Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les Herbes sèches (Kuru Otlar Üstüne)

Publié le par Rosalie210

Nuri Bilge Ceylan (2023)

Les Herbes sèches (Kuru Otlar Üstüne)

J'ai beaucoup entendu parler de Nuri Bilge CEYLAN et de ses films monumentaux de plus de trois heures mais je n'en avais jamais vu. Je suis donc très contente d'avoir choisi d'inaugurer le visionnage de sa filmographie par son dernier film car ce cinéma-là s'apprécie particulièrement en salles. Nuri Bilge CEYLAN est un photographe et cela se voit. Plusieurs passages (bref) du film sont d'ailleurs constitués par une succession de photographies reliant une ou plusieurs personnes et les paysages qui les entourent. Car loin d'Istanbul où rêve d'être muté Samet, le professeur d'arts plastiques et personnage principal du film, "Les Herbes sèches" se déroule dans un village kurde d'Anatolie où la vie est rude. Il neige durant les 3/4 du film, les intérieurs sont sombres, pas toujours dotés d'un chauffage moderne et on découvre sur la fin qu'il n'y a que deux saisons, hiver (glacial) et été (brûlant). Samet donc se morfond depuis quatre ans dans ce village isolé et n'a guère de quoi satisfaire ses aspirations. Il est donc frustré, aigri, condescendant vis à vis du lieu où il vit, qualifié de "trou à rats", sans illusions mais comme la plupart des êtres humains, il est aussi un être contradictoire qui va tout de même chercher la beauté dans l'univers âpre où il est contraint d'exercer: les photographies sont un exemple de cette beauté qu'il parvient à arracher à la rudesse de l'existence. Le problème est qu'il veut en faire de même avec l'amour ce qui rend son comportement odieux. Favorisant certaines de ses élèves à qui il accorde des faveurs et des cadeaux, il entre en possession d'une lettre que l'on devine être une lettre d'amour de la part de l'une d'entre elles (mais pas forcément adressée à lui, de quoi de rendre jaloux). La relation déjà trouble entre lui et cette collégienne nommée Sevim prend une sale tournure: elle l'accuse (à tort) d'attouchements, il lui ment pour garder la lettre, la harcèle pour se venger de ses accusations et lui met la pression pour la faire avouer à qui elle l'adressait. Cette tentative d'emprise fondée sur la manipulation, on la retrouve avec son colocataire, Kenan prof et frustré comme lui et donc potentiel rival auprès d'une de leurs collègues d'une ville voisine, Nuray (Merve DIZDAR, prix d'interprétation à Cannes) qui comme la jeune Sevim possède un talent pour le dessin. Après dans un premier temps avoir dédaigné la jeune femme sous prétexte de ne pas vouloir s'enterrer dans la région, il est piqué au vif devant l'intérêt qu'elle manifeste à Kenan et ne recule devant aucune bassesse pour obtenir ses faveurs. Sauf que Nuray n'est pas une adolescente vulnérable comme Sevim mais une activiste kurde qui comme les vieux briscards traîne une jambe de bois et donc capable de le percer à jour et de lui tenir tête ainsi qu'à Kenan pour conserver sa liberté.

Nuri Bilge CEYLAN parvient à susciter l'intérêt autour d'une vision peu plaisante de la nature humaine mais dépeinte dans toute sa complexité. L'aspiration de Samet à l'élévation représente ce qu'il y a de meilleur en l'être humain mais sa manière vile d'agir relève de l'autodestruction. D'où "les herbes sèches" du titre auxquelles il se compare. Il y a de la philosophie dans cette oeuvre superbe mais amère.

Commenter cet article