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Articles avec #cinema iranien tag

Le Diable n'existe pas (Sheytan vojud nadarad)

Publié le par Rosalie210

Mohammad Rasoulof (2020)

Le Diable n'existe pas (Sheytan vojud nadarad)

Avant son arrestation, je ne savais pas qui était Mohammad RASOULOF. Grâce à Arte, on peut voir "Le Diable n'existe pas" qui lui a valu de remporter l'Ours d'or à Berlin en 2020. Le film a été tourné clandestinement, le cinéaste ayant dû ruser avec la censure. C'est en partie ce qui explique la forme segmentée du film, le réalisateur ayant dû faire croire aux autorités qu'il s'agissait de quatre films réalisés par des assistants différents, lui-même devant se cacher pour ne pas être reconnu sur le plateau. La forme divisée en chapitres ne résulte donc pas d'un choix mais d'une nécessité et les quatre histoires ont beaucoup en commun. Il s'agit de quatre hommes, deux jeunes effectuant le service militaire et deux ayant l'âge d'être père de famille. Chacun d'eux se retrouve ou s'est retrouvé confronté à l'exécution capitale, celle-ci découvre-t-on pouvant être effectuée par de jeunes conscrits dans des conditions artisanales qui les mettent face à leur acte ou par un bourreau professionnel qui n'a qu'à appuyer sur un simple tableau de bord. Ainsi pour ce dernier, tout est simple et sa vie ordinaire illustre le concept de "banalité du mal" de Hannah Arendt que l'on attribue d'ordinaire au nazisme. Mais afin justement que le spectateur ne puisse pas banaliser l'acte, Rasoulof filme la séquence-choc de l'agonie des condamnés, ne nous épargnant aucun détail même si l'on ne voit que leurs pieds. Les trois autres hommes qui ne sont pas des professionnels de la mort sont confrontés à un choix. Car -et en cela le film lui-même en témoigne- même au sein d'un système totalitaire, les hommes ont le choix. Celui d'accepter d'être un rouage du système et de vivre dans la culpabilité le restant de ses jours ou celui de désobéir et d'être en paix avec soi-même, mais en étant exclu de la société, l'Etat faisant payer très cher ceux qui lui résistent. Par ailleurs, plus le film avance, plus la mise en scène, confinée dans les deux premiers volets (parking, voiture, dortoir, couloirs) devient ample avec les deux derniers volets tournés dans des paysages magnifiques (une forêt puis un paysage de montagne aride). Et si donner la mort incombe aux hommes, les femmes ont également un rôle à jouer quand elles sont conscientes des enjeux, soutenant sans réserve ceux qui choisissent de désobéir ou condamnant ceux qui acceptent les compromissions.

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Beach Flags

Publié le par Rosalie210

Sarah Saidan (2014)

Beach Flags

"Beach Flags" est un court-métrage d'animation de la réalisatrice iranienne Sarah SAIDAN qui s'est installée en France en 2009. "Beach Flags" qui évoque la condition difficile des femmes athlètes en Iran a remporté de nombreux prix et s'avère d'une brûlante actualité. Le film est un récit initiatique dans lequel le sport associé à la compétition et à l'individualisme se transforme en moyen d'émancipation grâce à la solidarité entre les jeunes athlètes. La façon dont les jeunes filles retournent contre la société patriarcale leurs propres moyens d'oppression concerne également le hijab qui devient un procédé de camouflage permettant de mystifier la famille qui veut empêcher leur fille de concourir. Sur la forme, le film fait penser à "Persepolis" (2007) même s'il s'agit d'un court-métrage en couleurs. Le trait est en effet proche de celui de Marjane SATRAPI, autre réalisatrice iranienne ayant utilisé l'animation pour évoquer sa jeunesse rebelle en Iran.

Le "Beach flag" est une course sur la plage qui est la seule épreuve sportive à laquelle les nageuses-sauveteuses iraniennes peuvent participer car elles peuvent concourir habillées et voilées. Toutes les épreuves en maillot de bain leur sont, quant à elles, interdites. Un maigre espace de liberté dans un océan d'oppression que l'on ressent à travers les cauchemars de l'héroïne, Vida.

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Les Ombres Persanes (Tafrigh)

Publié le par Rosalie210

Mani Haghighi (2023)

Comme un air de "Matrix Révolutions"

Comme un air de "Matrix Révolutions"

Le cinéma iranien ne cesse de me surprendre par sa richesse, sa diversité, alors même qu'il est entravé par le pouvoir en place. Après les drames sentimentaux, les docu-fictions, les polars et les thrillers, "Les ombres persanes" est le premier film fantastique issu de ce pays que j'ai pu voir. Bien que l'histoire soit traitée avec réalisme, deux éléments viennent jeter le trouble. Le premier est la pluie, incessante et battante qui s'abat sur l'ensemble du film, doublée d'une atmosphère sombre et confuse qui ne cède la place à une éclaircie que lors d'un très bref moment destiné à s'avanouir aussi vite qu'il est apparu. Car pour le reste, c'est le déluge, une atmosphère de fin du monde et d'horizon bouché (à la manière parfois de "Matrix Revolutions" et cet écho fait sens) qui s'infiltre jusque dans la demeure de Tarzaneh et Jalal. Justement, Tarzaneh qui est monitrice d'auto-école croit apercevoir son mari entrer chez une autre femme. Ce qui nous amène au deuxième élément fantastique du film, à savoir qu'il existe un couple à l'apparence jumelle de celle de Tarzaneh et Jalal, formé par Bita et Mohsen, plus aisés et parents d'un petit garçon. Aucune explication rationnelle ne nous est donnée sur cette troublante ressemblance et la piste génétique est vite abandonnée. Ce que l'on remarque en revanche c'est qu'il s'agit de couples mal assortis aux polarités inversées. Tarzaneh qui est enceinte semble dépressive et angoissée alors que Mohsen est jaloux et violent. A l'inverse, Jalal est gentil et dévoué et Bita, souriante et équilibrée. Logiquement, Bita et Jalal, trop beaux pour être vrais ne peuvent que céder la place à Farzaneh et Mohsen qui incarnent les différentes formes de mal-être générées par les dysfonctionnements de la société iranienne, plus fortes que leurs différences. Taraneh ALIDOOSTI et Navid MOHAMMADZADEH peuvent ainsi comme dans de nombreux films sur ce thème éminemment cinématographique montrer différentes facettes de leur jeu. L'excellence de leur interprétation compense en partie les maladresses du scénario.

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Aucun ours (Khers Nist)

Publié le par Rosalie210

Jafar Panahi (2022)

Aucun ours (Khers Nist)

"Aucun ours" s'appelle ainsi en référence à une phrase prononcée par un habitant du village où réside Jafar PANAHI dans le film. Mais c'est aussi symboliquement une allusion au danger et au mensonge, plus exactement au fait qu'un faux danger peut en cacher un autre qui lui est vrai. On ne va pas tourner autour du pot, le dernier film de Jafar PANAHI est indissociable de ses conditions de production clandestines, comme ses quatre réalisations précédentes et indissociable également de son contexte, celui de l'insurrection impitoyablement réprimée par les autorités iraniennes dans lequel les femmes et les artistes ont payé le prix fort. Jafar PANAHI a fait sept mois de prison peu de temps après avoir achevé son film et une fois libéré, a pu se rendre en France alors qu'il n'avait plus le droit de sortir d'Iran depuis 14 ans. Cet aspect carcéral et sans perspectives pèse de tout son poids dans "Aucun ours". Jafar PANAHI s'y met en scène dans son propre rôle, celui d'un cinéaste obligé de se cacher dans un village reculé proche de la frontière turque pour pouvoir tourner à distance. Mais les aléas de la connexion internet entravent son projet. Surtout, il se retrouve au coeur d'un imbroglio avec les villageois persuadés qu'il a pris une photo prouvant qu'une jeune fille promise depuis sa naissance à un des hommes du village est amoureuse d'un autre. Evidemment Jafar PANAHI refuse de laisser son art se faire instrumentaliser par ces mentalités patriarcales d'un autre âge. Le parallèle entre sa situation et celle du couple clandestin est donc souligné à travers les mises en abyme que Jafar PANAHI aime mettre en scène et ce jusqu'à l'exil impossible qui trace une voie sans issue ce qui n'empêche pas les traits d'humour comme "politesse du désespoir".

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Le Client (Forushande)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2015)

Le Client (Forushande)

"Le Client" est un bon film mais inférieur à "Une séparation" (2010). C'est le revers de la médaille de la consécration internationale. Le fait de concourir à Cannes, à Berlin ou à Venise et d'y remporter des prix entraîne des répercussions sur les films de leurs auteurs qui ont tendance à se standardiser selon des canons occidentaux. Certes, "Le Client" évoque une agression sous la douche à côté de laquelle celle de "Psychose" (1960) qui était pourtant censurée par le code Hays paraît ultra osée. C'est bien simple, dans le film de Asghar FARHADI, tout se passe en hors-champ et la nature de l'agression ne sera jamais explicitement dévoilée. Mais le fait de passer par une mise en abyme théâtrale (celle d'une pièce de Arthur Miller "Mort d'un commis voyageur") pour expliciter par le décalage absurde entre les répliques ("je suis sans vêtements") et l'actrice enveloppée des pieds à la tête qu'il est inconcevable qu'une femme iranienne se déshabille devant un public est en revanche un procédé usé jusqu'à la corde ("Drive My Car" (2021) tout récemment en faisait de même avec Tchékhov). De même, si l'on peut comprendre pourquoi la jeune femme ne veut pas porter plainte (déjà que la France n'est pas un modèle en la matière alors l'Iran où l'on tue des femmes pour des cheveux qui dépassent du foulard, n'en parlons pas), la manière dont son mari en fait une affaire de vengeance personnelle ressemble à des dizaines d'histoires semblables où on ne porte pas plainte et où l'on enquête soi-même avec une déconcertante facilité par rapport à la vie réelle. L'aspect le plus intéressant du film finalement est ce que l'agression révèle des dissensions au sein du couple (perceptibles dès les premières images avec les murs lézardés de leur chambre). Le vernis moderne se craquèle pour laisser place aux réactions violentes du mari mortifié dans son amour-propre et qui ne supporte pas que sa femme puisse être de quelque façon que ce soit amalgamée à une putain. L'image et l'honneur sont bien plus importants à ses yeux que le bien-être de sa femme ou l'état de santé de l'homme qu'il finit par coincer. Dommage que Asghar FARHADI ait eu la main très lourde sur la fin qui est trop longue et trop démonstrative.

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Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2011)

Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin)

"Une Séparation" est le cinquième film de Asghar FARHADI et celui qui lui a valu la consécration internationale avec notamment l'Ours d'or à Berlin, le César, l'Oscar et le Golden Globe du meilleur film étranger. De plus, grâce à son succès en salles, il a permis à beaucoup de gens de découvrir le cinéma iranien et sa société conflictuelle ("séparation" entre les sexes, les générations, les classes sociales, les valeurs, la religion) dans laquelle comme chez Jean RENOIR, chacun a ses raisons. Autrement dit, même si "Une Séparation" est en grande partie un film de procédure judiciaire, ce n'est pas un film qui juge ses protagonistes. Bien au contraire, il expose toute la complexité de leur situation derrière leurs actes sans que pour autant leurs conséquences désastreuses ne soient évacuées. Ainsi dès la première scène, on voit un couple issu d'une classe sociale plutôt aisée, Nader (Payman MAADI) et Simin (Leila HATAMI) se déchirer autour d'une procédure de divorce. Simin veut profiter du visa d'immigration qu'elle a obtenu pour partir à l'étranger et donner à leur fille Termeh (Sarina FARHADI) un meilleur avenir. Mais Nader refuse de la suivre parce qu'il ne veut pas abandonner son vieux père atteint de la maladie d'Alzheimer et dont il a la charge. N'obtenant pas satisfaction, Simin part vivre chez ses parents, espérant sans doute ainsi faire changer d'avis son mari et prend de l'argent pour payer un supplément aux déménageurs sans le lui dire. Cette méthode qui repose sur le non-dit et le rapport de forces provoque une série de catastrophes en chaîne en mêlant aux problèmes de Nader et Simin ceux d'un autre couple, beaucoup plus pauvre, Razieh (Sareh BAYAT) et Hodjat (Shahab HOSSEINI) où là encore règne les problèmes de communication. Voyant son mari (qui est du genre à perdre facilement son sang-froid) noyé jusqu'au cou dans les problèmes d'argent, Razieh décide sans le lui dire d'aller s'employer chez Nader qui a besoin d'une aide à domicile pour son père après le départ de sa femme. Mais Razieh qui, habitant loin et n'ayant pas de voiture met beaucoup de temps à se déplacer est vite dépassée par l'ampleur de la tâche entre sa gamine Somayeh qui est dans ses pattes et fait des bêtises, sa grossesse (qu'elle a également caché pour se faire embaucher) qui la fatigue et le père de Nader dont elle n'arrive pas à correctement s'occuper, autant pour les raisons citées plus haut qu'en raison de ses croyances religieuses. Lorsque les deux couples en viennent à porter plainte l'un contre l'autre, on réalise le tissu de mensonges qui s'est dressé entre ces êtres, empêchant toute résolution à l'amiable. Derrière les conflits interpersonnels, c'est aussi un cruel portrait de l'Iran que dresse Asghar FARHADI: la sujétion de la femme, le poids de la religion, l'absence ou l'insuffisance d'éducation et de perspectives, l'abandon des plus fragiles. Le tout sous le regard des plus jeunes, Termeh et Somayeh qui apparaissent comme les principales victimes des adultes et de la société.

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Le Passé (Gozashte)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2012)

Le Passé (Gozashte)

Contrairement à Hirokazu KORE-EDA qui a perdu son identité en tournant à Paris "La Vérité" (2019), bel objet de prestige parfaitement creux, Asghar FARHADI a réussi à transplanter son univers dans le terreau français pour son premier film tourné hors d'Iran. Il faut dire que contrairement à son homologue japonais qui n'a fait tourner que des stars occidentales dans un cadre fermé et huppé, le film de Farhadi est multiculturel, brassant des acteurs venus d'horizons variés, donnant l'un des rôles principaux, celui d'Ahmad à un acteur iranien (Ali MOSAFFA) et montrant des personnages issus de la classe moyenne dans leur pavillon de banlieue en cours de rafraîchissement comme dans la banalité de leur travail. C'est d'ailleurs davantage cet ancrage réaliste qui m'a touché de prime abord que le thème principal du film à savoir le poids du passé sur le présent et donc la difficulté à tourner la page et à aller de l'avant. Mais grâce à la qualité d'écriture et à l'impeccable direction d'acteurs, on accroche à l'histoire de cette famille recomposée aux rapports conflictuels mais également prise dans les non-dits avec des rebondissements dignes d'un thriller qui nous tiennent en haleine du début à la fin. Les personnages parviennent à exister, non seulement le trio principal, Marie (Bérénice BEJO), Ahmad son ex-mari et Samir (Tahar RAHIM) son nouveau compagnon mais aussi les enfants, notamment Lucie et Fouad et Naïma (Sabrina OUAZANI) l'employée de Samir. Leurs motivations sont suffisamment complexes et développées pour éviter l'écueil du jugement facile. La scène finale qui fait écho à celle qui ouvre le film complète le panorama de la tragédie ordinaire de l'incommunicabilité entre individus qui s'aiment.

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Trois Visages (Se rokh)

Publié le par Rosalie210

Jafar Panahi (2018)

Trois Visages (Se rokh)

"Trois visages", le dernier film en date de Jafar PANAHI qui purge actuellement la peine de prison prononcée contre lui en 2010 pour sa dissidence vis à vis d'un régime qui ne cesse de se durcir a été réalisé clandestinement comme "Taxi Téhéran" (2014). Avant d'en arriver à l'emprisonner, le régime iranien lui a en effet interdit d'exercer son activité et de quitter l'Iran.

Si l'on mesure l'état d'une société à la façon dont elle traite les femmes et les artistes, alors on peut affirmer que l'Iran est très mal en point. "Trois visages" désigne trois générations d'actrices qui se rencontrent dans le film: la première, dont on ne verra que la silhouette est une ancienne vedette de l'Iran du Shah tombée en disgrâce à la suite de la révolution islamique et ostracisée par le village dans lequel elle vit (ce qui lui donne paradoxalement plus de libertés, comme celles que se permet Jafar Panahi qui va tourner dans l'un des coins les plus reculés du pays pour être sous les radars mais où les habitants se sentent abandonnés par l'Etat). La seconde est une actrice d'aujourd'hui, Behnaz Jafari qui joue son propre rôle et reçoit une vidéo d'une jeune fille à qui sa famille refuse de faire une carrière d'actrice en dépit du fait qu'elle ait été reçue au conservatoire l'appelant à l'aide. Avec l'aide de Jafar PANAHI dans son propre rôle, ils se rendent dans son village proche de la Turquie pour enquêter sur son sort. Ce faisant et comme dans "Taxi Téhéran" (2014), Jafar Panahi offre un film à multiples entrées sur les contradictions de la société iranienne, le statut ambigu des images (la vidéo de la jeune fille est ainsi questionnée comme étant une mise en scène de fiction avec un effet de montage plutôt qu'un plan-séquence documentaire ce qui renvoie au film lui-même qui se tient à la frontière des deux genres) ou encore un hommage implicite à Abbas KIAROSTAMI dont Jafar Panahi a été l'assistant. J'ai reconnu dans un plan la même route aride à lacets que celle que l'on voit tout au long de "Le Goût de la cerise" (1997) qui se déroule d'ailleurs d'après mes souvenirs en grande partie dans l'habitacle d'une voiture, cocon protecteur qui dans un hommage là encore à son mentor termine avec le pare-brise fissuré. Un plan prémonitoire.

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Leila et ses frères (Leila's brothers)

Publié le par Rosalie210

Saeed Roustaee (2022)

Leila et ses frères (Leila's brothers)

En voyant "La loi de Téhéran" et son truand tragique, j'avais fait le rapprochement avec Francis Ford Coppola et la trilogie du Parrain. "Leila et ses frères" m'a confortée dans cette impression: il y a quelque chose de l'ordre de la tragédie grecque et shakespearienne dans le cinéma de Saeed Roustaee (ce que lui-même reconnaît), une fatalité qui s'acharne sur les personnages et des familles qui se déchirent jusqu'à la mort. Le caractère universel de ces références n'est pas surprenant. Coppola s'est lui-même inspiré d'un film de Akira Kurosawa pour l'ouverture du premier volet du Parrain, Kurosawa étant lui-même très influencé par Shakespeare.

"La loi de Téhéran" était une claque cinématographique et "Leila et ses frères" poursuit donc dans la même lignée avec un récit ample et dense et une mise en scène qui ne l'est pas moins. L'ouverture, magistrale dresse en montage alterné le portrait des trois acteurs majeurs du récit: le père, Esmail (Saeed Poursamimi), affamé de réussite sociale auprès de sa communauté; sa fille Leila (Taraneh Alidoosti, actrice connue pour avoir joué dans les films de Asghar Farhadi) qui ne l'est pas moins mais la recherche au sein d'un temple de la consommation de luxe, symbole du capitalisme mondialisé; et enfin Alireza (Navid Mohammadzadeh, acteur fétiche du cinéaste déjà impressionnant dans "La loi de Téhéran", Payman Maadi, l'autre acteur récurrent des films du cinéaste interprétant l'un de ses frères), le seul de ses frères qui semble capable de maturité mais qui pourtant lorsque les ouvriers de son usine se soulèvent contre leur patron qui les a escroqué préfère prendre la fuite ce qui nous renseigne sur son caractère. La suite est donc logiquement une guerre d'influence entre le père et la fille ayant pour objet l'investissement des économies de la famille avec un Alireza qui préfère botter en touche quand il n'est pas dépassé par la situation. La situation sociale précaire de la famille et la promiscuité induite par la cohabitation dans un espace restreint des parents et d'enfants adultes ne pouvant partir faute de moyens exacerbe les tensions. Le conflit générationnel est si aigu que père et fille en arrivent aux mains et à souhaiter la mort de l'autre. Conséquence tout aussi logique, une famille qui se tire ainsi dans les pattes sur fond de crise économique et de corruption généralisée (Saeed Roustaee utilise remarquablement le contexte pour amplifier encore sa dramaturgie avec la dévaluation accélérée de la monnaie iranienne) ne peut arriver qu'à s'autodétruire ce qui donne lieu à quelques scènes spectaculaires dignes comme je le disais en introduction du théâtre shakespearien.

 

Entretien avec Saeed Roustaee réalisé le 8 juillet 2022 à Paris par Mitra Etemad (pour Trendyslemag), Florence Oussadi (pour Cinépassion) et Vincent Pelisse (pour C'est quoi le cinéma).

Leila et ses frères (Leila's brothers)

Mitra Etemad (ME): Ma première question c'est que Leila est le fil rouge de cette histoire, c'est elle qui essaye de sortir son frère et sa famille des difficultés qu'ils vivent mais il y a la situation économique de l'Iran qui ne lui permet pas de s'en sortir et les traditions de la famille qui pèsent encore plus lourd sur elle. Elle envoie les idées mais c'est quand même la validation de ses frères qu'elle doit obtenir pour avancer. Elle donne tout mais elle reste en retrait parce que c'est les hommes qui décident et je vois que moi ça fait quarante ans que j'ai quitté l'Iran mais ça n'a toujours pas changé, ça encore empiré, est-ce que c'est bien ça?

Saeed Roustaee (SR): Est-ce que ça a changé? Je ne sais pas comment c'était il y a quarante ans, je n'ai que trente-deux ans, mais bon franchement, je pense que les choses ont changé. Rien que le visage de la ville, les coutumes, la culture, il y a beaucoup de choses quand même qui ont changé. Mais je ne suis pas tout à fait d'accord. Leila ne décide pas pour elle-même, elle veut aider les autres à améliorer leur situation. Parce qu'elle a fait des études, elle a un travail. Elle peut avec le travail qu'elle a avoir une assez bonne vie. Mais c'est pour sa famille, c'est à eux d'avoir le fin mot de l'histoire parce qu'elle a vu en fait à quoi ressemble une vie un peu meilleure que celle qu'ils ont. Pour elle, la solution c'est qu'ils aient un bon travail. Mais sa famille ne veut pas ou ne peut pas changer à cause des traditions, à cause aussi des problèmes de la société. Ils n'ont pas la capacité, ils n'ont pas la patience de changer tout ça tandis que Leila, elle voit la réalité en face, elle sait qu'il faut faire quelque chose.

Florence Oussadi (FO): J'avais une question très courte. Je voulais savoir pourquoi le film s'appelle Leila et ses frères et pas Leila et son père?

SR: Parce que Leila se soucie de ses frères et que son père est plutôt un obstacle.

FO: Oui et c'était cela le sens de ma question. Pourquoi, étant donné que l'affrontement est surtout entre Leila et son père et que c'est aussi un axe fort du film je trouve.

SR: Déjà il faut en fait savoir que le film en persan ne s'appelle pas Leila et ses frères mais les frères de Leila. Le personnage principal pour moi c'est la famille, c'est le noyau familial et le sujet du film, c'est de trouver un emploi.

Vincent Pelisse (VP): La séquence la plus marquante du film, c'est celle du mariage qui débute comme une célébration et qui s'achève presque comme une exécution publique donc j'aimerais qu'il nous parle un peu de la façon dont il a élaboré cette scène.

SR: Cette scène est dans le continuum du récit, elle n'arrive ni au début ni à la fin donc c'est vraiment la logique du récit qui le demande. J'avais un ami qui lorsqu'il avait vu cette scène, ça l'avait tellement énervé qu'il m'a dit: écoute franchement cette scène, on va prendre les frères, ils vont venir et ils vont tous les massacrer, ça va faire du bien à tout le monde, le spectateur se sentira super bien et on finira le film ici. J'ai dit: oui a un moment donné le spectateur se sentira bien mais il n'y aura plus de logique dans mon récit. Mais il faut savoir qu'il y a une expression en iranien qui dit: si vous voulez faire tomber quelqu'un, faites-le tomber de très haut pour que ses os se cassent et que ça fasse beaucoup de bruit. C'était ça aussi l'idée, qu'on puisse voir vraiment la descente en enfer du personnage du père d'un coup. Tout est faux dans ce mariage en fait, ce titre est faux, ce qu'on voit n'est pas vrai et ce vide il fallait vraiment le montrer.

ME: Pour rebondir sur cette scène de mariage qui est spectaculaire, au moment où le père de Leila monte, la musique baisse, on entend que ses pas, le bruit lourd de ses pas qui montent, la fête commence, c'est la descente aux enfers et au moment où il redescend c'est pareil, il y a le bruit des pas. C'est exactement l'image de la société iranienne qui est en permanence en train de monter ou descendre, ça va bien, ça va moins bien. Par cette situation d'humiliation que subit cet homme il montre aussi ce que subit la société iranienne.

SR: A ce moment là la musique n'a pas commencé. On entend donc vraiment le pas de l'homme qui monte et le moment où il descend. Pourquoi? Parce que j'insiste sur la façon dont il monte puis descend et tombe finalement Mais après, est-ce que ça ressemble à la société iranienne, ce n'est pas à moi à le dire, cela relève de la lecture de chaque spectateur.

FO: Moi j'avais aussi une question qui recoupe un petit peu celle-là. Je trouve que les films, que ce soit Leila et ses frères ou la Loi de Téhéran ont quelque chose de très shakespearien et je voulais savoir quel était son rapport au théâtre et en particulier au théâtre de Shakespeare.

SR: Je regarde beaucoup de pièces de théâtre, j'ai toujours été très théâtrophile d'une certaine manière. J'ai beaucoup lu et j'ai beaucoup lu Shakespeare bien sûr. Mais ce qui vous fait rappeler Shakespeare en regardant ce film c'est la tragédie. Parce que l'histoire de mes personnages dans ce film est extrêmement tragique. Regardez en fait d'un côté de la rue, vous traversez, vous êtes de l'autre côté et il y a l'inflation. Là on le voit avec les lingots d'or dans le film. Je me rappelle quand j'avais donné le scénario, Payman Maadi m'avait dit que c'était comique en fait. Je lui avait dit: comique en effet mais tellement vrai. En fait ce film vient de la vie des gens. La tragédie, c'est que la classe moyenne est en train de disparaître, les pauvres deviennent plus pauvres, la classe moyenne s'appauvrit alors qu'un tout petit pourcentage devient très riche grâce aux sanctions.

FO: Le comique et le tragique, c'est très proche, ça a la même source dont ça fait rire aussi.

SR: C'est tout à fait ça.

VP: Pour aller plus loin dans le lien avec la tragédie shakespearienne, il m'a semblé reconnaître dans la fratrie un parallèle avec les frères et soeurs du Parrain de Coppola. Donc je voulais savoir si c'est quelque chose auquel il avait pensé dans le processus d'écriture.

SR: J'adore Coppola, j'adore Le Parrain, c'est l'un de mes films préférés. Je n'y avais pas pensé dans l'histoire des frères et soeurs mais par contre il y a une séquence où je fais directement référence à la dernière séquence du premier film du Parrain. C'est le moment dans mon film où il y a le changement d'habits noirs vers le blanc et là j'ai essayé dans le découpage, dans la mise en scène de faire une référence claire pour rendre hommage au chef-d'oeuvre de Coppola.

ME: Où a-t-il tourné les scènes du film? L'appartement, est-ce un décor ou existe-t-il vraiment? C'est chez qui?

SR: En fait c'étaient deux petites maisons qu'on avait trouvé dans un quartier pauvre du sud de Téhéran. On a essayé de les mixer ensemble pour que ça devienne un lieu de tournage de 90 m2. C'était donc un lieu réel et non un studio, mais la manière dont on l'a travaillé avec toutes les lumières qu'on avait mis par exemple donne l'impression que c'est un studio mais c'est un lieu qui existe, c'est une ruelle qui existe et quand vous voyez le plan d'ensemble quand les frères et la soeur sont sur la terrasse, vous voyez des maisons derrière qui sont réelles. Par contre on a fait beaucoup de changements, on a acheté des colonnes par exemple pour pouvoir aménager comme on le voulait. Quand le tournage a été fini, les gens qui avaient acheté cet endroit là l'ont détruit pour reconstruire un immeuble de 6-7 étages. Maintenant, ça n'existe plus.

ME: Dans la scène où les deux frères se parlent dans la voiture, ça me rappelle vachement La loi de Téhéran, cette espèce d'intensité dans les dialogues, cette puissance où tous les deux sont sûrs de ce qu'ils disent, ils s'affrontent en fait et ça me rappelle beaucoup l'intensité de La loi de Téhéran sauf que dans Leila c'est beaucoup plus calme en fait, c'est sur la durée et que la Loi de Téhéran, est intense dès le départ et nous plonge dans une espèce d'enfer tandis que là il va crescendo. Est-ce que c'est exprès qu'il a pris des petits codes de La loi de Téhéran ou est-ce vraiment sa signature?

SR: Au moment de l'écriture du scénario, c'est à ce moment-là que je pense aux acteurs. Ce n'est pas parce qu'ils étaient dans mon autre film que je vais les choisir. Même si on est très  potes et qu'on est super amis avec Navid et Payman. Néanmoins les acteurs s'imposent à moi au moment de l'écriture, c'est dans mon inconscient. Pendant que j'écris je vois tel ou tel acteur qui est en train de dire le dialogue que je suis en train d'écrire. Ils viennent à moi, ils s'imposent à moi, ce n'est pas moi qui vais les choisir. En sachant qu'on habite tous en Iran même si Payman est plus aux Etats-Unis.

FO: J'avais été très frappée par la pugnacité aussi bien dans La loi de Téhéran que dans Leila et ses frères de Nacer [le truand de "La loi de Téhéran"] et de Leila. Je trouve que ces deux personnages se ressemblent dans leur rage de vivre et de lutter par la parole, par l'action mais surtout par la parole contre un sort qui leur est contraire et je voulais savoir si il concevait le cinéma comme un combat, à la manière de ses personnages.

SR: Le cinéma pour moi c'est la vie avant tout et puis c'est la lutte parce que la vie est une lutte finalement. Je connais personne qui se satisfait de ce qu'il a ou de la situation dans laquelle est il. Les gens veulent toujours améliorer leur situation. Je ne suis peut-être pas comme les  autres mais en tout cas je vois ça comme ça. On ne va jamais vouloir rester comme on est ou que les choses soient pires mais on veut toujours que les choses s'améliorent.

VP: Dans quelques scènes, on voit la famille regarder la télévision et notamment des chaînes d'information. On voit Donald Trump et d'autres fois ils regardent beaucoup de matchs de catch donc j'aimerais qu'il nous parle de l'influence de la culture américaine en Iran.

SR: Alors en ce qui concerne la culture américaine, est-ce que vous connaissez un endroit au monde où elle n'a pas eu d'influence? De l'autre côté au niveau du catch ce qui est important c'est le réel et l'irréel. Est-ce que le catch est fake, est-ce que c'est une mise en scène ou est-ce que ce combat télévisé est du réel? C'est un leitmotiv qu'on va retrouver tout au long du film. Est-ce que vraiment ce père dans sa situation va utiliser tout son argent pour acheter des cadeaux pour ce mariage là, est-ce que c'est une histoire réelle ou bien irréelle. Ce mariage, est-ce qu'il existe, est-ce qu'on va faire ce genre de mariage avec ce genre de cadeaux? C'est comme ça qu'il faut regarder le combat de catch.

Merci à la Mensch Agency et à Wild Bunch pour cette table ronde.

Leila et ses frères (Leila's brothers)

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Les nuits de Mashhad (Holy Spider)

Publié le par Rosalie210

Ali Abbasi (2022)

Les nuits de Mashhad (Holy Spider)

Les nuits de Mashhad est le troisième long-métrage du réalisateur irano-danois Ali Abbasi. Il repose sur des faits réels à savoir le parcours d'un tueur en série ayant assassiné 16 prostituées entre 2000 et 2001 dans la ville sainte de Mashhad, deuxième ville la plus peuplée d'Iran (bien que pour des raisons évidentes, le tournage ait eu lieu en Jordanie). La réalisation, très classique repose sur un montage parallèle visant à nous faire prendre conscience des dysfonctionnements de la société iranienne. D'un côté Saeed Haneei (Mehdi Bajestani), un maçon, bon père de famille très croyant et ancien combattant de surcroît (de la guerre Iran-Irak) qui se transforme la nuit en nettoyeur, persuadé de mener une mission divine alors que les autorités ne lèvent pas le petit doigt pour l'arrêter. De l'autre, Rahimi, une journaliste (Zar Amir Ebrahimi, prix d'interprétation féminine au festival de Cannes 2022) enquêtant sur les faits avec pugnacité mais à qui ces mêmes autorités ne cessent de mettre des bâtons dans les roues. Par la suite, la confusion entre le bien et le mal s'accentue encore quand au moment de son procès, Saeed Haneei est acclamé par une partie de la population qui le considère comme un justicier et réclame sa libération. Bénéficiant de complicités jusqu'au sein de la prison où il est enfermé, celui-ci continue donc à penser qu'il est intouchable alors que Rahimi, elle, paraît bien seule dans cette société machiste. Même si elle développe une relation d'estime avec son collègue journaliste, c'est elle qui s'expose et s'exposer en Iran quand on est une femme peut être mortel.

Même si le ton est parfois trop appuyé, le film dresse un portrait saisissant de l'hypocrisie voire de la schizophrénie de tout un pays obsédé par la pureté des moeurs (ou du moins sa façade sociale) au point d'ériger en héros un assassin qui lui-même justifie ses crimes par la religion alors que le film montre frontalement l'ivresse de la toute-puissance et la jouissance sexuelle qu'il en tire. C'est d'ailleurs ce qui finit par lui valoir les foudres d'autorités qui après l'avoir longtemps laissé courir comprennent qu'elles risquent d'être débordées par le désordre qu'il déchaîne sur son passage. Quant aux prostituées, elles représentent évidemment la poussière sous le tapis, métaphore illustrée littéralement par les méthodes du tueur, retranscrites de façon clinique et prêtes à être reproduites à la génération suivante qui n'en perd pas une miette. Rahimi, personnage fictif dérange cet ordre des choses: ni soumise, ni diminuée par la drogue, sa voix ne peut être étouffée en dépit des intimidations dont elle fait l'objet. On comprend le symbole du prix d'interprétation à une actrice obligée de s'exiler en France à la suite d'une affaire de "revenge porn" l'ayant brutalement privée de carrière en Iran.

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