puis c'est la lutte parce que la vie est une lutte finalement. Je connais personne qui se satisfait de ce qu'il a ou de la situation dans laquelle est il. Les gens veulent toujours améliorer leur situation. Je ne suis peut-être pas comme les  autres mais en tout cas je vois ça comme ça. On ne va jamais vouloir rester comme on est ou que les choses soient pires mais on veut toujours que les choses s'améliorent.

VP: Dans quelques scènes, on voit la famille regarder la télévision et notamment des chaînes d'information. On voit Donald Trump et d'autres fois ils regardent beaucoup de matchs de catch donc j'aimerais qu'il nous parle de l'influence de la culture américaine en Iran.

SR: Alors en ce qui concerne la culture américaine, est-ce que vous connaissez un endroit au monde où elle n'a pas eu d'influence? De l'autre côté au niveau du catch ce qui est important c'est le réel et l'irréel. Est-ce que le catch est fake, est-ce que c'est une mise en scène ou est-ce que ce combat télévisé est du réel? C'est un leitmotiv qu'on va retrouver tout au long du film. Est-ce que vraiment ce père dans sa situation va utiliser tout son argent pour acheter des cadeaux pour ce mariage là, est-ce que c'est une histoire réelle ou bien irréelle. Ce mariage, est-ce qu'il existe, est-ce qu'on va faire ce genre de mariage avec ce genre de cadeaux? C'est comme ça qu'il faut regarder le combat de catch.

Merci à la Mensch Agency et à Wild Bunch pour cette table ronde.

Leila et ses frères (Leila's brothers)

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Les nuits de Mashhad (Holy Spider)

Publié le par Rosalie210

Ali Abbasi (2022)

Les nuits de Mashhad (Holy Spider)

Les nuits de Mashhad est le troisième long-métrage du réalisateur irano-danois Ali Abbasi. Il repose sur des faits réels à savoir le parcours d'un tueur en série ayant assassiné 16 prostituées entre 2000 et 2001 dans la ville sainte de Mashhad, deuxième ville la plus peuplée d'Iran (bien que pour des raisons évidentes, le tournage ait eu lieu en Jordanie). La réalisation, très classique repose sur un montage parallèle visant à nous faire prendre conscience des dysfonctionnements de la société iranienne. D'un côté Saeed Haneei (Mehdi Bajestani), un maçon, bon père de famille très croyant et ancien combattant de surcroît (de la guerre Iran-Irak) qui se transforme la nuit en nettoyeur, persuadé de mener une mission divine alors que les autorités ne lèvent pas le petit doigt pour l'arrêter. De l'autre, Rahimi, une journaliste (Zar Amir Ebrahimi, prix d'interprétation féminine au festival de Cannes 2022) enquêtant sur les faits avec pugnacité mais à qui ces mêmes autorités ne cessent de mettre des bâtons dans les roues. Par la suite, la confusion entre le bien et le mal s'accentue encore quand au moment de son procès, Saeed Haneei est acclamé par une partie de la population qui le considère comme un justicier et réclame sa libération. Bénéficiant de complicités jusqu'au sein de la prison où il est enfermé, celui-ci continue donc à penser qu'il est intouchable alors que Rahimi, elle, paraît bien seule dans cette société machiste. Même si elle développe une relation d'estime avec son collègue journaliste, c'est elle qui s'expose et s'exposer en Iran quand on est une femme peut être mortel.

Même si le ton est parfois trop appuyé, le film dresse un portrait saisissant de l'hypocrisie voire de la schizophrénie de tout un pays obsédé par la pureté des moeurs (ou du moins sa façade sociale) au point d'ériger en héros un assassin qui lui-même justifie ses crimes par la religion alors que le film montre frontalement l'ivresse de la toute-puissance et la jouissance sexuelle qu'il en tire. C'est d'ailleurs ce qui finit par lui valoir les foudres d'autorités qui après l'avoir longtemps laissé courir comprennent qu'elles risquent d'être débordées par le désordre qu'il déchaîne sur son passage. Quant aux prostituées, elles représentent évidemment la poussière sous le tapis, métaphore illustrée littéralement par les méthodes du tueur, retranscrites de façon clinique et prêtes à être reproduites à la génération suivante qui n'en perd pas une miette. Rahimi, personnage fictif dérange cet ordre des choses: ni soumise, ni diminuée par la drogue, sa voix ne peut être étouffée en dépit des intimidations dont elle fait l'objet. On comprend le symbole du prix d'interprétation à une actrice obligée de s'exiler en France à la suite d'une affaire de "revenge porn" l'ayant brutalement privée de carrière en Iran.

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La Loi de Téhéran (Metri Shesh Va Nim)

Publié le par Rosalie210

Saeed Roustaee (2021)

La Loi de Téhéran (Metri Shesh Va Nim)

J'aurais dû voir "La loi de Téhéran" en avant-première mais manque de chance, je n'avais pas pu me libérer. Manque de chance car c'est le premier film iranien qui m'enthousiasme autant. La mise en scène est brillante mais elle ne fait pas tout. Des thrillers efficaces mais sans âme, on en a vu beaucoup au cinéma. Or celui-ci est au service d'une véritable histoire et de personnages qui existent et ont une résonance universelle tout en s'inscrivant dans le contexte de leur pays d'origine.

"La loi de Téhéran" souligne un paradoxe mainte fois vérifié pourtant: plus une société est puritaine et répressive, plus elle génère de comportements déviants. "L'ordre moral" de la théocratie iranienne cache donc une réalité aux antipodes des buts affichés par les religieux au pouvoir. Ainsi le film montre brillamment que l'Iran est incapable d'endiguer l'addiction de masse de sa population à la drogue et que sa criminalisation n'a aucun effet sur le problème. L'accès aux produits opiacés est facilité par la position géographique du pays par lequel transite l'opium afghan (90% de la production mondiale) et deux très belles scènes qui se répondent au début et à la fin montrent que la chasse aux drogués par la police est inefficace, leur nombre augmentant trois fois plus vite que celui de la population. De plus, le film montre que si les arrestations touchent surtout les hommes, c'est toute la société qui est gangrenée par ce fléau. Des femmes de dealers sont complices en dissimulant sur elles les substances illicites, des pères accusent leurs enfants pour éviter d'aller en prison ou d'être condamné à mort, des amis ou des fiancé(e)s deviennent des traîtres etc.

Ce réalisme documentaire qui innerve le film (de véritables drogués sont venus prêter main-forte en tant que figurants aux acteurs) n'empêche pas celui d'être puissamment romanesque avec le portrait de deux flics tenaces mais ambigus et surtout d'un caïd tout aussi acharné à lutter qu'eux mais qui se retrouve dépassé par les événements, entraînant dans sa chute toute sa famille, idée là encore illustrée à l'aide d'un montage particulièrement expressif. Le personnage de Nasser est de la trempe d'un Tony Montana ou d'un Michael Corleone ou encore d'un Cosmo Vitelli c'est à dire qu'il dépasse le jugement manichéen et ce d'autant plus que tout ce qu'il aura bâti pour sortir de la misère et aider sa famille lui sera brutalement repris. A l'image de la frappante scène d'introduction, le film montre une société d'emmurés vivants dans laquelle ne subsiste aucun espoir (la mort de l'enfant d'Hamid en est une autre illustration).

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Marché noir (Koshtargah)

Publié le par Rosalie210

Abbas Amini (2020)

Marché noir (Koshtargah)

"Marché noir" a reçu Le Prix du Jury lors du festival du Film Policier -Reims Polar pour sa 38ème édition, édition qui a également récompensé un autre polar iranien "La Loi de Téhéran" (2021) avec le Grand Prix.

"Marché noir" évoque l'économie parallèle qui s'est développée en Iran autour du trafic des devises, principalement des dollars américains. La première séquence du film est extrêmement prometteuse car le film commence directement par une scène de crime. La tension est là d'emblée avec la pression croissante de la famille des trois hommes disparus qui ne cesse de s'accroître sur les épaules du personnage principal. Il s'agit d'Amir, jeune homme au passé aussi chargé que ses tatouages qui est devenu l'homme de confiance du meurtrier, un patron véreux pour aider son père qui travaille comme gardien dans son abattoir. Abattoir qui comme on l'apprend très vite n'est qu'une couverture dissimulant un marché noir de transactions financières menacé par les descentes policières mais aussi par les règlements de comptes entre les trafiquants.

"Marché noir" est un polar efficace et bien structuré autour de son axe principal (le crime sera-t-il découvert? Amir finira-t-il par craquer?) Néanmoins il y a quelques grosses ficelles scénaristiques (on a du mal à croire à la naïveté du patron qui vient se jeter dans la gueule du loup et à celle d'Amir qui l'a attiré en pensant que la famille des défunts veut seulement lui parler). D'autre part, Amir est un personnage bien peu consistant. Il semble subir tout ce qui lui arrive, être ballotté au gré des événements, tiraillé entre son père avec lequel il a une relation conflictuelle (mais à peine ébauchée) et Asra, parente de l'un des défunts, tenace et perspicace (seul personnage féminin important du film qui d'ailleurs a le dernier mot mais qui méritait lui aussi d'être davantage creusé) sans avoir de volonté propre.

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Taxi Téhéran (Taxi)

Publié le par Rosalie210

Jafar Panahi (2015)

Taxi Téhéran (Taxi)

"Taxi Téhéran" est un formidable témoignage du paradoxe dans lequel est plongé le cinéma iranien. D'un côté il existe dans ce pays une tradition d'éducation à l'image particulièrement poussée qui a fait éclore de grands cinéastes régulièrement primés dans les festivals. De l'autre, l'oppression du régime islamique sur le cinéma est très forte, imposant à l'ensemble du processus de création un code moral extrêmement contraignant et faisant peser sur les cinéastes comme sur le reste de la société une lourde chape de répression.

L'oppression subie par la société iranienne est plus que palpable dans "Taxi Téhéran". Il s'agit en effet d'un film réalisé clandestinement par un cinéaste, Jafar PANAHI qui depuis 2010 n'a plus le droit de réaliser des films, de donner des interviews et de quitter son pays. Face à ce verdict intolérable, Jafar PANAHI a choisi de résister pour ne pas se laisser détruire. Dans "Taxi Téhéran", il s'improvise chauffeur de taxi collectif afin de tromper les autorités mais aussi parce que l'habitacle du véhicule, intermédiaire entre public et privé est un espace de contact et de discussion idéal où la liberté est préservée. L'oppression du régime est évoquée également à la fin du film quand l'avocate Nasrin Sotoudeh spécialiste des droits de l'homme elle aussi interdite d'exercice de son métier monte à bord du véhicule pour donner des nouvelles de l'héroïne d'un ancien film de Jafar PANAHI, "Hors jeu" (2006) qui s'intéressait aux femmes qui bravent l'interdiction de se rendre dans un stade.

Car même s'il se nourrit d'une importante matière documentaire, "Taxi Téhéran" n'en est pas un. Plus exactement, il joue beaucoup sur la frontière ténue entre fiction et réalité. Ainsi on apprend assez vite que les clients du taxi sont en fait des acteurs non professionnels (dont l'anonymat a été préservé pour des raisons de sécurité). L'un d'entre eux démasque en effet le cinéaste et dévoile aussi le dispositif fictionnel du film. Cette volonté de transparence vis à vis du spectateur appuie le discours du film qui oppose les visées moralisatrices du régime à la responsabilité individuelle de juger du bien et du mal à travers le processus de création filmique. L'Etat définit des normes moralisatrices pour l'ensemble de la société qui s'appliquent également aux films "diffusables". Jafar PANAHI effectue une remarquable mise en abyme. Sa nièce munie de sa propre petite caméra doit réaliser un film selon ces normes. Elle se retrouve face à un petit voleur qu'elle essaye de moraliser pour fabriquer un héros positif recevable par les autorités islamiques. Bien entendu il refuse de rendre ce qu'il a pris et évoque pour sa défense les injustices sociales qui brouillent les frontières entre le bien et le mal. Il ne peut le faire que parce qu'il est filmé par Jafar PANAHI qui montre une réalité sociale là où sa nièce doit fabriquer de toutes pièces la fiction que veulent les autorités.

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Hors-Jeu (Offside)

Publié le par Rosalie210

Jafar Panahi (2006)

Hors-Jeu (Offside)

Les films de Jafar Panahi sont indissociables du contexte dans lequel ils ont été réalisés. Comme ses jeunes héroïnes, Jafar Panahi a bravé les autorités religieuses iraniennes qui font pleuvoir les interdictions sur sa tête depuis près de 20 ans. Il a développé des méthodes éprouvées pour pouvoir continuer à tourner clandestinement en utilisant le format vidéo, moins surveillé et en employant une double équipe, la première, déclarée officiellement n'étant qu'un leurre pour lui permettre de pouvoir continuer à travailler.

"Hors-Jeu" se déroule durant le match de qualification de l'Iran contre le Bahrein pour la coupe du monde 2006. Le début, la fin et les quelques plans volés du match ont été tournés dans le stade Azadi et ses alentours, au moment des faits, donnant au film un aspect documentaire renforcé par la présence d'acteurs et actrices non professionnels. Le caractère d'urgence et d'interdit de ces séquences prises sur le vif se joue à un double niveau: dans le film avec ces filles qui cherchent à ruser pour entrer dans le stade coûte que coûte alors qu'elles n'en ont plus le droit depuis la révolution islamique de 1979 et derrière la caméra avec Panahi qui filme sous le manteau et à l'aveugle.

Le résultat, outre sa maîtrise globale (en dépit des conditions de tournage et d'une fin improvisée en fonction du résultat du match) est un témoignage saisissant de l'oppression subie par la jeunesse iranienne de la part des traditionalistes détenteurs du pouvoir. Le face à face des supportrices avec les jeunes soldats chargé de les parquer et de les surveiller dans un recoin extérieur du stade démontre que les garçons sont tout autant victimes que les filles du puritanisme. La plupart d'entre eux préfèreraient regarder le match. Mais ils sont sous pression et conditionnés comme le montre l'incroyable scène des toilettes où le soldat traque la moindre trace suspecte de cohabitation des sexes. L'humour, très présent met en relief l'absurdité du système et aussi son hypocrisie. Des filles parviennent toujours à se glisser parmi les garçons dans les tribunes (comme l'a fait la propre fille du réalisateur, lui donnant ainsi l'idée du film) de même que tout le monde en Iran se débrouille pour voir les films de Panahi pourtant interdits.

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