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Loving

Publié le par Rosalie210

Jeff Nichols (2016)

Loving

Loving commence comme une chronique quasi-documentaire du quotidien d'une petite communauté vivant dans l'Etat de Virginie en 1958. On travaille, on fait des courses de vitesse, on va boire et danser, on fait des projets. Bref, rien que de très banal s'il n'y avait pas des éléments perturbateurs. A commencer par les paysages campagnards de Virginie nimbés dans leur magnifique lumière et le son des grillons. Ces paysages représentent les racines. Ils sont filmés avec insistance comme témoins de ce qui se joue dans le film. D'accueillants, ils peuvent se transformer en un clin d'œil en sourde menace tout comme dans "Take Shelter", l'un des précédents films de Jeff Nichols. Une source menace qui créé une tension palpable durant tout le film et invalide l'interprétation de ceux qui n'y voient qu'une histoire à l'eau de rose.

Ce qui se joue dans ces paysages est révélé dès la première phrase du film "Je suis enceinte". D'où le deuxième élément perturbateur, la présence de Richard, un blanc, au milieu des noirs. Richard est le père du bébé à naître et feint d'ignorer le troisième élément perturbateur: les regards désapprobateurs posés sur lui et sur Mildred, sa compagne noire. Mildred, plus lucide que Richard sur ce qui les attend réagit avec anxiété lorsqu'il lui annonce qu'il a acheté un terrain et va leur construire une maison. Tant qu'ils vivaient ensemble en concubinage, couverts par leurs familles, leur couple était plus ou moins toléré. A partir du moment où Richard épouse Mildred dans un Etat voisin avant de revenir en Virginie, il franchit une ligne rouge invisible. Celle de la loi sur la pureté du sang promulguée en 1924 qui interdit les mariages interraciaux en Virginie. Le couple est donc persécuté pour ce qu'il représente de menace aux yeux des ségrégationnistes blancs qui brandissent en guise de justification l'interprétation erronée d'un passage de la Genèse et des doctrines raciales inspirées du règne animal.

Richard et Mildred vivent un véritable chemin de croix. Ils sont arrêtés en pleine nuit, emprisonnés, condamnés à une peine de prison auquel il ne peuvent se soustraire qu'en étant bannis de l'Etat. Les familles et amis adressent des reproches à Richard comme s'il était fautif, l'un d'entre eux lui demandant pourquoi il ne divorce pas. Mais toutes ces pressions se heurtent au mur du bien nommé Loving. Richard, bâti comme un roc taiseux impénétrable qui sait au plus profond de lui-même que la loi est injuste et qu'il ne fait rien de mal encaisse et souffre en silence. Mais à aucun moment il ne fait porter le poids des épreuves sur sa femme qu'au contraire il protège avec amour (d'où le surnom affectueux qu'il lui donne, brindille). Mildred, timide mais moins fataliste ne supporte pas l'exil. Elle choisit de retourner clandestinement en Virginie avec Richard et de se battre. Un combat judiciaire qui remontera jusqu'à la Cour suprême laquelle fera invalider les lois interdisant les mariages mixtes et le métissage à l'échelle de l'Union en 1967 dans le contexte de la lutte pour les droits civiques. La force de l'arrêt résidant autant dans son contenu que dans la symbolique des patronymes: Loving versus Virginia, la plus grande des forces humaines portant l'estocade à une Virginie virginale fantasmatique obsédée par la peur inepte de la "souillure" raciale.

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