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Les Pires

Publié le par Rosalie210

Lise Akoka et Romane Gueret (2022)

Les Pires

"Les Pires" est un premier film original et d'une brûlante actualité. Qualifié de "La Nuit americaine" (1973) du pauvre, il raconte l'histoire d'un tournage dans une cité défavorisée de Boulogne-Sur-Mer, la cité Picasso. Boulogne-Sur-Mer, toute proche de la ville de M. Madeleine et de la déchéance de Fantine dans "Les Misérables", cela fait aussi penser au film éponyme de Ladj LY tourné dans un autre épicentre du roman de Victor Hugo, Montfermeil qui s'interrogeait déjà sur le pouvoir de la caméra pour renverser les rapports d'oppression. Mais avec un angle bien différent. Pour leur premier film, les réalisatrices Lise AKOKA et Romane GUERET font preuve d'une grande intelligence en faisant une critique acérée des dérives de réalisateurs en quête de sensationnalisme et d'images choc au point d'en oublier toute éthique. A l'heure où l'on interroge de plus en plus ouvertement les abus des réalisateurs lors des tournages longtemps couverts par le droit de tout faire au nom de l'art, le film montre que cela ne concerne pas seulement la prédation sexuelle. La misère sociale et le voyeurisme qu'elle peut susciter est au coeur du film. On y voit un réalisateur flamand que l'on peut considérer comme un avatar de Bruno DUMONT ou des frères Jean-Pierre DARDENNE et Luc DARDENNE filmer plein cadre les parties les plus dégradées des barres de la cité, concocter un scénario qui semble être un pastiche de celui de "Sheherazade" (2018), caster les "pires cas sociaux" comme le fait finement remarquer l'une des recrues, la jeune Maylis qui oppose la muraille de son visage indéchiffrable et la rareté de sa parole à la caméra intrusive du réalisateur. Un choix qui d'ailleurs révolte également les habitants de la cité qui se retrouvent confrontés à une image dégradante d'eux-mêmes ce qui anéantit au passage les efforts des travailleurs sociaux pour les sortir du ghetto. Mais l'aspect le plus sensible de cette critique porte sur les manipulations du réalisateur sur ses acteurs amateurs, en particulier le plus jeune et vulnérable d'entre eux, le petit Ryan (joué avec beaucoup de présence par Timéo Mahaut). Alors que celui-ci est pris en charge pour apprendre à canaliser ses colères incontrôlables, le réalisateur qui connaît les paroles susceptibles de les déclencher les souffle aux autres petits garçons du groupe qu'il filme après leur avoir dit en plus de s'insulter avec leurs propres mots. Le tout dans le but d'extorquer à l'enfant quelques plans bien obscènes. Même comportement envers les adolescents dont il veut tirer une scène d'amour. Si la jeune Lily (Mallory WANECQUE qui crève l'écran et semble bien partie pour faire carrière) affamée d'affection et dévorée par les écrans se laisse prendre à ce jeu de miroirs, Jessy (Loïc Pech) ne supporte pas d'être traité comme un bout de viande et le fait vite savoir. Bref de quoi nourrir une réflexion salutaire.

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