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Le château de l'Araignée (Kumonosu jô)

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1957)

Le château de l'Araignée (Kumonosu jô)

Exemple réussi de fusion entre deux cultures, "Le château de l'Araignée" est la transposition du "Macbeth" de Shakespeare dans le Japon du XVI° siècle dévoré par les guerres civiles et les félonies. Kurosawa construit une œuvre très fidèle à la pièce d'origine tout en étant profondément ancrée dans la culture de son pays.

La réussite du film repose sur un subtil équilibre entre des émotions et sentiments exacerbés jusqu'à la folie et un traitement ascétique inspiré des codes du théâtre no. Kurosawa procède en effet par soustraction et compression. La soustraction est en effet partout: les personnages et les lieux sont réduits au minimum, les décors sont épurés, le spectaculaire (batailles et assassinats) est évacué en hors-champ, les mouvements de caméras sont limités de même que les déplacements, les expressions et les gestes des personnages. Leurs visages sont figés de façon à ressembler aux masques portés par les acteurs du no. On notera particulièrement le contraste entre l'expression grimaçante de Washizu alias Macbeth (Toshirô MIFUNE) qui le fait ressembler à un démon et celle, hiératique et spectrale de son épouse Asaji alias Lady Macbeth (Isuzu YAMADA), son âme damnée. On remarquera aussi qu'ils oscillent entre une immobilité redoutable, celle de l'animal prêt à bondir par laquelle ils concentrent au maximum leur énergie et une agitation désordonnée qui symbolise l'égarement de leur cerveau envahi par la folie furieuse. Un égarement également symbolisé par la brume omniprésente dans lesquelle ils se débattent comme dans une toile d'araignée, celle de la forêt qui entoure le château et lui donne son nom.
 

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Gerry

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (2002)

Gerry

"Gerry" est sans doute le film le plus expérimental de Gus Van SANT. Il constitue le premier chapitre de sa trilogie (voire tétralogie si on ajoute Paranoïd Park (2007) de la mort dont le deuxième "Elephant (2003)" lui vaudra la palme d'or en 2003 et permettra la sortie à postériori de "Gerry" en France. Les deux films entretiennent des rapports étroits, Gus Van SANT ayant tissé entre eux des jeux de correspondances. Ainsi dans "Gerry", Casey AFFLECK porte un T-Shirt noir avec une étoile jaune, dans "Elephant (2003)" John porte un T-Shirt jaune avec un taureau noir. Dans les deux films, des adolescents errent sans fin dans un espace labyrinthique et sont promis à la mort sur fond de mythologie grecque. De plus dans "Elephant (2003)" lorsque l'un des deux adolescents tueurs joue à un jeu vidéo, on s'aperçoit que celui-ci reproduit l'une des scènes de "Gerry". Car dans les deux films, centrés sur des jeunes fans de jeux vidéos, la perte des repères entraîne un effacement progressif entre réel et virtuel. L'un des Gerry doit sauter d'un rocher comme s'il s'agissait d'un jeu de plateforme et à la fin du film, les deux garçons à bout de forces et victimes d'hallucinations avancent d'une démarche tellement saccadée que la séquence inspirera le premier film des Daft Punk "Daft Punk s Electroma (2006)" sur l'histoire de deux robots en quête d'humanité.

Mais "Gerry" est surtout une expérience sensorielle assez fabuleuse pour qui accepte de se laisser embarquer dans cette série de plans-séquence étirés jusqu'à l'hypnose où l'on voit ces deux jeunes garçons qui ont perdu leur chemin marcher, marcher, marcher et encore marcher dans d'époustouflants décors désertiques. La photographie est sublime et la bande-son, particulièrement travaillée que ce soit au niveau des bruitages (le crissement des pas par exemple) ou de la musique magnifique de Arvo PÄRT. S'agit-il d'ailleurs de deux personnages ou d'un seul qui sous l'effet de l'expérience limite qu'il est en train de vivre se dédouble? Le doute est d'autant plus permis qu'ils sont tous les deux surnommés "Gerry" (qui signifie "raté") et que comme dans toute histoire de passage à l'âge adulte, la métaphore de la gémellité sert à exprimer le sentiment de perte, symbolisée par la mort du Gerry joué par Casey AFFLECK (l'autre étant joué par Matt DAMON) .

Ce qui est également fascinant dans ce film, c'est qu'en dépit de son dépouillement et de son austérité extrême, en dépit des grands espaces, de la solitude, du silence et du vide qui dominent l'écran, il s'agit d'un film "plein", c'est à dire une antithèse de la vacuité véhiculée par tant de films commerciaux grands publics. Il y a d'abord l'observation prosaïque de la survie des Gerry en milieu hostile, leur progressive dégradation physique et morale sous les coups de boutoir de la faim, de la soif, de la chaleur, de la fatigue et du désespoir. Leur incapacité à dominer leur environnement est d'autant plus tangible qu'ils se sont engagés dans le désert démunis de tout. Par inconscience, par légèreté? Pas seulement. Car l'un des Gerry prononce une phrase clé "on se fait notre chemin à nous". Cette phrase fait le lien entre la dimension concrète, physique de l'expérience et sa dimension abstraite, philosophique et métaphysique (proche du film de Kubrick "2001, l'Odyssée de l'espace"). On peut y voir au-delà de la quête initiatique de l'adolescent qui erre à la recherche de sa place dans le monde le destin de l'humanité toute entière face à la nature, l'origine de la civilisation et son stade terminal. 

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La Guigne de Malec (Hard Luck)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1921)

La Guigne de Malec (Hard Luck)


Difficile de suivre "La guigne de Malec" tant son intrigue est décousue. Et la reconstitution de ce film qui fut longtemps perdu n'arrange rien: elle accentue au contraire l'impression que l'on regarde de petits morceaux disparates mis péniblement bout à bout. Mieux vaut donc le considérer comme une succession de sketches inégaux: "les tentatives de suicide de Malec", "Malec à la pêche", "Malec à la chasse", "Malec contre les bandits". Chacune de ces sections offre son lot de gags inventifs, ceux qui se fondent sur des illusions d'optique s'avérant particulièrement savoureux.

Cependant, il y a quand même quelques fils conducteurs. Malec (Buster KEATON) est souvent confronté au règne animal dans ce film, l'un des gags consistant à substituer à l'animal domestique un animal sauvage ou indomptable sans que Malec s'en aperçoive au premier abord. D'autre part la vision de l'existence qui s'en dégage est assez sombre. Malec qui crève la dalle et ne parvient pas à remonter à la surface veut se suicider mais n'y parvient pas (comme le dit Cyrano "J'aurais tout raté, même ma mort"). Lorsqu'il pêche, il utilise sa prise comme appât dans l'espoir d'en avoir une plus grosse car "les gros mangent les petits". Et son plongeon final "crève la dalle" au sens propre, le faisant sortir du cadre pour l'entraîner à l'autre bout du monde. Personnage isolé et inadapté tout au long du film, Malec ne trouve son salut que dans l'exil.

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Dilili à Paris

Publié le par Rosalie210

Michel Ocelot (2018)

Dilili à Paris

"Dilili à Paris" est le huitième long-métrage de Michel Ocelot. Tant sur la forme que sur le fond, il a choisi de célébrer l'hybridité, se mettant volontairement dans une position inconfortable. En effet son film a divisé les critiques l'ayant vu en avant-première mondiale au festival d'Annecy et il risque de provoquer les mêmes réactions à sa sortie. Pourtant si la démarche d'Ocelot peut paraître déconcertante, elle est profondément cohérente.

Tout d'abord sur le plan esthétique, il a utilisé pour décor de vraies photos de Paris qu'il a retravaillées afin de leur donner un cachet Belle Epoque. Sur ces décors en 3D, il a greffé ses personnages animés en 2D qui forment des à-plats de couleurs vives de toute beauté. Le résultat est somptueux, un vrai régal pour l'œil, d'autant que beaucoup de plans reprennent les courants artistiques de cette époque, de l'impressionnisme à l'art nouveau d'Alphonse Mucha en passant par les toiles exotiques du Douanier Rousseau. La scène finale en ballon dirigeable sur fond de tour Eiffel est magique.

Ensuite il a choisi de naviguer à vue entre le conte poétique pour enfants et le pamphlet politique pour adultes, sans filtre et sans prendre de gants. Cela a déplu à certains qui l'ont trouvé moralisateur et peu subtil. La mise en scène est pourtant par moments franchement percutante. Je pense en particulier à la scène de début dotée d'un travelling arrière choc qui met en abyme le regard du spectateur sur "l'Autre" à travers la mise en scène des zoos humains. Il y a aussi le concept des femmes "quatre-pattes". Si le voile noir qui les recouvre fait penser aux tenues islamiques, les femmes à quatre pattes ou dans des positions humiliantes existent réellement, plus ou moins stylisées dans le domaine de la sculpture ou de l'ameublement occidental (la femme-fauteuil, la femme-table etc.)

Enfin pour enfoncer le clou du pamphlet anti-raciste et anti-sexiste, il a choisi une héroïne métisse venue de Nouvelle-Calédonie que l'on regarde comme une française en Kanaky mais comme une indigène de couleur en France. Pour accentuer le décalage et le malaise, il lui donne des manières et une diction parfaite et un costume blanc de petite fille modèle alors que les parisiens s'adressent à elle en lui parlant petit-nègre. Dilili est ainsi moins la petite cousine de Kirikou que la grande sœur de Léopold Sédar Senghor et de Aimé Césaire.

A défaut de pouvoir les croiser, époque oblige, elle rencontre un impressionnant aéropage de célébrités du monde artistique et scientifique de la Belle Epoque dans un dispositif proche du film de Woody Allen "Minuit à Paris". Ils sont censés lui donner des indices sur l'enquête qu'elle mène mais force est de constater qu'un tri aurait été le bienvenu. Beaucoup d'entre eux sont inutiles et ralentissent le rythme du film. En revanche, on remarque que les femmes célèbres sont mises au premier plan: Marie Curie, Sarah Bernhardt, Louise Michel, Emma Calvé, Camille Claudel, Berthe Morisot, Suzanne Valadon. Michel Ocelot aurait même pu leur donner encore plus de place, accentuant les partis-pris féministes de son film.

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Mala Noche

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (1985)

Mala Noche


"Mala Noche" est le premier film de Gus Van SANT. Tourné en 1985 en 16 mm et noir et blanc, il n'est sorti en France qu'en 2006. Bien qu'étant l'adaptation du journal intime de Walter Curtis, c'est une premier film personnel qui pose les bases de l'œuvre à venir du cinéaste, sombre, romantique et fébrile.

D'abord par le choix du lieu, Portland, la ville d'origine de Gus Van SANT et de Walter Curtis. Un Portland clandestin et underground car le sujet qui intéresse Gus Van Sant, ce sont les modes de vie interlopes des jeunes marginaux et leurs "very bad trip".

Cependant les marginaux de Gus Van Sant sont en même temps beaux comme des dieux et mis en valeur par une esthétique raffinée. Walt (Tim STREETER) Le personnage principal qui tient une épicerie tout comme Johnny (Doug COOEYATE), le jeune clandestin mexicain qu'il désire semblent sortis tout droit de tableaux de la renaissance et le travail expressionniste sur l'ombre et la lumière magnifie leur visage. La photographie à fleur de peau du film est pour beaucoup dans le pouvoir magnétique du film tout comme la voix-off, très littéraire.

Leurs relations sont complexes, marquées à la fois par des clivages irréconciliables (fracture culturelle, sociale, sexuelle) et des similitudes (le statut d'outcast et des moments volés d'insouciance adolescente filmés en couleur). La dynamique du film repose toute entière sur l'ambivalence d'une relation faite d'attirance (du côté de Walt) et de rejet (du côté de Johnny et son compatriote, Roberto joué par Ray MONGE). Walt, américain "inverti" ne cesse de se faire humilier par les deux adolescents mexicains. Il est en effet esclave de ses désirs qui l'avilissent alors que les jeunes mexicains se comportent en petits durs bien macho en dépit de la précarité de leur situation. Leur relation vis à vis de Walt est vénale, marquée par le mépris voire la violence. Mais en leur faisant des avances insistantes, voire en les harcelant, Walt n'apparaît pas plus moral qu'eux.

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Tokyo Eyes

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Limosin (1998)

Tokyo Eyes

Si le personnage principal de "Tokyo Eyes" se prénomme K, c'est parce qu'il arpente une ville labyrinthique où l'occidental perd tous ses repères. Car son surnom "Le Bigleux" tout comme le titre du film fait référence au regard.

Regard d'un français, Jean-Pierre LIMOSIN sur la capitale nippone d'abord, forcément infidèle à la réalité mais qui reflète son propre désir et sa propre image du pays. L'aspect documentaire de son film fascine en captant un certain air du temps, notamment les passe-temps de la jeunesse tokyoïte au milieu d'une technologie made in 1997 omniprésente (jeux vidéos, ordinateurs, cabines téléphoniques, camescopes, photomatons). La caméra en liberté, façon Nouvelle Vague prend également le temps de flâner le long des rues du bas-quartier de Shimo-Kitazawa situé entre les deux plus importants centres névralgiques de Tokyo, Shinjuku et Shibuya. Et surtout, l'air de rien, Limosin montre des maux que le pays cache: la misère avec le plan d'un SDF dans une ruelle masquée par un poteau, le racisme avec le chauffeur de bus qui houspille une famille iranienne, la brutalité machiste avec un homme qui quitte brutalement sa petite amie en pleine rue.

Regard sur les personnages ensuite qui est appelé à évoluer au cours du film, les apparences s'avérant trompeuses. Dans la scène d'introduction, "Le Bigleux" (Shinji TAKEDA) nous est présenté comme un serial killer. On apprend cependant assez vite que son surnom est dû au fait qu'il rate systématiquement sa cible. Il apparaît alors comme un jeune homme étrange, limite déséquilibré. Mais Hinano (Hinano YOSHIKAWA), séduite par l'image de son portrait-robot décide de mener sa propre enquête pour le découvrir avec son propre regard. Comme on pouvait s'y attendre, K est un geek et un otaku pour qui la frontière entre le réel et le virtuel est tellement poreuse qu'il n'a pas conscience de jouer un jeu dangereux. C'est aussi un jeune homme révolté par le comportement machiste et xénophobe des hommes japonais et qui fait justice à sa manière. Jusqu'à ce que le yakuza raté à qui il vend son arme (joué par Takeshi KITANO que Jean-Pierre LIMOSIN admire et qui fait partie de ces cinéastes invités à jouer dans le film d'un autre: Jean-Pierre MELVILLE dans "À bout de souffle (1959)", Fritz LANG dans "Le Mépris (1963)", François TRUFFAUT dans "Rencontres du troisième type (1977)" etc.) ne le blesse involontairement. De même, la relation entre Hinano et Roy (Tetta SUGIMOTO), le lieutenant de police chez qui elle vit n'est pas immédiatement clarifiée. Car Hinano, femme-enfant qui minaude beaucoup dégage un érotisme chaste paradoxal, très semblable à celui de Lola (1960), l'héroïne du premier film de Jacques DEMY. Ce n'est d'ailleurs certainement pas un hasard si notre couple de tourtereaux fredonne la chanson de Serge GAINSBOURG "Pauvre Lola" en français dans le texte.

"Tokyo Eyes" est donc un film qui sous ses dehors modestes dégage un charme fou et durable.
 

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Still the water (Futatsume no mado)

Publié le par Rosalie210

Naomi Kawase (2014)

Still the water (Futatsume no mado)

"Ce qui importe, c'est de rester humble devant la nature. Cela ne sert à rien de lui résister". Occidental arrogant, toi qui pense que tu peux dominer la nature et triompher de la mort, prends-toi cette phrase dans les dents et tout le film de Naomi KAWASE avec. Un film inégal certes mais d'une intensité et parfois d'une grandeur indéniable. Un film qui aide à repenser sa place dans le monde et à accepter la mort avec sérénité.

"Still the water" puise sa force dans les croyances et rites des habitants des îles du Japon ainsi que dans la beauté des plans filmés par la réalisatrice, particulièrement ceux de la mer dans tous ses états. L'histoire se déroule pour l'essentiel dans l'archipel d'Anami même s'il fait aussi une incursion à Tokyo car la philosophie du film consiste à montrer que tout est relié et que tout est cyclique. Le principe de ces croyances est en effet celui d'une grande circulation qui efface les frontières entre la vie et la mort, la ville et la campagne, les jeunes et les vieux, la nature et l'humanité, le spirituel et le temporel. Avec pour courroies de transmission les manifestations de la nature et le chamanisme. C'est en communion avec elle que deux adolescents, Kaito (Nijirô Murakami) et Kyoko (Jun Yoshinaga) s'éveillent au sentiment amoureux et à la sexualité alors même que Kaito découvre le cadavre d'un homme sur la plage qu'il croit être l'un des amants de sa mère et que la mère de Kyoko (Miyuki MATSUDA) s'éteint en contemplant depuis sa fenêtre un grand banian, arbre sacré qui par sa configuration rappelle la grande circulation entre le visible et l'invisible. La mort de celle-ci est sans doute le climax du film. Elle n'est pas filmée comme un moment sinistre mais comme une célébration spirituelle du passage vers un autre monde avec de la musique traditionnelle, des chants et des danses. Un moment pleinement vécu et dénué d'aspect tragique car Kyoko peut continuer à communiquer avec sa mère dans l'au-delà à travers le chant.

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Sonatine, mélodie mortelle (Sonachine)

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1993)

Sonatine, mélodie mortelle (Sonachine)

Quatrième film de Takeshi KITANO, "Sonatine, mélodie mortelle" est le premier à avoir été distribué en France. Il est une bonne introduction à son style, décalé voire déconcertant. La quintessence du cinéma kitanien peut être résumée en quelques traits:

- Une dynamique filmique fondée sur le principe d'opposition, de paradoxe, de contradiction. "Sonatine" alterne ainsi de longues plages contemplatives bercées par la musique de Joe HISAISHI et de fulgurantes explosions de violence sèche, l'un se nourrissant de l'autre. L'opposition réside aussi dans toute une série de contrastes: entre le jour et la nuit, la ville et la campagne, la paix et la guerre, l'eau et le feu, le jeu et la mort, le fixe et le mobile, le champ et le hors-champ.

- Des plans fixes composés comme des tableaux sur lesquels Takeshi KITANO s'attarde longuement. Certains de ces plans fonctionnent comme des arrêts sur image: on y voit un ou plusieurs personnages immobiles qui regardent fixement la caméra. D'autres sont animés au ralenti comme ces trois personnages mitraillés qui s'écroulent l'un après l'autre. D'autres enfin ressemblent à des vues Lumière, enregistrant les mouvements au naturel à l'intérieur d'un cadre fixe. La première image du film est d'ailleurs un tableau: on y voit un poisson bleu embroché par un harpon sur fond rouge. C'est une image-programme, elle résume la situation de ces yakuzas exilés sur une île où le temps d'une parenthèse enchantée ils s'amusent comme des gamins avant que la mort ne les rattrape.

- Des personnages indéchiffrables dont le visage ressemble à un masque. Le visage neutre fait partie intégrante de la culture japonaise aussi bien dans la culture de l'estampe qu'au théâtre. Chez Takeshi KITANO, les personnages sont particulièrement peu expressifs et quand ils le sont, leurs expressions restent énigmatiques. Il en va ainsi du personnage de Murakawa joué par Takeshi KITANO dont les sourires sont plutôt annonciateurs de mort que de joie.

- Le caractère énigmatique des personnages est renforcé par la rareté de leur parole. Takeshi KITANO est un représentant d'une culture japonaise qui sait admirablement mettre en relief le poids dramatique du silence. Il n'est guère étonnant qu'il y ait des séquences burlesques dans les films de Takeshi KITANO, ce genre étant associé au muet.


- Des personnages aux prises avec un monde qui se défait. Dans "Sonatine", le fils a tué le père si bien que le milieu n'a plus de règle. Le monde devient lui-même absurde, indéchiffrable. Murakawa et ses hommes préfèrent prendre la tangente, profiter des instants qui leur reste en renouant avec leur enfance avant de disparaître (voir les plans post-générique qui filment les paysages vidés de toute présence). Car la mort est toujours au bout du chemin.

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La course de Broadway Bill (Broadway Bill)

Publié le par Rosalie210

Frank Capra (1934)

La course de Broadway Bill (Broadway Bill)

J'ai passé un très agréable moment avec ce film de Frank CAPRA réputé mineur dans sa filmographie. C'est frais, léger, drôle, pétillant et la leçon de vie passe sans lourdeur. Le thème des courses de chevaux ne m'attire guère mais ce n'est finalement pas là qu'est l'essentiel. Comme dans "Vous ne l emporterez pas avec vous" (1938) réalisé quatre ans plus tard, Frank CAPRA interroge le sens de la vie dans une société pour qui l'argent est la valeur suprême. Soit un magnat, Higgins (Walter CONNOLLY) qui à force d'accumuler du capital a racheté une ville entière qui s'appelle bien entendu Higginsville. Il a quatre filles et trois gendres qu'il a mis en coupe réglée. Sa fille aînée Margaret (Helen VINSON) est mariée à Dan Brooks (Warner BAXTER), un passionné de courses hippiques qui préfère faire courir son pur-sang Broadway Bill que de s'occuper des affaires familiales. Lorsque Higgins enjoint à Brooks de se débarrasser de son cheval, celui-ci refuse et claque la porte, perdant sa position et son épouse au passage pour une hasardeuse vie de bohème. Mais une femme peut en cacher une autre: la seule fille célibataire d'Higgins, Alice (Myrna LOY) au caractère indépendant applaudit des deux mains son choix et décide de l'aider à gagner sa liberté. Mais le couple de déclassés se retrouve confronté à un milieu qui n'est pas tendre avec les sans-le-sou et les sans-grades: les galères s'accumulent et la course qui pourrait changer le destin de Dan Brooks est de plus en plus compromise.

C'était sans compter sur la chance et le destin. A l'aide d'une mécanique habile (et remarquablement mise en scène) fondée sur de fausses rumeurs et les manipulations de parieurs concurrents, Broadway Bill se retrouve projeté de lanterne rouge à outsider puis d'outsider à favori. La course elle-même est une métaphore de l'Amérique: Broadway Bill représente le self made man, les deux autres représentent la pègre et les nouveaux riches. Cependant le dénouement, inattendu est assez amer et vient contredire l'image d'indécrottable optimiste du cinéaste. Lequel peut être sans risque identifié à Dan Brooks, le milieu hippique étant un substitut de l'industrie du cinéma. Frank CAPRA affirme ainsi sa volonté d'indépendance face aux Higgins-producteurs tout-puissants. Il veut être reconnu comme un auteur, avoir le contrôle de ses films et montre qu'il est prêt à en payer le prix.  

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Entre le ciel et l'enfer (Tengoku to jigoku)

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1963)

Entre le ciel et l'enfer (Tengoku to jigoku)

Le ciel, c'est la villa du riche industriel Kingo Gondo (Toshirô MIFUNE) qui surplombe la ville de Yokohama. Elle est le théâtre du premier morceau de bravoure du film, un huis-clos d'une cinquantaine de minutes où les personnages réunis dans le salon aux rideaux tirés puis ouverts s'agitent en tous sens sous l'impulsion d'un maître-chanteur qui les observe de l'extérieur. Celui-ci, par désir de vengeance sociale a fait enlever celui qu'il pense être le fils de Kingo. Mais coup de théâtre, l'enfant qui portait son déguisement est celui de son chauffeur. Cet imbroglio brouille les pistes: la dichotomie riche/pauvre et haut/bas n'est plus si évidente. D'autant que Kingo qui est issu d'un milieu modeste pense et agit en artisan amoureux du travail bien fait alors que les actionnaires qui l'entourent se comportent en prédateurs, soucieux du profit immédiat. Kingo se trouve face à un véritable dilemme moral: s'il délivre la rançon, il se met sur la paille avec sa famille ce qui au-delà de sa déchéance personnelle livre l'entreprise qu'il souhait racheter aux requins. S'il refuse, il devient responsable de la mort d'un enfant.

La deuxième partie du film, beaucoup plus dynamique, descend dans l'arène et prend la forme d'une enquête policière pour retrouver la fortune de Kingo qu'il a remis au malfaiteur en échange de la restitution de l'enfant. Cette partie fait la part belle aux méthodes d'investigation de la police et ménage de très belles scènes de suspense hitchcockien. Enfin la troisième partie descend en enfer, jusque dans les bas-fonds de la ville pour filmer des séquences assez sordides du milieu dans lequel vit le malfaiteur. Un milieu entrevu lors de l'enquête policière mais sur lequel Akira KUROSAWA s'attarde et qui s'oppose en tous points à celui dans lequel vit Kingo. Il s'agit d'un taudis sombre et insalubre où s'entassent les bicoques dans une sorte de cloaque à ciel ouvert écrasé par la chaleur de l'été et où survivent moins des hommes que des zombies abrutis par la misère et par la drogue. Le malfaiteur vit au milieu de cette misère tout en lui étant quelque peu étranger de par son statut d'étudiant en médecine. Il fait tache dans son milieu, tout comme Kingo dans le sien. Pourtant la scène finale de dialogue avorté montre qu'aucune réconciliation n'est possible.

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