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J'ai le droit de vivre (You only live once)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1937)

J'ai le droit de vivre (You only live once)

Jalon de la genèse du film noir américain mais aussi de certains thrillers hitchcockiens ("Le Faux Coupable" reprend Henry Fonda accusé à tort dans sa cage), "J'ai le droit de vivre", le deuxième film américain de Fritz Lang s'inspire librement de l'odyssée de Bonnie et Clyde et possède des qualités inhérentes au savoir faire de ce grand cinéaste (lumières, atmosphère, cadrages, mise en scène) ainsi qu'une interprétation remarquable, notamment de Henry Fonda dans le rôle principal.

Néanmoins, il m'a profondément irrité ce qui ne m'était jamais arrivé jusque-là avec ce réalisateur. En effet il manque de manière flagrante de subtilité dans son scénario.... à moins qu'on ne considère que tout est vu par le prisme de son anti-héros, Eddie dont le film reflète la vision du monde simpliste, paranoïaque et hystérique. Pourquoi pas après tout? Il n'y a en effet pas de place pour la nuance dans le film. Soit on est à 100% avec lui, soit à 100% contre lui (quoique cela revient au même "contre" au sens de "tout contre"). Etre avec Eddie, c'est choix de sa femme Joan qui ressemble moins à une personne réaliste qu'à un prolongement de lui-même, solidaire de lui à la vie à la mort. Affichant dans un premier temps une sorte de bonheur béat digne d'une publicité ménagère complètement déconnectée de la réalité elle se compromet ensuite de plus en plus pour l'aider de manière toujours aussi naïve et finit par partager sa cavale sans issue, le choisissant lui au détriment de leur bébé (dont on se demande comment il a pu naître dans ces conditions mais le film n'est absolument pas réaliste, la mise en plis de Sylvia Sidney ne souffrant d'aucune altération après plusieurs jours de cavale dans les bois et un accouchement sauvage). La seule alternative qu'elle ait imaginé à ce funeste destin étant étant le suicide, c'est dire son degré d'autonomie (il faut dire que l'une des seules fois où elle prend une initiative, ça ne marche pas et il lui tourne le dos ce qu'elle ne supporte pas). A l'extrême inverse (puisqu'il n'y a qu'un gouffre béant entre les deux), on a quasiment tout le reste de la société et l'ensemble des institutions qui s'acharnent sur Eddie parce qu'il est un ex-taulard, le seul d'ailleurs qui semble exister aux USA puisqu'il est reconnu et montré du doigt partout où il passe. L'occupation préférée du citoyen moyen semble être de traquer le voyou et le criminel dans les magazines et les journaux de bas étage ou bien le charger pour couvrir ses propres méfaits alors que la police ne semble servir qu'à lui tirer dessus, la justice le condamne à mort sur la foi d'un seul indice et ainsi de suite. Si bien que quand enfin il est innocenté, il a tellement perdu confiance dans ses interlocuteurs qu'il tire aussitôt sur celui qui lui avait montré le plus d'humanité, un religieux (métaphore à l'appui), fermant la porte à toute possibilité de rédemption, se maudissant ainsi lui-même. Et ce n'est que la dernière (et la plus grave) d'une série de fautes de parcours qui font que Eddie n'est pas du tout la pauvre victime innocente de l'injustice de la société ou de la seule fatalité qu'on pourrait croire au premier abord mais bel et bien l'artisan de sa propre chute, un ancien voyou qui s'est racheté une conduite de surface mais à qui il en faut bien peu pour que ses instincts sauvages les plus profonds reprennent le dessus. Bref un discours d'un pessimisme  absolu sur l'âme humaine (tant dans sa dimension individuelle que collective) pas inintéressant mais auquel je préfère les films tournés en Allemagne ou dans son premier film américain, "Furie". 

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Tricheurs

Publié le par Rosalie210

Barbet Schroeder (1984)

Tricheurs

Barbet Schroeder a beaucoup filmé l'addiction et ce dès son premier long-métrage, "More". Dans "Tricheurs", c'est le jeu qui remplace la drogue comme source de vertige et de perdition. Cela va de pair avec une certaine fascination pour les abysses insondables de l'être humain et pour l'insularité: "Tricheurs" se déroule principalement à Madère et même lorsque le héros voyage, il entoure les pays visités par des cercles sur les cartes. D'ailleurs ce ne sont pas les pays qu'il visite mais leurs casinos et plus précisément leurs roulettes: encore des figures circulaires. Le casino de Madère conçu par l'architecte Oscar Niemeyer a lui-même cette forme, on évoque même à son propos les tentacules d'un poulpe de béton. Enfin, c'est un film qui pour moi lie inextricablement Barbet Schroeder à la Nouvelle Vague dont il a été un des artisans. En effet le plus grand film que je connaisse sur la passion destructrice du jeu est "La Baie des Anges" de Jacques Demy dont "Tricheurs" reprend certains motifs. Celui du couple co-dépendant (sauf que chez Demy la joueuse invétérée est la femme qui entraîne l'homme dans sa spirale infernale alors que chez Barbet Schroeder, c'est à l'inverse l'homme le joueur compulsif qui entraîne la femme avec lui), celui de l'enfermement claustrophobique dans le vice, celui du tentateur qui s'immisce dans le couple, métaphore de la place du jeu dans leur vie, celui des avers et des revers de fortune qui se traduisent par des chambres d'hôtel luxueuses ou miteuses et enfin celui d'une fin ouverte mais ambigüe où on ne sait si le couple s'échappe enfin du cadre qui l'enferme ou bien passe de Charybde en Scylla. Mais le film de Schroeder se focalise moins sur le hasard que sur la triche dont on découvre deux facettes: l'une qui relève du tour de passe-passe et l'autre, plus sophistiquée faisant appel à la technologie. La peur de se faire prendre ajoute encore une dose d'excitation à la pratique en elle-même. Mais pour le reste, la possibilité de gagner par la triche est annihilée par le besoin tout aussi compulsif de perdre (pour pouvoir goûter à nouveau le plaisir de gagner, c'est un cercle vicieux sans fin).

Mais ce qui m'a le plus marqué dans ce film, c'est l'humanité qui s'en dégage, la tendresse palpable vis à vis de personnages névrosés mais que l'on est invité à ne pas juger*, à accepter tels qu'ils sont. En cela je retrouve l'approche d'un John Cassavetes (qui a dépeint aussi le monde du jeu dans "Meurtre d'un Bookmaker chinois" et qui s'y connaissais en addictions). "Tricheurs" dépeint un homme, Elric (Jacques Dutronc) tellement enfermé dans son vice qu'il en est devenu impuissant et asocial (il parle seul, il boîte, il a des pulsions d'automutilation, bref il est bien amoché). Son compère escroc (joué par Kurt Raab, un acteur sorti tout droit de chez Fassbinder) qui semble avoir la fièvre perpétuelle le suit comme une ombre. Seule une femme les sépare: Suzie (Bulle Ogier) qui apporte un peu de rationalité à toute cette folie hallucinogène. Amoureuse de Elric, elle devient sa complice tout en parvenant à modérer ses pulsions les plus autodestructrices. En effet, contrairement à lui, elle n'est pas saisie par le démon du jeu et sait toujours s'arrêter à temps tout comme elle parvient à conserver le contact avec le monde réel. C'est pourquoi je n'ai absolument pas été gênée par le dénouement (jugé amoral) du film car ce que j'en ai retenu, c'est le regard bienveillant de cette femme sur cet homme qui accepte de se mettre à nu devant elle et qui accepte le soutien qu'elle lui apporte. Bref qui accepte tout de même de s'ouvrir quelque peu. D'où la fin ouverte...

* Qualité que j'avais déjà soulignée dans "Amnésia".

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Trente minutes de sursis (The Slender Thread)

Publié le par Rosalie210

Sydney Pollack (1965)

Trente minutes de sursis (The Slender Thread)

Le premier film de Sydney Pollack devait entièrement reposer à l'origine sur le dialogue téléphonique d'un étudiant en médecine exerçant une mission de bénévolat au centre d'aide aux désespérés et d'une mère de famille ayant entrepris de se suicider. Deux genres se superposaient ainsi: un thriller avec le compte à rebours pour localiser la jeune femme et la sauver avant qu'il ne soit trop tard et une romance par téléphone interposé qui aurait été impossible de montrer frontalement en 1965 dans un film hollywoodien classique. On voit ainsi comment "Trente minutes de sursis" a ouvert la voie deux ans plus tard à "Le Lauréat", film-phare du nouvel Hollywood qui allait faire tomber le tabou de la différence d'âge et de statut social avec en plus la même actrice, Anne Bancroft dans le rôle de l'épouse bourgeoise insatisfaite. D'autre part, la relation téléphonique s'avère également être un excellent moyen de contourner la barrière de la couleur de peau dans un pays marqué par un profond racisme et une phobie non moins profonde du métissage. Comme le montre ironiquement Spike Lee dans "BlacKkKklansman", les membres du KKK se font berner par un policier noir parce qu'ils ne parviennent pas à le démasquer au téléphone. Il en est de même évidemment dans "Trente minutes de sursis" où jamais la question raciale ne se pose alors qu'il n'en aurait pas été de même si Alan (Sidney Poitier) et Inga (Anne Bancroft) s'étaient réellement rencontrés.

Cependant Sydney Pollack qui exécutait une commande n'a pas pu réaliser le film qu'il voulait si bien que le film est affaibli par les flashbacks expliquant pourquoi Inga en est arrivé là. Ceux-ci cassent la tension du compte à rebours et du huis-clos alors que de nombreux personnages viennent interférer avec Alan dans la cellule de crise où il était de garde ce qui détruit l'aspect intimiste de la relation qu'il avait pu instaurer avec son interlocutrice.

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Don't look up: Déni cosmique (Don't look up)

Publié le par Rosalie210

Adam McKay (2021)

Don't look up: Déni cosmique (Don't look up)

Le titre en soi est un message: "Ne lève pas la tête" sous-entendu, continue à faire l'autruche dans ta réalité alternative créée de toute pièces par l'ère numérique. Chaque époque a ses "Don't look up", ces films lanceurs d'alerte d'une catastrophe imminente faisant aussi l'état des lieux d'un pays et d'une société tournant résolument le dos aux périls leur fonçant dessus, voire contribuant à l'alimenter. Par exemple "La Règle du jeu" de Jean Renoir montrait une société dansant sur le volcan de la seconde guerre mondiale prête à se déclencher alors que "Docteur Folamour" de Stanley Kubrick offrait une désopilante satire de l'Etat américain composé de figures plus grotesques les unes que les autres dont la paranoïa, l'incompétence, le jusqu'au-boutisme patriote ou encore le cynisme provoquait l'apocalypse nucléaire au temps de la guerre froide. "Don't look up" mêle un peu de ces deux influences: on y voit à la fois une société hors-sol abrutie par la surconsommation, la désinformation et la course à la popularité sur les réseaux sociaux qui ne voit rien venir presque jusqu'au bout et une galerie de personnages grotesques incarner le sommet de l'Etat US allant de la présidente ignare obsédée par sa réélection et le profit (Meryl Streep en version féminisée de Trump) à l'infotainment (incarné par deux "journalistes" dont l'un est interprété par Cate Blanchett) en passant par le Folamour 2.0, un milliardaire illuminé joué par Mark Rylance (qui jouait déjà le rôle du cerveau de l'OASIS dans "Ready Player One") espérant faire son petit beurre personnel sur le malheur planétaire. Au milieu de cet énorme barnum, deux scientifiques (joués par Léonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence que j'ai trouvés tous deux très bons et complémentaires alors que je ne suis pas fan d'eux à la base: la jeune doctorante révoltée qui ne mâche pas ses mots et le professeur rongé d'angoisses, un peu veule, prêt au compromis voire à la compromission mais qui a conservé suffisamment les pieds sur terre pour finir lui aussi par péter les plombs devant l'orgie de folie collective à laquelle il assiste) essayent de se faire entendre mais ne maîtrisant pas la com (renommé "media training") personne de les écoute: ils sont ridiculisés, cyniquement récupérés ou bien quand ils s'avèrent incorruptibles, la "raison d'Etat" les fait taire. Là non plus, rien de neuf depuis Cassandre et les jeux du cirque et si on peut trouver que le réalisateur (et certains acteurs) en font trop, que certaines séquences sont trop étirées voire inutiles (le personnage de Timothée Chalamet ne sert franchement pas à grand-chose, certains passages de type télé-réalité ou de concert sont un peu longs, la fin hésite trop entre une sobriété émouvante du type "Mélancholia" et un grand-guignol grinçant proche de "Docteur Folamour") ça n'empêche pas le film de taper souvent dans le mille. Par exemple les spéculations des Etats et des entreprises sur l'exploitation des ressources d'une comète qu'ils laissent heurter la terre en espérant contrôler sa chute fait penser à celles qui favorisent l'accélération de la fonte des glaces ou la déforestation alors que les conséquences pourraient être tout aussi apocalyptiques. Ou encore l'indifférence de l'opinion vis à vis des lanceurs d'alerte qui échouent à éveiller les consciences et la décrédibilisation de la science au profit des fake news nourrissant les théories du complot en raison de la plus grande popularité de ces dernières sur les réseaux sociaux. Même ça ce n'est pas nouveau: la majorité des gens préfèrent des réponses faciles plutôt que celles qui prennent la tête avec cependant une tendance au zapping que l'on ressent dans beaucoup de films actuels (dont celui-ci, très bavard, rapide et aux images bourrées d'informations). Bref une énième illustration de la maison qui brûle pendant que la majorité regarde ailleurs et qu'une minorité privilégiée surfe sur la catastrophe en perfectionnant un plan B chimérique de fuite sur une autre planète au cas où ça tournerait mal.

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Dallas Buyers Club

Publié le par Rosalie210

Jean-Marc Vallée (2013)

Dallas Buyers Club

De Jean-Marc Vallée, disparu à 58 ans le 25 décembre 2021, je n'avais vu que C.R.A.Z.Y dont j'ai gardé un souvenir trop vague pour pouvoir en parler mais que je reverrai si j'en ai l'occasion. En attendant, j'ai choisi pour lui rendre hommage son film le plus connu et reconnu, notamment pour les performances de ses deux acteurs principaux, Matthew McConaughey et Jared Leto justement récompensées aux Oscar et aux Golden Globe 2014.

Inspiré d'une histoire vraie, le film met en scène un personnage type de cow-boy texan bas du front adepte de pratiques à risques, certaines avouables socialement car conformes à son image de rustre hyper-viril (la pratique du rodéo) et d'autres, non. C'est ce que montre le générique: d'un côté de la barrière, la mise en scène de la virilité brute de décoffrage. De l'autre, façon backdoor de boîte de nuit, les partouzes bisexuelles sauvages non protégées et non assumées (dans le noir, dans le tas et aussitôt fait, aussitôt oublié)*. Sauf qu'on est dans les années 80 c'est à dire à l'ère de l'expansion de l'épidémie de SIDA qui ne tarde pas à être détecté chez Ron Woodrof. Son secret révélé, il est rejeté par ses pairs qui l'assimilent à un homosexuel et les médecins ne lui prédisent qu'un mois à vivre. C'est là que le film commence vraiment. Car face à l'adversité, Ron a deux choix possibles: baisser les bras ou bien se battre. Il choisit évidemment la deuxième solution et son caractère rebelle, teigneux, buté va s'avérer un allié de poids dans cette lutte contre la maladie mais surtout contre le carcan administratif et médical qui veut l'enfermer dans un protocole expérimental destiné à se servir de lui et de ses compagnons d'infortune comme cobayes pour obtenir le monopole des juteux profits liés au traitement de la maladie. Tel un animal poussé dans ses derniers retranchements, Ron Woodrof décide de rendre coup pour coup au Big Business des laboratoires pharmaceutiques US avec l'énergie du désespoir en montant sa propre officine médicale et ses propres traitements médicamenteux obtenus à l'étranger en profitant d'un vide juridique qui ne tardera pas à être comblé. Mais cela n'empêchera pas Ron de continuer son combat, un combat pour sa propre survie, de plus en plus soutenu par tous ceux pour qui ces traitements constituent un espoir en terme de durée et de qualité de vie. Matthew McConaughey donne l'apparence d'un corps qui se consume pour son combat (d'autant que le réalisateur nous fait partager ses sensations de vertige et de maux de tête) et parallèlement d'une âme qui s'élève au fur et à mesure qu'il accepte à ses côtés et comme ses égaux des homosexuels et des femmes. Parmi eux, Rayon (Jared Leto), un travesti toxicomane que l'on découvre issu d'un milieu aisé devient son associé et son ami, leur "amour vache" constitue un des meilleurs ressorts du film que ce soit en terme d'humour ou d'émotion. Mais le symbole le plus significatif est un tableau fleuri qui est la seule chose que Ron emporte avec lui quand il est expulsé. Il l'offre plus tard au docteur Eve Sacks (Jennifer Garner) qui le soutient en lui expliquant qu'il lui vient de sa mère qui était issue de la communauté gitane.

* Le parallèle avec l'acteur Rock Hudson, souligné au début du film n'est évidemment pas innocent. Celui-ci a entretenu toute sa vie une image de séducteur hétérosexuel, devant et derrière l'écran, allant jusqu'à se marier alors qu'il était homosexuel et adepte de relations multiples (il avait d'ailleurs fait l'objet d'un chantage avec des photos compromettantes que les studios avaient réussi à étouffer). Il a fini par révéler qu'il était atteint du sida en 1985. 

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Les Européens

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1979)

Les Européens

D'une grande sensibilité littéraire, James IVORY a souvent porté à l'écran des adaptations d'écrivains célèbres. Parmi elles, trois oeuvres de Henry James: "Les Bostoniennes" (1984), "La Coupe d'or" (2000) et la première des trois "Les Européens" à la fin des années soixante-dix. L'histoire porte en effet sur l'un de ses thèmes fétiches: le choc des cultures, présent dès son remarquable deuxième long-métrage de fiction "Shakespeare-Wallah" (1965). Dans "Les Européens", le choc en question porte sur la rencontre entre deux branches de la même famille, vivant chacune de part et d'autre de l'Atlantique. D'une part les Wentworth, des bostoniens puritains vivant dans l'austérité. De l'autre, leurs cousins désargentés, un frère et une soeur venus d'Europe, plus bohèmes et libérés qui espèrent faire un beau mariage. Si la situation de Félix, jeune peintre célibataire d'une nature franche et joyeuse est parfaitement claire, ce n'est pas le cas de sa soeur, Eugénie qui porte le titre clinquant de baronne de Münster mais dont le mariage est en réalité en voie de dissolution. Par conséquent leurs destins vont diverger. Félix s'éprend de Gertrude Wentworth qui n'attendait que ça. Dès la première scène, "la messe est dite". Alors qu'elle ne connaît pas Félix, on la voit fuir le corseté pasteur Brand qui la courtise ainsi que tourner le dos à l'église où il l'invite à entrer au profit d'une nature automnale qui chez James IVORY symbolise le flamboiement des sentiments. C'est en ce lieu qu'elle rencontre Félix et celle-ci a la nature de l'évidence, finissant même par être bénie par le pasteur qui se console avec la soeur de Gertrude beaucoup plus conforme à ses attentes. Eugénie qui en revanche se comporte en grande dame s'ennuie assez vite dans la société provinciale très ascétique de ses cousins. Elle joue par ailleurs un jeu trouble entre Clifford, le fils des Wentworth qui souffre d'un penchant pour la boisson et leur riche cousin Robert Acton qui en pince pour elle mais n'ose se déclarer franchement, sans doute parce qu'elle est trop libre pour lui. Ainsi on peut penser qu'en choisissant de retourner en Europe et en renonçant à ce beau parti, elle se protège d'une nouvelle déception tout en échappant à une société qui ne convient guère à ses aspirations. Le casting, un peu inégal tout comme le rythme est dominé de la tête et des épaules par la superbe Lee REMICK dans le rôle d'Eugénie.

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L'Homme de Rio

Publié le par Rosalie210

Philippe de Broca (1964)

L'Homme de Rio

L'Homme de Rio, deuxième collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo (après "Cartouche") c'est le film qui fait la liaison entre les aventures de Tintin et la saga Indiana Jones. Les emprunts aux albums du célèbre reporter sont légion et rappellent que L'Homme de Rio est issu d'un projet d'adaptation de l'oeuvre de Hergé: les statuettes dissimulant un secret? "L'Oreille Cassée". Les enlèvements d'ethnologues? "Les Sept boules de cristal". La superposition des trois parchemins? "Le Secret de la Licorne". Le héros suspendu juste au-dessus d'un crocodile affamé? "Tintin au Congo". Ou cascadeur le long d'un immeuble? "Tintin en Amérique". Les fléchettes empoisonnées? "Les Cigares du pharaon". Cette ligne claire par son extrême précision se combine avec une vitesse d'exécution sans pareille, d'immenses espaces à défricher (la jungle), ou à investir (Brasilia), les qualités athlétiques de Jean-Paul Belmondo qui ne cesse de courir, sauter, grimper, nager, se bagarrer du début à la fin du film à pied, en vélo, en voiture, en avion ou de liane en liane (mais toujours en ligne droite, de case en case!) et un zeste du rire unique de Françoise Dorléac. La dynamique de leur couple rappelle les meilleures comédies américaines, les séquences de saloon font penser au western, celle où le héros grimpe le long d'un mur et les bagarres où le décor est détruit aux burlesques muets et juste retour des choses, le film sera à son tour une source d'inspiration majeure pour Spielberg (qui découvrira ensuite par ricochet l'oeuvre belge d'origine et lui rendra hommage en 2011). L'ensemble défie les lois de l'apesanteur dans une esthétique bariolée proche de son modèle original, la BD mais aussi de la légèreté de la Nouvelle Vague (décors naturels, faux raccords privilégiant le rythme à la cohérence).

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Une affaire de femmes

Publié le par Rosalie210

Claude Chabrol (1988)

Une affaire de femmes

Après la déception qu'a représenté pour moi "L'Evénement" qui sous prétexte d'universalité décontextualise outrageusement l'histoire de sa protagoniste, j'ai voulu m'offrir un point de comparaison avec un film abordant un thème identique et lui aussi tiré d'une histoire vraie, "Une affaire de femmes" réalisé par Claude Chabrol et interprété par Isabelle Huppert, dix ans après sa première collaboration avec le cinéaste pour "Violette Nozière". Le résultat est d'un tout autre niveau. Sans occulter les tares de son personnage féminin, cupide, égoïste, opportuniste sans scrupules et en même temps bêtement inconsciente des risques pris comme du mal infligé à autrui, le film dresse un réquisitoire féroce contre une société complètement délétère, celle du régime de Vichy. Alors que celui-ci s'agrippe à ses valeurs conservatrices ("travail, famille, patrie") censées régénérer un pays purgé de ses ennemis intérieurs (juifs, communistes etc.), on observe au contraire la désorganisation des couples et des familles sous le joug de la guerre, de l'occupation et de la collaboration. Le sort réservé à Marie, exécutée pour l'exemple détruit une famille en laissant deux orphelins. Et ce n'est que l'une des contradictions d'un régime qui se dit préoccupé par la dénatalité mais traque, arrête et déporte massivement les femmes et les enfants juifs alors que sa jeunesse masculine quand elle n'est pas prisonnière est envoyée sur l'ordre de l'Allemagne au STO* ou massacrée lorsqu'elle résiste. Si bien que derrière les intentions affichées, le régime de Vichy accouche d'une société qui lui ressemble: faible, servile, lâche, délatrice et corrompue. Les hommes y sont de pauvres diables ayant perdu toute dignité (et toute virilité) comme Paul (François Cluzet), l'époux de Marie ou bien des collabos prêts à toutes les bassesses pour obtenir des privilèges comme son amant, Lucien (Nils Tavernier). Libérées du poids pesant du patriarcat par cet affaiblissement du masculin, les femmes tendent vers l'émancipation économique, sociale et sexuelle mais quand elles vont trop loin comme Marie qui fait son beurre sur les avortements clandestins, la collaboration horizontale par procuration et les chambres de passe sous la houlette de Lucie (Marie Trintignant), elles se font impitoyablement rattraper par un régime bourgeois, conservateur et lui-même patriarcal (dans son gouvernement, son administration, sa police et sa justice) dont l'intransigeance abjecte est un aveu d'impuissance. Au passage, le film égratigne quelques mythes ayant la vie dure comme celui de la bonne épouse et bonne mère et aussi celui de l'instinct maternel (le personnage joué par Dominique Blanc qui enchaîne les grossesses faute de contraception avoue qu'elle n'aime aucun de ses enfants qu'elle considère juste comme un fardeau).

Remarque: Marie Bunel qui joue Ginette, la première femme à utiliser les services d'avorteuse de Marie réapparaît dans le téléfilm "Le Procès de Bobigny" (2006) mais cette fois dans le rôle de l'avorteuse. Elle y retrouve Sandrine Bonnaire dans le rôle de la mère de la jeune fille se faisant avorter, rôle qu'elle a repris récemment dans "L'Evénement".

* Service du travail obligatoire instauré en 1942 pour compenser la perte de main-d'oeuvre allemande envoyée sur le front soviétique.

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Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Hosoda (2021)

Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Après "Le Garçon et la Bête", Mamoru Hosoda nous propose une version 2.0 de "La Belle et la Bête" qui rend hommage à la version Disney dont Hosoda est fan mais qui s'en éloigne cependant sensiblement ainsi que du conte d'origine pour se rapprocher de ses thèmes fétiches: la dualité (tant des univers que des personnages), l'altérité, l'animalité. Très riche graphiquement et narrativement, n'hésitant pas à jouer sur des ruptures de ton, le film possède plusieurs trames et plusieurs niveaux de lecture. Au premier abord, on a l'impression d'une redite de "Summer Wars" car la scène d'introduction est quasiment identique: l'exposition d'un gigantesque monde virtuel nommé U (dans "Summer Wars", il s'appelle Oz) où chaque membre possède un avatar qui le définit par rapport à sa personnalité intérieure (on pense aussi forcément à "Ready Player One" et à l'OASIS). Cependant si "Summer Wars" insistait surtout sur les dangers de l'IA pour le monde réel, "Belle" en montre au contraire les possibles bienfaits. Le monde virtuel devient une extension de soi et s'apparente autant à un réseau social qu'à une oeuvre d'art en mouvement. Le style graphique en 3D fait ressortir formes et couleurs et s'apparente par moments à une toile abstraite ou surréaliste alors que le monde réel en 2D est dans l'ensemble naturaliste. Néanmoins, Mamoru Hosoda n'hésite pas à brouiller les frontières du réel et du virtuel et à déjouer nos attentes. D'abord parce que le virtuel a des retombées concrètes dans le monde réel. Ainsi Suzu, l'héroïne (alias "Belle" dans le monde virtuel) est appelée à revivre la situation traumatique dans laquelle elle a perdu sa mère sauf que c'est désormais elle qui se retrouve dans le rôle du sauveur et du protecteur au lieu d'être dans celui du témoin impuissant. Mais pour cela, elle doit tomber le masque qui lui permettait de s'affirmer dans le monde virtuel (dans un rôle de pop idol qui m'a fait penser quelque peu aux films de Satoshi Kon, "Perfect Blue" et "Paprika"). Ensuite parce qu'à l'inverse, la fille dont elle s'est inspirée pour créer son avatar dans U s'avère être en réalité peu sûre d'elle lorsqu'il s'agit d'aborder l'élu de son coeur, un garçon un peu bizarre qui n'est pas un parangon de beauté. Cela donne lieu à une scène franchement burlesque en plan fixe basée sur des entrées et sorties de champ qui est en rupture par rapport au style réaliste du film dans le monde réel. Enfin un des enjeux du film est la révélation de la véritable identité de la Bête (surnommée "Le Dragon" dans U) qui lorsqu'elle survient donne au récit une tournure d'une gravité et d'une profondeur inattendue. Contrairement à ce que j'ai pu lire dans certaines critiques superficielles, les super-héros chargés de faire la police dans U en révélant la véritable identité des avatars pour ensuite les expulser ne sont pas de simples commodités. Ce sont des figures de justiciers sorties d'un système de valeurs réactionnaire (patriarcal et manichéen) que Suzu va battre en brèche, parallèlement au fait qu'elle va dévoiler l'hypocrisie d'un père qui donne de lui une belle image en société mais dont le vrai visage ne se révèle que dans l'intimité du foyer. Cela montre l'ambivalence des outils technologiques qui dépendent de l'usage que l'on en fait: Big Brother peut se muer en lanceur d'alerte. Et on pense au rôle capital joué par les photos, les vidéos et les enregistrements sonores dans la révélation de malversations et de crimes, à échelle individuelle ou collective.  

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The Perfect Candidate

Publié le par Rosalie210

Haifaa Al-Mansour (2019)

The Perfect Candidate

"The Perfect Candidate" donne l'impression, précieuse au cinéma, de capter l'histoire en marche, celle d'un pays islamique fondamentaliste réputé figé et fermé tant vis à vis de l'art que vis à vis des femmes mais qui connaît depuis une dizaine d'années une évolution très rapide. Les premières images suffisent à mesurer le chemin parcouru depuis "Wadjda" (2013), le premier film de Haifaa AL MANSOUR, pionnière du cinéma saoudien. On y voit une jeune femme d'une trentaine d'années, Maryam conduire une voiture* alors qu'en 2013, Wadjda devait se battre pour obtenir le droit d'acquérir et d'utiliser un vélo. "The Perfect Candidate" poursuit le combat de femmes qui décident de prendre leur destin en main, n'hésitant pas à bousculer les traditions au passage. Bien qu'exerçant le métier de médecin dans une clinique locale, Maryam subit au quotidien des vexations liées à son sexe comme celle (que l'on rencontre aussi en France) de vieux patients qui ne veulent pas être examinés par des femmes. On voit également qu'elle n'est pas soutenue par sa hiérarchie dont le mot d'ordre semble être "pas de vagues". Enfin le statut de la santé ne semble pas être une priorité dans sa commune, la route d'accès à la clinique n'étant pas goudronnée. Maryam est donc tentée par l'exil mais elle se heurte aux restrictions de liberté de circulation pour les femmes qui ont besoin d'une autorisation à jour de leur tuteur légal (père ou époux) pour voyager**. Or son père est absent et ne peut lui remplir le document à temps. C'est donc par un concours de circonstances que Maryam se retrouve candidate aux élections municipales***, son engagement presque malgré elle l'amenant à s'exposer face caméra aux préjugés des médias et à des électeurs aux mentalités rétrogrades et ainsi assumer un héritage familial longtemps considéré comme un boulet.

Car ce qui rend le film passionnant est le fait que ce caractère engagé et quasi documentaire se double d'une dimension intimiste à résonance quelque peu autobiographique mais qui donne aussi au film un caractère universel. En effet parallèlement à Maryam, le film dresse un portrait de son père Abdelaziz qui est musicien et veuf inconsolable. Loin des clichés sur les hommes saoudiens, on découvre que la diversité existe aussi en Arabie Saoudite (comme partout ailleurs dans le monde) et que les hommes différents de la norme sont également victimes du système répressif de leur pays. Ainsi les propos de Abdelaziz sur sa femme font comprendre que leur couple était anti conformiste (c'est elle qui l'a choisi, elle était chanteuse et dotée d'une forte personnalité etc.) et que si leurs filles ont été élevées d'une manière libérale et progressiste, elles subissent en retour un certain ostracisme social par le fait notamment d'être plus ou moins exclues du marché matrimonial. Le statut de la musique (et de l'art en général****) longtemps banni du royaume évolue logiquement en parallèle de celui de la femme. Abdelaziz et son groupe obtiennent le droit de partir en tournée et sont recrutés pour former un orchestre national. En ce sens, les scènes de concert où l'on entend des chansons à la gloire des femmes ne sont pas contrairement à ce que j'ai lu un paradoxe. Il s'agit de la sensibilité féminine des hommes qui peut enfin s'exprimer librement, même si la menace des extrémistes fondamentalistes n'est pas occultée. On remarquera ainsi l'audace d'un film dans lequel les rôles genrés sont inversés, Abdelaziz se battant pour chanter et faire de la musique alors que sa fille investit la tribune politique*****.

* Les femmes saoudiennes ont obtenu le droit de conduire en 2018.
** Preuve de l'évolution rapide du pays, cette mesure a été abolie en 2019.
*** Là encore il s'agit d'un droit récent, les femmes ayant pu exercer le droit de vote et d'éligibilité à partir de 2015.
**** Depuis "Wadjda" (2013), des salles de cinéma ont ouvert dans un pays qui avant 2018 n'en comptait quasiment aucune. Et le recrutement des comédiens et conditions de tournage de "The Perfect Candidate" ont été beaucoup plus faciles.
***** Si l'évolution de l'Arabie saoudite suit avec 1/2 siècle de retard celle de la France (où jusqu'en 1944 les femmes ne pouvaient voter et jusqu'au milieu des années 60, voyager ou travailler sans autorisation d'un homme), le poids des femmes en politique et dans les plus hauts postes à responsabilité reste inférieur à celui des hommes. La conquête n'est pas achevée.

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