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L'Homme debout

Publié le par Rosalie210

Florence Vignon (2023)

L'Homme debout

C'est à l'occasion d'une soirée-débat avec l'équipe du film au cinéma Chaplin Saint-Lambert que j'ai découvert "L'Homme debout" (2021) sorti le 17 mai 2023 mais peu médiatisé et mal distribué ce qui explique qu'il soit largement passé sous les radars.

"L'Homme debout" est le premier film de Florence VIGNON connue principalement pour ses collaborations avec Stéphane BRIZÉ en tant qu'actrice et surtout scénariste (notamment sur "Mademoiselle Chambon" (2009) et "Quelques heures de printemps") (2011). Et on reconnaît une sensibilité proche, tant sur la question de la deshumanisation du monde du travail que sur celle des sentiments, abordés de façon plutôt pudiques. Le sujet du film, adapté du roman de Thierry Beinstingel, "Ils désertent" m'a fait penser à la fois à "La Question humaine" (2007) et à l'affaire France Telecom relatée notamment dans le livre "Orange stressée" de Ivan Du Roy. Il est avant tout question d'une rencontre: celle de Clémence (Zita HANROT), nouvellement embauchée à l'essai comme RH dans une entreprise de papiers peints et de Henri (Jacques GAMBLIN), co-fondateur de la boîte qui refuse de prendre sa retraite alors que ses méthodes de vente sont jugées d'un autre âge par le nouveau directeur, lui-même sous pression de sa hiérarchie qui veut le voir faire du chiffre. Clémence est donc missionnée pour pousser Henri vers la sortie par tous les moyens avec chantage au CDI à la clé.

La progression dramatique est le gros point faible du film car Florence VIGNON a du mal à relier harmonieusement la critique du fonctionnement de l'entreprise et le parcours intime de ses personnages. La valse-hésitation de Clémence entre sa rage de s'en sortir en faisant ses preuves et la tâche indigne qu'on lui confie se suffisait à elle-même. Il n'y avait pas besoin d'y ajouter d'emblée une relation d'ordre filial avec Henri. Celui-ci aurait été un parfait salaud ou un parfait inconnu, le travail confié à la jeune femme serait resté méprisable par nature, l'avilissant en tant que personne. En revanche, même si c'est maladroitement amené, le fait qu'elle assimile cet homme lui-même désaffilié à son père défunt devient intéressant à partir du moment où l'on découvre que celui-ci était un indien Mapuche du Chili réfugié en France sous la dictature de Pinochet (soutenu par le capitalisme occidental). Comment sa fille pourrait-elle continuer à se regarder dans la glace en le trahissant de cette façon? (Ce que sa soeur Louisa, personnage marginal et dérangé essaye de lui dire). Arrive alors la plus belle partie du film, celle où Clémence se met à errer dans une ambiance nocturne à la Edward Hopper et "ramène à la vie" son père de substitution en lui faisant écouter de la musique chilienne, les écouteurs jouant le rôle de cordon ombilical. Père de substitution qui certes s'accroche à une identité par le travail qui l'a éloigné de sa famille mais qui donne à ce même travail de représentant de commerce qu'il pratique à l'ancienne, c'est à dire en prenant le temps de rencontrer les gens un visage humain. D'ailleurs lui aussi "ramène à la vie" Clémence dans un effet miroir en lui faisant goûter des vins, regarder et toucher des textures, écouter et lire de la poésie (celle de Rimbaud plus précisément qui donne son titre au film car Henri s'identifie à l'homme aux semelles de vent et ses deux vies, poète puis voyageur de commerce). L'approche sensorielle est en effet présentée comme une façon de se reconnecter à soi-même. Comme on le voit, le film offre une réflexion très riche sur le travail et l'identité en plus de ses qualités esthétiques et d'interprétation qui l'élève largement au-dessus du tout-venant en dépit de ses imperfections scénaristiques.

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