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La Rose et la Flèche (Robin and Marian)

Publié le par Rosalie210

Richard Lester (1976)

La Rose et la Flèche  (Robin and Marian)

C'est un film qui m'a marquée par son réalisme et sa dureté aux antipodes de la légende glorieuse entourant la figure de Robin des bois. Les années 70, contestataires, étaient propices à la démythification. Par delà la légende de Robin des bois c'est toute une image idéalisée du Moyen-Age qui vole en éclats.

-Tout d'abord l'un des thèmes principaux du film est le vieillissement, véritable tabou de nos sociétés jeunistes. La première image du film montre des pommes vertes. Il s'agit de Robin et Marianne jeunes, sujet central de la légende mais pas du film. Ces pommes deviennent mûres dès la deuxième image. 20 ans ont passés, Robin et Marianne ont vécu, vieillis, perdus leurs illusions et ce sont à ces personnages quadragénaires interprétés par des acteurs eux-mêmes vieillissants (Sean Connery et Audrey Hepburn) que s'intéresse le film. La dernière image reprend le même symbolisme mais cette fois les pommes sont pourries car Robin et Marianne sont parvenus à la fin de leur vie.

- Le rythme du film est conditionné par ces esprits fatigués et ces corps usés mais aussi par une volonté de réalisme quasi-documentaire refusant le spectaculaire. Les gestes de Robin sont lourds, lents, il a du mal à se lever et à manier les armes. Le combat contre le shérif de Nottingham (Robert Shaw) montre deux hommes vieux (pour l'époque) suer sang et eau pour soulever leurs épées et se mouvoir dans leurs armures.

- La société féodale que dépeint le film est obscurantiste et barbare. Les nobles sont des rustres qui dédaignent le shérif parce qu'il sait lire (ce qui était plus ou moins réservé au clergé). Le roi Jean (Ian Holm) persécute les catholiques. Son frère, Richard cœur de lion (joué par Richard Harris) est un orgueilleux despote mû par la cupidité et une cruauté sans limites. Les atrocités qu'il ordonne contre les femmes et d'enfants lors des croisades font penser à la Shoah mais sa violence est aussi sociale lorsqu'il traite Robin de "paysan" ne supportant pas qu'il s'oppose à lui. La révolte de Robin trouve ses racines dans l'injustice sociale qui place les nobles dans l'impunité alors que les pauvres sont châtiés pour un oui ou pour un non. La forêt de Sherwood est une contre-société libertaire utopique dont l'existence apparaît plus qu'hypothétique. Face au pot de fer, le pot de terre ne fait pas le poids.

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Ghost in the Shell (Kōkaku kidōtai)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Oshii (1995)

Ghost in the Shell (Kōkaku kidōtai)

Ghost in the shell est à la SF japonaise ce que Blade Runner de Ridley Scott est au cinéma occidental ou Neuromancien de William Gibson à la littérature: un pilier de la culture cyberpunk. A ceci près qu'il s'agit d'une œuvre de la première moitié des années 90 alors que Blade Runner et Neuromancien ont contribué à l'émergence 10 ans auparavant de cette nouvelle branche de la SF, dystopique et centrée sur les dérives des sociétés addicts à la technologie.

L'originalité profonde de Ghost in the shell est lié à la culture animiste nippone. Alors que chez Philip K. Dick (auteur du livre dont Blade Runner est l'adaptation), les androïdes sont perçus comme les ennemis des humains, alors que chez Asimov des lois les brident pour qu'ils restent des machines au service des humains, dans les œuvres japonaises ils peuvent se mêler aux humains voire devenir comme eux. En résulte toute une gamme de possibilités d'hybridations dont Ghost in the Shell se fait l'écho.

Ainsi le moment que je préfère dans l'anime, réalisé par Mamoru Oshii, c'est la séquence de début. Sur une musique envoûtante de Kenji Kawai "Making of Cyborg" mélange d'harmonies bulgares et d'ancien japonais (le Yamato) on voit naître sous nos yeux un être hybride. Une machine certes mais baignant dans un liquide amniotique et repliée sur elle-même en position fœtale. Motoko Kusagani surnommée "le Major" s'avère à l'image du film tout entier comme profondément duale. Machine à tuer aux ordres d'un côté ce qui donne lieu à de spectaculaires scènes d'action, être pensant rempli d'interrogations métaphysiques sur sa propre nature de l'autre ce qui donne lieu à de magnifiques scènes contemplatives (où revient le thème musical de départ et l'élément aquatique). Dans ce monde où la plupart des hommes se sont fait implanter des éléments cybernétiques dans le corps et le cerveau au point de pouvoir se faire hacker comme un ordinateur que signifie encore être humain? La réponse provient du "puppet master", un cybercriminel insaisissable qui s'infiltre dans tous les esprits et que poursuit sans relâche le Major "Ni la science ni la philosophie n'ont pu définir la vie. Je suis une entité vivante, pensante (...) mais incomplète. Il me manque la reproduction et la mort." Puppet Master (alias le marionnettiste) se définit comme Descartes "Je pense, donc je suis". Pourtant de son propre aveu il est incomplet. Plus encore qu'il ne le dit. Il lui manque en effet un corps (ce problème est résolu à la fin du film puisqu'il fusionne avec le Major) et surtout des émotions. Mais l'absence d'émotions est le point commun de tous les personnages du film, qu'ils soient davantage hommes ou davantage robots. La scène la plus emblématique à cet égard est celle où un éboueur manipulé par le marionnettiste découvre qu'on lui a implanté de faux souvenirs dans lesquels il a une femme et un enfant. En réalité il n'a personne.

C'est donc un monde totalement déshumanisé que dépeint Ghost in the Shell. Un monde sans amour, sans haine, sans tristesse et sans joie. Un monde sans nature. Un monde où les machines ont pris le pouvoir et les hommes, perdus leur liberté et leur identité. Un monde terrifiant et sans espoir. On comprend que Rupert Sanders ait tourné le dos à cette vision radicale pour le remake américain sorti en France le 29 mars. Il a voulu réinjecter de l'humanité à ce monde avec des liens filiaux, amicaux, amoureux, recréer une véritable hybridité ce qui avait du sens. Dommage qu'il l'ait fait de façon aussi maladroite.

Ghost in the Shell a eu un impact considérable dans les pays occidentaux. Tout comme Akira, il a contribué à faire émerger et apprécier un cinéma d'animation adulte dans des pays où celle-ci était cantonnée aux seuls programmes jeunesse. Il a surtout influencé tout un courant de la SF américaine (qui lui rend un hommage respectueux aujourd'hui). James Cameron, amoureux de profondeurs océaniques et de cyborgs ne pouvait qu'être fan de ce film. Quant aux frères Wachowski, ils ont trouvé le cocktail de la matrice directement dans Ghost in the shell. 

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Ghost in the Shell

Publié le par Rosalie210

Rupert Sanders (2017)

Ghost in the Shell

Depuis la sortie du remake live made in US de Ghost in the Shell, les avis sont très partagés et s'expriment bruyamment (y compris lors de la séance à laquelle j'ai assisté. A peine le film terminé, deux pré-ados ont éructé à haute voix que "c'était nul, gros clichés, on aurait dû aller voir le dernier Kev Adams" alors que mes voisines étaient en revanche emballées). Les fans du manga cyberpunk, politique et philosophique de Masamune Shirow adapté en 1995 en anime par Mamoru Oshii ne sont pas les moins critiques mais ce n'est guère étonnant car un fan a tendance à s'approprier l'œuvre (ou plutôt la vision qu'il en a) et à crier à la "trahison" dès qu'une nouvelle version s'en écarte.

Personnellement, je n'ai pas trouvé la version de Rupert Sanders honteuse même si elle n'est pas transcendante non plus. Sanders tente un bel effort de vulgarisation et donc de démocratisation d'une œuvre complexe voire absconse quitte à parfois trop simplifier. L'héroïne n'est ainsi plus présentée comme un robot qui se pose des questions ("cogito ergo sum") mais comme une humaine "modifiée" qui cherche à retrouver ses souvenirs (son passé humain). Ce n'est pas une erreur car le Major Kusanagi (rebaptisée Mira Killian dans le film de Sanders) est un cyborg, un être hybride que l'on peut tirer sans faire de contresens dans un sens ou dans l'autre. Mais il est clair que le choix du réalisateur ratisse plus large que celui du mangaka. D'autre part beaucoup de personnages sont réduits à leur plus simple expression. J'avoue m'être demandé quelles étaient les motivations du méchant de l'histoire Cutter car elles sont trop simplistes pour être convaincantes. De même la scène entre Mira et sa mère est assez ridicule tant elle est invraisemblable et maladroite. Et je pourrais donner d'autres exemples du même genre. Mais ne chargeons pas trop la barque. Je suis d'accord avec l'avis d'un spectateur pour qui " si l'adaptation du manga culte est light, pour un blockbuster US actuel c'est beau et plein de réflexion." Les coquilles vides des superhéros made in USA ont en effet bien besoin d'un peu de cette anima venue du Japon. C'est déjà ça de pris.

Sanders réalise une œuvre sinon fidèle, du moins respectueuse. Les décors s'inspirent de ceux de Blade Runner de Ridley Scott ce qui est judicieux car Ghost in the Shell doit beaucoup de son existence à cette œuvre. Et Scarlett Johansson contrairement à ce qui a pu être dit un peu partout est parfaitement légitime pour jouer ce rôle. D'abord parce qu'il s'inscrit dans une lignée de films où l'actrice (toujours un peu "lost in Translation" in Tokyo) se dématérialise en mêlant humanité et technologie de façon symbiotique, accédant à une forme supérieure de conscience qui embrasse l'ensemble de l'univers (je pense en particulier à Her de Spike Jonze où elle "incarne" la voix d'un ordinateur et à Lucy de Luc Besson où boosté par une drogue expérimentale, son cerveau connaît une augmentation exponentielle de ses capacités). D'autre part on a longtemps reproché aux japonais de se représenter en anime avec des traits occidentaux (les fameux "grands yeux"), il est étrange de retourner ainsi ce reproche contre Scarlett Johansson jugée pas assez asiatique pour tenir le rôle. Cela en dit long sur les représentations bornées et pleine de préjugés des uns et des autres.

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Le Château dans le ciel (Tenkū no shiro Rapyuta)

Publié le par Rosalie210

Hayao Miyazaki (1986)

Le Château dans le ciel (Tenkū no shiro Rapyuta)

"Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entier, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées (...) Elam, Ninive, Babylone." Ce texte de Paul Valéry écrit sur des décombres fumantes de la première guerre industrielle de l'histoire peut parfaitement s'appliquer à l'île volante de Laputa (titre du film en VO). Issue d' un passage des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, elle évoque à la fois la tour de Babel et le mythe de l'Atlantide. Elle permet à Miyazaki outre d'époustouflantes scènes aériennes et célestes de développer un discours sur l'hubris des hommes, leur désir fou d'égaler Dieu qui les aveugle et les détruit. Il montre également que cette vanité est vaine et que la nature reprend toujours ses droits. L'île de destruction massive se débarrasse de son dôme inférieur rempli d'engins de mort, libérant les racines de l'arbre géant qui en est le centre. Quant aux robots soldats (ou robots bombes) qui peuplent l'île, dès qu'ils ne sont plus contrôlés dans un but guerrier, ils deviennent des jardiniers protecteurs de la faune et de la flore ou finissent cassés et recouverts par la mousse. L'ambivalence de ces robots qui peuvent être destructeurs comme protecteurs s'inspire de la bergère et du ramoneur de Paul Grimault, première version du Roi et l'Oiseau. Sheeta est une bergère qui découvre en chemin ses origines royales. Comme dans le château de Cagliostro (et chez Grimault) elle doit être unie de force à l'héritier du roi de Laputa. Ce dernier, Muska représente les ténèbres alors que Sheeta n'est que lumière (ce que symbolise le cristal bleu qu'elle porte autour du cou et qui lui permet entre autre de léviter). Muska est un tyran dont le seul but est de s'emparer de Laputa pour dominer le monde. Mais comme le lui fait remarquer Sheeta, Laputa est déserte car déracinée de la terre, aucun homme ne peut supporter d'y vivre longtemps. Sheeta se croit donc condamnée à périr avec Muska ou de sa main. Mais le ramoneur veille, un jeune mineur au cœur pur du nom de Pazu qui a le même rôle de preux chevalier auprès d'elle que Lupin auprès de Clarisse dans le château de Cagliostro. Les scènes d'action et de contemplation s'enchaînent avec une parfaite fluidité et atout supplémentaire, le film bénéficie de la musique de Joe Hisaichi.

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On your mark (On Yua Māku)

Publié le par Rosalie210

Hayao Miyazaki (1995)

On your mark (On Yua Māku)

Au Japon, le clip musical On Your Mark fut projeté en salles en ouverture du film Si tu tends l'oreille de Yoshifumi Kondô en 1995. Il illustre la chanson du même nom, du célèbre groupe Pop-Rock japonais Chage and Aska (Chage&Aska à l’époque du clip). Le film a permis pour la première fois à Hayao Miyazaki d’utiliser le format du clip musical, caractérisé par une durée très courte et dépourvu de dialogue, et au studio Ghibli de se familiariser avec les images de synthèse qu’il utilisera intensivement deux ans plus tard pour le film Princesse Mononoke.

Bien que d'une durée très courte, la réalisation de Miyazaki est aussi forte, originale et personnelle que dans ses longs-métrages. Ce qui ne l'empêche pas de s'abreuver de multiples références.

Une catastrophe nucléaire (manifestement inspirée de Tchernobyl) a anéanti la civilisation humaine à la surface de la terre. Ceux-ci se sont réfugiés sous terre (comme dans la Jetée ou Docteur Folamour) et ont construit des métropoles tentaculaires semblables à celles de Metropolis ou de Blade Runner. Une descente de policiers masqués dans les locaux d'une secte cagoulée (l'église sainte Nova) permet de mesurer le degré de deshumanisation atteint par cette nouvelle civilisation. On pense aux bonzes Dork de Nausicaa mais aussi à Twentieth Century boys d'Urasawa avec la secte d'Ami et le logo de l'œil sur les cagoules ("Dieu vous surveille"). Deux policiers (les membres du groupe Chage et Aska) enlèvent leurs masques lorsqu'ils découvrent une mystérieuse jeune fille ailée, évanouie et enchainée au fond d'un vide-ordure (qui représente à peu près tous ce que les hommes ont renié: la beauté, la liberté, l'innocence...). Mais ils vont être obligés de remettre des masques pour l'aider à s'évader lorsqu'elle est récupérée par des scientifiques avides de l'utiliser comme cobaye. Ils la relâchent à la surface, dans un paysage post-apocalyptique où la nature a repris ses droits (thème de Nausicaa, de Laputa...) ou bien ils meurent avec elle. Le film propose en effet deux fins. Une fin tragique et une fin heureuse. Les dénouements chez Miyazaki ne sont en effet jamais totalement heureux et après avoir vu ces deux fins, le doute subsiste sur la capacité de l'homme à retrouver la raison en même temps que ses racines.

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Le château de Cagliostro (Rupan sansei: Kariosutoro no shiro)

Publié le par Rosalie210

Hayao Miyazaki (1979)

Le château de Cagliostro (Rupan sansei: Kariosutoro no shiro)

Premier long-métrage de Miyazaki réalisé en 1979, Le château de Cagliostro est en quelque sorte l'aboutissement au cinéma d'une série animée sur laquelle il avait travaillé durant plusieurs saisons, Lupin the third ("Rupan Sansei" en VO). Cette série est dérivée du manga du même nom réalisé par Kazuhiko Katō sous le pseudonyme de Monkey Punch. Dans le manga, le héros n'est autre que le petit-fils d'Arsène Lupin, le gentleman-cambrioleur créé par Maurice Leblanc. Problème, Monkey Punch n'a pas demandé aux ayants droit de Maurice Leblanc la permission d'utiliser le nom du personnage qu'il a créé. C'est pourquoi la série est arrivée (partiellement) chez nous sous le titre "Edgard, le détective cambrioleur". Le personnage a pris les noms les plus variés selon les pays: Edgard de la cambriole donc petit-fils d'un certain "Gaspard" mais aussi Wolf, Rupan III ou Vidocq IV, avant que l'œuvre de Maurice Leblanc ne tombe dans le domaine public et que le nom de Lupin ne s'impose partout dans le monde.

Malgré le fait que le film soit issu d'œuvres préexistantes, il ne s'agit en aucun cas d'un simple produit dérivé mais d'une œuvre originale et personnelle parfaitement accomplie. Coup d'essai, coup de maître. Miyazaki reprend certes les personnages du manga (Lupin, ses associés Goemon et Jigen, son ex-maîtresse Fujiko, l'inspecteur perpétuellement à ses trousses Zenigata/Lacogne) mais il en change sensiblement le caractère. L'atmosphère de l'histoire est également très différente. Pour résumer le manga est plus proche des stéréotypes associés aux films de gangster/films noirs, le film de Miyazaki plus proche de Heidi, une série à laquelle Miyazaki avait également participé et dont il reprend les décors montagneux et champêtres. La violence et l'érotisme du manga sont complètement gommées. Lupin est d'abord un gentleman avant d'être un cambrioleur (dans le manga c'est même un criminel de la pire espèce et l'ambivalence du personnage de Maurice Leblanc est complètement ignorée), ses associés sont également adoucis tout comme Fujiko.

Mais adoucis ne signifie pas affadis. Bien au contraire, Miyazaki revient à la source, c'est à dire aux romans de Maurice Leblanc pour mieux casser les stéréotypes manichéens et développer un univers de nuances entre deux pôles extrêmes: le comte de Cagliostro (l'ombre) et la princesse Clarisse (la lumière). Lupin se situe exactement entre les deux, il est pour reprendre de nombreux analystes la "pénombre", entre chien et loup plutôt que loup. Malfaiteur d'un côté, preux chevalier cherchant à délivrer sa dame enfermée dans la tour par un monstre de l'autre. Lupin est à mi-chemin entre Marco Pago (un solitaire sans attaches au passé trouble et dont une jeune fille au cœur pur représente la part lumineuse, rédemptrice sans que pour autant il ne se sente digne de vivre avec elle) et James Bond (pour les gadgets, les prouesses physiques improbables que seule l'animation peut permettre, une certaine prestance classieuse et l'univers du casino) avec une touche humoristique et cool à la Belmondo (dont le physique a inspiré un autre héros de manga d'action, Cobra de Buichi Terasawa). Devant la noble cause qu'il défend, l'inspecteur Zenigata accepte de faire une trêve pour collaborer avec lui, exactement comme dans Le Havre d'Aki Kaurismaki. Clarisse, jeune fille candide et Fujiko, femme intrépide et expérimentée ont été souvent comparées à Fio et Gina ce qui renforce le parallélisme déjà évoqué avec Porco Rosso (avec lequel Lupin partage aussi les caractéristiques animales).

Le film alterne avec brio des scènes d'action étourdissantes (inspirées de la Main au collet et de la Mort aux trousses d'Hitchcock) et des scènes de contemplation poétiques comme la découverte de la cité engloutie. Le décor absolument magnifique contribue beaucoup à cet équilibre. Comme d'autres films de Miyazaki, la principauté de Cagliostro est un résumé d'Europe victorienne fantasmée où les ruines côtoient un château, une tour et un aqueduc assez vertigineux. Le goût des hauteurs se marie avec des scènes d'envol mêmes si peu nombreuses en comparaison avec d'autres films de ce réalisateur. Les références littéraires et cinématographiques européennes sont prédominantes. Le titre provient d'un roman de Maurice Leblanc, La comtesse de Cagliostro qui introduit le personnage de Clarisse et son amour pour Lupin. La demoiselle aux yeux verts, autre roman de Maurice Leblanc évoque un trésor caché sous les eaux d'un lac. La justice d'Arsène Lupin de Boileau-Narcejac évoque la fabrication de fausse monnaie par l'Empire allemand pour déstabiliser la France pendant la première guerre mondiale. Les romans de Jules Verne qui fascinent Miyazaki fournissent les mécanismes extraordinaires et brinquebalants qui peuplent tous ses films. Enfin il y a La bergère et le ramoneur de Paul Grimault (1953), première version du Roi et l'Oiseau de 1979. Architecture du donjon, pièges et oubliettes, ascenseur grimpant à des hauteurs vertigineuses, tyran contraignant une jeune fille innocente à un mariage forcé (même la robe de mariée est identique!), passage à la trappe des indésirables, milice chargée d'assurer l'ordre sont autant d'hommages au premier long-métrage d'animation français.

Enfin les voitures présentes dans le film (Fiat 500 et 2CV) sont des clins d'œil. La Fiat 500 était la voiture du chef animateur Yasuo Otsuka et la 2CV, la première voiture de Miyazaki. De plus elles se marient bien avec le décor et renforcent le caractère anti bling-bling de Lupin (qui à contrario dans le manga roule dans des voitures de luxe)

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Le Roi et l'Oiseau

Publié le par Rosalie210

Paul Grimault (1979)

Le Roi et l'Oiseau

"Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux, regardez-les s'envoler c'est beau, les enfants si vous voyez, des petits oiseaux prisonniers, ouvrez-leur la porte vers la liberté" chantait Pierre Perret en 1971. Un siècle auparavant, une certaine Carmen de Bizet chantait elle aussi "L'amour est un oiseau rebelle, que nul ne peut apprivoiser." Entre ces deux dates, les atteintes à la liberté ont atteint leur point culminant. Une atteinte souvent symbolisée au cinéma par un oiseau en cage. Dans Une journée particulière d'Ettore Scola par exemple réalisé également dans les années 70, la rencontre entre deux exclus du fascisme se fait grâce à l'évasion d'un mainate. Et dans le Dictateur de Chaplin, un gros plan d'oiseaux en cage explicite la situation des juifs enfermés dans le ghetto.

La création du roi et l'oiseau prend sa source dans la rencontre Grimault-Prévert en 1941 alors que la France est sous la botte nazie. Une version inachevée du film intitulé La bergère et le ramoneur voit le jour dans l'après-guerre contre la volonté de Grimault qui a été dépossédé de son œuvre par des producteurs peu scrupuleux. Grimault réussit cependant à racheter les droits du film après avoir acquis son indépendance financière et parvient à mener son projet à bien à la fin des années 70 juste avant la mort de Prévert. Entre temps, le monde a connu plus de 30 ans de guerre froide. La bergère et le ramoneur (l'amour) sont passés au second plan au profit du roi et de l'oiseau (le film politique).

Le roi et l'oiseau qui est à la fois un poème cinématographique et une satire politique met en scène l'amour et la création artistique comme moyens de résistance à l'oppression. Une oppression qui synthétise toutes les tares des sociétés modernes:

- La tyrannie politique du roi-dictateur mégalomane rappelle tous les régimes totalitaires avec police d'Etat, culte de la personnalité, propagande à outrance, société de surveillance etc. En même temps l'aspect satirique du film fait de ce petit roi complexé par son gros bide et son strabisme un bouffon façon Ubu roi. Ubu et Charles XVI de Takicardie (V et III font VIII et VIII font XVI) ont un autre point commun: ils usent et abusent du passage à la trappe de tous ceux qui ont le malheur de leur déplaire.

- La tyrannie est également économique et technologique. A la manière de Chaplin dans les Temps modernes, le ramoneur et l'oiseau font dérailler la production à la chaîne des effigies standardisées du roi. "Le travail, le travail à la chaîne, soudain le travail casse sa chaîne" écrivait déjà Prévert au moment de l'avènement du Front Populaire. Une standardisation qui s'étend aux gardes et policiers. Ceux-ci se rapprochent plus de la chauve-souris que de l'être humain. Les masses laborieuses sont confinées dans la ville basse où elles ne voient jamais la lumière du jour, ni à fortiori les oiseaux. Une verticalité du pouvoir qui avec ses 256 étages rappelle furieusement Metropolis. Quant à la technologie, omniprésente (ascenseur fusée, aéroglisseurs, trône auto-tamponneuse), elle accentue un peu plus l'inhumanité des immenses décors vénitiens vides d'hommes qui rappellent les tableaux de Giorgio de Chirico (quoique la pluie de policiers se servant de leur parapluie comme parachute n'est pas sans rappeler Golconde de Magritte). Quand elle n'échappe pas à son créateur pour tout ravager sur son passage (la destruction du palais par le robot fait penser à l'apocalypse nucléaire).

-Enfin on peut parler de tyrannie culturelle dans le sens où celle-ci, confisquée par le pouvoir se transforme en reproduction ad nauseam de l'effigie du dictateur qui envahit la totalité du champ visuel. Ajoutons que cette production à visée de propagande est mensongère ce que le film souligne ironiquement quand il montre une sculpture du roi en guerrier et chasseur émérite alors que son strabisme l'empêche de viser correctement.

Jusqu'à la toute dernière scène du film, on voit quelques individus libérés (la bergère, le ramoneur, l'oiseau, le musicien) tenter de résister au système. David contre Goliath, pot de terre contre pot de fer, déséquilibre des forces exprimé par la danse aérienne du fragile petit clown accordéon. Et puis arrive le miracle de l'extraordinaire scène finale de fusion-transmutation où le fer se fait chair. Le robot, symbole de l'arme de destruction massive aveugle se met à penser dans la pose de la célèbre sculpture de Rodin sur les décombres du palais détruit. Lui aussi est touché par la grâce de l'animation qui a le pouvoir de donner vie et âme aux objets. Il libère l'oiseau avec délicatesse puis détruit la cage d'un poing rageur, laissant entrevoir la possibilité d'une technologie à visage humain.

La France ne s'est pas contenté d'inventer le cinéma. Elle a réinventé le cinéma d'animation à travers ce long-métrage. Le roi et l'oiseau est le tronc de deux des plus belles branches du cinéma d'animation contemporain. D'une part la branche japonaise des studios Ghibli avec plusieurs films de Miyazaki qui s'en inspirent directement (Le château de Cagliostro et Le Château dans le ciel). D'autre part la branche américaine des réalisateurs affiliés au studio Pixar. Le Géant de fer du bien nommé Brad Bird évidemment. Mais aussi la petite bergère en porcelaine de la trilogie Toy Story de John Lasseter (voir l'avis de Cavalierbleu sur le premier volet pour plus de détails).

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Le Procès

Publié le par Rosalie210

Orson Welles (1962)

Le Procès

Ce n'est pas le film d'Orson Welles que je préfère. Trop froid, trop cérébral, trop monocorde dans son inhumanité. C'est voulu bien sûr mais quitte à adapter Kafka, autant le faire avec un peu plus de fantaisie comme dans Brazil de Terry Gilliam (dont je suis une inconditionnelle).

Malgré ces réserves subjectives, le film est une réussite incontestable, tout à la fois exercice de style virtuose (décors, cadrages, lumières expressionnistes) et réflexion brillante sur la machine étatique qui écrase l'individu. On pense évidemment aux systèmes totalitaires et particulièrement au nazisme pour qui les juifs étaient simplement coupables d'exister. Certains plans se réfèrent directement à le seconde guerre mondiale (vieillards dévêtus et affublés d'un matricule, explosion "atomique" finale) Le caractère insondable de la machine bureaucratique s'allie avec l'absurdité de la situation de K et des autres accusés pris au piège d'un système opaque, organisé pour les broyer et dont les ramifications ne semblent pas avoir de fin.

On peut également donner à ce film une tout autre interprétation: celui de l'exploration d'une psyché torturée à la manière du film Cube ou d'un cauchemar à la façon d'Inception. Les décors étouffants, géométriques, labyrinthiques, qui s'emboîtent les uns dans les autres, les distorsions d'échelle (homme tout petit/porte immense), les situations irréelles (alignement d'hommes qui tournent le dos, disparitions/apparitions brutales...) vont dans le sens de cette thèse. On est frappé aussi par le fait que la justice, la police et les accusés sont tous des hommes, les premiers en situation de dominants castrateurs et les seconds de dominés humiliés. Les femmes, interchangeables, sont des objets de désir qui se dérobent et dont l'accès est interdit par les mâles dominants. La libido traitée surtout par le lapsus est refoulée ce qui conforte la sensation que l'on explore un inconscient dont le complexe d'Œdipe n'aurait pas été résolu.

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Tomboy

Publié le par Rosalie210

Céline Sciamma (2011)

Tomboy

L'enfance est un espace-temps de liberté, de créativité, de jeu, d'expérimentation. Et ce en toute innocence comme le souligne le cadre édénique des séquences où s'amuse la petite bande filmée par Céline Sciamma. Parmi eux, il y a Lisa la seule fille "incontestable" et un autre enfant à l'identité indécise. " C'est le regard des autres qui dit ce que nous sommes." Durant le premier 1/4 d'heure de son film, Céline Sciamma joue avec les stéréotypes implantés dans notre inconscient pour nous faire croire que cet enfant est un garçon (il conduit avec son père, il a les cheveux courts, s'habille, parle et gesticule de façon masculine, sa chambre est bleue...) Puis nouveau départ, sa mère le nomme, il s'appelle Laure et son identité biologique (on le vérifie dans la baignoire) est bien celle d'une fille. Sauf que c'est encore une fausse piste. Lorsque l'enfant qui vient de déménager quitte son immeuble pour la première fois et part se promener, il rencontre Lisa qui lui dit "Tu es nouveau? Comment tu t'appelles?" Et l'enfant de répondre sur un coup de tête, "Michaël". Il n'y a pas de manière plus juste de dépeindre la disjonction entre l'être et le paraître, entre l'identité biologique et l'identité de genre, entre la réalité objective et le ressenti intérieur.

Laure/Michaël devient alors cet être hybride (à l'image du papier-peint rose/bleu à l'arrière-plan de l'affiche) androgyne, suscitant le trouble chez Lisa séduite autant par sa composition de petit dur capable de tenir la dragée haute aux mecs de sa bande que par sa féminité sous-jacente qu'elle fait émerger lorsqu'elle le maquille ("ça te va trop bien"!) Même trouble chez Jeanne, la petite sœur de Laure/Michaël aux allures de poupée, ravie d'avoir subitement un grand frère qui l'intègre dans la bande, la protège et se bat pour elle. Quant à Laure/Michael, on la/le voit rivaliser d'imagination et d'ingéniosité devant son miroir pour trouver des solutions pratiques lui permettant de donner le change. La scène de la baignade est particulièrement remarquable car le spectateur se demande si le subterfuge va fonctionner (un pénis en pâte à modeler glissé dans son maillot de bain), si elle ne va pas être démasquée. Le naturel confondant avec lequel elle endosse le rôle brouille nos repères au point que l'on se demande si ce n'est pas plutôt son identité de fille qui est un rôle et sa composition de Michael qui est la plus proche de sa vérité intime.

Ces questionnements complexes sont filmés avec une remarquable simplicité et à hauteur d'enfant. L'enfant est en effet innocent. La violence et la perversion viennent des adultes. Violence sociale du carcan normatif qui oblige Laure à abandonner Michael lorsqu'il lui faut reprendre le chemin de l'école. Perversité du regard de certains mouvements intégristes religieux sur la sexualité véhiculée par le film associée à la honte, la souillure et au péché. Un conditionnement transmis aux enfants lorsque ceux-ci jugent négativement le baiser entre Lisa et Laure. Tomboy est pourtant au contraire de ces films qui restaure l'intégrité et la dignité de l'individu et s'insurge contre ce que l'on peut appeler "le meurtre de l'enfance".   

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Agora

Publié le par Rosalie210

Alejandro Amenabar (2009)

Agora

Je ne suis pas du tout fan de péplum car ils me restent sur l'estomac la plupart du temps, façon pudding indigeste. Mais j'ai adoré Agora et chaque nouveau visionnage me conforte dans l'idée qu'il s'agit d'un film suprêmement intelligent.

Le film est peut-être truffé d'inexactitudes historiques, j'ai envie de dire et alors? D'une part reconstituer une période de l'antiquité sans faire d'erreur est une mission impossible au vu des sources fragmentaires que nous possédons sur ce passé lointain. D'autre part Agora a le mérite de l'honnêteté en ne cherchant pas à cacher qu'à travers l'antiquité, ce sont des enjeux contemporains qui sont traités ce qui est TOUJOURS le cas des films historiques. Ceux-ci en effet nous renseignent au moins autant sur le contexte dans lequel ils ont été réalisé que sur la période qu'ils reconstituent.

Le film met au premier plan l'affrontement séculaire entre deux sources de savoir. Celui de la science et celui de la religion. La science est incarnée par la philosophe Hypatie d'Alexandrie qui a réellement existé mais dont on connaît mal les travaux, ceux-ci ayant été détruits dans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie (événement évoqué par le film). Qu'importe, Amenabar fait d'elle un précurseur de Galilée qui découvre les lois de la gravité et de l'héliocentrisme tout en enseignant ses découvertes à ses disciples. De plus il s'agit d'une femme. Même de nos jours l'autocensure les bride dans leur accès au monde scientifique. Il est donc d'autant plus important de faire connaître leurs figures illustres, Marie Curie n'étant que l'arbre qui cache la forêt. Le fait qu'Hypatie soit une femme souligne encore plus l'obscurantisme religieux auquel elle se heurte. Les accusations de sorcellerie qu'elle subit peuvent paraître anachroniques mais elles n'en sont pas moins justes car la fin du IV° siècle après JC se situe à la veille de l'effondrement de l'Empire romain et du basculement de l'occident dans l'obscurantisme du Moyen-Age. Nous savons aujourd'hui que les accusations de sorcellerie et la mise à mort qui s'ensuivait était un moyen pour l'Eglise à l'époque de l'Inquisition (à 100% aux mains du pouvoir masculin) de briser toutes les femmes puissantes. D'autre part s'il est erroné de ne montrer les religions cohabitant à Alexandrie que sous l'angle de l'affrontement, certains faits sont avérés. Le sac du temple de Sérapis en 391 après JC par exemple lié à l'interdiction du paganisme dans l'Empire Romain. Pour le reste, le choix de montrer un christianisme univoquement fanatique et manipulateur de masses s'il est largement simpliste repose également sur des faits avérés. Surtout il entre en résonnance avec les totalitarismes contemporains, tout particulièrement le nazisme (pour la milice des parabalani, les autodafés des manuscrits de la bibliothèque d'Alexandrie et les massacres de juifs) et l'islamisme radical de Daech (pour le vandalisme des œuvres païennes c'est à dire pré-chrétiennes).

Là ou selon moi le film atteint le génie, c'est qu'il évite tous les pièges du péplum. Aucune reconstitution empesée, aucune lourdeur, aucune grandiloquence, aucune affectation guindée. Les lieux, reconstitués avec beaucoup de soin et l'aide des meilleurs historiens de la période, respirent le vécu. Un maximum de scènes semblent prises sur le vif, comme un documentaire. Les personnages s'expriment et se comportent de façon réaliste. Les affrontements ne sont jamais magnifiés, l'accent étant mis sur leur barbarie. Et puis il y a tous ces plans absolument poignants qui à chaque vague de massacres et de destructions prennent de la hauteur. Une hauteur aérienne (les plans en plongée) ou cosmique. S'agit-t-il d'adopter le point de vue de Dieu? D'opposer la petitesse, la mesquinerie humaine à l'immensité de l'univers? D'épouser les interrogations métaphysiques d'Hypatie qui a sacrifié sa vie terrestre (résumée par le sang menstruel qu'elle "offre" à l'un de ses prétendants pour mieux l'éconduire) sur l'autel de son obsession céleste? Ou encore de montrer l'élévation de la pensée par contraste avec la bassesse des vils instincts? Les quatre à la fois? En tout cas c'est absolument magnifique.

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