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Articles avec #duvivier (julien) tag

Anna Karenine

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1948)

Anna Karenine

Par curiosité, j'ai eu envie de découvrir une autre version du roman de Léon Tolstoï que celle de Clarence BROWN que je connaissais déjà. Celle de Julien DUVIVIER n'est pas déshonorante mais elle m'a parue moins réussie. Déjà on a une impression de redite au début avec le choix identique de mettre en avant le couple Anna-Vronsky au détriment de celui formé par Kitty et Lévine. Ensuite il y a un abus d'effets mélodramatiques avec les épisodes de maladie nerveuse de Kitty puis d'Anna. Et enfin Greta GARBO était plus proche du personnage que Vivien LEIGH qui m'a semblé trop "petite fille capricieuse" pour être à la hauteur des tourments de la jeune femme tiraillée entre son amant et son fils (dont la relation est sacrifiée par rapport à celle de Brown). A moins que ce ne soit le scénario, très confus qui en soit la cause. Entre son mari qui veut divorcer puis qui ne le veut plus (sans être mauvais, Ralph RICHARDSON hésite entre plusieurs attitudes alors que Basil RATHBONE était droit dans ses bottes), Anna qui veut quitter Vronsky (joué par un acteur encore plus fade que celui de la version de 1935) puis qui ne le veut plus, la bonne société qui oscille entre compassion et médisance, le moins que l'on puisse dire, c'est que la progression de l'histoire n'est pas fluide et que les 2h13 sont le fruit de ce refus de trancher dans le vif. Reste la superbe photographie de Henri ALEKAN et une mise en scène qui offre quelques moments inspirés: celle de fin est tout à fait remarquable et Vivien LEIGH pour une fois dans son élément.

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Panique

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1946)

Panique

Il y a comme qui dirait un petit parfum d'expressionnisme allemand dans ce film d'après-guerre réalisé par Julien DUVIVIER d'après le roman de Georges Simenon "Les fiançailles de M. Hire*". Tant sur le fond que sur la forme. La noirceur, le pessimisme, le jeu des ombres sur les murs, le travail de reconstitution d'un quartier en studio mais pas seulement. Le fait de ne pas contextualiser le film alors qu'on ressent profondément le climat délétère lié à l'épuration encore toute proche** établit un lien assez frappant avec celui non moins délétère dans lequel fut tourné "M le Maudit" (1931) (l'agonie de la République de Weimar, la montée du nazisme). D'une certaine manière "Panique" est le résultat du "viol des foules", processus de deshumanisation entamé avec la première guerre mondiale qui priva l'homme de son individualité au profit de la masse avec des procédés de terreur et de persuasion que récupérèrent les régimes totalitaires et qui furent portés à leur plus haut degré de perfection avec la seconde guerre mondiale. Cette disparition de l'individualité au profit du troupeau et de la raison au profit du déchaînement des instincts primaires est au coeur des deux films.

Pourtant de prime abord, le décor (reconstitué en studio comme celui de "M le Maudit") (1931) semble à l'opposé de ceux de l'expressionnisme allemand: une grande place bien dégagée et lumineuse et une fête foraine. Sauf qu'il s'agit d'un espace clôturé de tous les côtés et que les manèges tournent en rond dans un cercle de plus en plus étouffant, de plus en plus infernal au fur et à mesure que le film avance. Pas d'échappatoire possible. Face à la foule déchaînée qui se jette sur lui pour le lyncher, M. Hire (Michel SIMON) se réfugie sur les toits, hors de leur atteinte mais son sort funeste souligne que la seule alternative à cette fange humaine est le ciel, c'est à dire d'au-delà.

Qu'a-t-il donc fait ce M. Hire pour fédérer la haine d'un quartier tout entier? Il a tout du mouton noir qui à la première étincelle se transforme en bouc-émissaire d'une société qui préfère rejeter sur autrui toute la vilenie dont elle s'est rendue coupable pendant la guerre. Dans le film de Julien DUVIVIER il n'est pas mentionné que M. Hire est juif, il est juste solitaire, excentrique, misanthrope et mal aimable et cela suffit à susciter la défiance du boucher qui n'aime pas ses manières rudes ou d'une voisine qui voit des intentions malveillantes dans le fait qu'il offre des cadeaux à sa petite fille (encore une allusion à "M le Maudit" (1931)?) Une étincelle suffit donc pour transformer ce suspect en puissance en coupable idéal à jeter en pâture à la vindicte populaire. L'étincelle, c'est un crime crapuleux resté irrésolu. Ceux qui livrent M. Hire au lynchage sont le véritable criminel, Alfred (Paul BERNARD) et sa maîtresse, Alice (Viviane ROMANCE). Si le premier est un salaud intégral dissimulant sa perversité sous une épaisse couche d'hypocrisie sociale, la seconde est un personnage bien plus intéressant. A la fois bourreau et victime, elle est manipulée par Alfred qui la tient sans doute par pure passion physique (l'homme maudit par ses bas instincts) et a réussi à obtenir d'elle qu'elle se fasse emprisonner à sa place lors d'un précédent larcin (et tout ça, avec le sourire de l'idiote énamourée qui croit vivre le grand amour alors qu'elle se fait avoir jusqu'à l'os). Avec M. Hire, c'est un peu différent. Si elle fait consciencieusement tout ce que son amant lui demande (le séduire, le compromettre, le livrer à la foule etc.), ses sentiments lui indiquent qu'elle fait fausse route et elle se retrouve prise dans une situation inextricable. Car si M. Hire (lui aussi rattrapé par ses bas instincts... et son indécrottable idéalisme romantique) tombe sous son charme et ne voit pas son double jeu, il cerne bien sa personnalité profonde (qui a des similarités avec la sienne), créé une véritable intimité avec elle et veut la sauver, comme elle veut sauver Alfred. Illusions qui les perdront, l'un et l'autre. Le seul à y voir clair dans toute cette comédie (la place ressemble aussi à une agora ou à une scène de théâtre) est le secrétaire du commissaire (Charles DORAT) dont le regard perçant (les cadrages sont admirables, permettant de saisir les moindres nuances d'expressions des personnages ainsi que les non dits dans leurs interactions) et les questions précises démasquent sans difficulté le vernis de bonne conduite sociale d'Alfred, le trouble puis l'accablement d'Alice et enfin, la preuve du véritable coupable que M. Hire avait soigneusement dissimulée comme une bombe à retardement. Le fait que ce soit une photographie est aussi une mise en abyme du film lui-même.

* Nom qui m'a paru familier car même si je ne l'ai pas vu, j'ai beaucoup entendu parler à sa sortie du film de Patrice LECONTE, "Monsieur Hire" (1989), lui aussi adapté du roman de Simenon.

** Viviane Romance, l'interprète d'Alice, avait été incarcérée (mais seulement quelques jours) à la Libération pour avoir fait de la propagande avec d'autres acteurs français en faveur de la collaboration.

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Pépé le Moko

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1937)

Pépé le Moko

Si j'ai des réserves sur certains films de Julien DUVIVIER (relatifs au scénario), ce n'est pas le cas de "Pépé le Moko", film noir à la française génialement transposé dans l'Algérie coloniale. Génialement car avec la Casbah d'Alger, Duvivier a trouvé un équivalent aux quartiers de la pègre des grandes villes américaines, l'exotisme en plus*. Présentée de façon quasi-documentaire au début du film**, la Casbah (la vieille ville arabe située sur les hauteurs d'Alger et cernée par les quartiers européens plus récents) est un dédale urbain de ruelles étroites et emmêlées mal contrôlées par les autorités françaises qui a servi de bastion au FLN pendant la guerre d'indépendance. Il est donc logique qu'à l'époque coloniale, ce quartier ait servi de refuge à tous ceux qui pour une raison ou pour une autre cherchaient à échapper aux autorités. Ce contexte historique très riche se marie avec une topographie, une architecture et une atmosphère unique que Julien Duvivier et son équipe ont parfaitement reconstitué en studio pour narrer un destin indissociable de lui. La virtuosité formelle et la qualité des dialogues de Henri JEANSON sert la limpidité du propos. Car que raconte au fond ce film sinon l'histoire d'un déraciné (un dangereux malfaiteur parisien recherché par la police) qui a trouvé refuge dans la Casbah mais qui s'y sent emprisonné puisqu'il sait qu'il ne peut mettre un pied dehors sans être arrêté. Le film est d'une fatalité implacable: pour lui n'existe aucun échappatoire, aucune planche de salut ici-bas: c'est derrière des barreaux qu'il voit son rêve de liberté et de retour au pays s'envoler. Plus que l'intrigue à la "Scarface" (1931) avec ses truands typés (le jeunot, le grand-père, le gros bras etc.), son flic retors, sa femme fatale et ses indics (Fernand CHARPIN et Marcel DALIO dont les méthodes ne brillent pas par leur subtilité, le premier étant même au centre d'une scène de règlement de comptes impressionnante) c'est la mélancolie du personnage porté par Jean GABIN chantant sa nostalgie du Paris perdu et des autres marginaux qui l'accompagnent (dont une poignante FRÉHEL, chanteuse alors oubliée dans un rôle autobiographique) qui donne toute sa profondeur au film, historiquement "habité".

* Juste retour des choses, "Pépé le Moko" (1937) inspirera quelques années plus tard "Casablanca" (1942).

** Mais pas de façon neutre: dans les années 30, le gouvernement français cherche à convaincre une population métropolitaine relativement indifférente de l'intérêt de son Empire colonial ("la plus grande France"). L'exposition coloniale de 1932 au bois de Vincennes s'inscrit donc dans le même effort propagandiste que "Pépé le Moko" ce qui n'enlève rien à sa valeur historique documentaire.

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Diaboliquement vôtre

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1967)

Diaboliquement vôtre

Un film victime de la mode est un film rapidement démodé. Ayant récemment visionné le premier film de Julien Duvivier, "Haceldama" (1919), j'ai eu envie de voir le dernier "Diaboliquement vôtre", sorti alors que Julien Duvivier venait de décéder au volant de sa voiture. Ironie du sort, le film s'ouvre sur un générique trépidant en caméra subjective censé simuler une vitesse excessive puis un accident de la route. Mais une fois ces premières minutes écoulées, le film s'avère décevant. D'abord et surtout parce qu'il est impersonnel. "Diaboliquement vôtre" est calqué sur ce qui marchait à l'époque, c'est à dire le thriller de machination dérivé (jusque dans le titre!) du film de Henri-George Clouzot, "Les Diaboliques" et de certains thrillers hitchcockiens (en premier lieu "Vertigo"). Mais sans le génie de l'un et de l'autre bien entendu. Car en prime l'intrigue est grossièrement ficelée et la plupart des acteurs ont un jeu trop limité pour s'en dépêtrer honorablement. On est gêné pour la pauvre Senta Berger (engagée pour sa plastique qui permet au spectateur de se rincer l'oeil lorsqu'elle apparaît dans un déshabillé suggestif) censé interpréter l'épouse de l'accidenté amnésique et qui ne sait utiliser qu'un seul registre, celui de l'infantilisation à outrance. Quant on sait que l'accidenté est interprété par un Alain Delon au top de sa virilité féline, lui parler comme à un demeuré ou un enfant de deux ans ne colle pas du tout. Les autres sont encore plus mono-expressifs si possible. Seul Alain Delon crève l'écran (ce qui n'est pas difficile) mais il n'est vraiment pas aidé par le scénario mollasson et convenu. Et lui aussi est employé pour de mauvaises raisons (c'était l'acteur en vogue que tout le monde s'arrachait). Dommage donc que la carrière de Julien Duvivier s'achève sur cette sortie de route qui n'a même pas été un succès commercial.

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Marie-Octobre

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1959)

Marie-Octobre

"Marie-Octobre" repose sur un paradoxe fascinant qui en fait toute sa force: des gens troubles nageant dans des eaux limpides. A la manière d'un jeu de Cluedo, il s'agit d'un huis-clos réunissant onze personnages qui ne sortiront pas de la pièce tant que le "whodunit" ne sera pas résolu. Venus d'horizons très divers et de tempéraments très différents (et faisant penser en cela à un autre huis-clos policier célèbre, celui des "10 petits nègres" de Agatha Christie), tous ces personnages ont en commun d'avoir appartenu quinze ans auparavant à un réseau de Résistance découvert par les allemands ce qui a abouti à la mort de leur chef, Castille. Lorsque la seule femme du groupe les réunit de nouveau à l'occasion d'un dîner, c'est pour leur annoncer qu'elle a appris qu'ils avaient été vendus par l'un des leurs. Dès lors, le vers est dans le fruit, le huis-clos agit à plein avivé par la mise en scène de Julien DUVIVIER qui agit comme un étau et la tension se fait de plus en plus forte jusqu'à la découverte du coupable qui non content d'être un traître s'avère aussi avoir volé l'organisation et assassiné Castille. On découvre au passage les zones d'ombres de chacun des personnages, que ce soit un passé fasciste, des secrets et des mensonges ou encore des erreurs inavouables. Les personnages forment un panel représentatif de la société (industriels, médecins, magistrats, commerçants, ouvriers et même ex-truand reconverti dans le business érotique) interprétés par un panel tout aussi représentatif des acteurs français de cette époque (Danielle DARRIEUX, Paul MEURISSE, Lino VENTURA, Bernard BLIER, Serge REGGIANI, Paul FRANKEUR, Robert DALBAN ou encore Noël ROQUEVERT).

Bien que très différent par son contexte et dans sa forme de "La Belle Équipe" (1936), je trouve que "Marie-Octobre" lui ressemble beaucoup. Soit une petite communauté masculine autrefois réunie autour d'un bel idéal mais qui finit "façon puzzle" par la faute d'une femme. Pas seulement parce que c'est elle qui a découvert qu'ils avaient été trahis et qui lance les hostilités mais parce que les causes de cette trahison remontent jusqu'à elle. Avec un peu de mauvaise foi, on pourrait même la juger coupable de tout tant il est facile de rejeter la responsabilité de ce qui s'avère être un "crime passionnel" sur elle. C'est d'ailleurs elle qui finit par endosser le crime envisagé par le groupe. La noirceur de Julien DUVIVIER est, il faut le dire, teintée d'une misogynie toute biblique. Il fait de la femme celle dont l'altérité détruit l'harmonie de l'entre-soi masculin. C'est la faute à Eve si les hommes ont été chassés du paradis. Autrement dit lui aussi est paradoxal en faisant des films aux idéaux progressistes mais aux ressorts réactionnaires.

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Poil de Carotte

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1925)

Poil de Carotte

Comme Alfred HITCHCOCK ou Leo McCAREY, Julien DUVIVIER a fait un remake de l'une de ses propres oeuvres tenant compte des différentes révolutions technologiques du cinéma. C'est pourquoi il existe deux versions de son adaptation du roman de Jules Renard, l'une muette et l'autre parlante datant de 1932. Julien DUVIVIER aurait même souhaité réaliser une troisième version, en couleur cette fois mais cela ne s'est pas concrétisé.

"Poil de Carotte" est en effet une oeuvre qui lui tenait à coeur, dans laquelle il se retrouvait et dont il a réalisé une version muette aussi brillante que sensible. Je ne sais pas si c'est comme cela s'est dit son meilleur film muet (j'aime beaucoup "Au bonheur des dames" (1930) aussi). Ce qui est sûr, c'est qu'il s'est approprié le roman à épisodes de Jules Renard et en a fait quelque chose d'intime. Le fait d'avoir déplacé l'intrigue dans les Alpes fait encore mieux ressortir le caractère étouffant de la vie chez les Lepic. Car le film dépeint avant tout une famille dysfonctionnelle, définie dès le début du film par la phrase lapidaire qu'écrit François surnommé Poil de Carotte "ce sont des personnes qui vivent sous le même toit mais ne peuvent pas se sentir". De fait l'ambiance est lourde chez les Lepic entre un père démissionnaire retranché derrière ses journaux et une mère tyrannique, cancanière et hypocrite qui vénère son fils aîné, menteur, voleur et sournois et persécute le plus jeune qui au contraire est plein de joie de vivre et de sensibilité. Julien DUVIVIER utilise un langage cinématographique saisissant pour montrer la subjectivité de deux êtres en souffrance dans leur propre foyer: le père et son plus jeune fils. Les premières scènes montrent le bavardage incessant de Mme Lepic et des autres commères du village comme un supplice pour M. Lepic à l'aide de gros plans, de surimpressions et de duplications du visage ou seulement de la bouche de Mme Lepic. Ces mêmes procédés permettent de faire ressentir l'emprise qu'elle a sur son fils qui sent son regard sur lui même quand il dort. Progressivement, sous l'effet des brimades sadiques de Mme Lepic et de l'indifférence des autres hormis la servante de la maison, on voit François s'étioler et finir par envisager divers moyens pour se supprimer. Parallèlement, Julien DUVIVIER instaure un suspense autour de la relation père/fils. Parviendront-ils à se rencontrer, à communiquer avant qu'il ne soit trop tard? Question présente dans le roman mais dans laquelle Julien DUVIVIER rejoue sa propre histoire. M. Lepic n'est pas doué pour exprimer ses sentiments et a projeté sa propre indifférence (et sa propre bêtise émotionnelle) sur son fils qu'il pense débile et insensible. Il est donc tenté par l'évasion dans une carrière politique municipale plus prompte à flatter son ego avant que son irresponsabilité en tant que père ne lui revienne en pleine figure telle un boomerang. André Heuze qui joue Poil de Carotte est confondant de naturel et ultra charismatique, on ne peut que s'attacher à son personnage d'enfant meurtri qui paye le seul fait d'être né. Et on mesure combien l'évolution des moeurs (et des outils de maîtrise de la fécondité) ont permis de réduire le douloureux sort des enfants non désirés.

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La Belle Equipe

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1936)

La Belle Equipe

"La Belle Equipe", quel film pétri de contradictions! On a dit qu'il était emblématique d'une époque ce qui est vrai mais cette époque n'est pas simplement celle du Front Populaire, c'est celle du Paris des années 30. Un Paris populaire disparu où comme dans "Hôtel du Nord" (1938) on peut entendre "jacter" l'argot des années 30 prononcé par des acteurs à la gouaille inimitable. En tête de liste, Jean GABIN qui accédait alors au statut de star grâce à Julien DUVIVIER irradie le film de son charisme. Le film est donc aussi intéressant sur un plan historique que sur un plan ethnologique. Il met en scène des ouvriers au chômage dans le contexte de la crise des années 30 qui par un heureux hasard touchent un pactole qui va leur permettre d'oeuvrer à améliorer le sort de la collectivité. Les dimanches à prendre le vert dans les guinguettes de banlieue au son de l'accordéon prennent un caractère euphorique qui annonce les congés payés, symbolisés par l'irrésistible chanson "Quand on se promène au bord de l'eau" chanté par un Jean GABIN dansant et irrésistible en-enchanteur. La mise en scène très fluide de Julien DUVIVIER accompagne le mouvement.

Pourtant d'un bout à l'autre du film, celui-ci contient sa propre négation. Le premier réflexe des amis de Jean face à leur gain est individualiste et c'est ce dernier qui leur propose un projet collectif. Projet qui en dépit de belles scènes de solidarité est sans cesse mis à mal par des causes extérieures mais encore plus par l'attitude autodestructrice des ouvriers. Les causes extérieures ne sont d'ailleurs pas les plus graves: les dégâts de l'orage sont surmontés et l'expulsion de Mario (Rafael MEDINA) qui rappelle la politique migratoire restrictive de la France en crise l'est aussi, la bonhommie du gendarme (Fernand CHARPIN) venant combler le vide. En revanche, on découvre peu à peu comment Mario, Raymond et Jacques en s'endettant ont hypothéqué l'entreprise tenue à bout de bras par Jean et Charles (Charles VANEL). Leur disparition est donc somme toute, logique d'autant que Jacques convoitait la fiancée de Mario, Huguette (Micheline CHEIREL). Mais c'est une autre femme qui menace l'édifice, Gina (Viviane ROMANCE) qui sème la discorde entre Jean et Charles (qui a d'ailleurs piqué dans la caisse pour elle). Par-delà le prisme d'un cinéma d'époque riche en garces manipulant de pauvres types incapables de leur résister*, on peut réunir toutes ces passions égoïstes dans un même sac, celui qui condamne l'esprit d'équipe à rester "une belle idée". Si la fin pessimiste voulue par Julien DUVIVIER n'est pas crédible (elle est même grotesque), le message qu'elle véhicule est bien plus lucide que celui de la fin optimiste voulue par les studios embrassant une utopie.

* On peut analyser cette misogynie chronique comme une peur de l'émancipation féminine qui avait progressé dans l'entre-deux-guerres. Ou bien comme une conséquence du patriarcat, les dominants ayant toujours tendance à renverser les rôles de façon paranoïaque (on retrouve le même réflexe concernant l'antisémitisme et aussi les enfants, longtemps considérés comme des petits monstres à éduquer plutôt que comme de potentielles victimes).

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Haceldama ou le prix du sang

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1919)

Haceldama ou le prix du sang

"Haceldama ou le prix du sang" est le premier film de Julien DUVIVIER (alors âgé de 22 ans et ancien assistant entre autre de Louis FEUILLADE et Marcel L HERBIER) qui en est l'auteur complet (réalisateur, scénariste, producteur et monteur). C'est aussi le premier long-métrage de fiction français tourné dans le Limousin. Catalogué comme un western made in France en raison de nombreux emprunts au genre venu des USA et qui faisait alors fureur dans l'hexagone (cow-boy, cheval, revolver braqué face caméra, plans panoramiques sur de grands espaces naturels magnifiés, bagarres au corps à corps), le film se situe en réalité au carrefour de plusieurs genres. On y décèle l'influence du film d'aventures, du film religieux (Haceldama, "le champ du sang" est le mont où Judas Iscariote se pendit d'après l'Evangile selon Saint-Jean), du film fantastique et surtout du mélodrame familial avec de nombreux gros plans figés très théâtraux dans des intérieurs bourgeois et un jeu outrancier formant un contraste avec les codes du western (plans larges en extérieur, jeu naturel, scènes d'action donnant la possibilité au corps de déployer ses possibilités). Ces hésitations sur le genre du film recoupent un scénario confus mêlant plusieurs intrigues seulement esquissées (une histoire de vengeance, une histoire d'amour, une histoire de rédemption, une histoire de trahison) menant toutes au personnage du patriarche ( SÉVERIN-MARS, extrêmement charismatique). Mais si le scénario est bancal, la mise en scène, le choix de décors extérieurs plus majestueux les uns que les autres (dont beaucoup ont disparu aujourd'hui sous les aménagements, la région étant plus sauvage qu'aujourd'hui) et la photographie sont remarquables. Certains passages (la fin notamment) n'ont rien à envier aux meilleurs westerns américains.

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Au Bonheur des Dames

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1930)

Au Bonheur des Dames

Merci à Arte de proposer autant de pépites en matière de films muets. Il s'agit de la première adaptation du célèbre roman d'Emile Zola (par ailleurs le premier que j'ai lu et mon préféré) par Julien DUVIVIER. Le film ne fut pas un succès à sa sortie parce qu'en 1930, le muet était déjà supplanté par le parlant et qu'il se retrouva donc avec un handicap insurmontable en dépit d'une tentative pour le sonoriser à la hâte.

Toujours est-il que la puissance expressive de ce film impressionne. L'histoire, transposée à l'époque du tournage c'est à dire l'entre deux guerres conserve évidemment toute sa pertinence, toute sa modernité. Le duel entre les petits commerces et les grandes surfaces en France date du second Empire avec l'ouverture des premiers grands magasins (Le Bon Marché dont s'est inspiré Zola, Le Printemps) mais Julien DUVIVIER choisit de tourner aux Galeries Lafayette, inaugurées quarante ans plus tard et dont l'architecture art déco monumentale s'accorde avec l'époque du film. Les séquences filmées dans le magasin sont virtuoses, on est immergé grâce à une caméra très mobile dans un immense paquebot façon Titanic avec ses foules de clients (et surtout de clientes) avides de consommation mais aussi ses hordes innombrables d'employé(e)s que l'on voit s'activer dans les coulisses, notamment au moment du déjeuner. Il traduit d'une manière visuellement époustouflante, expressionniste le combat perdu d'avance de la misérable boutique de l'oncle de Denise qui se fait peu à peu encercler et étrangler par le temple pharaonique de la consommation de Octave Mouret dont les ambitions hégémoniques se traduisent comme aux USA par des économies d'échelle lui permettant de racheter ses concurrents et de tendre au monopole. Enfin il réussit à admirablement tricoter les enjeux économiques, sociétaux et urbanistiques avec des scènes intimistes très fortes, un peu comme Charles CHAPLIN avec "Les Temps modernes" (1936). Dès la première scène, il utilise au mieux le montage alterné pour plonger Denise (Dita PARLO) dans le gigantisme de la jungle urbaine sans jamais quitter son beau regard innocent et quelque peu perdu. Denise qui doit affronter la malveillance de certains de ses collègues, la concupiscence du contremaître et dont le seul allié s'avère être aussi d'une certaine façon son pire ennemi puisqu'il est responsable de la déchéance de sa famille. Octave Mouret (Pierre de GUINGAND) n'est pas moins dual que Denise, entre d'un côté son ambition dévorante de grand magnat insolent à qui tout réussit et que rien n'arrête et de l'autre son besoin de plus en plus évident au fur et à mesure du film de donner une âme à son entreprise et un sens à sa vie, au risque de tout anéantir. Le fait que les contradictions de Mouret l'emmènent vers sa propre destruction est d'ailleurs très bien mis en évidence par Duvivier puisque l'intégrité de Denise mais aussi le geste fou de son oncle acculé à la ruine menace directement son empire dont on mesure l'évidente fragilité. On sent là à la différence de Zola qui écrivait à une époque de croissance triomphante l'influence de la crise des années 30 qui démontrait que ce capitalisme sauvage tendait vers sa propre destruction.

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La Fête à Henriette

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1952)

La Fête à Henriette

"La fête à Henriette" est un exercice de style ludique et original pour l'époque puisqu'il s'agit de montrer le film de la création d'un film. Cette mise en abyme permet de jouer sur deux niveaux: celui des créateurs (les deux scénaristes) et celui de leur créature (le film en train de se faire avec des ratures, diverses pistes scénaristiques, divers styles etc.) "La fête à Henriette" est surtout un bel hommage au cinéma. Beaucoup de critiques pensent que les deux scénaristes au tempérament opposé représentent Julien DUVIVIER et son scénariste Henri JEANSON avec lequel il était souvent en conflit. Mais ils pourraient tout aussi bien représenter deux facettes du même homme (le réalisateur ou le scénariste), l'une légère, joyeuse et réaliste, l'autre plus portée sur le rocambolesque et le drame. Leur confrontation permet au work in progress de passer facilement d'un genre à un autre. Tantôt on navigue au beau milieu d'un film de René CLAIR (le bal du 14 juillet), tantôt on est chez Marcel CARNÉ et Jacques PRÉVERT (avec le personnage du voyant aveugle), tantôt on se retrouve chez Jean RENOIR (avec deux acteurs de "La Règle du jeu" (1939), Paulette DUBOST et Julien CARETTE), tantôt on bascule dans le film noir avec une foultitude de cadres penchés qui ne sont pas sans rappeler les films de Orson WELLES et une ambiance de thriller très hitchcockienne. Julien DUVIVIER s'amuse à faire lire à son double les faits divers d'un journal en quête d'une idée de scénario. Peu clairvoyant, il repousse tour à tour le pitch du "Voleur de bicyclette" (1948) et du "Petit monde de Don Camillo (1952).

Reste que ce genre d'exercice trouve ses limites dans le fait que le procédé s'il est amusant au début finit par tourner à la mécanique répétitive un peu vaine. Car l'histoire racontée est au final d'une grande vacuité. Les remakes volontaires ou non du film tels que "Deux têtes folles" (1963) ou "Melinda et Melinda" (2005) souffrent d'ailleurs du même défaut. Enfin pour l'anecdote, l'un des personnages principaux, Robert est joué par Michel ROUX alors tout jeune mais dont la célèbre voix (celle de Tony CURTIS notamment en VF dans la série "Amicalement vôtre (1971)") est parfaitement reconnaissable.

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