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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Nuit et Brouillard

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1956)

Nuit et Brouillard

"Cette réalité des camps, méprisée par ceux qui la fabriquent, insaisissable pour ceux qui la subissent, c’est bien en vain qu’à notre tour nous essayons d’en découvrir les restes.
Ces blocks en bois, ces châlits où l’on dormait à trois, ces terriers où l’on se cachait, où l’on mangeait à la sauvette, où le sommeil même était une menace, aucune description, aucune image ne peut leur rendre leur vraie dimension". Comment en effet parler et montrer, comment témoigner et transmettre ce qui relève d'une expérience indicible et infilmable, une expérience du passé non digérée au présent. Voilà le défi auquel le réalisateur Alain RESNAIS et le scénariste Jean CAYROL se sont confrontés en tentant de représenter par le biais de l'art le "passé qui ne passe pas" par la voie du documentaire avec "Nuit et brouillard" (1956) et de la fiction avec "Muriel ou le temps d un retour" (1962). Il faut dire que les deux hommes sont contemporains de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, deux événements traumatiques ayant accouchés de mémoires douloureuses et conflictuelles qui ont été pour la plupart longtemps étouffées par la censure (celle de l'Etat mais aussi celle de la conscience qui pour continuer à vivre s'est scindée en refoulant ce qui était insupportable).

"Nuit et Brouillard" bien qu'étant à l'origine une commande est un film puissant et poétique qui témoigne de l'état d'esprit et du niveau de connaissances de 1955 sur l'univers des camps de la mort nazis, dix ans seulement après la fin de la guerre. L'époque est alors favorable à la célébration des héros de la Résistance et "Nuit et Brouillard" déroge d'autant moins à la règle que Jean CAYROL le scénariste est lui-même un ancien résistant déporté à Mauthausen. Le sujet du documentaire porte donc sur les conditions effroyables de vie et de travail de ces camps "de la mort lente". En revanche la spécificité de la déportation raciale n'est pas dégagée car elle n'était tout simplement pas reconnue à l'époque. Peu de déportés juifs étaient revenus des camps comparativement aux résistants. De plus, leurs témoignages n'étaient pas entendus. Pour que la mémoire juive émerge dans l'histoire, il faudra le procès Eichmann et plus tardivement encore, le documentaire-choc de Claude LANZMANN, "Shoah" (1985), qui analyse la spécificité de la déportation raciale. Elle se distingue de l'univers concentrationnaire en ce que la mort y est immédiate à l'arrivée et que tout est fait pour qu'elle ne laisse pas de traces. Contrairement à Alain RESNAIS qui filme des vestiges en couleur au milieu d'archives en noir et blanc en s'interrogeant sur leur pouvoir d'évocation du passé, Claude LANZMANN ne montre que le vide, le néant, les prairies dénuées de traces des épouvantables crimes qui s'y déroulèrent ou bien des ruines méconnaissables. Il parie en effet sur la puissance du témoignage seul pour ressusciter le passé. Certains historiens préfèrent d'ailleurs le terme de "centres de mise à mort" plutôt que de camps pour qualifier les lieux où étaient envoyés les juifs d'Europe, distincts des camps de concentration hormis dans le cas de Lublin-Majdanek et d'Auschwitz-Birkenau. Ce dernier, souvent évoqué dans "Nuit et Brouillard" est particulier car il est au croisement des deux logiques: Auschwitz I (là où se trouvait l'enseigne "Arbeit macht frei", l'hôpital, la prison) était un camp de concentration alors que Birkenau combinait la concentration et l'extermination. Cette imbrication de logiques différentes explique également la confusion qui règne dans "Nuit et Brouillard" qui évoque par moments (mais sans le dire explicitement) l'extermination des juifs au milieu des autres activités du camp (expériences médicales, travail forcé). Enfin, "Nuit et Brouillard" est également célèbre pour l'image censurée du gendarme surveillant le camp de Pithiviers. Cette censure témoignait à l'époque du refus de la France d'admettre sa participation aux crimes des nazis durant la seconde guerre mondiale. Un déni qui n'a pris fin qu'avec le discours de Jacques Chirac en 1995.

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Muriel ou le temps d'un retour

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1963)

Muriel ou le temps d'un retour


"Tu veux raconter Muriel. Muriel, ça ne se raconte pas". Comment parler et montrer, comment témoigner et transmettre ce qui relève d'une expérience traumatique indicible et infilmable, une expérience du passé qui infuse tellement le présent qu'elle l'empêche d'advenir en suspendant le cours du temps, en mettant la vie entre parenthèses. Voilà le défi auquel le réalisateur Alain RESNAIS et le scénariste Jean CAYROL se sont confrontés en tentant de représenter par le biais de l'art le "passé qui ne passe pas" par la voie du documentaire avec "Nuit et brouillard" (1956) et de la fiction avec "Muriel ou le temps d'un retour" (1963). Il faut dire que les deux hommes sont contemporains de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, deux événements traumatiques ayant accouchés de mémoires douloureuses et conflictuelles qui ont été pour la plupart longtemps étouffées par la censure (celle de l'Etat mais aussi celle de la conscience qui pour continuer à vivre s'est scindée en refoulant ce qui était insupportable).

C'est pourquoi la linéarité de "Muriel ou le temps d'un retour" est trompeuse. La vérité du temps de "Muriel" est dans le titre. Il s'agit d'un récit au présent sans cesse haché, traversé, fragmenté, interrompu, dissocié par les éclats du passé non digéré qui "fait retour" à la manière d'un gigantesque palimpseste. Ce passé fragmentaire se manifeste par tous les moyens que le cinéma peut produire: des images (d'archive notamment, photos ou films), des mots, des sons, de la musique. Leur intervention dans le récit est conçue pour créer des effets de dissonance. La science du montage de Alain RESNAIS en particulier joue un rôle déterminant. Il isole de tous petits moments qu'il insère dans le récit et qui par des effets de correspondance font sens. Par exemple, Alphonse Noyard (Jean-Pierre KÉRIEN), l'amant de Hélène Aughain (Delphine SEYRIG) évanoui pendant la guerre qui revient dans sa vie à sa demande est un homme opaque et fuyant, un homme de secrets et de mensonges dont l'art de la dissimulation est mis en parallèle avec le refoulé des anciens tortionnaires de la guerre d'Algérie. Lorsqu'il écrase une cigarette, lorsqu'il prononce une phrase anodine en apparence mais qui isolée devient lourde de sens ("Il y a des gens qui prennent mieux les taches que d'autres. Moi par exemple"), lorsqu'il déclare qu'il aime toutes les races mais qu'il hait les arabes. Il en va de même avec Bernard et Robert (Jean-Baptiste Thierrée et Philippe LAUDENBACH) , deux anciens appelés d'Algérie qui ont été témoins et acteurs du calvaire de "Muriel", un surnom donné à une jeune combattante algérienne torturée à mort pendant la guerre (ou plutôt les "événements" comme on disait à l'époque, le terme de guerre étant tabou). Lorsqu'ils en parlent, c'est toujours à mots couverts et comme par hasard un policier se tient systématiquement derrière eux pour veiller au grain (juste retour de bâton du policier censuré de "Nuit et brouillard" (1956)). L'évocation du traumatisme lui-même se situe sous la forme d'un récit situé au milieu du film accompagné par des images d'archives parfaitement anodines qui soulignent justement l'absence d'images du crime. Elles renvoient aux images manquantes de la Shoah (bien évidemment) mais aussi aux vides laissés par les destructions matérielles. La ville de Boulogne-sur-Mer en dépit de sa reconstruction en porte les stigmates. "C'est où le centre-ville?"; "Mais vous y êtes!" L'air égaré du jeune homme parle pour lui: l'espace comme le temps ont été irrémédiablement modifiés par la guerre.

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La Bataille (The Battle)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1911)

La Bataille (The Battle)

"La Bataille" est le dernier des sept courts-métrages que D.W. GRIFFITH a consacré à la guerre de Sécession entre 1910 et 1911, quelques années avant son célèbre long-métrage "Naissance d'une Nation" (1915). Il s'agit d'un récit édifiant dont le patriotisme convaincu pourrait tout à fait faire office de document de propagande militariste. Comme toujours en pareil cas, c'est la lâcheté qui est montrée du doigt avec un soldat qui panique dès le premier accrochage et part se cacher chez sa fiancée. Bien évidemment celle-ci lui rit au nez et lui demande de se comporter en homme. Transcendé par ce remontage de bretelles en bonne et due forme, le soldat devient soudainement un héros qui risque sa vie pour ramener à son camp en panne sèche de munitions un chariot de poudre (conduit par Lionel BARRYMORE!). Stanley KUBRICK qui était profondément antimilitariste a brillamment démontré dans "Les Sentiers de la gloire" (1957) comment la lâcheté et le courage étaient habilement exploités par les généraux pour manipuler leurs soldats. Il n'y a bien évidemment pas ce recul chez D.W. GRIFFITH qui reste béat d'admiration devant les uniformes rutilants tels que celui qu'avait porté son papa (colonel de l'armée des confédérés pendant la "Civil war" comme l'appellent les américains et qui avait eu un comportement héroïque en menant une charge victorieuse alors qu'il était blessé). A défaut de tuer le père, D.W. GRIFFITH livre néanmoins un film déjà très ambitieux pour son époque et son format avec des reconstitutions de bataille spectaculaires et un grand nombre de figurants.

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Epées et coeurs (Swords and Hearts)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1911)

Epées et coeurs (Swords and Hearts)


"Epées et cœurs" est le sixième des sept courts-métrages sur la guerre de Sécession que D.W. GRIFFITH a réalisé entre 1910 et 1911. L'importance de cet événement dans la filmographie du cinéaste s'explique par sa biographie personnelle (son père a pris part au conflit du côté des confédérés et s'est brillamment illustré en tant que colonel) autant que par la place de la "Civil war" dans l'histoire des USA. En effet, bien plus que la guerre d'Indépendance, c'est la guerre de Sécession qui est considérée par les américains comme l'événement fondateur de leur nation comme le montre l'abondante filmographie qui lui est consacrée.

"Epées et cœurs" comme son titre l'indique est une romance contrariée par la guerre mais aussi par les différences sociales. L'intrigue qui se déroule en Virginie, l'un des Etats sudistes qui a fait sécession se focalise sur un triangle amoureux: le fils d'un riche planteur de tabac, Hugues Frazier (Wilfred LUCAS), sa voisine du même rang que lui qu'il courtise Irène Lambert (Claire McDOWELL) et enfin Jenny Baker (Dorothy WEST) la fille d'un "petit blanc". Le film est à la fois une romance, un récit de guerre épique et une fable dans le sens où la guerre déchire le voile des apparences et révèle la véritable identité de chacun. Sous ses airs de jeune fille de bonne famille, Irène s'avère être une opportuniste qui se laisse courtiser par Hugues mais aussi par un soldat de l'Union histoire de pencher du bon côté le moment venu. Lorsque Hugues perd tout (la guerre mais aussi la propriété familiale qui est attaquée, pillée et incendiée) il perd également Irène mais il gagne Jenny. Cette dernière sous ses airs de pauvresse cache un tempérament intrépide et déterminé qui a l'occasion de s'exprimer lorsqu'elle protège Hugues des soldats de l'Union venus l'arrêter en faisant diversion. Dorothy WEST montre à cette occasion son talent dans les scènes d'action en tant que cavalière et tireuse, bien mise en valeur par la mise en scène de D.W. GRIFFITH, l'utilisation de la profondeur de champ dans la course-poursuite notamment. Son personnage, en rupture par rapport à la tradition prend sa vie en main et sauve celui qu'elle aime au lieu d'être sauvé par lui. Enfin, le quatrième personnage important du film est Old Ben, l'esclave majordome de la famille Frazier qui sauve Hugues de la ruine en enterrant le coffre de la maison pour qu'il ne tombe pas aux mains des pillards. Si le film de D.W. GRIFFITH a un côté féministe et progressiste socialement, il est imprégné de racisme, comme "Naissance d une Nation (1915)". Old Ben est joué comme il était d'usage à l'époque par un acteur blanc grimé, il est entièrement dévoué à la famille Frazier et ne pense pas un instant à profiter de la guerre et du désordre pour s'enfuir et encore moins pour s'enrichir au détriment de ses anciens maîtres qu'il continue à servir fidèlement comme s'il n'y avait pas d'autre horizon possible.

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Barry Lyndon

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1975)

Barry Lyndon

Lorsque je suis amenée à voir un navet, je compense aussitôt avec l'un des plus beaux films du monde, un régal pour l'œil, l'oreille et l'esprit. "Barry Lyndon" est une œuvre d'art totale. C'est un film qui se contemple, qui s'écoute, qui se lit mais surtout qui se vit. "Barry Lyndon" fait partie de ces films qui rappellent que le septième art est celui du mouvement, de l'anima(tion). Stanley KUBRICK avait déclaré qu'il avait voulu réaliser un documentaire sur le XVIII° siècle c'est à dire transformer le passé (film historique) en présent (film documentaire). Ce tour de force, il l'a accompli en réalisant une œuvre vivante, humaine, naturelle et par conséquent une œuvre sur laquelle le passage du temps n'a pas de prise.

- "Barry Lyndon" est un film qui se contemple. Son rythme volontairement lent permet au spectateur d'apprécier la beauté de chaque image, conçue comme un tableau vivant faisant référence à la peinture anglaise du XVIII° siècle (Gainsborough, Hogarth, Constable etc.). C'est le résultat de la photographie exceptionnelle de John ALCOTT et du sens du cadre tout aussi exceptionnel de Stanley KUBRICK: harmonie des proportions, symétrie de la composition, zooms arrières découvrant progressivement des paysages plus sublimes les uns que les autres dans lequel sont insérés les personnages. La sensibilité photographique de Stanley KUBRICK se ressent aussi dans le travail époustouflant accompli sur la lumière naturelle qu'elle soit extérieure ou intérieure. La plupart des plans d'extérieur ont été filmés à l'aube ou au crépuscule, nimbant les images d'un voile poétique et mélancolique alors que ceux d'intérieur sont éclairés de côté, soit par la lumière provenant des fenêtres soit par celles des bougies. Outre la prouesse technique qui a fait couler beaucoup d'encre, ce travail a nécessité beaucoup de temps et de patience, Stanley KUBRICK n'hésitant pas à user les nerfs de son équipe pour capter un passage nuageux ou un ensoleillement précis. C'est ce travail sur la lumière qui contribue à donner au film de Stanley KUBRICK un aspect naturel d'une qualité incomparable à tous ceux qui sont réalisés en studios avec des lumières factices.

-"Barry Lyndon" est un film qui s'écoute. Stanley KUBRICK savait redonner vie et sens à la musique classique en la mariant aux images de ses films mais avec "Barry Lyndon", il atteint un degré de perfection inédit dans cette fusion. Parmi les morceaux présents dans le film, j'en citerai trois qui me paraissent particulièrement remarquables: la mélancolie poignante des chants celtiques évoquant le paradis perdu de l'Irlande natale de Redmond Barry, la sarabande solennelle de Haendel qui souligne le "fatum" qui pèse sur lui et enfin le romantisme tragique du trio de Schubert qui épouse à la perfection la sublime scène intimiste quasi-muette de séduction entre Redmond Barry et Lady Lyndon (Marisa BERENSON). Non seulement l'anachronisme du morceau ne se remarque pas mais il souligne l'un des aspects les plus modernes du XVIII° siècle: l'invention de l'intimité notamment par l'investissement croissant de la sphère domestique dans les milieux nobles et bourgeois. Marie-Antoinette se réfugiant dans le cocon du petit Trianon pour échapper à la cour de Versailles où sa vie était un spectacle permanent en est l'un des exemples les plus célèbres. Le XIX° ne fait que couronner ce triomphe de l'intimisme notamment avec le développement de la musique de chambre et les améliorations du piano (inventé au XVIII° mais qui n'atteint sa plénitude expressive qu'au XIX°).

- Comme la majorité de ses films, "Barry Lyndon" est une adaptation littéraire, celle des "Mémoires de Barry Lyndon du royaume d'Irlande" de William Makepeace Thackeray. Il s'agit donc d'une autobiographie fictive ce qui explique d'une part le caractère profondément mélancolique du film et d'autre part la présence de la voix-off qui ne se contente pas de commenter l'action mais l'anticipe, nous révélant ainsi que le destin tragique de Redmond Barry est déjà scellé. La voix-off permet aussi au spectateur d'acquérir une certaine distance par rapport à l'histoire. Elle coupe court au pathos qui pourrait surgir de scènes particulièrement dramatiques comme celle de la mort de Bryan (David MORLEY). Le ton décalé employé dans certaines situations a le même objectif. Par exemple l'extrême politesse du langage employé par le Captain Feeney (Arthur O SULLIVAN) fait oublier qu'il s'agit d'un voleur qui plonge Redmond Barry dans une situation dramatique en le dépouillant de tous ses biens. L'aspect littéraire du film réside également dans le fait qu'il s'agit d'un bildungsroman, du moins dans sa première partie. Le film est en effet divisé en deux parties égales: l'ascension et la chute (toujours ce goût pour la symétrie!) qui elle est en rapport avec la tragédie. La première partie du film appartient également au genre picaresque de par l'errance et les aventures d'un héros toujours en mouvement et qui ne parvient pas à trouver sa place. La deuxième partie en revanche est un quasi huis-clos théâtral plus propice au déroulement de la tragédie. Le héros enfin, Redmond Barry est un personnage complexe dont le comportement, dicté par le ressentiment est lui aussi "symétrique". Dans un premier temps, il est victime de sa naïveté lorsqu'il découvre que sa cousine dont il est amoureux l'a manipulé avec la complicité de la famille pour faire un mariage d'argent. Dans un second temps, endurci et aguerri par les épreuves qu'il a traversé, il se venge en faisant lui-même un mariage d'intérêt avant de le détruire en dilapidant la fortune de sa femme, en bafouant cette dernière ainsi que les codes sociaux en vigueur dans les hautes sphères. Comme le héros de "Eyes wide shut" (1999), Edmond Barry est un personnage falot (d'où le choix du lisse Ryan O NEALpour l'interpréter) qui réussit à entrer de façon opportuniste dans un milieu fortuné et décadent dont il ne maîtrise pas les codes. Il finit donc par être rejeté et par retourner dans son milieu d'origine. Mais la tragédie propre à Redmond Barry est d'être un déraciné privé d'ascendance comme de descendance. Il n'est guère étonnant que les moments où il se montre le plus sincère et le plus vulnérable soient liés à la perte: celle de son père de substitution le capitaine Grogan (Godfrey QUIGLEY), celle de sa terre natale ravivée par la rencontre avec le chevalier de Balibari (Patrick MAGEE et enfin celle de son fils.

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Le Nouveau Monde (The New World)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (2005)

Le Nouveau Monde (The New World)

Terrence MALICK filme la Virginie à l'aube de sa colonisation par l'Angleterre comme un paradis perdu rousseauiste. Un territoire vierge et innocent à l'image de ses habitants indigènes qui vivent dans une communion mystique avec la nature. Du matin au soir ils répètent comme des rituels des gestes embrassant l'énergie cosmique qui font penser à ceux du Qi-Gong chinois. La voix intérieure de John Smith les décrit comme dénués de jalousie, n'ayant aucun sens de la possession, doux, affectueux, fidèles, exempts de toute fourberie, ne connaissant ni le mensonge, ni la cupidité, ni la tromperie, ni l'envie, ni la calomnie. Leur princesse Pocahontas ressemble à une déesse d'une beauté surnaturelle.

Par contraste, les premiers colons anglais apportent avec eux la crasse, la misère, l'individualisme et la division. Terrence MALICK ne les caricature pas, c'est important de le souligner. Là où ils sont, il n'y a que la forêt et les marécages à se partager. Le seul or disponible est celui des rayons du soleil. Des richesses que Terrence MALICK magnifie avec sa caméra ondoyante qui s'appuie somptueusement sur les premières mesures de "l'Or du Rhin" de Wagner. Mais à côté de ces princes de la nature que sont les indiens, les anglais font figure d'handicapés, inaptes à voir les beautés de ce monde et encore moins à vivre avec. Au lieu de s'intégrer dans l'environnement, ils construisent un fort en abattant les arbres pour s'y retrancher, laissant les indigènes et la nature à l'extérieur. Une traduction saisissante de cet apartheid de la "sauvagerie" qui pousse les anglais à domestiquer tout ce qui entre en contact avec eux. Par conséquent leur univers, clos derrière des murs est froid et stérile. Le père de Pocahontas, clairvoyant, perçoit l'incompatibilité de leur vision du monde avec celle de la tribu et veut les chasser avant qu'ils ne contaminent tout. Ce sont les gestes de fraternité de Pocahontas (la nourriture, les semences, l'apprentissage de la langue) à leur égard lié à son amour pour John Smith qui en décideront autrement.

Même s'il s'agit d'une version romancée des premiers contacts entre colons et indiens, ces événements permettent de restaurer le sens profond de la fête de Thanksgiving dont les valeurs sont à l'opposé de celles qui sont prônées par la civilisation occidentale. Ce n'est pas la seule trace du passage de Pocahontas (Q ORIANKA KILCHER) puisqu'après avoir été reniée par sa tribu et abandonnée par John Smith (Colin FARRELL) qui est dépeint comme pro-indien mais n'en reste pas moins une âme de colon égoïste qui ne veut ni donner ni s'engager, elle épouse un aristocrate John Rolfe (Christian BALE) avec lequel elle a un petit garçon. Même dans les jardins taillés au cordeau, même contenue dans des vêtements corsetés, même frappée par les maux du désespoir et de la maladie, elle parvient encore à irradier de son harmonie intérieure.

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Le Pont des espions (Bridge of Spies)

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2015)

Le Pont des espions (Bridge of Spies)

Comme l'un de ses mentors Stanley KUBRICK, Steven SPIELBERG a couvert de nombreux conflits du XX° siècle: la première guerre mondiale avec "Cheval de guerre" (2011), la seconde guerre mondiale avec "La Liste de Schindler" (1993) et "Il faut sauver le soldat Ryan" (1998) et plus récemment la guerre froide avec "Le Pont des espions". Il s'agit d'un film prenant du début à la fin, basé sur des faits réels: l'échange en février 1962 de l'américain Gary Powers, pilote d'un avion-espion abattu au-dessus du territoire soviétique contre l'espion communiste Rudolf Abel, emprisonné aux Etats-Unis. Mais aucun d'eux n'est le héros de Steven SPIELBERG car il préfère se focaliser sur l'avocat James Donovan (Tom HANKS), le négociateur de l'échange. Donovan est un homme ordinaire embarqué dans une situation extraordinaire. Bien que le mot ordinaire ne soit pas tout à fait approprié en ce qui le concerne puisqu'il s'agit d'un Mensch. Dans la culture juive, ce terme désigne un homme qui fait le bien et se comporte avec droiture, un héros du quotidien. C'est la métaphore de "l'homme debout" qui revient plusieurs fois dans la bouche de Rudolf Abel. Steven SPIELBERG privilégie toujours les ponts aux murs et la fraternité aux logiques étatiques. Dans des films tels que "Rencontres du troisième type" (1977), "E.T. L'extra-terrestre" (1982) ou encore "Munich" (2006), l'autre est considéré par l'Etat comme un ennemi à détruire ou un alien à exploiter. C'est le désir de communiquer qui fait reconnaître en cet autre un frère. De fait, Donovan se retrouve plongé au départ presque malgré lui dans des rouages et des calculs diplomatiques qui le dépassent. il s'implique totalement dans sa tâche qui est d'abord de défendre équitablement Rudolf Abel (Mark RYLANCE, admirable de sobriété) puis de lui sauver la vie. Pour cela il joue habilement sur deux tableaux: l'image d'exemplarité démocratique que doivent renvoyer les USA au monde pour damer le pion aux soviétiques et le fait que garder en vie l'espion constitue une monnaie d'échange au cas où l'un des leurs tomberait entre leurs mains. Mais ces arguments de bon sens sont mis à mal par l'atmosphère paranoïaque qui règne aux USA à cette époque. Alors que la télévision et l'école terrifient les gens avec des images d'apocalypse nucléaire, la famille de James Donovan est victime de ses propres concitoyens. Steven SPIELBERG rappelle comme de nombreux cinéastes avant lui la sauvagerie présente au sein du peuple américain, toujours prête à bondir sous forme de lynchages et autres formes de "justice expéditive". La mission de Donovan se complexifie encore lorsqu'il se rend à Berlin pour négocier l'échange. En effet, de sa propre initiative et contre sa hiérarchie, il se met en tête de récupérer non seulement l'espion américain Gary Powers mais également un étudiant innocent pris au piège durant la construction du mur et qui en dehors de sa nationalité américaine ne représente aucun intérêt pour la CIA. Tâche d'autant plus délicate que l'étudiant est détenu par les autorités de la RDA qui ne supportent pas d'être traitées comme les larbins des soviétiques et veulent dicter leurs propres conditions. C'est pour cela que si l'échange des espions a lieu sur le pont de Glienicke, la remise de l'étudiant se déroule à Checkpoint Charlie, symbole de la "souveraineté" de la RDA (dont Brejnev rappellera toutefois combien elle est limitée). 

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La Sixième Face du Pentagone

Publié le par Rosalie210

Chris Marker et François Reichenbach (1968)

La Sixième Face du Pentagone

"Si les cinq faces du Pentagone te paraissent imprenables, attaque par la sixième" (proverbe zen). C'est par cet adage que s'ouvre le film documentaire de Chris MARKER consacré à la marche antimilitariste de Washington du 21 octobre 1967 contre la guerre du Vietnam, adage qui lui donne aussi son titre. Quelle est donc cette mystérieuse et invisible sixième face du Pentagone qui serait aussi son point faible?

Plusieurs réponses possibles:

- La désobéissance civile non-violente qui caractérise les agissements des manifestants: marche pacifique sur le Pentagone, sit-in, destruction par le feu de livrets militaires (ce qui pouvait valoir à leurs propriétaires cinq ans de prison). A plusieurs reprises, Chris MARKER montre le désarroi des soldats chargés de protéger le Pentagone face à cette marée humaine désarmée qu'ils ne savent pas gérer autrement que par la répression violente. On entend d'ailleurs un manifestant dire à un soldat "et tu as peur, mon gros". Chris MARKER insiste également sur la diversité des manifestants majoritairement composés d'étudiants dont les idées vont de "Gandhi à Fidel Castro" mais qui comprend aussi des apolitiques et des néo-nazis pro-guerre venus faire leur propagande ("Gazez les viets", "Tuez tous les cocos" etc.)

- Le quatrième pouvoir, celui des journalistes américains comme étrangers laissés en roue libre. On ne le mesure pas toujours mais la guerre du Vietnam a été médiatisée sans le filtre du contrôle étatique sur les images qui étaient produites et retransmises à la télévision (qui était alors le principal media d'information des américains). Par conséquent les médias ont enregistré et retransmis tout ce qu'ils voyaient, tout ce à quoi ils assistaient, sans être mis à l'écart ou repoussés hors du champ des événements, sans que leur matériel soit confisqué et sans que la censure ne s'abatte sur leur travail. Ils ont pu ainsi rendre compte de la la montée des contestations aux USA parallèlement à l'enlisement du conflit et à l'incapacité du gouvernement à trouver une issue. Ils ont également fait connaître à l'opinion publique la réalité du terrain au Vietnam, exactions américaines comprises. La comparaison avec la première guerre du Golfe où les seules images qui ont filtré dans les médias étaient les "frappes chirurgicales" au service de la propagande de la "guerre propre" avec "zéro morts" montre que depuis, l'Etat a verrouillé la communication en temps de guerre.

-Enfin Chris MARKER ne se contente pas d'enregistrer ce qu'il voit de la manière la plus réaliste et la plus prenante possible pour en conserver la mémoire. En tant qu'antimilitariste convaincu, il prend parti pour les contestataires et fait de son film un manifeste de résistance à l'oppression illustré par les saisissantes photographies de Marc Riboud montrant une jeune fille donnant une fleur à la rangée de soldats qui pointent leurs fusils sur elle et plusieurs slogans tels que "Si vous donnez tous les pouvoirs aux militaires pour vous défendre, qui vous défendra des militaires?"

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Munich

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2005)

Munich

Et si le 11 septembre avait commencé par la sanglante prise d’otages aux jeux olympiques de Munich le 5 septembre 1972 ? Choix d’un événement hautement symbolique et mondialement médiatisé, agissements d’une cellule terroriste de l'organisation Septembre noir, grosses failles dans le dispositif de sécurité permettant la facile infiltration du village olympique par le commando et surtout, mise en œuvre par l’Etat agressé (Israël) de la traque et de l’assassinat des commanditaires de la prise d’otages et de leurs complices sur plusieurs années voire décennies. Car c’est cela qui forme l’essentiel de la réflexion de Steven SPIELBERG : l’engrenage infernal de la violence. Renvoyant dos à dos israéliens et palestiniens en entremêlant les noms des athlètes assassinés et ceux du commando et en les faisant dialoguer à leur insu, il s’attache à raconter le parcours meurtrier d’un petit groupe d’agents de l’opération de représailles israélienne « Colère de Dieu » au caractère international affirmé : leur chef, Avner, un sabra israélien (Eric BANA), Steve un ancien soldat australien (Daniel CRAIG), Hans, un antiquaire (Hans ZISCHLER), Robert un fabricant belge de jouets et de bombes (Mathieu KASSOVITZ) et Carl, un irlandais (Ciarán HINDS). A chaque nouveau meurtre, les membres du groupe perdent un peu plus leur intégrité physique, morale et psychologique comme s’il s’agissait d’une autodestruction programmée. Tout d'abord parce qu'ils sont confrontés à des ennemis dont Steven SPIELBERG restitue la dimension humaine et vulnérable. Ensuite parce qu'il montre également l’importance des dommages collatéraux de cette violence aveugle. Ainsi le deuxième meurtre est construit sur un suspens autour de la petite fille de l’homme à abattre qui décroche le téléphone piégé à la place de son père. Le troisième meurtre dévaste un hôtel entier, mutile des innocents et manque tuer Avner lui-même. Ils s’interrogent d’autant plus sur la légitimité de leurs actions que l’Etat pour lequel ils travaillent joue un double jeu. Il interdit la peine de mort tout en commanditant des exécutions à des groupes qu’il ne reconnaît pas officiellement. Avner a ainsi dû démissionner du Mossad et doit prétendre agir pour son seul compte. Il n’est guère étonnant dans ces conditions que celui-ci développe une paranoïa aigue contre ses propres commanditaires et qu’il refuse de leur livrer les noms des mystérieux indicateurs français, Louis et Papa (joués par Mathieu AMALRIC et Michael LONSDALE que l’on retrouvera deux ans plus tard dans « La Question humaine") (2007) qui lui ont permis de localiser les cachettes des hommes à abattre et les moyens de les neutraliser. Ce clan mafieux tout droit sorti du film « Le Parrain (1972) » en dépit de ses ambiguïtés est le seul re(père) d’Avner en raison de son caractère familial souligné par le caractère sacré de la cuisine et du repas pris en commun. Un partage fraternel et réitéré par l'envoi de produits du terroir qu'Avner ne parviendra pas à obtenir d'Ephraim (Geoffrey RUSH) l'agent "non incarné" du Mossad.

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Mes funérailles à Berlin (Funeral in Berlin)

Publié le par Rosalie210

Guy Hamilton (1966)

Mes funérailles à Berlin (Funeral in Berlin)

"Mes funérailles à Berlin", le deuxième volet des aventures de Harry Palmer porté à l'écran est un ton en dessous du remarquable "Ipcress - Danger immédiat" (1965). On reste dans l'idée de proposer les aventures d'un anti-James Bond par l'équipe des James Bond puisque c'est Guy HAMILTON qui réalise ce deuxième volet. Mais celui-ci n'a pas le petit grain de folie de Sidney J. FURIE. Sa réalisation en dépit de quelques contre-plongées biscornues qui rappellent le précédent film est très classique et pour le dire franchement, un peu ennuyeuse. Harry Palmer est toujours aussi magistralement interprété par Michael CAINE mais il a moins d'espace pour exprimer son humour pince-sans-rire tordant et son caractère fondamentalement rebelle vis à vis de l'autorité. Néanmoins quelques répliques font mouche comme cette joute verbale où il reproche à son supérieur, le colonel Ross (Guy DOLEMAN) de protéger d'anciens nazis. Ross lui répond alors que son service protège même d'anciens voleurs, allusion au passé délinquant de Harry Palmer et à ses séjours en prison. Histoire de rappeler que les intérêts géopolitiques des puissances occidentales ne s'encombrent guère de questions morales.

La valeur historique du film est en effet un plus indéniable. Tourné au milieu des années soixante, le film est un saisissant instantané du Berlin de la Guerre froide, filmé avec un réalisme quasi documentaire. Un Berlin qui porte encore les stigmates des ravages de la seconde guerre mondiale, notamment dans la partie est non reconstruite (comme le montre également "One, Two, Three" (1961) de Billy WILDER). Un Berlin de surcroît coupé en deux par un mur alors encore en construction (on voit bien que certaines sections de la ville ne sont encore séparées que par des barbelés) où les fuites vers l'ouest s'apparentent désormais à des opérations-suicide. Une cassure créant un nouvel espace de désolation et de ruines au cœur de la ville comme on peut le voir notamment lors du dénouement du film. Les postes-frontières stratégiques tels que Checkpoint Charlie et le pont Glienicke (le "pont des espions") sont le théâtre de scènes cruciales du film. Le centre de gravité de Berlin-ouest, la Kurfürstendamm avec en son coeur son église du souvenir (surnommée le "crayon" ou le "rouge à lèvres" à cause du toit du clocher coupé en biseau suite aux bombardements) est montré comme étant le symbole de la ville par tous les films de cette époque alors que depuis la réunification il s'agit d'un quartier excentré.

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