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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Dr. Akagi (Kanzo Sensei)

Publié le par Rosalie210

Shohei Imamura (1998)

Dr. Akagi (Kanzo Sensei)

Les plus timbrés ne sont pas ceux que l'ont croit semble nous dire Shohei Imamura dans son avant-dernier film, "Kanzo Sensei" (littéralement "Docteur foie"). En effet il nous dépeint comment un petit groupe de marginaux pittoresques tente de s'accrocher à la vie en se tenant les coudes alors même que le Japon sombre dans la barbarie et le chaos dans les mois qui précèdent la fin de la guerre. Le film alterne le burlesque (voire le grotesque) et la violence en montrant comment chacun à sa façon, le Dr Akagi et les déclassés qui gravitent autour de lui tentent de résister au naufrage de leur pays. Néanmoins ils ne sont pas tous traités avec la même profondeur. Le bonze débauché, le chirurgien morphinomane, le prisonnier évadé hollandais et la tenancière de la maison de geishas jouent le rôle de satellites du "couple" principal à savoir le Dr Akagi et son employée, la jeune Sonoko dont le film s'attache à suivre le parcours semé d'embûches. Le Dr Akagi est un homme entre deux âges atteint d'une étrange monomanie. Passant son temps à courir (littéralement!) d'un patient à l'autre, il diagnostique à chaque fois qu'il est atteint du foie (comique de répétition à la Molière garanti!) ce qui lui vaut son surnom un rien méprisant. Pourtant il s'avère qu'il s'agit surtout d'un docteur humain qui tente de soulager (avec du repos et de la nourriture tout simplement!) le supplice que l'attitude insensée de l'armée et de ses chefs au pouvoir inflige à la population. On comprend également que c'est par choix qu'il a préféré s'enterrer dans un trou perdu plutôt que de briller en tant que chercheur dans la capitale même s'il est tiraillé entre son besoin d'aider son prochain et son désir de reconnaissance (qui s'avère être mortifère). A la demande de son père, il prend Sonoko sous sa protection. Elle qui a toujours vécu dans l'idée que les hommes étaient fondamentalement intéressés découvre ce qu'est l'abnégation. De même que les villageois considèrent Akagi comme un charlatan, elle est à leurs yeux une putain qui doit leur rendre des "services" alors que lui essaye justement de la sortir de la prostitution*. Sonoko emploie alors toute son énergie à se faire aimer du docteur non pour qu'il cesse de se dévouer mais pour qu'il renoue avec la vie alors même que la mort s'abat sur leurs compagnons d'infortune et que lui-même est hanté par des visions de son fils décédé se livrant à de monstrueuses expérimentations médicales en Mandchourie.

* Il y a d'ailleurs une scène qui semble fortement s'inspirer de "L'Empire des sens" de Nagisa Oshima.

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Marathon man

Publié le par Rosalie210

John Schlesinger (1976)

Marathon man

"Marathon man" est le film qui a dû largement contribuer à répandre la stomatophobie (peur du dentiste). C'est aussi un must de film paranoïaque des seventies où un simple quidam (ou un quidam un peu simplet?) se retrouve plongé au cœur d'une sombre machination à laquelle il ne comprend rien sinon qu'il doit sauver sa peau et qu'il ne peut compter sur personne puisque même ses prétendus proches (son frère, le collègue de son frère, sa petite amie) s'avèrent ne pas être ce qu'ils prétendent. Mais heureusement Babe (Dustin Hoffman) a la même qualité que Forrest Gump lorsqu'il est plongé dans une Histoire (avec un grand H) qui le dépasse: il sait courir! 

"Marathon man" s'inscrit en effet dans un contexte historique particulièrement riche, celui des "démons de l'Amérique", comme le faisait d'ailleurs Forrest Gump qui avec son air de ne pas y toucher dégommait la guerre au Vietnam et le Watergate (entre autre). Dans "Marathon man" c'est le maccarthysme (à cause duquel le père de Babe s'est suicidé, laissant à son fils un lourd héritage qu'il n'arrive pas à assumer) et les séquelles du nazisme qui sont évoquées de façon particulièrement brillantes. En effet le film se focalise sur Szell surnommé "L'Ange blanc" (Laurence Olivier), un ancien dentiste nazi ayant sévi à Auschwitz qui s'est réfugié après-guerre dans la jungle uruguayenne (allusion transparente à Mengele). La mort de son frère à New-York dans des circonstances tragi-comiques particulièrement signifiantes (une sorte de course-poursuite avec un automobiliste juif aussi âgé que lui et qui se termine contre un wagon-citerne) l'oblige à se déplacer pour gérer lui-même ses "affaires". A savoir un trésor de guerre constitué à partir des biens volés aux juifs (les dents en or notamment), entreposé dans un coffre-fort à Manhattan et qu'il faisait jusque là transiter jusqu'à lui par l'intermédiaire de petites boîtes acheminées par des "courriers" loyaux ou espions, lesquels s'avèrent être justement ceux qui entourent Babe. Celui-ci se retrouve donc bien malgré lui chargé de liquider cet encombrant héritage en vengeant symboliquement le peuple juif. En effet suite à l'Holocauste, New-York est devenue l'une des villes accueillant l'une des plus importantes communautés juive du monde dont beaucoup de rescapés d'Auschwitz (ce que le film rappelle quand il montre les tatouages sur les bras de diamantaires chez qui Szell se rend ou lorsque d'anciens prisonniers le reconnaissent en pleine rue) et Babe s'appelle évidemment Levy. Son affrontement avec Szell lui permet donc d'exorciser le passé et de se délester de son fardeau.

Le film est également une preuve par l'exemple que deux acteurs brillants mais différents (par leur âge, leur parcours, leur nationalité, leur méthode de jeu) peuvent parfaitement fonctionner ensemble. Le film allie histoire et thriller avec brio grâce au scénariste William Goldman notamment dans les nombreuses scène où Babe est "visité" par les ombres de son passé. A la manière de "Répulsion", son appartement miteux fait sans cesse l'objet d'intrusions (de viols?) filmées le plus souvent de façon furtive ce qui accroît la sensation d'angoisse et d'insécurité du personnage*. La scène de la salle de bains qui préfigure un peu celle de "Shining" est particulièrement réussie.

* Il y a d'ailleurs de ce point de vue une continuité entre Babe et le personnage que Dustin Hoffman interprétait dans "Le Lauréat" une décennie plus tôt tout comme le fait de continuer à être crédible en jouant les étudiants alors qu'il avait 39 ans (pour "Le Lauréat" il en avait 30 soit 10 de trop par rapport à son personnage, dans "Marathon man" c'est 20 de trop, qui dit mieux!)

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La Controverse de Valladolid

Publié le par Rosalie210

Jean-Daniel Verhaeghe (1992)

La Controverse de Valladolid

Après plusieurs tentatives infructueuses (lois, bulles pontificales) pour mettre fin aux abus perpétrés sur les indiens par les colonisateurs espagnols (dont l'humanité avait été reconnue par le pape dès 1537), un débat portant sur les modalités de leur évangélisation (pacifique par l'exemple ou "musclée" par la force ce qui sous-entendait que l'esclavage était légitime face à la "barbarie" des indiens) eut lieu au collège San Gregorio de Valladolid à la demande de Charles Quint en 1550 et 1551. Il réunissait des théologiens, des juristes et des administrateurs du royaume mais il eut principalement lieu entre le moine dominicain défenseur des indiens Bartolomé de Las Casas et le théologien conservateur Luis de Sepulveda. Ce débat fut épistolaire et aboutit à l'officialisation de l'égalité du statut entre les indiens et les blancs, généralisant de ce fait la traite des noirs pour alimenter le "nouveau monde" en esclaves.

En 1992, Jean-Claude Carrière publia un roman transformant "La controverse de Valladolid" en œuvre dramaturgique de fiction. Œuvre dramaturgique car la correspondance s'y transforme en un dialogue argumentatif entre les deux protagonistes principaux sous l'œil du légat du pape. Œuvre de fiction car par un subtil glissement de sens, la question centrale n'est plus celle du mode d'évangélisation des indiens mais celle, beaucoup plus contemporaine du relativisme culturel. D'une certaine manière le roman fait le procès de l'européanocentrisme et de sa prétendue supériorité culturelle sur les autres peuples reconnus comme des égaux et non plus comme des inférieurs.

Pour accrocher l'intérêt du spectateur, l'adaptation du livre en téléfilm a simplifié les débats autour d'une question compréhensible par tous "Les indiens ont-ils une âme égale à la nôtre?" (ce qui implique dans l'affirmative de devoir renoncer à l'oppression et l'exploitation sur eux). Le caractère théâtral du livre se retrouve dans le téléfilm qui se joue dans un décor quasi unique entre trois monstres sacrés: Jean CARMET dans le rôle du légat du pape, Jean-Louis TRINTIGNANT dans celui de Sépulveda et Jean-Pierre MARIELLE dans celui de Bartolomé de Las Casas. Ce dernier, imprégné émotionnellement par ce qu'il raconte renverse d'emblée les termes du débat en mettant en lumière que les espagnols autoproclamés "fils de Dieu" se sont transformés en démons devant la convoitise suscitée par l'or du nouveau monde et ont commis des pires actes de barbarie "au nom du Christ". Même si Sepulveda est un redoutable rhétoricien qui sait exploiter la moindre faille chez son adversaire, il se contredit à plusieurs reprises en reconnaissant l'existence d'une âme chez les indigènes ce que ne manque pas de relever le légat du pape (Jean-Louis TRINTIGNANT a le talent pour montrer combien Sépulveda encaisse les coups au moindre tressaillement de son visage). Mais ce sont surtout les réactions des quelques indiens exhibés comme des monstres de foire et traités comme des cobayes qui achèvent de faire basculer le spectateur dans la salle et derrière l'écran de leur côté. Réactions humaines à des expériences inhumaines comme celle qui consiste à arracher un enfant des bras de sa mère pour s'apprêter à le passer au fil de l'épée mais aussi celle du rire, non culturel mais universel. L'échec des bouffons à dérider les indiens fonctionne aussi pour nous spectateurs contemporains. En revanche lorsque le légat du pape se vautre sur le sol, les indiens esquissent un sourire que n'importe qui peut comprendre étant donné que cela fonctionne en tous temps et en tous lieux (par exemple quels élèves n'ont pas rêvé un jour de voir leur professeur se "gameller"?)

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Citizenfour

Publié le par Rosalie210

Laura Poitras (2014)

Citizenfour

Le célèbre documentaire de Laura POITRAS aurait pu s'intituler "Les huit jours qui ébranlèrent le monde". Ceux qui firent entrer Edward Snowden dans l'histoire. Pour mémoire ce jeune (il avait alors 29 ans) ingénieur informaticien qui avait travaillé pour les renseignements américains (CIA puis NSA) décida de rendre public le gigantesque système de surveillance mondial post-11 septembre mis en place à l'insu des citoyens par l'Etat américain (et ses alliés anglo-saxons) grâce à sa main mise sur les NTIC* avec la complicité des géants du net que l'on appelle aussi les GAFAM**. Comme le dit Snowden, "À l'heure actuelle, sachez que chaque frontière que vous traversez, chaque achat que vous faites, chaque numéro que vous composez, chaque antenne relai que vous passez, chaque ami que vous contactez, chaque site que vous consultez et mot que vous tapez dans les moteurs de recherche est entre les mains d'un système dont la portée est illimitée mais dont les barrières n'existent pas".

Pendant huit jours, il rencontra la documentariste*** qu'il avait contacté sous son nom de code "Citizenfour" et des journalistes d'investigation du Guardian dans un hôtel à Hong-Kong pour leur confier les documents top secret qui prouvaient ses dires. A partir de ce moment-là, Edward Snowden devint à la fois l'un des hommes les plus recherchés de la planète et l'un des principaux symboles de la défense des libertés individuelles et de l'altermondialisme. Car les lanceurs d'alerte sont en quelque sorte les résistants d'un système aussi invisible que redoutable qui s'insinue dans tous les aspects de la vie publique et privée par le biais de pratiques de traçage, de profilage et de récupération de "données", les moyens de leur échapper s'amenuisant au fur et à mesure que les citoyens sont encouragés voire contraints (faute de supports matériels lesquels tendent à disparaître) de virtualiser l'ensemble de leurs pratiques et centres d'intérêts (culturels, commerciaux, financiers etc.)

* Nouvelles technologies de l'information et de la communication.
** Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et leurs satellites, les NATU, Netflix, Airbnb, Tesla, Uber.
*** Qui pu ainsi boucler une édifiante trilogie sur les conséquences délétères de la GWOT alias la "Global War On Terrorism" (après la guerre d'Irak et Guantanamo).

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Les Duellistes (The Duellists)

Publié le par Rosalie210

Ridley Scott (1977)

Les Duellistes (The Duellists)

Ridley SCOTT aime bien au soir de sa vie et de sa carrière revenir sur les traces de ses premiers films (à l'exception de "Gladiator" (1999), les plus marquants). Après "Alien Covenant" (2017), le voici en train de réaliser "The Last Duel" (sortie prévue en janvier 2021 en France) dont le trait d'union avec son premier film "Les Duellistes" ne se réduit pas au titre mais également dans le choix de tourner dans les mêmes paysages du sud-ouest de la France (plus précisément en Dordogne, près de Sarlat, j'ai d'ailleurs une amie qui a eu la chance d'y faire de la figuration lorsque l'équipe s'est posée le mois dernier à Monpazier classé parmi les plus beaux villages de France ^^). Un retour aux sources qui rappelle combien Ridley SCOTT est non seulement un grand directeur d'acteurs, mais également un grand metteur en scène qui accorde beaucoup d'importance au décor et à l'atmosphère qu'il dégage (j'ai eu moi-même la chance de me promener dans l'un de ceux qu'il a choisi pour "Blade Runner" (1982) lorsque je suis allée à Osaka).

Le scénario des "Duellistes", tiré d'une nouvelle de Joseph Conrad est volontairement énigmatique ce qui permet de multiples interprétations. On y voit sur une quinzaine d'années deux officiers napoléoniens prisonniers d'un étrange code d'honneur se confronter l'un à l'autre en marge de leur activité principale qui est de servir l'Empereur jusqu'au bout de sa folie guerrière. Néanmoins les deux hommes ne peuvent être confondus et ont même des caractères diamétralement opposés au point de finir pour l'un tout en blanc et pour l'autre tout en noir. Armand d'Hubert (Keith CARRADINE) est un homme placide, réfléchi, amoureux de la vie qui considère son métier comme un service. Cependant il se laisse entraîner dans une spirale mortifère dont il ne sort pas indemne comme le montre l'extraordinaire séquence des soldats gelés durant la campagne de Russie où il semble laisser une part de lui-même. Son antagoniste, Gabriel Féraud (Harvey KEITEL) est en revanche une tête brûlée belliqueuse et fanatiquement dévouée à Napoléon au point de se confondre avec lui. Animé par des pulsions de mort, il ne semble vivre que pour la guerre et la vengeance. C'est lui qui enclenche l'engrenage fatal du duel avec Armand d'Hubert pour un motif futile et ne cesse de le poursuivre par la suite avec acharnement. C'est pourquoi la fin est aussi magistrale. Tuer Féraud aurait été trop facile et au final, cela lui aurait rendu service. Le laisser vivre en le privant de son obsession existentielle est autrement plus cruel pour lui. Le voilà obligé (horreur!) de méditer du haut d'un panorama à couper le souffle sur une boucle de la Dordogne comme son idole, Napoléon exilé à Sainte-Hélène pendant que son rival enfin libéré retrouve sa femme enceinte.

Le film se singularise également par sa splendeur visuelle. Ridley SCOTT est de ce point de vue aussi formaliste que Stanley KUBRICK et "Les Duellistes" ressemble beaucoup plastiquement à "Barry Lyndon" (1975) avec de multiples références picturales: natures mortes qui évoquent l'usure progressive des protagonistes ainsi que les tableaux romantiques de ruines noyées dans la nature, utilisation éblouissante de la lumière et des paysages du sud-ouest. Bref c'est un régal pour les yeux et comme son illustre modèle, "Les Duellistes" est un film historique extrêmement vivant et vibrant sur lequel le temps n'a pas de prise.

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Au Nom du Père (In the Name of the Father)

Publié le par Rosalie210

Jim Sheridan (1993)

Au Nom du Père (In the Name of the Father)

"Au nom du père" que je n'avais pas revu depuis très longtemps fait partie de ces films qui vous prennent aux tripes et ne vous lâchent plus jusqu'à la dernière seconde. Le titre a une double signification, politique et religieuse d'une part (des innocents crucifiés sur l'autel de la raison d'Etat), intime de l'autre (la relation très forte d'un père et d'un fils victimes de la même erreur judiciaire).

Le film raconte l'histoire vraie de Gerry Conlon qui parce qu'il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et qu'il avait un profil de coupable idéal (irlandais et délinquant) se retrouve condamné avec une partie de sa famille à une lourde peine de prison pour un attentat qu'il n'a pas commis. Bien que se situant dans le contexte du conflit en Irlande du nord dans les années 70, le film est très actuel en ce qu'il expose les fragilités de toutes les démocraties confrontées au terrorisme. Face à la pression populaire qui exige des coupables et une politique sécuritaire, l'Etat réagit en prenant des mesures d'exception qui bafouent les libertés individuelles et facilitent les erreurs judiciaires (il est rappelé dans le film que les gardes à vue avaient été prolongées à sept jours sans la présence d'un avocat ce qui donnait aux policiers toute latitude pour abuser de leur pouvoir. C'est de cette manière qu'ils parviennent à extorquer de prétendus aveux à Gerry). Quant à la suite de l'affaire, c'est à dire la dissimulation de preuves pouvant innocenter Gerry et les siens et le refus de rouvrir le dossier en dépit de l'arrestation et des aveux du vrai coupable, elle relève d'un scandale d'Etat digne de l'Affaire Dreyfus. Pour des raisons d'efficacité narrative, la machine judiciaire est incarnée par un seul homme, Dixon (Corin REDGRAVE) mais Jim SHERIDAN rappelle à plusieurs reprises que s'il est mouillé jusqu'au cou dans cette sale affaire, il bénéficie de l'appui de tout l'appareil d'Etat. Par ailleurs, l'adversaire de l'Etat britannique, l'IRA n'est pas davantage épargné par le réalisateur, sa violence terroriste (y compris envers les siens lorsqu'ils compromettent ses actions) et ses méthodes mafieuses étant également soulignées. Ce qui est remarquable, c'est que cet affrontement à grande échelle se double de celui qui se joue entre un père et son fils qui en dépit de leur communauté de destin, de leur nature fondamentalement semblable et d'un amour filial très fort sont séparés par un abîme d'incompréhension. Gerry apparaît longtemps comme un adolescent rebelle et immature qui juge son père faible et sermonneur. Pourtant c'est la peur que l'on s'en prenne à lui qui le fait craquer et sa nature profondément non-violente le fera finalement revenir vers lui pour l'aider dans son combat judiciaire pour faire reconnaître leur innocence avec l'aide d'une avocate intègre pugnace, Gareth Peirce (Emma THOMPSON). Daniel DAY-LEWIS et Pete POSTLETHWAITE sont tous deux remarquables.

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La Liste de Schindler (Schindler's List)

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (1993)

La Liste de Schindler (Schindler's List)

C'est lors de mon séjour à Cracovie en 2015 que j'ai pris toute la mesure de l'importance du film de Steven SPIELBERG. En effet la visite de l'ancien quartier juif de Kazimierz où a été tourné en partie "La liste de Schindler" a été l'occasion de rappeler le travail de mémoire effectué par Steven SPIELBERG car en 1993, la Pologne post-communiste avait oublié sa part d'identité juive, détruite par la Shoah puis dont la mémoire avait été occultée sous l'ère du bloc soviétique. Le quartier était à l'abandon et a été réhabilité pour les besoins du film même s'il n'a pas retrouvé sa vie d'avant (il ressemble plus à un décor pour touristes et à un mémorial avec ses synagogues et son cimetière qu'à un lieu de vie car officiellement il n'y a plus que quelques centaines de juifs à Cracovie). Avant la guerre, Kazimierz (du nom du roi de Pologne Casimir III qui avait accueilli les juifs en Pologne au XIV° siècle) regroupait la majeure partie des juifs de Cracovie qui représentaient environ 1/4 de sa population. Les nazis les forcèrent à se regrouper dans un minuscule ghetto de l'autre côté de la Vistule (le pont qui relie les deux parties de la ville est montré dans le film) dont il ne reste plus aujourd'hui que des pans de mur ainsi qu'une place devenue mémorial de la saignée démographique opérée par la Shoah (elle se nomme "place des chaises vides" avec 65 chaises en bronze en mémoire des disparus. Pour mémoire, c'est depuis cette place que Roman POLANSKI a réussi à s'échapper du ghetto). Cette place est bordée par une pharmacie goy qui joua un rôle important auprès des juifs du ghetto ce que Steven SPIELBERG montre dans une scène très forte où lors de la liquidation du ghetto le personnel infirmier fait mourir dignement les patients avant que les nazis ne viennent les massacrer. La ferveur de notre guide polonaise (dont on appris au courant du séjour qu'elle avait des origines juives cachées) vis à vis du film de Spielberg était telle que la visite de Cracovie a fini par se confondre avec celle des lieux de tournage de "La liste de Schindler" avec un passage par la colline depuis laquelle Oskar Schindler (Liam NEESON) observe la liquidation du ghetto et une vue rapide sur les locaux de son usine.

En plus de son importance capitale pour la résurgence de la mémoire juive à Cracovie (et non juive d'ailleurs, les acteurs allemands qui jouent les SS ont pu également à l'occasion du tournage régler leurs comptes avec le passé de leur famille), "La liste de Schindler" est l'un des meilleurs films de fiction (bien que basé sur des faits réels) qui existe sur la Shoah. Les critiques de Claude LANZMANN sur le fait qu'en se concentrant sur l'infime minorité des juifs qui ont été sauvés par des Justes, le film ne parlerait pas de ce qu'a été la Shoah sont démenties par des images qui comme dans "Shoah" (1985) ou dans "Le Pianiste" (2002) soulignent le vide créé par l'extermination nazie. Ce sont ces plans sur des rues désertes jonchées de valises abandonnées et de toutes sortes d'objets jetés par les nazis à la suite du pillage et du saccage des appartements du ghetto. Ce sont les piles d'objets volés dans les valises et les photos qui servent aujourd'hui de marqueurs mémoriels à Auschwitz et à Birkenau. Ce sont aussi ces images du descellement des pierres tombales pavant l'allée de l'entrée du camp de Plaszow où furent déportés les survivants sous la direction du terrifiant Amon Göth (Ralph FIENNES, remarquable) dont Steven SPIELBERG montre avec compassion (mais sans aucune complaisance) l'étendue de la folie et de la déchéance. Enfin lorsque les femmes de la "liste de Schindler" échappent à une mort programmée (et il ne faut pas prendre l'eau sortant des douches au sens littéral mais comme une métaphore de la vie que Schindler parvient à leur conserver tout comme la petite fille au manteau rouge est le symbole du peuple juif martyrisé), le réalisateur nous montre bien la file interminable de ceux qui n'ont pas eu leur chance et s'enfoncent dans les ténèbres du crématorium filmé comme un moloch avalant ses proies et les recrachant sous forme de fumée par la cheminée.

Enfin, "La liste de Schindler" pose la question de ce signifie être un Mensch (un être vraiment humain dans la culture juive), la même question que se posait Billy WILDER dans le contexte du capitalisme sauvage de "La Garçonnière" (1960). Dans les deux films, les personnages ne sont pas au départ ce que l'on peut appeler des hommes de bien, ce sont des hommes de compromissions, des opportunistes qui ont choisi la facilité par lâcheté, appât du gain ou fascination pour les cercles de pouvoir mais ils apprennent à le devenir au terme d'une prise de conscience qui les élève au-dessus de la fange dans laquelle ils sont plongés avec l'aide d'un "maïeuticien" de l'âme (Stern, alias Ben KINGSLEY pour Schindler et le docteur Dreyfuss pour Baxter). Significativement, Billy WILDER avait d'ailleurs contacté Steven SPIELBERG car bien qu'ayant pris sa retraite depuis une dizaine d'années il souhaitait réaliser le film (pour mémoire, sa mère était morte à Auschwitz). Mais le tournage était sur le point de commencer alors à titre de consolation, il a été le premier à qui Steven SPIELBERG a projeté le film terminé.

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Le médecin de famille (Wakolda)

Publié le par Rosalie210

Lucia Puenzo (2013)

Le médecin de famille (Wakolda)

Le grand projet eugéniste des nazis n'incluait pas seulement l'extermination des juifs mais également l'amélioration de la "race aryenne" jusqu'à un idéal de perfection et de pureté censé faire d'eux des dieux sur terre. En attendant ce jour les "fils du soleil" comme ils ne surnommaient devaient vivre en exil, cachés sous de fausses identités après leur défaite en 1945. L'Argentine fut l'une des terres d'accueil de ces nazis en fuite parmi lesquels se trouvait le terrifiant médecin d'Auschwitz, Josef Mengele. Lucía PUENZO a imaginé un épisode fictif de sa vie dans un roman qu'elle a ensuite porté à l'écran. Bien que la mise en scène soit un peu trop illustrative, le film ne manque pas d'intérêt. La première scène où le prédateur observe sa future proie suscite le malaise, de même que celles qui montrent ses carnets de croquis et l'atelier de fabrication de poupées en série qu'il finance, reflet de ses obsessions morbides "d'hygiène raciale". En dépit de son attitude franchement autoritaire et intrusive, ni Lilith qui souffre du harcèlement qu'elle subit à l'école à cause de sa petite taille, ni sa mère (qui est d'origine allemande et a grandi sous le nazisme) ne se méfient de lui. Elles l'accueillent plutôt comme leur bienfaiteur et subissent son emprise. Seul le père Enzo voit tout de suite que le personnage est louche et tente dès lors de l'empêcher d'utiliser sa fille puis ses fils jumeaux nouveaux nés comme cobayes de ses expériences. En arrière-plan de la petite histoire, la grande s'écrit avec l'enlèvement d'Eichmann par le Mossad et la traque infructueuse de Mengele qui réussit à s'enfuir pour le Paraguay puis le Brésil.

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Elle s'appelait Sarah

Publié le par Rosalie210

Gilles Paquet-Brenner (2010)

Elle s'appelait Sarah

Le titre français évoque la chanson de Jean-Jacques GOLDMAN "Comme toi" ("Elle s'appelait Sarah, elle n'avait pas huit ans, sa vie c'était douceur, rêves et nuages blancs. Mais elle n'est pas née comme toi ici et maintenant".) Mais je préfère le titre en VO du roman de Tatiana de Rosnay "Sarah's key" dont le film de Gilles PAQUET-BRENNER est l'adaptation. Parce que tout est affaire de clé dans ce récit. Celle qui déverrouille le cadavre caché dans le placard, métaphore des secrets enfouis qui empêchent de vivre. C'est ce qui relie les deux parties du récit, celui d'un événement historique "traumatique" (la rafle du Vel d'Hiv en juillet 1942) devenu le symbole de la participation active de la France à la Shoah et celui de sa mémoire qui resurgit 60 ans après avoir été mise sous le boisseau. A l'échelle nationale, c'est même moins, le film rappelle le moment-clé que fut le discours commémoratif de Jacques Chirac en juillet 1995 reconnaissant la collaboration de l'Etat français aux crimes des nazis et montre le travail colossal mené par le Mémorial de la Shoah pour répertorier les 76 mille juifs déportés de France (moins de 2500 revinrent) et leur redonner une identité (mur des noms, pièce des photographies des 11 mille 400 enfants de moins de 16 ans déportés, listes diverses: convois, écoles, adresses personnelles, Justes de France).

Mais le film n'étant pas un documentaire mais l'adaptation d'un roman, il articule la reconstitution des événements tragiques de juillet 1942 et leurs conséquences avec des destins particuliers. Sarah est donc une enfant fictive qui symbolise le sort des 4000 enfants arrêtés ce jour là, plus particulièrement le coeur de cible de la rafle qui étaient les juifs étrangers, polonais en premier lieu. Enfin jusqu'à un certain point puisqu'en parvenant à s'échapper avant d'être déportée, elle symbolise l'exception (aucun des enfants du Vel d'Hiv déporté n'est revenu, très peu ont pu s'enfuir du Vel d'Hiv et des camps de transit). Elle endosse alors un autre rôle, celui de la culpabilité du survivant qui se mure dans le silence et ne transmet pas son identité à sa descendance. De plus celle-ci rejaillit sur une famille française, les Tézac qui s'est embourgeoisée sur le dos des familles juives que l'on a délogé et spolié avant de les massacrer. Elle aussi se mure dans le silence et l'oubli. Jusqu'à ce qu'une journaliste américaine, Julia Jarmond mariée au fils Tézac ne mette les pieds dans le plat et ouvre grand le placard à secrets (le film la montre d'ailleurs ouvrant les rideaux d'un appartement que les policiers français referment en 1942). Un personnage extrêmement judicieux quand on sait que c'est un historien américain, Robert Paxton qui en 1973 a démantelé le mythe du double jeu du maréchal Pétain et mis en évidence que la collaboration était une initiative française. Plus récemment il a répondu à Eric Zemmour qui défendait la thèse (dans "Le Suicide français" paru en 2014) d'un maréchal sacrifiant les juifs étrangers pour mieux sauver les juifs français. La distanciation permise par la nationalité, un rapport différent à l'histoire (que l'on songe à la rapidité avec laquelle les américains ont évoqué le trauma de la guerre du Vietnam) et l'accès facilité aux archives allemandes sont autant de facteurs qui ont permis aux USA de jouer auprès de la France ce rôle d'historiens de la mémoire.

Le film de Gilles PAQUET-BRENNER, prenant et remarquablement interprété (mention spéciale à Mélusine MAYANCE et Kristin SCOTT THOMAS à qui le rôle de Julia va comme un gant mais aussi à Michel DUCHAUSSOY dans un rôle court mais marquant ou encore Niels ARESTRUP à contre-emploi) donne beaucoup de sensorialité (cris, aboiements de hauts-parleurs, chaleur étouffante, manque de sommeil, soif, fièvre, absence d'hygiène) à la reconstitution de la rafle vue à la hauteur d'une enfant qui ne comprend pas ce qui se passe et de ce fait commet une erreur fatale en ce qu'elle déplace le fardeau de la culpabilité des vrais coupables (les nazis et leurs complices français) sur ses épaules. Quant au travail de mémoire effectué par Julia, il est indissociable des enjeux autour de ce qui se passe dans son ventre: elle veut accoucher du secret alors que son mari fuyant (Frédéric Pierrot) préfère l'escamoter tandis que le fils de Sarah (Aidan Quinn) après le choc initial finit par l'intégrer à son histoire.

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Capitaines d'Avril (Capitães de Abril)

Publié le par Rosalie210

Maria de Medeiros (2000)

Capitaines d'Avril (Capitães de Abril)

Le premier film de Maria de MEDEIROS est une reconstitution de la révolution des œillets du 25 avril 1974 au Portugal en forme d'hommage à ses principaux acteurs, les fameux "capitaines" du titre. La révolution a en effet été initiée par de jeunes officiers traumatisés par leur expérience des guerres coloniales en Afrique. L'Empire était un des piliers idéologiques de la dictature de Salazar (remplacé en 1968 par Caetano) qui s'épuisait à vouloir le conserver au prix de guerres sans issues, théâtres de terribles massacres de civils. Pour le jeune portugais qui souhaitait échapper à la conscription, il n'y avait qu'un seul choix possible: émigrer en France (ce qui est évoqué dans la scène d'ouverture où la fiancée du jeune soldat le supplie d'émigrer avec elle). C'est donc l'énergie du désespoir qui a poussé ces jeunes officiers à se révolter contre leur absence de perspectives d'avenir et contre leur instrumentalisation par un Etat criminel. Le film suggère que leur volonté de mener une révolution pacifique (la fleur au bout du fusil) émane d'un profond sentiment de culpabilité et du désir de se racheter. Une révolution qui n'aurait cependant été qu'un coup d'Etat (ce n'était d'ailleurs pas la première tentative) si la population civile n'était pas descendue dans la rue pour soutenir les militaires, exigeant notamment la libération de tous les prisonniers politiques. Les femmes en particulier jouent un rôle important et notamment les femmes de militaires. Maria de MEDEIROS joue ainsi Antonia, une enseignante dont le rôle semble avoir été déterminant dans l'engagement de son mari (Frédéric PIERROT).

Cependant le film de Maria de MEDEIROS en dépit de sa sincérité manque de maîtrise tant sur la forme que sur le fond si bien que l'ensemble paraît assez abstrait et confus. Le gouvernement semble se réduire à quelques hommes (Caetano, le frère d'Antonia qui est ministre, le chef de la police politique et une poignée de sbires), tout comme les militaires semblent assez peu nombreux alors que les différents acteurs du mouvement révolutionnaire (notamment le MFA et le général Spinola) sont mal caractérisés. Un peu plus de profondeur politique aurait été bienvenu afin de dépasser le niveau des belles mais naïves images d'Epinal.

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