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Kasaba

Publié le par Rosalie210

Nuri Bilge Ceylan (1997)

Kasaba

Bien que très court (1h20), "Kasaba" ("petit village"), le premier film de Nuri Bilge CEYLAN, inédit jusqu'en 2023 en France se décompose en deux mouvements bien distincts. Le premier, que j'ai trouvé magnifique épouse pour l'essentiel le point de vue de deux enfants, Asiye et Ali qui sont également frère et soeur. Leur expérience du monde, silencieuse, sensorielle et ancrée dans l'instant suspendu (voir le dernier plan qui s'arrête au moment où la main de Asiye touche l'eau) s'oppose en tous points au bourrage de crâne idéologique que le maître d'école fait lire aux élèves. La séquence de l'école qui annonce "Les Herbes seches" (2023) met en scène deux mondes. Celui du dedans et celui du dehors, sauf que le deuxième vient s'inviter dans le premier lorsqu'un enfant trempé et transi de froid vient s'installer près du poêle. La bande-son laisse se dérouler en arrière-plan le discours de propagande tout en dilatant la séquence pour faire entendre le bruit des gouttes d'eau des chaussettes de l'enfant qui tombent sur le poêle, tandis que l'image se focalise sur des détails (une plume qui vole, le rougeoiement des braises) qui font écho au son des flocons de neige qui s'écrasent sur les fenêtres, manifestant ainsi le désir des enfants d'être ailleurs. Un désir qui trouve son accomplissement au printemps dans la séquence forestière et dans celle de la fête foraine, filmée en contre-plongée de sorte que les gens qui sont dans les manèges semblent sur le point de s'envoler. Sauf qu'il s'agit d'une illusion comme le montre l'oncle des enfants, Saffet (Mehmet Emin TOPRAK) qui regarde en l'air, affalé au sol. Une attitude qui reflète son dilemme entre son attachement au village et son désir non satisfait de partir à l'étranger. Le deuxième mouvement montre Saffet et les enfants se retrouvant lors d'un repas et d'une veillée nocturne autour d'un feu de camp avec le reste de leur famille pour quarante minutes (sur une heure vingt) d'échanges tendus -mais trop longs et répétitifs- entre le patriarche et sa progéniture autour des choix et désirs de départ. Une analogie avec le théâtre de Tchékhov a souvent été faite pour expliquer ce mouvement qui est en quelque sorte le reflet inversé de l'autre puisque les enfants silencieux sont renvoyés à l'arrière-plan. Film a forte teneur autobiographique et familiale (ce sont ses proches qui jouent la plupart des rôles, sa soeur a écrit le scénario etc.), la photographie y est sublime et parcourue d'instants de grâce sans pour autant occulter la cruauté de ce monde, symbolisé par l'humiliation que le maître fait subir à son élève et par ricochet, celle que les enfants font subir à plus faible qu'eux (handicapés et animaux).

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