Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Une histoire vraie (The Straight Story)

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1999)

Une histoire vraie (The Straight Story)

"The Straight story" est un titre infiniment plus riche qu'"Une histoire vraie" et ce, bien que l'intrigue soit effectivement tirée d'une histoire vraie. Au premier degré, il fait référence au nom de famille du héros qui s'appelle Alvin Straight. Il fait également référence à la route suivie par celui-ci qui est toujours en ligne droite. Au second degré, c'est la droiture d'Alvin qui est mise en valeur. Par ailleurs la simplicité de cette histoire à la trajectoire linéaire et aux enjeux limpides apparaît comme un contre-exemple dans la filmographie de Lynch, parsemée d'histoires tortueuses pour ne pas dire sybillines.

Mais à y regarder de plus près, cette histoire n'est en rien contradictoire avec le reste de son œuvre. Elle fait partie de sa veine humaniste. Comme "Elephant man", elle se focalise sur un personnage marginal dont l'humanité bouleverse ceux qui croisent sa route. Ici la marginalité est liée à la mobilité réduite: par l'âge (Alvin a 73 ans et un problème aux hanches qui l'oblige à marcher avec des cannes), par le handicap (mal voyant, il n'a pas le permis de conduire, une "hérésie" dans la société de l'automobile reine), par la pauvreté (qui l'oblige à entreprendre un long voyage en utilisant le système D). La conséquence est une expérience sensorielle unique, celle qui épouse la lenteur d'un homme cheminant sur sa tondeuse à gazon à 5km/heure, une roue sur le bord de la route, l'autre sur le chemin de terre qui la borde sous les yeux sidérés des riverains, tous plus babas les uns que les autres devant le courage et la détermination du vieil homme.

C'est par ce biais que l'apparente simplicité rejoint l'étrangeté si chère à Lynch. Car la lenteur nous est devenue étrangère. Et avec elle la nature, la spiritualité, la liberté, la mythologie, les contes de fée et même l'histoire. L'homme-machine à produire est un homme coupé de son passé et de ses racines, donc de son avenir.

C'est le daim écrasé par la voiture, l'auto-stoppeuse (enceinte, quel symbole!) dédaignée par les automobilistes, ce sont aussi ces sublimes images de moissons dans les champs de blé sous la lumière dorée du soleil qui apparaissent au fur et à mesure qu'Alvin avance. C'est aussi l'attente sous l'abri de la fin de la pluie. Par-delà le film, ce sont les réminiscences qu'il suscite qui en révèlent toute la profondeur. Alvin part de l'Iowa et va jusqu'au Wisconsin en traversant le Mississippi, longtemps frontière entre les USA colonisés et le "Far West". Les pionniers du XIX° siècle parcouraient ces espaces au même rythme qu'Alvin et on se souvient en particulier des mémoires de Laura Ingalls ("La petite maison dans la prairie") où elle raconte la trajectoire de sa famille du Wisconsin à...L'Iowa (via le Kansas et le Minnesota). Est-ce d'ailleurs un hasard si l'acteur (Richard Farnsworth) apparaît dans la série? Dans un tout autre champ de la culture, celui des contes de fée, la comtesse de Ségur écrivit au XIX°siècle "L'histoire de Blondine, Bonne-Biche et Beau-Minon" où parmi les épreuves infligées à l'héroïne il y avait l'obligation d'effectuer le trajet de la forêt jusqu'au château juchée sur le dos d'une tortue (ce qui lui prit 6 mois). Enfin il y a quelque chose de l'ordre des pèlerinages ancestraux dans ce parcours ce qui le rend éminemment spirituel (l'image des étoiles au début et à la fin rapproche le parcours d'Alvin vers l'apaisement et la réconciliation d'avec son frère -son double ou sa moitié- d'une expérience cosmique).

Commenter cet article