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Lacombe Lucien

Publié le par Rosalie210

Louis Malle (1974)

Lacombe Lucien

"Lacombe Lucien" fait partie de ces films des années 70 qui contribuèrent à réveiller la mémoire juive et la mémoire du régime de Vichy occultées par le mythe de la France résistante du général de Gaulle. Il y avait urgence. Le négationnisme prospérait sur ce silence, entretenu par les anciens collaborateurs ("A Auschwitz on a gazé que des poux" disait Louis Darquier de Pellepoix en 1978) tandis que Pompidou amnistiait le milicien Paul Touvier en 1971.

"Lacombe Lucien" fit scandale à sa sortie et aujourd'hui encore, il est entouré d'une aura sulfureuse qui entrave la vision objective du film. Dès qu'un auteur ou un réalisateur tente de comprendre la "banalité du mal", il est accusé de complaisance voire de complicité. Le réalisme et la finesse avec laquelle Louis MALLE questionne les agissements de son héros font peur car ils ouvre une brèche dans les abysses humaines que la plupart ne veulent pas voir. Ils préfèrent être rassurés par des histoires bien manichéennes dans lesquelles le bien et le mal sont clairement identifiés avec une belle catharsis où le bien l'emporte et où le mal est châtié. Or c'est cette vision simpliste qui conduit au fascisme (tant il est facile ainsi de construire un bouc-émissaire accablé de tous les maux) et non celle que dépeint Louis Malle.

Lucien (Pierre BLAISE) est un personnage qui dépasse largement le contexte historique et géographique du film. Il peut s'appliquer à nombre de jeunes paumés qui se font enrégimenter par les systèmes totalitaires d'hier (nazisme, communisme) et d'aujourd'hui (Daech). Lucien est en effet un candidat idéal:

-Il est sans éducation, par conséquent il ne comprend pas les enjeux qui le dépassent, agit et raisonne bêtement ce qui le rend très facilement manipulable.

-Il est privé de père (qui est prisonnier de guerre), sa mère couche avec le patron pour qui il est un intrus. Il n'a donc ni foyer, ni repère moral.

-Son boulot de déclassé consiste à nettoyer et vider les pots de chambre d'un hospice.

-Les humiliations et rejets cumulés font de lui une boule de frustrations et de rage prête à exploser comme on peut le constater dans son attitude envers les plus faibles que lui (il passe sa colère sur les animaux).

-Son engagement n'est pas politique mais social. Il se lie avec ceux qui lui apportent de la reconnaissance, du respect, du pouvoir, un statut, sans questionner la nature de leurs agissements ni leur nature tout court. Ce qui fait de lui un opportuniste sans scrupules, notamment lorsqu'il largue une serveuse antisémite (Cécile Ricard) pour une juive bourgeoise (Aurore CLÉMENT) qui ne l'aurait même pas regardé dans d'autres circonstances. L'erreur de l'instituteur résistant à qui il propose d'abord ses services est de l'avoir méprisé. Erreur réitérée de la part d'un autre résistant qui tente de le faire changer de bord mais en le tutoyant. Un minimum de connaissance de la nature humaine aurait pu les éclairer. Malle avait en tête un texte de Jean Genet extrait de "Pompes funèbres" décrivant une France terrifiée durant l'occupation par des gosses de 16 à 20 ans jouant au petit chef (dans la milice ou comme Lucien, dans les forces supplétives de la Gestapo). Mais ce phénomène de revanche sociale et générationnelle se retrouve tout aussi bien dans les dictatures d'extrême-gauche, sous le régime des khmers rouges par exemple, pour la plupart de jeunes paysans prenant sur revanche sur les citadins, les bourgeois, les intellectuels.

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