Ce film qui sonne comme un slogan anarchiste ("Ni Dieu, ni maître") tient chaud. Il raconte comment un cabaret perdu au fond de l'Estaque devient le refuge d'une famille d'élection. Ce n'est pas exactement "Bagdad cafe" (1987) " mais il y a de cet esprit-là. La petite communauté qui se constitue sous l'égide du "Perroquet bleu" se compose de trois chômeurs de longue durée (Gerard MEYLAN, Jean-Pierre DARROUSSIN et Jacques GAMBLIN), d'une vieille strip-teaseuse qui a décidé de raccrocher les gants (Pascale ROBERTS), d'une boniche (Ariane ASCARIDE) convoitée par son patron (Alain LENGLET), d'un pré-adolescent orphelin et SDF (Farid Ziane), d'une jeune toxicomane (Laetitia PESENTI), d'un ancien légionnaire allemand (Jacques PIEILLER) et enfin de Papa Carlossa (Jacques BOUDET), un réfugié espagnol cloué sur un fauteuil roulant. Le film oscille entre deux des maîtres de Robert GUEDIGUIAN, Ken LOACH pour la défense des classes populaires et Frank CAPRA pour la fable humaniste. "Vous ne l'emporterez pas avec vous" (1938) aurait également pu être un autre titre du film, la description d'une communauté de "petites gens" soudés autour des mêmes valeurs de camaraderie et de solidarité. Celle-ci se constitue au gré des déboires des uns et des autres: Otto qui repêche Jaco tombé à la rue; José qui adopte Farid; Farid qui aime Vénus d'un amour innocent parce qu'il a encore un visage d'enfant; Papa Carlossa recueilli par Marie-Sol et Patrick avant que tous trois ne soient chassés de leur maison par la construction d'une piscine etc. Mais tout ce petit monde de marginaux utopistes n'est-il pas périmé sur les bords? La grossesse de Marie-Sol fait bien plus que fédérer le groupe et donner à chacun un rôle à jouer, elle leur donne un horizon comme le montre la dernière scène. Et j'aime beaucoup aussi celle où père et fille, passé et avenir sont réunis dans le même plan pendant que le reste de la famille chante "Ay Carmela", le chant résistant de l'Espagne antifranquiste.
"La veuve Couderc" est un film très réussi. Il possède de nombreuses qualités. N'ayant pas lu l'oeuvre originale de Simenon, je ne peux juger que d'après le film. Celui-ci est une fine étude de moeurs du monde paysan des années 30 qui ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis "La Terre" de Emile Zola. Une famille déchirée (au sens propre avec cette écluse qui passe entre les deux maisons ennemies) par une sordide histoire d'héritage. Mais aussi les regards lourds, insistants, méprisants des bonnes femmes du village sur la "veuve Couderc", "femme de mauvaise vie" qui après avoir subi en tant que servante les viols de son patron et du fils de celui-ci a renversé le rapport de forces en épousant le second dont elle est veuve et rendant le premier dépendant de ses "services". Et ce, au grand dam de sa belle-soeur (Monique CHAUMETTE) et de son mari (Boby LAPOINTE) qui se sont lancés dans une guerre d'usure pour chasser l'intruse de la maison où elle réside en face de la leur. C'est dans ce cadre délétère renforcé encore par le contexte historique de l'année 1934 (l'affaire Stavisky ternissant la République et la montée en puissance de l'extrême-droite symbolisée par des ligues nationalistes comme les croix de feu) que Pierre GRANIER-DEFERRE réussit à placer quelques belles respirations poétiques. Des péniches qui traversent silencieusement le canal comme autant d'appels vers le large, vers la liberté. Et la rencontre entre la veuve Couderc et Jean le repris de justice, entre Simone SIGNORET et Alain DELON. Parce qu'il est évident qu'entre ces deux monstres sacrés, le courant est passé. Une compréhension mutuelle entre ces deux personnages de parias qui se nourrit d'une tendresse évidente, palpable entre les deux acteurs. C'est sans doute cela qui a conduit Pierre GRANIER-DEFERRE à préserver cette complicité jusqu'au bout du récit, quitte à en changer l'issue. Il n'est pas fréquent de voir Alain DELON exprimer autant d'émotions à l'écran. La romance scandaleuse qui se noue entre les deux personnages à la différence d'âge marquée est un bras d'honneur à la société de dégénérés qui les entourent, symbolisée notamment par Félicie (Ottavia PICCOLO) qui semble avoir deux ans d'âge mental mais aussi par la montée en puissance du fascisme avec une fin qui a un petit côté "Bonnie et Clyde" (1967) avant l'heure.
"L'histoire écrite par les vainqueurs", cela vaut aussi pour les femmes, tombées dans les oubliettes de l'histoire du cinéma hollywoodien dès que celui-ci commença à transmettre par écrit la légende de son premier âge d'or autour des années 30-40. Sauf qu'il y avait eu déjà un premier âge d'or au sein des studios californiens dans les années 10 et 20. Il tenait dans un carton d'archives de la cérémonie des Oscars de ces années là. O surprise: des photos de femmes à tous les postes: réalisatrices, scénaristes, monteuses, productrices, directrices de studios. Des photos sans nom, des visages oubliés, quel que soit leur succès et leur reconnaissance de leur vivant comme Frances MARION, autrice de 300 scénarios dont beaucoup pour Mary PICKFORD et titulaire de deux Oscars ou encore Lois WEBER, à la tête du premier studio portant son nom.
La raison de cette concentration féminine dans les premières années d'existence du cinéma est très simple à comprendre. Il s'agissait alors d'une forme de divertissement expérimental auquel n'était attaché ni prestige social, ni fortune. Il était donc méprisé par les hommes et investi par les femmes. Dès que le cinéma devint un business dans l'entre-deux-guerres, surtout avec l'arrivée du parlant, les hommes prirent les commandes et renvoyèrent les femmes dans l'ombre, sauf en tant qu'actrices, seul domaine où elles pouvaient encore exercer un pouvoir leur permettant rarement d'atteindre d'autres fonctions. Le rôle des syndicats corporatistes dans cette mutation est souligné car les femmes en étaient exclues. Conséquence, alors qu'il existait une centaine de réalisatrices avant 1930, il n'y en avait plus que deux après cette date, Dorothy ARZNER et Ida LUPINO. Quant aux pionnières, elles tombèrent dans l'oubli, les soeurs Kuperberg soulignant que durant leurs études de cinéma, elles n'en avait jamais entendu parler. La transmission sélective de l'histoire de cet art comme celui des autres d'ailleurs fait que l'on met Charles CHAPLIN dans la lumière en laissant Mabel NORMAND qui l'a pourtant dirigé dans l'ombre. Et il en va de même bien entendu pour Georges MELIES et Alice GUY. Non seulement le film rend à cette pionnière du cinéma la primauté du premier film narratif de l'histoire du cinéma mais également du premier film sonore, dès 1906. Quant à Mae WEST, le film rappelle qu'elle scénarisait ses films et qu'elle avait casté pour le rôle masculin de l'un d'entre eux un parfait inconnu qui n'allait pas le rester longtemps, Cary GRANT.
Il faut quand même souligner que depuis 10 ans et la sortie du film, la situation a tout de même évolué, tant en ce qui concerne la place des femmes dans le cinéma hollywoodien de nos jours que dans la transmission de leur héritage, même s'il reste du chemin à parcourir. Aux côtés de Kathryn BIGELOW, il y a maintenant Chloe ZHAO et Jane CAMPION (la pionnière des prix!) sans parler du prix du scénario remis à Justine TRIET alors que les pionnières sortent de l'ombre, une à une.
"Amal, un esprit libre" est enfin un film scolaire à la hauteur des enjeux, un film engagé et courageux qui ne prend pas de gants et va jusqu'au bout de la logique délétère de la radicalisation islamiste, à la manière d'un Yves BOISSET (fin comprise). Un sujet inflammable instrumentalisé par les logiques partisanes auquel n'échappe pas le film, pris dans des polémiques qui obscurcissent son propos alors qu'il est relativement peu distribué en France. Cette frilosité s'apparente au "pas de vagues" qui a longtemps sévi à l'éducation nationale avant que les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard ne révèlent une réalité dépassant la fiction.
"Amal, un esprit libre" qui comme les autres films récents sur le sujet repose sur une spirale de violence sous les regards apeurés de la communauté éducative (trop simplifiée, une fois de plus) m'a fait quelque peu penser à "Vol au-dessus d'un nid de coucou" (1975). Il dépeint en effet une lutte d'influence entre l'obscurantisme et les lumières au sein d'une micro-société, métaphore de la société dans son ensemble. La micro-société dépeinte n'est pas seulement la salle de classe ni même seulement l'école, c'est un quartier de Bruxelles à forte composante musulmane. Le prof de religion (matière obligatoire en Belgique qui ne le sera plus à la rentrée 2024), converti de fraîche date au salafisme est un as de la tartufferie, un véritable Janus qui présente bien pour mieux assoir son pouvoir dans l'ombre. Face à lui, une passionaria de la défense des libertés, Amal, musulmane mais laïque. Pour défendre une élève harcelée par ses camarades pour son apparence puis son orientation sexuelle, elle se lance dans une contre-offensive maladroite en leur faisant lire les poèmes d'un écrivain musulman bisexuel. L'enfer est pavé de bonnes intentions et elle met ainsi le doigt dans un engrenage infernal. Même si on peut juger que le propos manque de nuances, on ne peut qu'être touché par le feu intérieur qui consume Amal, interprété avec fougue par Lubna AZABAL. Porte-parole du réalisateur, lui-même belgo-marocain, elle fait ressentir ce qu'a d'insupportable la pression islamiste exercée sur les musulmans modérés ou laïcs ainsi que le fait d'être amalgamé à eux, le reste de la société préférant détourner les yeux et les abandonner à leur sort. "Amal, un esprit libre" est le cri d'un homme en colère et cette sincérité fait du bien.
"La Loi de Téhéran", grosse claque cinématographique de 2021 méritait bien un making-of retraçant sa genèse. Et de fait, le documentaire de Pierre-Olivier FRANCOIS qui s'inscrit dans la collection "Un film et son époque" est particulièrement fouillé. Il faut dire que la conseillère artistique du film est Asal Bagheri, enseignante-chercheuse et spécialiste du cinéma iranien dont j'ai pu apprécier la qualité des interventions lors d'une conférence consacrée à la censure dans le cinéma iranien. Elle intervient à plusieurs reprises dans le documentaire, tout comme Saeed ROUSTAEE, Payman MAADI et d'autres membres de l'équipe du film. Le documentaire, qui rappelle l'importance du cinéma en Iran, y compris depuis la révolution islamique de 1979 souligne la singularité de "La Loi de Téhéran" au sein de la production cinématographique nationale. En effet, à l'inverse du film d'auteur intimiste d'un Abbas KIAROSTAMI ou Asghar FARHADI fait pour concourir à Cannes, "La Loi de Téhéran" s'apparente à un blockbuster et reprend nombre de codes du cinéma américain grand public. Il a d'ailleurs été adoubé par William FRIEDKIN comme une sorte de "French Connection" (1971) iranien. C'est sans doute l'une des clés de son succès international. Mais il fait également un triomphe en Iran, de par son traitement réaliste et humain du fléau de la drogue gangrenant la société des Mollahs. Le documentaire fait d'ailleurs le point sur l'importance du trafic et de la consommation dans le pays qui partage une frontière avec l'Afghanistan, principal producteur mondial d'opium et d'héroïne. Le film dans lequel ont tourné de véritables drogués fait la lumière sur un phénomène ne cessant de prendre de l'ampleur en dépit de la répression du régime qui condamne à mort trafiquants et consommateurs en possession de plus de 30 grammes de drogue. C'est pourquoi le flic intègre joué par Payman MAADI ne peut tirer aucune gloire de ses succès. Quant au trafiquant, joué par Navid MOHAMMADZADEH qui a connu avec ce film une notoriété internationale méritée, il accède à une profondeur qui en fait un authentique personnage tragique.
"Gangs of New York" est un grand film, traversé par des fulgurances de mise en scène comme on n'en voit pas si souvent. C'est le "Naissance d'une nation" de Martin SCORSESE qui offre un contrechamp à la vision sudiste et raciste que donnait D.W. GRIFFITH de la guerre de Sécession et qui complète celle qu'en donne les westerns. D'ailleurs le film a été qualifié, non sans raison de western urbain. Même si l'histoire de vengeance racontée dans le film est très classique dans son déroulement, elle s'inscrit toujours dans une histoire qui la dépasse et c'est cette profondeur de champ qui est passionnante. Ainsi la guerre de territoire entre les gangs qui ouvre et ferme le film recouvre des visions opposées de l'Amérique en train de se construire. Celle-ci est dominée par les autoproclamés "native americans" ce qui est une imposture car les seuls véritables autochtones sont les indiens, absents du film. Par "native", il faut comprendre WASP (white anglo-saxons protestants), les descendants des premiers migrants arrivés sur le sol des USA au XVII° siècle avec le Mayflower et qui constituent encore aujourd'hui l'élite des USA. Ces élites, on les voit bien dans le film à travers la famille Schermerhorn qui vit sur la cinquième avenue ou encore William "Boss" Tweed (Jim BROADBENT), un homme politique influent et corrompu. Dans le contexte de la guerre de Sécession qui est aussi une guerre de civilisation entre le Nord urbain et industriel et le Sud rural agricole et esclavagiste, ces élites recrutent à tour de bras de la chair à canon venue d'Europe. Dans un plan-séquence virtuose génial qui rappelle combien il vénère le cinéma muet et en maîtrise le langage, Martin SCORSESE montre les migrants sortir du bateau pour remonter aussitôt dans un autre après avoir revêtu l'uniforme de l'Union avant qu'une grue ne descende les cercueils innombrables de ceux qui sont tombés au champ d'honneur.
Mais les WASP ont aussi leur lot de laissés-pour-compte, "petits blancs" pauvres qui n'ont que leurs origines pour se valoriser au détriment des autres vivant avec eux dans la fange des bas quartiers de Manhattan*. On comprend mieux le terme "natif" et la haine pugnace que Bill le Boucher (Daniel DAY-LEWIS) et les siens vouent aux migrants de fraîche date et aux non-WASP, tout particulièrement les irlandais qualifiés de "mangeurs de pommes de terre" (comme les "macaronis" italiens chez nous à la même époque). C'est parmi eux que se dresse le gang rival, celui des "Dead Rabbits" dont le chef est le père Vallon (Liam NEESON) que son fils Amsterdam (Leonardo DiCAPRIO) a décidé de venger en s'attaquant à son meurtrier, Bill le boucher devenu un puissant roi de la pègre qui a ses entrées chez les flics et les politiciens, le Boss Tweed en tête.
Martin SCORSESE dresse ainsi un tableau éloquent des fractures ethniques et sociales qui ont servi de fondation à une nation qui s'est érigée dans la violence. En effet les solutions pacifiques sont systématiquement torpillées au profit d'affrontement meurtriers entre gangs rivaux et d'émeutes violemment réprimées des pauvres contre les riches face à l'iniquité de la conscription, émeutes également à caractère raciste, les petits blancs utilisant les noirs comme boucs-émissaires. Les cinq plans finaux, absolument magistraux décrivent l'effacement progressif des traces de ce passé sauvage et sanglant au premier plan pendant que Manhattan revêt peu à peu au second plan son visage contemporain de forêt de buildings de verre et d'acier.
* Ce sont leurs descendants qui votent aujourd'hui Trump.
Je ne sais pas si c'est intentionnel, mais le point de départ de "Si on s'aimait" m'a fait penser à la première partie de la pièce "Oh les beaux jours" de Samuel Beckett. Soit une femme vieillissante qui tombe dans un trou et se retrouve coincée sous son plancher, seul le haut de son corps émergent du sol. Soit une métaphore assez limpide de la situation de cette sexagénaire séparée de son mari dont la seule perspective se résume à attendre la mort. Helga n'est pas à proprement parler isolée mais au cours du film, sa solitude est mise en évidence par les coups de fils de sa fille qui n'a pas le temps d'aller la voir, par ses amies superficielles et surtout par la scène du concert où elle se rend avec son homme de ménage faute d'avoir trouvé quelqu'un d'autre pour l'accompagner avant de fondre en larmes à la vue de son ex-mari venu avec sa nouvelle compagne. Cet homme de ménage qui surgit à l'improviste pour un remplacement a tout de la pièce ronde à introduire dans un univers carré: il est étranger et ne parle pas l'allemand (et Helga ne parle pas anglais ce qui rend leur communication difficile), il est moins âgé qu'elle et surtout, il brouille les repères du patriarcat puisque Helga le domine socialement. Toutes proportions gardées car Ryszard n'est pas jeune, n'est pas un apollon et n'a rien d'exotique, leur relation fait penser à celles que certaines riches occidentales esseulées s'offrent avec de jeunes hommes issus de pays pauvres. La question de l'argent et celle du regard social constituent des entraves au moins aussi importantes que la barrière de la langue. Comme dans le modèle du genre, "Tout ce que le ciel permet" (1955) mais sur le mode de la comédie. Comment faire exister cette histoire dans un monde qui n'est pas adapté pour elle, sinon en faisant les réajustements qui s'imposent, à commencer par déménager. Mais Helga fait moins qu'elle ne laisse faire, les faux-semblants tombants tout seuls comme des fruits mûrs. Un grand ménage de printemps parfaitement salutaire!
"Club Zéro" m'a fait penser par le milieu friqué et mortifère dépeint et son style froid, distancié, épuré et satirique au seul film de Ruben OSTLUND que j'ai vu, "Snow Therapy" (2014). Les questions soulevées sont pourtant pertinentes mais la manière dont elles sont traitées interroge. En effet ce n'est pas parce que Miss Novak (Mia WASIKOWSKA) est une gourou sectaire que Jessica HAUSNER doit coller à ce point à sa vision du monde dénuée de vie et d'affect. Tel quel, c'est le film qui est dénué de vie et d'affect, montrant une bande de jeunes embrigadés par leur prof, laquelle après une première phase d'hameçonnage autour de la "nutrition consciente" et de toutes les questions légitimes relatives à l'écologie ou de la santé que l'on peut se poser autour tombe le masque et leur propose de ne plus manger du tout. Malgré le maquillage verdâtre censé montrer les dégâts du jeûne prolongé, on peine à croire une seule seconde que ces adolescents sont véritablement anorexiques et il en va de même pour leur prof dont on ne sait rien, au-delà de sa logorrhée verbale, même pas comment elle mange lorsqu'elle ne se met plus en scène. Parce que la duplicité du personnage ne fait guère de doute mais la satire est paresseuse, se réduisant à une tisane commercialisée avec sa bobine sur l'emballage. Bref, le film est désincarné, abstrait et superficiel, n'utilisant le sujet que comme un prétexte à de pathétiques provocations et à un esthétisme léché, évitant soigneusement de se confronter à la maladie et à la mort en jouant la carte du conte moral. Les parents dépassés tout comme le personnel de l'établissement sont des éléments du décor parfaitement assortis à leurs intérieurs design ou cosy mais on est pas chez Jacques DEMY, hélas. "Club zéro", oui, zéro émotions.
Film d'animation haut en couleurs aux accents proustiens, "Linda veut du poulet" est une course-poursuite menée tambour battant pour mettre la main sur le précieux volatile, ingrédient principal de la recette du poulet aux poivrons. Celle-ci est le plus cher souhait de Linda parce que c'est le seul souvenir qu'il lui reste de son père disparu quand elle était bébé. Et sa mère qui l'a punie injustement est prête à se couper en quatre pour se faire pardonner. Le problème est que Paulette ne cuisine pas et qu'elle ne peut pas faire de courses ce jour-là, les magasins étant fermés pour cause de grève générale. Il va donc lui falloir trouver sa matière première à la source et de façon plutôt cavalière mais ne maîtrisant pas les gestes de la fermière, le poulet va faire des siennes. D'autres personnages entrent bientôt dans la danse: les amies de Linda qui tentent de l'aider à faire le plat ce qui est surtout matière à divers gags (les poivrons qui brûlent, le chien qui mange le poulet...), des policiers zélés, un camionneur allergique aux plumes de poulet, Astrid, la soeur de Paulette etc. Tout cela est mis en scène avec une belle énergie et une symbolique qui fait mouche. A chaque personnage est attribué une couleur qui de loin, le fait ressembler à une tache colorée ce qui finit par former une sorte de guirlande multicolore lorsque tous les participants passent à table. La nuit, seuls les contours des personnages restent en couleur et Linda se demande si tout est noir quand on est mort. Contre l'oubli, restent les sensations. La symbolique du père perdu et retrouvé ne s'arrête pas à ce repas pris ensemble, il concerne aussi la punition injustement donnée à l'origine de l'affaire. Une punition relative à une bague, elle aussi liée au père que Paulette croit perdue et qu'elle finit par retrouver. Proust avait sa madeleine, Linda a désormais son poulet.
Une revenante. Comme Ana TORRENT, Natja BRUNCKHORST est devenue mondialement célèbre très jeune grâce à "Moi, Christiane F., 13 ans, droguee, prostituee..." (1981) avant de disparaître (ou presque) de la circulation pendant des décennies. Et voilà que Arte nous donne de ses nouvelle en diffusant le film qu'elle a réalisé en 2020, "L'Ordre des choses". Très bonne initiative de leur part!
"L'Ordre des choses" repose sur la rencontre de deux personnes dont les appartements reflètent les conceptions opposées de la vie. Un thème archi-classique mais le traitement l'est moins. En effet très rapidement, Fynn, jeune ingénieur informatique qui ne possède que le strict nécessaire dans son appartement se retrouve temporairement sans domicile et contraint de squatter chez sa voisine avec sa valise. Et l'essentiel de l'intrigue prend place dans cet appartement archi-encombré. Marlen est en effet atteinte de syllogomanie et accumule chez elle des objets inutiles au point qu'il devient compliqué de s'y déplacer et d'y vivre. Si contrairement au cas exposé par Thierry Jonquet dans "La Bête et la Belle" qui s'accompagne du syndrome de Diogène, l'appartement est propre et ressemble plus à une vieille librairie ou à une boutique d'antiquités qu'à un dépotoir, les troubles associés à ce syndrome sont bien présents. Marlen vit seule, fuit les relations sociales et s'est isolée du monde, refusant toute intrusion dans son appartement qu'elle sait non conforme aux normes de sécurité. Et elle s'avère incapable de se débarrasser de son bric-à-brac. Celui-ci forme une sorte de carapace à l'intérieur de laquelle elle peut se réfugier. Elle vit la présence de Fynn plutôt mal donc mais celui-ci cherche à l'apprivoiser et imagine diverses stratégies pour l'aider à reprendre le contrôle de son environnement qui menace de lui échapper.
Le film est centré sur Marlen, le personnage masculin étant en quelque sorte son chevalier servant, ce qui est plutôt original, les portraits de femme étant moins nombreux et moins fouillés que ceux des hommes la plupart du temps. Fynn tel un chevalier servant met ses talents d'ingénieur au service d'une organisation plus rationnelle de son intérieur. Le résultat est particulièrement beau et poétique et sans remettre en cause son mode de vie est une métaphore réussie d'une vie plus harmonieuse.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.