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Quartier lointain

Publié le par Rosalie210

Sam Gabarski (2010)

Quartier lointain

En 1967, le cinéaste japonais Shôhei IMAMURA réalise " L'Évaporation de l'homme" (1968), un documentaire consacré à un johatsu, c'est à dire un homme qui choisit de disparaître comme 100 mille japonais chaque année (selon l'enquête de Stéphane Remael consacré aux "Evaporés du Japon" parue en 2014). Il y a en effet une spécificité japonaise de la disparition volontaire (tout comme le suicide) liée aux rigidités de la vie sociale à laquelle certains préfèrent se soustraire. Il existe même à Tokyo ou à Osaka des quartiers spécifiques qui accueillent les johatsu et les aident à refaire leur vie, une possibilité liée au fait que le système d'adressage japonais est si compliqué que même les japonais non familiers des lieux s'y perdent (ne parlons même pas d'un occidental pour qui c'est un véritable enfer). Les quartiers-ghettos sont ainsi tout simplement introuvables puisqu'ils sont si repliés sur eux-mêmes qu'on ne les trouve pas sur les cartes.

Ce contexte particulier faisait que la transposition de "Quartier Lointain", le célèbre manga de Jiro Taniguchi dans un contexte franco-français tenait de la gageure. Pour rappel, il s'agit de l'histoire d'un père de famille de 48 ans qui s'évapore en faisant un voyage spatio-temporel. Ce voyage lui permet de revivre un moment clé de son adolescence, celui où son père a lui-même disparu sans laisser de traces… en 1967. Sauf que tout en se retrouvant dans le corps de celui qu'il était à 14 ans, le héros conserve son caractère et son expérience d'adulte. Ce décalage lui permet de voir ses parents avec le regard de quelqu'un à même de les comprendre et d'explorer des détails qui lui avaient échappé pour peut-être sinon pouvoir changer le passé, du moins faire la paix avec lui-même et ne pas reproduire les mêmes erreurs dans son présent d'homme adulte.

"Quartier lointain" comme toute l'œuvre de Jiro Taniguchi multiprimée est un miracle de finesse et de sensibilité. Son style graphique aux cases ordonnées et l'universalité de ses propos lui ont permis de toucher en France un public plus large que celui qui lit habituellement des mangas. Le réalisateur Sam GARBARSKI s'est donc lancé dans une entreprise périlleuse: adapter le manga tout en le francisant. Les critiques ont été divisées à la sortie du film mais selon moi c'est une réussite. Le réalisateur parvient à créer une atmosphère éthérée qui sied particulièrement bien à un voyage qui ressemble à un rêve. Il respecte le cheminement d'origine du héros qui au lieu de rentrer dans le Tokyo/Paris actuel atterrit dans le village de montagne de son enfance (Kurayoshi/Nantua) d'abord de nos jours puis en 1967. Il est particulièrement bien épaulé par la musique planante du groupe "Air" dont est d'ailleurs fan Jiro Taniguchi (qui apparaît brièvement dans le film). L'interprétation globale contribue également à rendre l'atmosphère étrange et irréelle. Alors que certains l'ont trouvé atone, j'ai aimé la mélancolie et la douceur qui se dégagent de la prestation de Pascal GREGGORY (Thomas adulte) et de Léo LEGRAND (Thomas adolescent). Le premier apparaît déconnecté du monde, somnambulique, au bout du rouleau, traînant sa valise comme un poids mort. Le décalage entre l'apparence juvénile et la gravité du second qui semble avoir une connaissance quasi omnisciente de la vie le rendent inquiétant, tel l'extra-terrestre qu'il est en réalité. Et même s'il n'y a pas de phénomène de société autour des disparitions volontaires en France, qui n'a jamais eu envie de prendre un train?

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