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Le Choix des armes

Publié le par Rosalie210

Alain Corneau (1981)

Le Choix des armes

La première fois que j'ai vu ce film, c'était dans le cadre d'un cycle consacré à Catherine Deneuve et j'avais trouvé que ce n'était pas le meilleur choix pour lui rendre hommage. Bien que le "Le Choix des armes" dépasse son genre pour atteindre une véritable profondeur, il traite d'un univers d'hommes tout juste "coloré" par la présence de l'actrice dont le rôle quelque peu potiche (^^) se résume selon ses propres termes à "obéir" (à son mari) mais surtout à symboliser (au choix) la douceur, l'innocence, la rédemption, le paradis pour Noël Durieux, le personnage de Yves Montand, ancien truand devenu "gentleman farmer" à la tête d'un haras. Lorsque Serge, un ancien membre de sa bande s'évade de prison avec un jeune chien fou du nom de Mickey (Gérard Depardieu), ce n'est pas seulement son passé qui vient frapper à sa porte. C'est aussi son avenir, incarné par Mickey, cet écorché vif aux accès de violence imprévisible qui aurait l'âge d'être son fils. Celui-ci l'arrache à son confort bourgeois pour le plonger au coeur de la misère sociale des cités de banlieue, dépeintes avec un naturalisme impressionnant ce qui était à l'époque une nouveauté*. D'ailleurs le film en lui-même est hybride, conciliant un polar à l'ancienne avec l'esprit de bande composée de personnages charismatiques élégamment vêtus et se comportant selon un code d'honneur et un polar plus moderne âpre, urbain, chaotique faisant une large place aux paumés, aux marginaux, aux "rebuts" de la société incluant également Dany, l'ami de Mickey père de famille (joué par Richard Anconina alors peu connu) et Ricky le drogué (Jean-Claude Dauphin). Ce même choc social et culturel des générations se retrouve du côté de la police avec d'un côté le placide commissaire Bonnardot (Michel Galabru) et de l'autre le fougueux inspecteur Sarlat (Gérard Lanvin) dont les actes irréfléchis ont des conséquences aussi tragiques que ceux de Mickey de l'autre côté de la barrière. Mais le coeur du film se retrouve dans la confrontation entre Noël et Mickey, joué par un Gérard Depardieu habité dont la composition est tout bonnement hallucinante. Complètement fou furieux au début, son personnage devient peu à peu poignant et tragique au fur et à mesure qu'il est approfondi. C'est dans cette confrontation (qu'on retrouve jusque dans le choix du montage alterné) qu'il faut chercher le sens du titre "Le Choix des armes" qui est polysémique. On peut l'interpréter comme un retour au choix de recourir à la violence lorsque celle-ci frappe à nouveau Noël de plein fouet ou bien à l'inverse, comme la décision d'y renoncer pour mettre fin au cycle infernal de la vengeance. En cherchant par exemple à comprendre cette jeune génération privée de repères, en assumant ses responsabilités vis à vis d'elle, en retissant du lien (aussi bien social que filial). La parole est une arme. L'éducation également comme le laisse entendre la fin de ce film très noir mais où perce une lueur d'espoir.

* Cette confrontation générationnelle de personnages issus d'un même milieu d'origine mais dont les plus anciens se sont embourgeoisés et les plus jeunes au contraire précarisés m'a fait penser au film de Robert Guédiguian "Les Neiges du Kilimandjaro".

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Jacky au royaume des filles

Publié le par Rosalie210

Riad Sattouf (2014)

Jacky au royaume des filles

Bien qu'il ne soit pas complètement réussi, "Jacky et le royaume des filles" est un film original, un conte philosophique subversif qui interroge les stéréotypes et inégalités de genre ainsi que le poids de l'institution familiale dans les dictatures phallocrates en renversant les rôles pour en faire une dictature gynocratique tout aussi abjecte et ainsi faire réfléchir. C'est comme si "1984" de George Orwell (référence avouée et novlangue incluse féminisant les mots liés au pouvoir qu'ils soit économiques comme "argenterie" ou idéologiques comme "blasphèmerie" ou "voilerie" et masculinisant au contraire les mots dévalorisants tels que "culottin" ou "merdin") rencontrait le conte de "Cendrillon" des frères Grimm et la femme-soldat de "Lady Oscar" de Jacques Demy (son pendant masculin étant l'homme enceint de "L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune"). On peut également citer "Les résultats du féminisme" de Alice Guy avec des femmes dans les rôles sociaux masculins (incluant l'initiative dans la séduction et la domination dans les rapports sexuels) et les hommes dans ceux attribués au féminin du début du XX° (ménage, garde d'enfants, couture etc.) ainsi que "Le Dictateur" de Charles Chaplin (la parenté visuelle saute aux yeux bien que la dystopie de "Jacky au royaume des filles" s'inspire aussi à la fois du stalinisme et de l'islamisme) et même "Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe sans jamais avoir osé le demander" de Woody Allen (aux femmes réduites à des ventres ou des objets de plaisir dans les films au discours misogyne succède ici l'image de milliers de prétendants enveloppés de blanc de la tête aux pieds ce qui les fait ressembler à des spermatozoïdes avec en plus un "laisson" autour du cou en guise de collier/bague de fiançailles.) J'y ajouterais un zeste de "Soleil Vert" avec le monopole de la production d'une nourriture infâme/informe par l'Etat à l'aide d'une centrifugeuse géante aux allures de tour centrale de "Metropolis" qui permet aux élites de contrôler les "gueusards" (les exécutions à la TV tenant lieu de jeux du cirque et le culte au poney, pardon au "chevalin", de religion). Avec une telle cohérence dans la conception de cette "République démocratique et populaire" qui emprunte aussi un peu de sa culture à l'Inde (les animaux sacrés, la médaille creuse pour les célibataires et pleine pour les hommes mariés voire la voilerie qui mélange le tchador et la draperie des moines bouddhistes), beaucoup de bonnes idées notamment dans le domaine visuel et un excellent casting (à commencer par Anémone dans le rôle de la générale impitoyable et de Charlotte Gainsbourg dans le rôle de son héritière qui fait office de prince charmant), il est dommage que la mise en scène du film soit si classique et le ton, si bon enfant comme si tout cela n'était finalement qu'un grand carnaval. Il faut dire que le renversement des rôles produit un résultats troublant voire dérangeant. De la ressemblance des femmes avec leurs homologues masculins lorsqu'elles disparaissent sous l'uniforme et les armes pour détruire autrui jusqu'à la culture du viol dans lequel cet autrui est utilisé comme un objet de plaisir, cette dictature-là apparaît terriblement crédible et montre crûment l'humain dans ce qu'il a de plus laid lorsqu'il devient un prédateur et ce quel que soit son sexe. Peut-être ne fallait-il pas creuser plus loin pour que le miroir ne devienne pas tout bonnement insupportable...

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Diva

Publié le par Rosalie210

Jean-Jacques Beineix (1981)

Diva

Je ne suis pas spécialement fan de Jean-Jacques Beineix et de l'esthétique années 80 qui l'accompagne mais j'aime bien "Diva" son premier film qui a acquis le statut de film culte. Celui-ci a en effet relativement bien vieilli comparativement à d'autres oeuvres de cette époque et je pense que c'est lié au fait que "Diva" est un alliage réussi d'éléments contradictoires. En effet la réalisation tape-à-l'oeil (la critique a suffisamment taillé en pièces les films de Beineix en raison de leur parenté avec l'esthétique du clip et de la publicité pour que je n'aie pas besoin de développer davantage cet aspect) est contrebalancée par un travail d'épure qui par moments, touche, n'ayons pas peur des mots, la grâce (pour le dire autrement, il y a une âme derrière l'image). Chaque passage où l'on écoute l'air extrait de "La Wally" chanté par Wilhelmenia Wiggins Fernandez (la diva du titre qui fascine Jules, l'improbable facteur mélomane héros de l'histoire) s'accompagne de mouvements de caméra planants, épousant le rythme lent et hypnotique de la musique. Il y a aussi l'univers tout aussi hypnotique de l'allié de Jules, Gorodish qui pratique la philosophie zen dans son loft quasi vide plongé tout entier dans le "grand bleu" de "La Vague" de Hokusai (le travail très pop art sur les couleurs primaires, jaune, rouge et bleu et les jeux de lumières et de mouvements oscillatoires d'une sculpture associée au bleu renforcent l'effet d'hypnose ressenti, un peu comme l'atmosphère de "Blade Runner").

Le motif de la vague a aussi selon moi un autre sens. "Diva" rend à sa manière -décalée- hommage aux courants qui l'ont précédé: le réalisme poétique et la nouvelle vague. Côté Carné, le film met en avant des décors de studio et une galerie d'acteurs typés inconnus à l'époque mais que le film allait hisser au rang de stars: Gérard Darmon, Dominique Pinon et surtout Richard Bohringer. Côté Godard (outre les couleurs primaires), je ne peux pas m'empêcher de penser à une parodie du début de "Le Mépris" quand j'entends les répliques de Dominique Pinon dans le film "j'aime pas Beethoven", "j'aime pas les ascenseurs", "j'aime pas ta gueule"* et son comparse qui finit par lui dire "mais t'aime rien alors?" (sans parler de l'actrice asiatique qui joue Alba, la compagne de Gorodish et qui je trouve joue comme Bardot).

Enfin "Diva" a une parenté qui m'a sauté aux yeux lorsque je l'ai revu avec le cinéma de Leos Carax et particulièrement ses deux premiers films, "Boy meets Girl" et "Mauvais Sang" (dans la manière de filmer des marginaux, les quais déserts de Paris, des intérieurs désaffectés, de mener un thriller, de décrire des couples improbables incarnant le "modern love") ainsi qu'avec celui de Jean-Pierre Jeunet. Et pas seulement en terme d'esthétique (des décors en studio à la Trauner façon "Le jour se lève") mais aussi en terme de "gueules de cinéma". Ainsi les répliques de Dominique Pinon font penser au court-métrage "Foutaises", le prototype du "Fabuleux destin de Amélie Poulain" où celui-ci alterne entre les "j'aime" et les "j'aime pas". Alors "cinéma du look" comme cette "nouvelle-nouvelle vague" (incluant aussi évidemment Luc Besson) a été qualifiée ou bien cinéma "d'atmosphère-atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère!"

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Place publique

Publié le par Rosalie210

Agnès Jaoui (2018)

Place publique

Le dernier des cinq films co-écrits par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et réalisé par Agnès Jaoui est passé relativement inaperçu à sa sortie, éclipsé par "Le Sens de la fête" sorti quelques mois auparavant et présentant certaines similitudes (oeuvre d'un duo, casting masculin intégrant dans les deux cas Jean-Pierre Bacri et Kevin Azaïs, cadre identique d'une fête dans une demeure luxueuse à l'écart de la ville). Mais là où "Le Sens de la fête" conservait un ton bon enfant et rendait ses personnages attachants tout en faisant beaucoup rire, "Place publique", satire visant l'air du temps, les bobos parisiens et le show-biz délocalisant leurs fêtes bling-bling dans le rural périurbain a un ton amer, limite aigri, qui vire au jeu de massacre. Le résultat est inégal. Si les dialogues sont globalement savoureux, les personnages tendent à être réduits à des caricatures (le présentateur TV people has-been inspiré d'Ardisson qui refuse de vieillir et étouffe sa compagne de sa jalousie, son ex-femme engagé dans l'humanitaire qui emmerde à peu près tout le monde, leur fille qui surfe sur la notoriété de son père pour vendre ses livres tout en crachant dans la soupe, la productrice cynique, le quinquagénaire en plein démon de midi, l'agriculteur bio sans TV ni internet, l'agriculteur bourrin et son fusil, le youtubeur influenceur* et ses fans incarnant la jeune génération célèbre pour le seul fait de passer à l'écran, la serveuse groupie qui n'en fiche pas une rame et n'est là que pour faire des selfies etc.) Tout ce remue-ménage paraît bien vain à force de tourner en rond en ne remuant que des lieux communs et de l'artificiel. Quelques séquences un peu plus denses humainement entre Kevin Azaïs (qui incarne un chauffeur qui n'est pas sans rappeler celui que jouait Gérard Lanvin dans "Le Goût des autres") et Nina Meurisse ("la fille de" qui rappelle lointainement la Lolita de "Comme une image") ainsi que la mélancolie que distille Jean-Pierre Bacri valent le détour. Sa reprise du "Osez Joséphine" de Alain Bashung lors du générique de fin lui offre une porte de sortie à sa hauteur dans le cinéma français auquel il continue de manquer terriblement.

* La passe d'arme entre lui et Castro (alias Bacri) fait certainement allusion à la séquence de "Salut les terriens" en 2017 durant laquelle Ardisson se montra méprisant envers le youtubeur Squeezie et ses 9 millions d'abonnés, illustrant le fossé culturel et technologique entre les générations et l'incapacité des plus anciens d'accepter leur déclin (les exemples sont légion d'anciens rois du petit écran incapables de raccrocher les gants et débarqués de force, de PPDA à Julien Lepers ou qui continuent de s'accrocher à leur poste en dépit de leur âge avancé comme Michel Drucker ou... Thierry Ardisson). 

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Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

Publié le par Rosalie210

Juho Kuosmanen (2021)

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

"Compartiment n°6" confirme l'excellente impression que m'avait faite le premier film de Juho Kuosmanen "Olli Mäki": simplicité (dans la trajectoire et l'intrigue mais aussi le naturel désarmant des personnages et jusque dans le choix du thème principal de la BO, le tube eighties "Voyage, voyage" de Desireless qui résume en plus parfaitement l'esprit du film!!), justesse de ton, finesse d'observation, douceur de l'approche, regard bienveillant et tendre sur les personnages, part d'enfance irréductible qui sait aller à l'essentiel. Je déteste le terme commercial de "feel good movie" mais il est vrai que c'est un film qui fait du bien alors que le cadre a priori n'est pas très, voire pas du tout engageant alors si ça peut inciter plus de gens à franchir le pas et à aller voir ce qui peut réchauffer le corps et l'esprit dans le cinéma scandinave, la Russie et les grands espaces arctiques, c'est déjà ça. Et preuve que le grand cinéma peut être reconnu sous les apparences les plus humbles, "Compartiment n°6" a obtenu le Grand Prix à Cannes. Un prix mérité.

Le générique de "Compartiment n°6" annonce la couleur avec un air entraînant de Roxy Music au titre annonciateur "Love is the drug". Ensuite la première image doit absolument être raccordée à la dernière comme preuve du chemin parcouru. L'une et l'autre donnent son sens au film et montrent combien celui-ci a été pensé.

Dans la première image, on voit Laura, une jeune finlandaise à l'air mélancolique sortir des toilettes d'un appartement moscovite où se déroule une fête mondaine dans laquelle elle se sent visiblement mal à l'aise. Elle paraît aussi déconnectée que Olli Mäki pouvait l'être au milieu du cirque médiatico-sportif organisé autour d'un statut de champion dans lequel il ne se reconnaissait pas. Laura est en effet présentée par son hôtesse russe (et secrètement maîtresse) Irina exactement de la même façon: non pour ce qu'elle est mais pour ce qui peut la faire briller en société: ses études en archéologie et son voyage planifié pour aller voir les pétroglyphes (symboles gravés dans la pierre) de Mourmansk. Voyage qu'elle devait faire avec Irina mais (est-ce surprenant?), celle-ci se défile et la laisse partir seule. Tout au long de son périple éprouvant, Laura ne cessera de tenter de se raccrocher à Irina par téléphone (le film se déroulant en 1996, il n'y a pas de portable mais seulement la possibilité d'utiliser les cabines lors des escales) et se heurtera soit à son indifférence, soit à son silence. Eloquent. 

Dans la dernière image, on voit la même jeune femme (mais est-ce bien la même?) arborer un éclatant sourire jusqu'aux oreilles alors que l'écran est envahi par le soleil, en relation directe avec la déclaration d'amour qu'elle vient de recevoir. Et bien qu'on puisse penser que cela illustre le cliché selon lequel "les voyages forment la jeunesse", le film est beaucoup plus subtil que ça (contrairement à nombre de critiques qui, simplifiant tout à la truelle, ont accusé le film d'enfiler les clichés). En effet la partie ferroviaire de son voyage apparaît surtout comme une épreuve à traverser au point qu'elle est tentée de revenir en arrière. Et on la comprend. Il y a la vétusté du train et du réseau (manque d'eau dans les toilettes, propreté douteuse de la literie, grincements, cahots, lenteur, escales interminables) reflet fidèle de l'état du système ferroviaire russe dans les années 90, l'amabilité très relative de la cheffe de train (bien qu'avec le temps on découvre aussi ses qualités) mais surtout la promiscuité avec les autres voyageurs. Certes, Laura ne voyage pas dans l'entassement des corps de la 3° classe que l'on aperçoit à deux ou trois reprises. Mais dans sa cabine de 2° classe, elle découvre qu'elle va devoir faire tout le voyage avec un certain Lohja et qu'elle ne peut échapper à cette cohabitation (malgré plusieurs tentatives). Et sa première réaction est la peur. Déjà, l'apparence du mec n'est pas rassurante avec son crâne rasé et son visage dur. Mais en plus le jeune ouvrier russe se comporte en butor, étalant sa nourriture, enfilant des litres de vodka, harcelant la jeune femme qu'il prend pour une prostituée (sans doute parce que c'est le seul cadre référentiel qu'il connaît pour les jeunes femmes seules qui prennent le train dans son pays) sans parler de son expression corporelle brusque et de son vocabulaire limité (et ne parlons même pas de sa tête ahurie quand Laura lui parle pour la première fois du but de son voyage!).

Seule la finesse du regard de Juho Kuosmanen permet (surtout quand on est une femme et qu'on ressent par tous les pores le malaise de Laura, son sentiment d'oppression, sa peur de l'agression) de comprendre que la grossièreté se joue en fait dans les deux sens. Quand Laura se retrouve au wagon-restaurant avec Lohja et qu'elle s'empresse de faire de la place à une famille bourgeoise qui vient s'installer à leurs côtés, quand elle quitte le compartiment pour aller téléphoner et emporte toutes ses affaires avec elle de peur qu'il ne la vole, quand elle accueille un finlandais sans titre de transport dans leur compartiment juste parce qu'il présente bien et qu'elle se sent en confiance parce que c'est un compatriote, ce sont autant d'humiliations -des humiliations de classe (bourgeois intello contre ouvrier mais aussi finlandais civilisé contre russe barbare)- que l'on voit Lohja encaisser (et on voit combien cela lui fait mal, c'est ce qui dessine peu à peu la sensibilité du jeune homme sous ses dehors peu engageants). Pourtant la devise de Laura (qui a une caméra et donc adopte parfois le point de vue du réalisateur) est de "croire ce qu'elle voit". Et elle finit par voir aussi que Lohja n'est pas ce qu'il paraît au premier abord. Il s'avère serviable, soucieux d'elle, débrouillard et en même temps maladroit comme un gosse mal grandi, enfermé en lui-même voire même un peu autiste (la scène où il lance des boules de neige dans le vide avant de se casser la figure, son mal-être et sa fuite face aux sentiments et au contact physique lorsqu'il est en état de sobriété). Et lorsque le train arrive à destination, c'est la libération: on passe du confinement claustrophobique du compartiment (le film a réellement été tourné dans un train d'époque, dans des conditions éprouvantes) aux grands espaces vierges, loin de toute civilisation. Et ironie de l'histoire, c'est uniquement grâce à la débrouillardise de Lohja que Laura parvient jusqu'au site archéologique qu'elle souhaitait visiter, tout au bout du monde, dans un endroit inaccessible. Là où hors de tout jugement social, Lohja et Laura, ces deux "loups solitaires" aux prénoms quasi identiques peuvent retrouver un temps leur innocence perdue et communier avec leur véritable nature qui s'avère être identique comme s'il étaient jumeaux. Les acteurs, Seidi Haarla et Youri Borissov tous deux atypiques sont remarquables et ce dernier est fascinant dans la façon dont il peut transformer son visage, celui-ci pouvant ressembler à un homme vieilli avant l'âge ou à un enfant perdu selon les situations dans lesquelles il se trouve. C'est d'ailleurs le visage d'un enfant endormi que Laura dessine lorsqu'elle le représente.

De même que la fin reste ouverte (se reverront-ils, ne se reverront-ils pas?), la nature de la relation entre Laura et Lohja reste volontairement indécise, entre amitié fraternelle et amour. Leur voyage n'est pas sans rappeler "Elle et Lui" de Leo McCarey avec notamment une scène centrale d'escale assez semblable dans laquelle Lohja emmène Laura voir une parente à lui, escale décisive dans l'évolution du regard qu'elle porte sur lui. Un autre film qui a été rapproché de façon pertinente de "Compartiment n°6" est "Lady Chatterley" de Pascale Ferran dans le sens où le rapprochement de deux personnes de condition sociale opposée (une aristocrate raffinée et un garde-chasse fruste) aboutit au final à la même émancipation joyeuse, une joie pure en forme de retour à l'enfance dans la nature, même si celle-ci est forcément éphémère.

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

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Toni

Publié le par Rosalie210

Jean Renoir (1935)

Toni

Ce n'est pas du tout à Marcel Pagnol que j'ai pensé pensé en regardant les premières images de "Toni"* (sauf peut-être à "Angèle"), mais à "L'arrivée d'un train en gare de la Ciotat" des frères Lumière. Une affiliation qui a du sens, de même que celle que la Nouvelle Vague établira plus tard avec le cinéma de Jean Renoir. En effet, dès les premières images donc, on est saisi par le caractère naturaliste, presque documentaire du film qui a été tourné en extérieurs et qui montre l'arrivée d'immigrants espagnols et italiens venus travailler dans le sud-est de la France alors que la crise des années 30 bat son plein. Le film offre une chronique précise de l'âpreté de la vie de ces hommes et de ces femmes du monde ouvrier et paysan qui semblent enfermés dans leur condition (au point que la fin du film reprend presque à l'identique les premières images comme s'il s'agissait de boucler la boucle).

Sur cette toile de fond, l'histoire se resserre sur les protagonistes de l'histoire (tirée de faits réels) et leur tragédie intime. Le film adopte alors une scénographie de théâtre en plein air et donne à voir deux types de personnages: ceux qui se consument pour leur passion et ceux qui en profitent. Le tout dans un style qui annonce le néo-réalisme italien** (acteurs non-professionnels, tournage en décors naturels, son en prise directe, utilisation de la musique populaire, refus absolu du pittoresque, couleur locale et autre folklore, mise en scène sèche et dépouillée qui déjoue les effets mélodramatiques mais non clinique pour autant grâce notamment à la sensualité de certaines scènes comme celle de la guêpe). Le résultat a l'allure d'une tragédie grecque avec une ronde de passions à sens unique (Fernand aime Marie qui aime Toni qui aime Josépha, séductrice plus naïve que méchante et victime de deux salauds) dont il est impossible de s'échapper comme le montre la course de Toni sur le pont, fauché en plein vol.

* Alors que le film a été réalisé avec certains de ses acteurs (Blavette, Delmont, Andrex) et techniciens et produit par lui.

** Luchino Visconti travaillait en tant qu'assistant sur le tournage et a reconnu sa dette envers Renoir dans son premier film, "Ossessione" (1942).

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Capitaine Conan

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1996)

Capitaine Conan

J'ai eu il y a quelques années un "faux départ" avec "Capitaine Conan". Enthousiasmée par "La Vie et rien d'autre" (mon film préféré de Bertrand Tavernier) j'ai voulu enchaîner avec le DVD de son autre grand film sur l'après-guerre (de la première guerre mondiale) mais j'ai baissé les bras au bout de cinq minutes, découragée par l'argot des tranchées dont j'étais loin de connaître tous les termes qui plus est débité à une cadence infernale.

Il serait pourtant vraiment dommage de se laisser arrêter par cet obstacle (gênant surtout au début, après, on s'y habitue ou alors on prend un lexique pour s'aider). Les films historiques de Bertrand Tavernier, saisissants de réalisme et de dynamisme comme s'ils étaient une sorte de reportage de terrain "pris sur le vif" font partie des meilleurs qui existent par le fait d'être capable de donner vie et chair au passé, par le fait qu'il s'agit d'un cinéma humaniste, un cinéma filmé à hauteur d'homme, sans aucun manichéisme. Une scène en particulier illustre bien "l'esprit Tavernier" dans "Capitaine Conan": celle de l'armistice du 11 novembre 1918 qui est totalement démythifié. On y voit des soldats torturés par la dysenterie dont certains partent se cacher derrière le premier obstacle venu pour se soulager plutôt que d'écouter un discours officiel aux allures de pétard mouillé, au sens propre d'ailleurs puisqu'il pleut des cordes. D'ailleurs cette armistice n'en est pas un pour Conan et ses hommes que l'on envoie en Roumanie traquer le Bolchévik. Et même s'ils avaient été démobilisés, la guerre aurait de toute façon continué dans leur tête et dans leur corps.

Car ce que le film de Bertrand Tavernier montre d'une façon admirable, c'est comment la "culture de guerre" c'est à dire la sauvagerie vécue au quotidien imprègne des hommes au point qu'ils ne peuvent plus revenir à la civilisation une fois celle-ci terminée. La décision d'envoyer le corps franc du capitaine Conan terroriser les roumains plutôt que de les faire revenir en France est d'un cynisme révoltant. Un redoutable commando dont la France a bien su se servir en temps de guerre comme champions du combat au corps à corps mais dont elle cherche ensuite à se débarrasser en temps de paix quand ces comportements deviennent ceux de hors la loi, délinquants et criminels en se défaussant de ses responsabilités et en "refilant le bébé" à d'autres pays. C'est pourquoi, sans excuser les exactions dont se rendent coupables ces soldats, Bertrand Tavernier montre comment ceux-ci sont à la fois des bourreaux et des victimes. Et dresse au passage deux admirables portraits, non moins admirablement joués, celui de leur capitaine, Conan (Philippe Torreton, magistral), un dur à cuire fruste issu du peuple qui partage le sort de ses hommes et les défend corps et âme au point de prendre tous leurs errements sur lui et celui du lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan) issu d'un milieu intellectuel et bourgeois donc bien plus policé et conscient des lois mais qu'une amitié indéfectible lie à Conan. Norbert décide d'accepter la mission de commissaire-rapporteur pour faire régner la justice au milieu du chaos. Non une justice désincarnée mais une justice humaine pour redonner des repères à ces hommes perdus et les protéger du pire tout en protégeant également la société de leur dérive. Cela ne va pas sans tensions avec Conan qui accuse Norbert d'être un vendu (la vision que Conan -et derrière lui Bertrand Tavernier- a de l'Etat-Major est digne de celle de Stanley Kubrick dans "Les Sentiers de la gloire" même si le personnage du lieutenant joué par Bernard le Coq vient nuancer le propos) mais leur conflit lié à leur différence de classe et d'éducation renforce au final leur amitié. Au point que l'on voir Conan faire ce qu'aucun membre du tribunal militaire ne daigne faire: aller sur le terrain pour comprendre comment un jeune soldat a pu perdre les pédales au point de se livrer à l'ennemi avec des secrets militaires dans la poche (haute trahison qui le rend passible du peloton d'exécution). La valeur du geste étant lié au fait que ce soldat est pourtant issu de l'aristocratie, sa mère étant même liée aux membres de l'Etat-Major. On comprend ainsi comment le fait de se comporter en homme d'honneur sur le champ de bataille peut transcender les barrières de classe sociale (soit exactement ce que démontrait Jean Renoir dans "La Grande Illusion" autre grand film sur cette période). La scène finale, d'une grande force émotionnelle montre aussi comment une fois sorti pour de bon de la guerre, Conan qui faisait office de pilier pour tous les autres s'avère rongé de l'intérieur par le mal incurable de ce qu'il a subi et infligé. Une scène si forte qu'elle vous poursuit bien au-delà du visionnage du film*.

* Que Philippe Torreton ait reçu le césar du meilleur acteur et Bertrand Tavernier celui du meilleur réalisateur pour ce film n'est que justice.

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First Cow

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2019)

First Cow

Le western est un genre qui, comme beaucoup d'autres (le film d'action, le film d'aventures, le film de gangsters, le film de guerre, le film noir) a été façonné par des hommes (occidentaux) à leur propre gloire: à eux l'exploration, la conquête, l'appropriation des territoires, la "mise en valeur" et à eux aussi la mise en récit (narcissique) de leurs exploits guerriers et bâtisseurs. Bien que le western classique n'ait jamais été univoque (le cinéma de John Ford ou de Anthony Mann, deux réalisateurs que j'admire en témoigne) et bien que le genre ait été déconstruit depuis bien longtemps, il manquait d'un regard spécifiquement féminin pour l'aborder. Depuis quelques années, c'est chose faite: les femmes s'emparent du genre et livrent leur propre récit de la conquête de l'ouest et des hommes qui l'ont faite. 

"First Cow" est le deuxième western de Kelly Reichardt (après "La Dernière piste"), cinéaste indépendante américaine qui aime dépeindre des marginaux, comme elle l'est elle-même dans le monde du cinéma. Il est intéressant de souligner que dans l'introduction de son film, une jeune femme anonyme contemporaine de nous (qui pourrait être la cinéaste elle-même) déterre deux cadavres dont elle raconte ensuite l'histoire. Une histoire ignorée ou longtemps étouffée par la civilisation dominante. C'est un thème ultra contemporain: "Madres Paralelas", le dernier film à ce jour de Pedro Almodovar procède lui aussi à une exhumation de corps pour raconter une histoire "parallèle" à celle qui a longtemps été officielle. 

Le film de Kelly Reichardt se déroule en Oregon au début du XIX° siècle dans une forêt généreuse et luxuriante traversée par un grand fleuve. Une nature splendide filmée de manière contemplative et sensuelle avec un luxe de détails sur les couleurs, les jeux de lumière, les sons, comme un grand organisme vivant. Le choix d'un format d'image carré à l'ancienne proche du temps du muet (le film, épuré et minimaliste est très peu bavard et possède une intrigue des plus ténues ce qui peut rebuter) ramène à cette idée de paradis originel, à peine égratigné par les nombreux trappeurs qui le sillonnent et la présence du fort. Néanmoins les apparences sont trompeuses: la vie des hommes est primitive, rude et l'arrivée des colons prédateurs en fait une jungle où règne la loi du plus fort. Les deux personnages principaux, "Cookie" surnommé ainsi parce qu'il a une formation de cuisinier et King-lu, un chinois qui rêve de faire fortune nouent une solide amitié mais leur naïveté leur sera fatale. En effet ils s'avèrent inadaptés au monde qui commence à se construire autour d'eux: celui des prémisses du capitalisme, symbolisé par une vache importée par le gouverneur du fort. Cet être vivant dont ils ont besoin pour monter leur entreprise, se retrouve parqué dans un enclos et gardé par des fusils et y toucher signifie la mort. Il est d'ailleurs dommage que Cookie et King-lu se compromettent dans le monde violent et corrompu en train de naître (celui des "winners" et des "losers" dont ils font évidemment partie) au lieu de prendre le large et de se reconstruire ailleurs, autrement. On aurait aimé aussi plus de détails sur les autres peuples fréquentant les lieux et notamment les indiens, retranscrits avec un réalisme qui fait penser au film de Terrence Malick "Le nouveau monde" mais un peu rapidement. Enfin, ce cinéma tout en retrait et en creux manque à la fois de puissance et d'émotion, deux notions que l'on peut dégenrer et qui ne sont pas incompatibles.

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Volare (Tutto il mio folle amore)

Publié le par Rosalie210

Gabriele Salvatores (2019)

Volare (Tutto il mio folle amore)

Merci à Arte d'avoir mis en avant ce film italien en forme de récit picaresque aux images époustouflantes de beauté. Adaptation du livre autobiographique "N'aies pas peur si je t'enlace" de Fulvio Ervas, le film raconte le voyage de Vincent, un adolescent autiste dont l'allure n'est pas sans rappeler celle de Björn Andresen dans "Mort à Venise" avec son père biologique, Willi, chanteur de bal en tournée qui l'avait abandonné avant la naissance. Le périple américain est transposé dans l'ex-Yougoslavie pour des raisons géographiques, historiques et culturelles (la Dalmatie fut longtemps revendiquée par l'Italie avant d'être rattachée à la Croatie). Il n'en est que plus dépaysant, le sud des Balkans étant montré à travers ses espaces désertiques traversés par deux types de nomades: les migrants et les forains. Même si l'histoire n'a rien d'original sur le fond (il s'agit d'un récit initiatique avec au passage la découverte mutuelle entre un père et un fils qui ne se connaissaient pas), le film a beaucoup de charme et dégage une belle énergie au travers des multiples courses (à pied, à cheval, à moto, en voiture, en fourgonnette...) à travers les grands espaces. L'arrière-plan avec la course-poursuite de la mère et du beau-père de Vincent est un peu plus convenu. Je n'ai pu m'empêcher de penser à "Paris-Texas", le chef-d'oeuvre de Wim Wenders dont le canevas est très proche (à ceci près que l'enfant n'est pas autiste). "Volare" n'atteint pas ce niveau mais cela reste un joli film qui dépeint l'autisme d'une manière juste et sensible. Par exemple la scène de l'ordinateur qui permet à Vincent de dialoguer avec son père repose sur une réalité: l'autiste a une mémoire visuelle et s'exprime beaucoup mieux à l'écrit quand il en a la capacité qu'à l'oral (comme le montre aussi très bien le documentaire "Dernières nouvelles du cosmos" sur une autiste qui elle est tout à fait privée de parole et ne s'exprime donc qu'à travers ses poèmes).

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Une Femme de Tête (Nappily Ever After)

Publié le par Rosalie210

Haifaa Al-Mansour

Une Femme de Tête (Nappily Ever After)

Réalisé par Haifaa Al-Mansour pour Netflix en 2018, "Une femme de tête" apporte un embryon de réflexion (qui n'en reste hélas qu'à un stade d'ébauche) sur l'émancipation d'une afro-américaine d'aujourd'hui vivant dans un milieu aisé vis à vis des canons de beauté imposés par la société dominante blanche et patriarcale. A chaque étape de son parcours, Violet, l'héroïne change de coupe et de coiffure, passant progressivement de l'obsession du cheveu lisse à l'acceptation de leur nature crépue en passant par un plan-séquence "choc" où regard face caméra, elle se rase la tête, se libérant ainsi du poids de ce fardeau qu'elle traîne depuis l'enfance (comme le montre la première séquence où sa mère lui a interdit de sauter dans une piscine pour éviter que ses cheveux ne frisent). L'ingénieux titre en VO "Nappily Ever After" est un jeu de mots faisant allusion au mouvement nappy (mot signifiant de façon péjorative "crépu" en anglais-américain ensuite réapproprié positivement comme étant l'acronyme de natural-happy) intimement lié au combat politique des années soixante pour les droits civiques et culturel pour la reconnaissance de la beauté noire ("black is beautiful") incluant l'acceptation des cheveux crépus. 

Malheureusement, cet aspect indéniablement intéressant est noyé dans une intrigue conventionnelle et une réalisation très lisse et qui le reste jusqu'au bout ce qui finit par le déréaliser. Alors que le film est censé célébrer la libération des canons de beauté WASP (white anglo-saxon protestant), les acteurs, bien qu'afro-américains ont une apparence (et souvent un jeu) hyper-stéréotypé évoluant dans un luxe tape-à-l'oeil. Je pense en particulier à celui qui joue Clint, le petit ami de Violet dont le corps est sculpté par la gonflette et qui semble taillé pour le football américain. Qui plus est son personnage est médecin. Tout à fait représentatif donc de la communauté afro-américaine, surreprésentée dans la population carcérale, sous le seuil de pauvreté et en surpoids et en revanche sous-représentée dans la population diplômée...

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