L'Age des possibles
Pascale Ferran (1995)
Invisible depuis des années (j'avais cherché en vain à le revoir à la sortie de "Lady Chatterley" en 2006), le deuxième film de Pascale Ferran est enfin rediffusé sur Arte qui l'avait co-produit. C'est l'occasion de le faire découvrir à une nouvelle génération qui peut y trouver des résonances actuelles d'autant que le film a gardé toute sa fraîcheur.
"L'Age des possibles" est à l'origine un film de commande que Pascale Ferran avait été chargée de réaliser pour le théâtre national de Strasbourg dans le but de lancer la carrière de dix élèves de sa promotion. Inspiré de ses souvenirs personnels mais également de la vie des jeunes comédiens, ce film traite donc l'entrée dans l'âge adulte, de ce moment, à la croisée des chemins où il faut faire des choix, amoureux et professionnels qui conditionneront sinon le reste de la vie, du moins l'orienteront et ce dans un monde de plus en plus incertain, ce qui est très bien résumé par cet extrait:
"Aujourd'hui, tout le monde a peur.
De ne pas trouver de travail, de perdre son travail,
de mettre des enfants au monde dans un monde qui a peur,
de ne pas avoir d'enfant à temps.
Peur de s'engager, d'attraper une maladie,
de passer à côté de la vie, d'aimer trop, ou trop peu, ou mal, ou pas du tout.
La peur est partout et partout provoque des catastrophes.
Elle s'autoalimente. Qui a peur aujourd'hui aura peur davantage demain.
La première chose à faire, le seul but à atteindre : tuer la peur qui est en nous."
Chaque personnage, dont le prénom commence par une lettre de l'alphabet (A comme Agnès, B comme Béatrice, C comme Catherine, D comme Denise etc. et ce jusqu'à J comme Jacques, le dixième personnage) représente une variante de la difficulté à passer ce cap. Il y a ceux ou celles qui temporisent avec un job alimentaire et un partenaire qui ne veut pas s'engager. Ceux ou celles qui vivotent dans une adolescence prolongée. Ceux ou celles qui multiplient des expériences. Ceux ou celles qui dépriment etc. Ces trajectoires sont liées les unes aux autres puisque les différents personnages ne cessent de se croiser, qu'ils soient camarades de promotion (comme dans la réalité), collègues de petits boulots, sondés et sondeurs, colocataires, amis, amants de passage ou en couple avant de tous se retrouver à une soirée rythmée par la chanson de Michel Legrand, "rêves secrets d'un prince et d'une princesse" extraite de "Peau d'âne" d'un des maîtres des jeux de l'amour et du hasard, Jacques Demy. La chanson française en tant que marqueur de l'époque occupe d'ailleurs une place très importante dans un film qui compte tenu de son thème est avant tout choral, qu'elle soit enregistrée ou chantée par les personnages (on entend notamment Cabrel, Souchon, Nougaro, les Rita Mitsouko, MC Solaar, Alain Bashung, Khaled etc.)