"Le Monde perdu" est l'œuvre matricielle d'où sont sortis des films de monstre tels que les "Jurassic park" (du côté des USA) et les "Godzilla" (du côté du Japon). Il préfigure également le premier chef- d'œuvre parlant du genre "King-Kong" qui reprend la même technique mélangeant prises de vue réelles et animation en stop motion pour les créatures fantastiques ou disparues. "Le Monde perdu" et "King Kong" sont les deux réussites les plus éclatantes de Willis O'Brien, l'inventeur et le metteur en scène de cette technique d'effets spéciaux*. En dépit de leur âge, les scènes mettant en scène les dinosaures restent impressionnantes (dommage qu'il y ait parmi eux un homme déguisé en singe qui ne fait quant à lui pas du tout illusion). Il y a même devant leur fuite éperdue devant l'éruption volcanique et l'incendie géant qui en résulte une étrange résonnance contemporaine.
Ceci étant si "King Kong" est davantage passé à la postérité que "Le Monde perdu" (sauf via des citations dans ses avatars contemporains) c'est à cause principalement de son scénario. Celui du "Monde perdu", adapté du livre éponyme de Sir Conan Doyle (le père de Sherlock Holmes) paru en 1912 relève du récit d'aventure divertissant à la Jules Verne ou H.G Wells** alors que celui de "King-Kong", bien que présentant des similitudes avec celui du "Monde perdu" (dont il s'est sans doute inspiré) est plus érotique, plus tragique et intègre une puissante dimension de critique politique et sociale. Bref il y a comme une différence de maturité ^^. Le contexte des deux films a sans doute une incidence dans leur tonalité. "Le Monde perdu" a été écrit à la Belle Epoque et réalisé durant les "roaring twenties" alors que "King Kong" date du début des années 30 alors que sévissait la grande crise.
* Ici assisté de Marcel Delgado qui créa les modèles réduits de sauriens à l'aide d'une armature métallique recouverte de caoutchouc et de matière spongieuse afin de faire illusion à l'écran.
** Le dénouement du "Monde perdu" peut être considérée comme l'histoire de la genèse du monstre du Loch Ness.
"The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" est le premier film réalisé par Willis O'Brien en 1915. Il combine ses deux passions: les dinosaures et l'animation en stop motion dont il est un pionnier. C'est en effet en manipulant des figurines en pâte à modeler qu'il fabriquait lui-même qu'il a eu une idée géniale. En s'inspirant des techniques utilisées pour animer les dessins il a l'idée d'enregistrer millimètre par millimètre tous les déplacements de ses figurines pour que le défilement des images créé l'illusion du mouvement. Après un essai concluant d'une durée de une minute montrant un combat entre un homme des cavernes et un dinosaure, il décide de créer un court-métrage d'animation avec cette technique, c'est "The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" qui en dépit de son titre est comique et se situe quelque part entre les "Pierrafeu", la partie préhistorique de "Les Trois âges" (1923) et pour les anachronismes tels que "je vous offrirai bien le thé mais celui-ci n'a pas encore été inventé", "The Three Must-Get-There" (1922). Par la suite, Willis O'Brien a perfectionné cette technique dans le domaine des effets spéciaux pour le cinéma de science-fiction en prises de vues réelles qui offrait plus de débouchés que les films d'animation avec la consécration de "King Kong" (1932). Il faut d'ailleurs souligner que si ce court-métrage a été réalisé en 1915, il n'est sorti qu'en 1917 lorsque la compagnie Edison l'a acheté et l'a distribué.
Georges MÉLIÈS est le père des effets spéciaux. Willis O'Brien est le père des effets spéciaux des films de monstre. Il est en effet l'un des pionniers de la technique d'animation en stop motion qui l'a rendu célèbre avec la création et l'animation du bestiaire de "King Kong" (1932) (y compris son gorille géant). Il a également réalisé un long-métrage célèbre "Le Monde perdu" (1925) dans lequel il a donné libre cours à sa passion pour les dinosaures. C'est cette passion conjuguée à celle des effets spéciaux qui l'a amené à faire du cinéma. Son premier film en 1915, "The Dinosaur and the Missing Link: A Prehistoric Tragedy" était déjà consacré à ces animaux préhistoriques.
La postérité de Willis O'Brien est immense. Elle se divise en deux grandes catégories. D'une part les cinéastes qui réalisent des films d'animation en volume et se réclament de son héritage comme Tim BURTON ou Nick PARK et de l'autre, les réalisateurs de films fantastiques et de science-fiction qui se sont fortement inspirés de son élève Ray HARRYHAUSEN: George LUCAS, Steven SPIELBERG, James CAMERON etc. Tous ont intégré de la stop motion à un moment ou à un autre dans leurs films (le jeu d'échecs animé de Star Wars par exemple) mais la filiation la plus éclatante est celle de "Jurassic Park" (1993) qui par sa thématique, ses choix de mise en scène et de techniques d'effets spéciaux a rendu "Le Monde perdu" (1925) éternel. Le titre de la suite est d'ailleurs sans équivoque, "THE LOST WORLD: JURASSIC PARK" (1997).
"The Ghost of slumber mountain" durait à l'origine 40 minutes. Mais à la suite d'une querelle entre Willis O'Brien et le producteur Herbert M. Dawley (à qui certains attribuent même la paternité du court-métrage) il fut réduit à 18 minutes. Il vaut surtout pour les séquences où apparaissent les bébêtes préhistoriques dans le viseur d'un objet permettant de voyager dans le temps: un brontosaure paissant dans un sous-bois, un oiseau géant mangeant un petit serpent, un combat entre deux tricératops et enfin, le clou du film, un combat entre un tricératops et un tyrannosaure.
Merian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack (1933)
"King-Kong" est un film inégalable en dépit de ses nombreux remake et ce pour au moins trois raisons:
- C'est un film matrice de l'histoire du cinéma car pour la première fois, le septième art accouche d'un mythe 100% cinématographique. Il fusionne en réalité deux mythes plus anciens "Saint-Georges et le Dragon" et "La Belle et la Bête". Cependant il apporte une originalité propre à ces deux mythes. L'humanisation interne de la bête et le comportement prédateur des humains opère un renversement des valeurs de Bien et de Mal que l'on observe dans le premier mythe (dont l'aspect guerrier et triomphant est remis en cause) alors que la métamorphose de la bête ne le transforme pas en homme pour autant contrairement au second. La jeune fille n'éprouve rien d'autre que de la terreur à son égard, n'apprend rien de son "aventure" avec lui ce qui le condamne à une fin tragique.
- C'est le premier film parlant à effets spéciaux, l'équivalent du "Voyage dans la lune" de par sa parenté avec Méliès et son caractère iconique. La raison d'être n°1 des remake a d'ailleurs consisté à réactualiser la technologie du film. Mais "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" et les effets numériques bourrins (c'est à dire l'abandon de la création entre les "mains" des seules machines ce qui est de plus en plus souvent le cas de nos jours) ne pourront jamais remplacer les techniques artisanales qui nécessitent d'office un investissement humain. Ce mélange de prises de vues réelles et d'animation en stop motion est réalisé par l'un des pères du genre Willis O' Brien dont le disciple Ray Harryhausen est considéré comme le pape des effets spéciaux traditionnels. Le résultat est un basculement dans un univers onirique et poétique unique qui fascine nombre de réalisateurs actuels (entre autre Peter Jackson, auteur d'un remake et Steven Spielberg dont le "Jurassic Parc" semble sortir tout droit de Skull Island).
- Enfin le contexte de la crise économique des années 30 joue un rôle important. C'est une crise de civilisation que dépeignent les auteurs du film. La jungle n'est pas celle que l'on croit et le sort réservé à King-Kong révèle une société terrifiante d'inhumanité où les arbres ont été remplacés par des colonnes de béton armé et les insectes par des avions mitrailleurs. La cupidité ronge les êtres aussi sûrement que leur racisme ou leur misogynie. L'appât du gain, le machisme et le colonialisme sont les racines pourries sur lesquelles prospère le vrai Mal(e).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.