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Le Lys brisé (Broken Blossoms)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1919)

Le Lys brisé (Broken Blossoms)

"Le Lys brisé" a tout juste un siècle. Et pourtant en dépit de son pathos quelque peu obsolète, il est encore bien d'actualité. S'y pose en effet la question de la représentation des minorités ethniques au cinéma ainsi que celle de la maltraitance infantile.

Le fait de choisir des acteurs occidentaux pour jouer les personnages noirs et asiatiques remonte aux origines d'Hollywood et se perpétue de nos jours sous des formes plus ou moins hypocrites (par exemples des personnages décrits comme noirs, indiens, asiatiques ou métis dans les romans, comics ou mangas sont incarnés par des blancs à l'écran). C'est ce que l'on appelle le "whitewashing" ou le "racebending". Dans "Naissance d une Nation" (1915), les noirs sont joués par des blancs grimés et il en va de même des chinois dans "Le Lys brisé". Richard BARTHELMESS est certes excellent mais là n'est pas le problème. Le problème est celui de l'invisibilité de ces minorités ainsi "blanchies" et caricaturées par cette forme de censure déguisée. De plus cela signifie que pour que le public américain adhère au discours lénifiant de D.W. GRIFFITH sur la grandeur d'âme de "l'homme jaune" il ne suffit pas que l'homme blanc, Battling Buttler (Donald CRISP) soit très méchant, il faut que l'homme jaune n'en soit pas vraiment un. Quant au métissage que l'Amérique profonde a en horreur, il est tout aussi prohibé dans "Le Lys brisé" qu'il ne l'était dans "Naissance d une Nation" (1915). Cheng n'a le choix qu'entre la chasteté, le viol ou le suicide, le geste d'auto-défense de Lucy montrant qu'elle ne se laissera jamais approcher par un non-blanc et que rien n'a évolué depuis "Naissance d une Nation" (1915). C'est pourquoi quand je lis encore aujourd'hui des critiques qui affirment que "Le Lys brisé" est un film anti-raciste j'ai envie de rire...jaune.

La maltraitance des enfants par leurs parents qui est au cœur du film n'a pas du tout disparu. Rien qu'en France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents. Un problème beaucoup moins médiatisé que celui des femmes car celles-ci en tant qu'adultes autonomes ont aujourd'hui les moyens de se faire entendre contrairement aux enfants qui restent sans voix dans un monde qui n'est pas fait pour eux. Le martyre de Lucy met donc en lumière le triste sort des enfants non désirés (que certains s'acharnent cependant toujours à vouloir faire venir au monde à tout prix) avec toute la force de frappe de l'expressivité du muet, de la maîtrise cinématographique de D.W. GRIFFITH et de la bouleversante interprétation de Lillian GISH. Comme Emil JANNINGS dans "Le Dernier des hommes (1924)" son frêle corps est ployé par le poids de sa souffrance et son visage crispé et terrifié devant son père semble prématurément vieilli comme celui des enfants-cobayes de "Akira" (1988). Cela ne rend que plus effrayant encore ses sourires forcés qu'elle se compose avec les doigts. De toute manière chaque face à face avec son père est un moment de tension brute qui flirte avec le film d'épouvante. La scène du cagibi dont la porte est défoncée à coups de hache par le père a d'ailleurs servi de modèle à Stanley KUBRICK pour "Shining" (1980). Cette scène est plus parlante que celles du même genre qui ont pu être tournées par la suite avec le son. L'intensité des cris de Lillian GISH était telle pendant le tournage que ceux qui les entendaient avaient bien du mal à ne pas courir à son secours. Et lorsque l'on voit ce visage déformé par la terreur la plus brute, on a pas besoin d'entendre les cris pour comprendre pourquoi.

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