Documentaire brillant sur le cinéma de John CASSAVETES par Thierry JOUSSE. Pour mémoire, cet ancien rédacteur en chef de "Les Cahiers du cinéma" et grand mélomane a consacré un ouvrage de référence à John CASSAVETES et une émission de la série "Blow up" sur Arte. Il est reçu dans une salle de montage par Camille CLAVEL et tous deux évoquent six films de John CASSAVETES soit la moitié de sa filmographie: "Une femme sous influence" (1974), "Shadows" (1958), "Faces" (1968), "Meurtre d'un bookmaker chinois" (1976), "Gloria" (1980) et "Love Streams - Torrents d'amour" (1983). Mon seul regret n'est pas celui que déplore Jacques MORICE dans Télérama, à savoir l'absence d'extraits, remplacés par des photogrammes mais le fait que le film ne dure pas plus longtemps ce qui aurait permis de rajouter deux ou trois analyses supplémentaires, notamment de "Minnie and Moskowitz" (1971) "Husbands" (1970) et "Opening Night" (1977) qui manquent à l'appel. Mais tel quel, le documentaire est déjà passionnant, c'est bien simple, au bout de cinq minutes, je m'étais emparée d'un carnet et je prenais des notes tellement ce que dit Thierry JOUSSE résonne avec ma propre expérience du cinéma de John CASSAVETES. A commencer par cette "nudité existentielle" qu'il parvenait à obtenir en filmant ses acteurs en gros plan et qui transperçait l'écran, et ce dès "Shadows" (1958). Le seul cinéaste qui m'a procuré des émotions comparables avec ses "visages-paysages", c'est Chris MARKER dans "La Jetee" (1963). Autre aspect majeur de ses films bien évoqué qui les ont toujours rendus haletants à mes yeux (je me souviens encore de mes doigts crispés sur le siège de la salle qui projetait "Opening Night") (1977), c'est la manière dont il filme en plan-séquence des scènes qui semblent prises en temps réel et dont il est impossible de deviner à l'avance quelle tournure elles vont prendre, même s'il y introduit dedans souvent un malaise laissant entendre que cela peut dégénérer. Enfin, à partir de "Meurtre d'un bookmaker chinois" (1976), il introduit dans son cinéma une dimension irréelle, fantomatique (celui de Myrtle jeune, celui de Gloria etc.) qui exprime ce qu'il se passe dans la tête de ses personnages, de même qu'il parvient grâce à la sensualité de son cinéma à faire ressentir la circulation d'affects pourtant invisibles. Quant à Gena ROWLANDS lorsqu'il dit qu'elle se situe au-delà du jeu, qu'elle n'imite personne alors que le rôle de Mabel se prêterait à la performance, cela m'a fait sourire tant cela me paraît être une évidence. Et c'est pourquoi tant d'actrices qui ont tenté justement de l'imiter s'y sont cassé les dents.
Je ne suis vraiment pas fan des histoires impliquant des têtes couronnées mais la présence de Sandra HULLER dans le rôle de la dame d'honneur de l'impératrice Elisabeth (Susanne WOLFF) m'a donné envie de jeter un coup d'oeil au film. Celui-ci en effet adopte des partis-pris intéressants. Comme le "Marie-Antoinette" (2005) de Sofia COPPOLA il donne une tournure rock and roll à la vie de Sissi à l'aide d'une bande-son anachronique idoine mais aussi en insistant sur les excentricités d'une impératrice à la fois terriblement bridée par ses obligations (intimes comme publiques) et toujours en mouvement. Pour la première fois dans un film, j'ai ressenti le lien entre la pression extérieure extrême exercée sur un corps (symbolisée comme dans "Titanic" (1997) et je le suppose d'après son titre puisque je ne l'ai pas vu, "Corsage" (2022) par les lacets d'un corset que l'on serre jusqu'à l'étouffement dès les premières images) et le traitement de choc infligé à ce corps par l'esprit qui l'habite pour en reprendre le contrôle comme pour s'en évader (drogue, tatouage, troubles du comportement alimentaire, exercices physiques, blessures, fuite sous des climats exotiques à l'opposé du carcan monarchique et conjugal etc.) On se croirait presque chez Rimbaud lorsqu'il évoque "le dérèglement de tous les sens" mais évidemment pas dans le même objectif. Frauke FINSTERWALDER créé un film solaire et organique en faisant la part belle aux fluides corporels qui viennent constamment rappeler les êtres vivants qui se dissimulent sous les costumes du XIX° siècle: sang, vomi, sueur, sperme, urine, diarrhée, larmes, pus. La sensorialité du film est particulièrement axée sur le goût au vu de l'obsession du contrôle alimentaire de Sissi mais également sur les odeurs. En témoigne le passage dans la Casbah d'Alger où ce beau monde se met de la menthe sous le nez pour conjurer les miasmes de leur environnement immédiat. Enfin "Sissi et moi" comme son titre l'indique adopte le point de vue de la dame d'honneur complètement fascinée pour ne pas dire énamourée du personnage à la fois punk et assujetti qu'elle doit accompagner ce qui fait penser à "Les Adieux a la Reine" (2012). Mais le personnage joué par Sandra HULLER est intéressant en lui-même. Vieille fille rabaissée et violentée par sa mère parce qu'elle n'entre pas dans les cases, elle est tiraillée, on le comprend assez vite entre sa pruderie qui en fait une (plus très jeune) vierge effarouchée par la personnalité de Ludwig, le cousin de Sissi et son attirance pour l'impératrice.
Avis mitigé sur ce film chinois qui pèche par un scénario très mal ficelé, défaut en partie compensé par sa splendeur visuelle. Il y a beaucoup de longueurs, dont une fin interminable, de nombreuses répétitions et des développements annexes inutiles (le cirque et l'histoire d'amour sont particulièrement mal exploités). L'histoire s'en trouve éparpillée à l'extrême ce qui nuit au propos essentiel, à savoir la réintégration difficile d'un repris de justice dans sa communauté alors même que la ville dont il est originaire est en voie de désertification avancée. Sa population a en effet migré vers les villes de l'est plus prospères, l'histoire se situant au moment des JO de Pékin en 2008. Une déprise urbaine symbolisée par de somptueux paysages désertiques (la ville se situant aux confins du désert de Gobi), les nombreux bâtiments vides et promis à la démolition et surtout par le retour du "règne animal" à travers les hordes de chiens errants abandonnés par leurs maîtres, bientôt rejoints par ceux du zoo. Seuls les vieux et quelques paumés dont Lang qui est sous contrôle judiciaire et n'a pas le droit de quitter la ville sont restés sur place. L'idée de placer l'intrigue dans ce décor de western digne d'une fiction post-apocalyptique à la Mad Max créé une atmosphère assez fascinante auquel participe le mutisme du personnage principal même s'il est parfois à la limite de la parodie. Le lien autant affectif que symbolique qui se noue entre Lang et le chien noir qui donne son titre au film apporte les seuls moments d'émotion dans un film qui sinon tend vers l'abstraction.
Sandra HULLER s'est fait connaître à l'international avec "Toni Erdmann" (2016) et a reçu la consécration avec "Anatomie d'une chute" (2022) et "La Zone d'interet" (2021) tous deux multi-primés à Cannes, aux César et aux Oscar. En France, elle est l'actrice allemande en activité la plus connue et la première depuis Romy SCHNEIDER à avoir reçu le César de la meilleure actrice. Pourtant on sait finalement peu de choses sur elle. Ce documentaire de facture très classique a le mérite de nous en apprendre plus. On y découvre notamment qu'elle a grandi en RDA (elle avait 11 ans lors de la chute du mur) ce qui explique son attitude détachée pour ne pas dire son désintérêt vis à vis du star-system et des valeurs qui l'accompagnent (individualisme, compétition, culte de la célébrité). Autre aspect intéressant du film, il évoque longuement sa carrière théâtrale, son milieu naturel qui est plus proche de sa manière d'envisager son métier. Nombre de grands acteurs allemands ayant brillé dans le cinéma d'auteur venaient du théâtre et il apparaît que celui-ci est à la source de la puissance de son jeu et fait rayonner sa personnalité complexe à la fois énigmatique et anticonformiste. Toutes les interventions de l'actrice expliquant l'approche de ses rôles sont pertinentes et pourraient faire l'objet d'une master class. Sandra HULLER m'a fait penser à Gena ROWLANDS par l'intensité de son jeu, sa façon de se donner corps et âme dans ses rôles et son désintérêt vis à vis de son image qui lui permet d'aller explorer un registre étendu.
Le sujet est fort, l'interprétation excellente, le point de vue original mais il manque quelque chose au film de Nils TAVERNIER pour véritablement convaincre et sortir du lot. Le parti-pris, tiré d'une histoire vraie était pourtant intéressant: filmer le huis-clos d'une famille juive obligée de se cacher dans une minuscule chambre de bonne pendant deux ans, entre la rafle du Vel d'Hiv et la libération de Paris. A défaut de pouvoir se déployer dans l'espace (et encore: on a vu la manière géniale dont Jonathan GLAZER parvenait à suggérer le hors-champ rien qu'avec la bande-son), Nils TAVERNIER aurait pu travailler le passage du temps. Car vivre deux ans enfermé dans un espace minuscule, dans la promiscuité, avec tantôt la peur, tantôt la faim au ventre, sous les combles, dans le froid ou sous la chaleur accablante, ça laisse des traces. Particulièrement pour une adolescente qui passe deux années cruciales de sa vie entre quatorze et seize ans sans pouvoir la vivre. Si tous ces aspects sont abordés, ils ne sont pas incarnés. Les acteurs ne changent pas d'un iota et n'ont pas grand-chose à faire: le père (Guillaume GALLIENNE) reste assis en regardant par la fenêtre, la mère (Adeline d'HERMY) frotte une assiette les yeux dans le vague. Seule la fille (Violette GUILLON) semble exprimer ce que son personnage vit, tant dans ses cauchemars, ses questionnements que par sa soif de liberté qu'elle ne peut étancher qu'en se promenant sur les toits. Néanmoins, la mise en scène reste trop timide pour donner de l'ampleur à ses élans. Le pire réside dans les rares sorties que la famille s'accorde lorsqu'elle n'a pas le choix (autrement dit, quand c'est une question de vie ou de mort). Jamais on ne ressent la chape de plomb du Paris en guerre ou la terreur que devrait inspirer le fait de se mettre ainsi à découvert et de devoir interagir avec des étrangers dont chacun peut être potentiellement mortel. Les témoignages au début et à la fin du film ainsi que les images d'archives achèvent d'illustrer platement ce qui aurait pu être une expérience sensorielle marquante.
Un film qui commence comme Raymond DEPARDON et se termine comme "Shining" (1980). La scène très proche d'un documentaire dans le bureau du juge met en évidence l'incapacité d'un oeil extérieur à discerner la vérité entre deux paroles qui se valent, du moins en apparence. Il y a bien celle des enfants qui pourrait faire pencher la balance mais elle n'est pas prise en compte ce qui s'avère dramatique. Car le film frappe fort lorsqu'il met en scène le jeune Julien, 11 ans, dont les parents en plein divorce se disputent la garde. Julien apparaît comme un enfant terrorisé par son père qui exerce sur lui une intolérable pression pour atteindre la mère (Lea DRUCKER) sur qui il veut conserver son emprise alors même qu'elle cherche à lui échapper. La tension palpable entre les personnages joués par Denis MENOCHET et le jeune Thomas GIORIA nous prend à la gorge, jusqu'à l'asphyxie. Antoine, le personnage joué par Denis MENOCHET plein de rage contenue a droit à une épaisseur qui fait défaut par exemple à l'homme violent de "L'Amour et les forets" (2022). La manière dont son propre père le met à la porte tout comme la grossesse précoce de la grande soeur de Julien suggèrent la reproduction d'un schéma familial toxique sur au moins trois générations. Si par moments, l'enfant blessé ressort en Antoine, être pathétique dans son incapacité à trouver sa place (il passe plus de temps dans sa voiture que dans des maisons ou appartements qui l'excluent) et à nouer des liens (il est surnommé "l'Autre" par ses propres enfants), il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un être profondément destructeur pour ses proches. Maladivement jaloux, possessif, intrusif, incapable d'empathie et d'une violence d'abord rentrée puis incontrôlable lorsqu'elle finit par exploser, le transformant en une bête furieuse. Même si le film comporte quelques longueurs (la scène de l'anniversaire), la fin, particulièrement éprouvante marque les esprits.
L'idée de départ qui provient d'une commande de Antenne 2 pour Cinéma Cinémas est amusante: faire dialoguer deux apprentis cinéastes dont l'un "Don Quichotte" (Fabrice LUCHINI) représente Jacques ROZIER adepte d'un cinéma fauché mais libre laissant le champ libre à l'improvisation (quitte à se réfugier à la télévision quand un tournage se fait attendre) et l'autre, "Sancho Panza" (Maurice RISCH) est beaucoup plus soucieux d'entrer dans les cases institutionnelles. Leur discussion est entrecoupée de reconstitutions d'extraits de films de Marcel CARNE et Marcel PAGNOL réalisées avec trois francs six sous et d'interventions d'artistes fétiches du cinéaste. Pas de Bernard MENEZ à l'horizon mais trois ans avant "Maine Ocean" (1986), Luis REGO s'improvise pizzaiolo et Yves AFONSO interprète le rôle de Marcel Petitgas, futur protagoniste de "Maine Ocean" (1986). C'est quand même bien longuet pour un court-métrage et j'avoue que même après deux visionnages, j'ai décroché au bout de dix minutes. Il faut dire que l'aspect décousu du montage et théâtral de la mise en scène ainsi que l'intervention de Lydia FELD m'ont fait penser à "Fifi Martingale" (2001), le film le plus raté du cinéaste. Petite anecdote, on aperçoit dans la première scène Jacques ROZIER en compagnie de Solveig DOMMARTIN: c'était son tout premier tournage, quatre ans avant "Les Ailes du desir" (1987).
Le cinéma n'a pas attendu "The Substance" (2024) pour mettre en scène l'histoire d'un personnage peu à peu dévoré par le double illusoire qu'il a lui-même créé: un double plus beau, plus jeune, plus parfait, plus charismatique. Une "meilleure version" qui finit par se transformer en un tel cauchemar que seule la mort peut y mettre fin. Mais "Magic" qui a été réalisé en 1978, entre deux des superproductions dont Richard ATTENBOROUGH était le spécialiste, "Un pont trop loin" (1977) (avec déjà Anthony HOPKINS dans un second rôle) et "Gandhi" (1982) est de façon assez évidente un avatar de "Psychose" (1960). Comme Norman Bates, Corky Withers est un homme gentil et introverti qui donne vie à une poupée/à une momie en usant de ses dons de ventriloque et en lui prêtant la partie de son psychisme qu'il refoule. Ainsi Fats, la marionnette au visage calqué sur le visage de Anthony HOPKINS, sorte d'ancêtre de Chucky est la manifestation de son inconscient, que ce soit au niveau du langage sans filtre et des pulsions sexuelles ou meurtrières. Elle lui permet de rencontrer le succès, que ce soit dans ses prestations scéniques ou dans la séduction de la jeune fille dont il est amoureux depuis le lycée. Mais très vite, Corky va perdre le contrôle sur Fats qui va l'entraîner dans une spirale sanglante infernale. La mise en scène de Richard ATTENBOROUGH est trop appliquée, trop molle, trop lente pour susciter l'angoisse, raison sans doute de l'oubli relatif du film mais la prestation fiévreuse et habitée de Anthony HOPKINS est quant à elle mémorable et préfigure évidemment celle de Hannibal Lecter. Ajoutons que c'est Burgess MEREDITH qui joue le rôle de son impresario, deux ans être apparu dans le rôle du coach d'un certain "Rocky" (1976) et que le scénario est signé de William GOLDMAN d'après son propre roman. William Goldman est l'auteur également du scénario de "Les Hommes du President" (1976) et du roman et scénario de "Marathon Man" (1976).
Nouveau portrait en creux de Bob DYLAN après le film expérimental de Todd HAYNES, "I'm Not There" (2007) dans lequel chacune de ses facettes devenait un personnage à part entière incarné par un acteur ou une actrice dans des styles variés (noir et blanc, couleur, musical, récitation de poèmes face caméra etc.) et celui des frères Coen "Inside Llewyn Davis" (2013), qui s'attachait aux pas d'un avatar loser. James MANGOLD fait un autre choix: tout en prenant des libertés avec la réalité historique, il retrace les cinq années fondatrices de la vie de l'auteur-compositeur-interprète entre 1961 (son arrivée à New-York) et 1965 (le concert de Newport où il électrisa le folk au grand dam du public). Le film ne cherche pas du moins en apparence à éclaircir le "mystère Dylan", il fait même de l'opacité de l'artiste qui brouillait les pistes sur son passé comme sur son identité une sorte de bouclier sur lequel viennent s'échouer toutes les tentatives d'approche. L'interprétation introvertie de Timothee CHALAMET dont on ne peut que saluer le travail puisqu'il joue et chante lui-même tous les titres avec brio au point qu'on a du mal à distinguer sa prestation de l'original est parfaitement en accord avec cette vision. Le flux musical presque continu dans lequel baigne le film est une grande réussite. Les chansons sont non seulement interprétées en live mais immergées dans leur contexte d'époque, que ce soit l'hymne repris par toute une génération "The Times There Are a-Changin'" ou l'ambiance électrique du concert de Newport de 1965. Car la reconstitution historique est l'autre point fort du film. L'hystérie collective provoquée par la crise des missiles de Cuba ou la lutte pour les droits civiques ne sont pas seulement une toile de fond mais la matière même sur laquelle s'appuie Bob Dylan pour composer ses chansons contestataires. Une contestation qui s'étend aux querelles de chapelles dont il brouille les frontières. Jamais là où on l'on croit, Dylan semble se dérober en permanence et être toujours en mouvement. Le seul point de fixation qu'il semble se donner, c'est sa filiation avec Woody GUTHRIE à qui il rend régulièrement visite à l'hôpital où celui-ci est soigné. Les autres membres de son entourage expriment à un moment ou à un autre leur frustration ou leur incompréhension face à cet artiste insaisissable, de Pete Seeger (Edward NORTON) à Joan Baez (Monica BARBARO) en passant par sa petite amie "officielle" (Elle FANNING) dont on se demande ce qu'elle trouve à ce garçon très talentueux certes mais fermé comme une huître. Autre bémol les effets spéciaux d'incrustation dans les images d'archives sont assez grossiers, surtout quand on les compare aux prouesses d'un Robert ZEMECKIS.
"Madame Hofmann", portrait d'une infirmière responsable d'une unité de soins palliatifs sur le point de prendre sa retraite est une fois de plus l'illustration de ce qui est à mes yeux la qualité première des documentaires de Sebastien LIFSHITZ: sa capacité à rendre compte du réel qui chez moi provoque une identification aux protagonistes alors même qu'ils sont a priori éloignés de ma vie. Notamment par le sens accordé à des détails intimistes qui respirent l'authenticité. Je pense à l'attention portée à la mère de Sylvie Hofmann, elle aussi ancienne infirmière, elle aussi prédisposée au cancer, un personnage haut en couleurs mais qui m'a tout de même rappelé ma propre mère par l'âge, les origines mais aussi par des photos anciennes, l'une, prise à l'école absolument identique à celle qui existe dans notre propre album de famille et l'autre, où elle porte un tablier identique à celui qui a accompagné mon enfance. Ce sont également des photos anciennes qui ont été à l'origine de l'idée de Sebastien LIFSHITZ d'écrire l'histoire de "Les Invisibles" (2012). Le film agit également comme une piqûre de rappel, ce temps pas si lointain où, confinés pour cause de Covid-19, nous applaudissions tous les soirs le personnel soignant, celui-là même qui est si malmené à l'hôpital public sur fond de restrictions budgétaires, de sous-effectif chronique et de choix idéologiques allant à l'encontre de l'intérêt général. C'est aussi dans l'articulation entre un portrait individuel et un contexte politico-social que Sebastien LIFSHITZ montre toute sa subtilité, à rebours des gros sabots de "La Fracture" (2020) par exemple. Par ailleurs, la qualité du lien qui se tisse entre le réalisateur et celle dont il dresse le portrait (alors qu'il ne la connaissait pas avant le tournage) fait qu'elle ouvre son coeur, évoquant des thèmes peu traités au cinéma comme l'angoisse face à la retraite alors même qu'elle cumule des ennuis de santé liés au surmenage ou l'impact psychologique consistant à travailler au contact quotidien de la mort (abordé en ce qui concerne les vétérans de guerre mais pas pour les soignants comme s'il s'agissait d'un tabou).
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)