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Un vrai crime d'amour (Delitto d'amore)

Publié le par Rosalie210

Luigi Comencini (1974)

Un vrai crime d'amour (Delitto d'amore)

"Un vrai crime d'amour" m'a fait penser à deux autres films sur le monde prolétarien: "Les Camarades" (1963) de Mario MONICELLI qui racontait le soulèvement d'ouvriers turinois contre l'usine qui les exploitait jusqu'à la mort à la fin du XIX° siècle et "Elise ou la vraie vie" (1970) dans lequel une jeune ouvrière s'éprenait d'un immigré algérien OS dans une usine automobile de la région parisienne pendant la guerre d'Algérie. L'usine de "Un vrai crime d'amour" située dans la même région que celle de "Les Camarades" (1963) lui ressemble en tous points alors que près d'un siècle est censé séparer les événements racontés dans les deux films. Les ouvriers travaillant à la chaîne y sont tout aussi exploités à ceci près que la maltraitance dans "Un crime d'amour" est plus insidieuse et plus actuelle. Le réalisateur, Luigi COMENCINI met en effet l'accent sur l'oppression des femmes et de la nature qui s'incarnent dans le corps de Carmela (Stefania SANDRELLI). Celle-ci d'origine sicilienne vit dans un taudis qui n'est pas sans rappeler celui de "Affreux, sales et méchants" (1976). "Les Camarades" montraient déjà que les siciliens étaient des parias, rejetés par les italiens du nord se considérant comme plus civilisés. Dans "Un vrai crime d'amour", ils sont qualifiés de "bouseux" vivant dans la crasse et la misère. Bien que Carmela soit sous l'emprise du catholicisme et du patriarcat de son milieu d'origine, elle est attirée justement par un italien du nord, Nullo (Giuliano GEMMA) qui est ouvrier dans la même usine mais athée, anarchiste et dont la famille vit dans un appartement moderne dans un grand ensemble, à l'image de ce qui se passait à la même époque en France où les ouvriers de souche étaient logés décemment les premiers alors que les immigrés les plus récents n'avaient pu quitter les bidonvilles qu'à la fin des années 70. Leur histoire d'amour, clandestine et compliquée en raison des tiraillements intérieurs de Carmela (symbolisés notamment par ses multiples couches de vêtements qui font obstacle à son amour pour Nullo à la manière de "Le Déshabillage impossible") (1900) mais aussi par le machisme ambiant (des regards libidineux sur son corps dans un monde extérieur régi par les hommes) s'inscrit dans un monde sinistré socialement et écologiquement. Dans une scène frappante, les deux amoureux se déchirent au bord d'une rivière affreusement polluée et dont les berges sont transformées en décharge publique. La toxicité de l'ensemble ne fait aucun doute lorsque le réalisateur s'attarde sur de nombreux petits oiseaux morts à une époque où personne ou presque ne s'en préoccupait*. Mais la scène a aussi une portée symbolique. En se privant du lait distribué par l'usine afin de le donner à ses petits frères, Carmela expose dangereusement son corps aux substances nocives alors même que la mort des fleurs entourant l'usine annonce le pire. L'ironie de l'histoire est qu'il faudra en arriver à la tragédie (comme dans "Romeo et Juliette") pour que les deux familles se rencontrent et que l'amour de Nullo et Carmela puisse se révéler au grand jour. Une tragédie annoncée dès les premiers plans qui reviennent à la fin, inscrivant la trajectoire individuelle dans un drame collectif annonciateur de lendemains rouge sang.

* Il y a quand même un film important qui tirait déjà la sonnette d'alarme à cette époque et que l'on redécouvre aujourd'hui: "Soleil vert" (1973).

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