Ce court-métrage sorti trois ans après que Chaplin ait quitté les studios Essanay n'est pas à proprement parler un film qu'il a réalisé. Il s'agit d'un remontage (parfois avec des images dont le sens est inversé!) par cette société de séquences tirées de deux films dont elle avait les droits: Charlot apprenti (Work) et Charlot cambrioleur (Police) mélangées à des chutes de ces mêmes films et des fragments de ce qui aurait pu être le premier long-métrage de Chaplin, Life qui ne vit finalement jamais le jour. Quelques scènes nouvelles sont tournées par Leo White autour d'un savant et d'une formule secrète convoitée puis plaquées sur l'ensemble. Le résultat se laisse regarder sans déplaisir mais est peu homogène et fait penser aux épisodes "best-of" d'anciennes séries animées japonaises qui amalgament des images issues des épisodes précédents pour "rallonger la sauce". Le seul moment qui se détache vraiment dans ce patchwork est une scène de vol dans un asile de nuit probablement issue d'une chute de Charlot cambrioleur. La scène se termine par une bagarre remarquablement bien chorégraphiée.
Chaplin laissera faire Essanay, un procès antérieur lui avait donné tort et il ne désirait pas renouveler l'expérience. Il veillera désormais à obtenir le contrôle intégral de son travail dans ses futurs contrats.
Dans ce court-métrage, le dernier de la période Essanay (sorti cependant après son premier film Mutual), Charlot se retrouve face à la question du bien et du mal. Tout juste sorti de prison, on le voit osciller d'un pôle à l'autre selon les rencontres qu'il effectue: un pasteur escroc qui s'empare de son argent ainsi que de la montre d'un poivrot qu'il convoitait, un ancien camarade de prison qui le pousse à commettre un cambriolage, des policiers benêts, un marchand de sommeil exploiteur mais aussi une jeune fille qui le protège et lui porte secours. La dernière scène, très symbolique, très "chaplinesque" le montre de dos marchant sur la route, face au soleil les bras tendus vers le ciel puis partant dans la direction opposée, poursuivi par un policier. Ce n'est cependant pas le plus drôle ni le plus enlevé de ses films.
En 1916, Chaplin passe chez les studios Mutual et réalise 12 courts-métrages dont le dernier est Charlot s'évade (ou l'Evadé), le plus populaire de tous. Un court-métrage de 1917 d'une inventivité constante, mené tambour-battant et particulièrement bien construit. Charlot y fait preuve d'une agilité et d'une rapidité étonnantes. Les courses-poursuites ressemblent à des chorégraphies comme celle où Charlot neutralise ses poursuivants à travers les va-et-vient de portes coulissantes. Il en est de même pour certains gags comme celui où une boule de glace glisse à travers son pantalon et tombe à l'étage en dessous dans le dos d'une rombière ce qui fait boule de neige! Il trouve des façons originales de se dissimuler (en abat-jour par exemple!) il grime son portrait dans les journaux avec une volumineuse barbe qui est celle de son rival en amour bref c'est un festival assez irrésistible.
A Night Out est du pur slapstick c'est à dire un festival de coups en tous genre ce qui entraîne inévitablement des répétitions et des longueurs. L’histoire est une variante du film "Charlot et Fatty font la bombe" qui réunissait Chaplin et Roscoe « Fatty » Arbuckle en 1914. Cette fois, Ben Turpin est le partenaire de Chaplin. Chaplin et Turpin jouent des ivrognes faisant une virée en ville qui commence par un simple café et se termine dans un hôtel où a lieu un quiproquo osé avec la fille du maître d'hôtel, Edna Purviance, dont c’est la première apparition au cinéma et qui deviendra la partenaire privilégiée de Chaplin pour les sept années suivantes. On peut d'ailleurs relever de nombreux moments grivois dans le film par exemple quand Charlot tente de s'asseoir sur la croupe d'une femme ou quand celle-ci le bouscule avec ses fesses ou encore quand une femme lui touche la cuisse par inadvertance.
Le sujet de A Jitney elopement (Charlot veut se marier en VF) a souvent été exploité par Chaplin. Il s'agit d'un pauvre qui veut s'insérer dans un monde de riches. Pour y parvenir, Charlot usurpe l'identité d'un comte pour demander la main de la fille d'un bourgeois. Le film se divise en trois parties distinctes. La première partie est consacrée à un déjeuner assez surréaliste chez le père de la fiancée où les aliments s'avèrent avoir des propriétés particulières (mention spéciale à la fumée du café brûlant qui sort par les oreilles de Charlot). La deuxième partie est du slapstick pur avec festival de chutes et de torgnoles. La dernière partie, la plus animée, est une course-poursuite en voiture assez amusante. Au final le film est inégal mais sympathique.
Tourné deux mois après Charlot Vagabond, Charlot apprenti en est le prolongement, teinté de critique sociale. Traité comme une bête de somme par son patron qui l'exploite et le frappe, Charlot suscite plus que jamais la compassion. Les cadrages penchés accentuent l'impression de pénibilité, en l'obligeant à grimper de fortes pentes alors qu'il tire un lourd chargement. Lorsqu'ils se rendent dans une maison bourgeoise pour refaire les tapisseries, l'occasion lui est donnée de se venger et de renverser les rôles. Le festival burlesque parfois un peu répétitif connaît sur la fin un emballement rythmique absolument réjouissant. La maison est dévastée de fond en comble par un Charlot devenu maître du chaos alors que les bourgeois et le patron sont rhabillés ou plutôt repeints pour l'hiver!
Sixième film réalisé pour la Essanay, Charlot Vagabond est tout comme le troisième, Charlot Boxeur un court métrage important dans la filmographie de Chaplin car il y peaufina le personnage qui le rendit célèbre dans le monde entier. La silhouette immédiatement reconnaissable de Charlot avec ses godillots usés, son pantalon trop large, sa veste étriquée, son chapeau melon, sa canne et sa petite moustache avait fait son apparition dès 1914 avec les films de la Keystone. Mais c'est Charlot Vagabond qui lui donna sa personnalité définitive, compassionnelle et mélancolique. Si le film est surtout burlesque avec son lot de chutes et de coups assez répétitifs, Charlot s'avère être un clown triste dont l'incapacité à se faire aimer d'Edna malgré son dévouement introduit un certain pathos dans l'histoire. Mais il finit toujours par se ressaisir et à repartir de l'avant comme le montre la très belle dernière scène sur la route qui annonce celle, mythique, des Temps modernes.
Un court-métrage burlesque à la trame conventionnelle et aux effets comiques peu originaux (chutes et torgnoles) qui aurait sombré dans l'oubli sans le moment où Charlot se travestit après avoir rasé sa moustache. Sa composition délicate est plus vraie que nature et réussit à jeter le trouble. Son numéro tout en minauderies et oeillades coquines est tout simplement époustouflant et confirme si besoin était son talent exceptionnel d'acteur.
Œuvre singulière par sa durée (30 minutes), sa forme (une succession de photos fixes retravaillées pour former un effet cinématographique à l'exception d'un plan filmé doté du mouvement), son genre (à mi-chemin du film d'anticipation et de l'oeuvre mystique portée par des chants liturgiques orthodoxes russes) la Jetée est un film-phare, une œuvre forte qui a inspiré de nombreuses œuvres ultérieures (dont un clip de David Bowie et le film-remake de Terry Gilliam 12 Monkeys).
Le scénario de la Jetée de Chris Marker a été écrit pendant le contexte de la crise de Cuba où le monde a failli basculer dans la guerre nucléaire mondiale. La jetée d'Orly qui venait d'être construite dans les années 60 était un symbole de progrès, celui des trente glorieuses. Il s'agissait d'un lieu de promenade dominical pour les familles qui regardaient décoller les avions. Marker, grand voyageur très marqué par la lecture de Jules Verne brise cet élan en montrant un homme mourir puis en dévastant la terre avec la "la troisième guerre mondiale", nucléaire bien sûr. Les rares survivants doivent se cacher sous terre, comme des rats et sont victimes d'une effroyable oppression. L'un d'entre eux qui a été témoin enfant de la mort de l'homme sur la jetée d'Orly devient un cobaye contraint d'effectuer sous la torture des voyages dans le temps, le passé et le futur étant le seul moyen de sauver l'humanité du présent.
La Jetée est également une relecture du Vertigo de Hitchcock, l'un des cinéastes qui a le plus influencé la nouvelle vague française. La séquence du séquoia est reprise à l'identique ainsi qu'une femme à la présence irréelle et fascinante dotée d'un chignon. Marker introduit ainsi une variation sur l'impossibilité d'échapper au temps (ce que Scottie voulait faire en ressuscitant une morte, Vertigo étant adapté d'un roman de Boileau-Narcejac D'entre les morts).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.