Après la version suédoise de Ingmar BERGMAN et celle, britannique de Kenneth BRANAGH, voici une nouvelle adaptation à la sauce blockbuster US du dernier opéra de Mozart. En effet bien que le réalisateur soit allemand, le vrai maître d'oeuvre est le producteur Roland EMMERICH. Les références sont transparentes: un univers copié sur celui de Harry Potter avec un train pour rejoindre une école sélect au milieu des montagnes et un portail vers un monde magique, un héros au nom, Tim Walker qui résonne comme un certain Luke Skywalker, un directeur d'école qui est joué par F. Murray ABRAHAM alias Salieri dans le chef d'oeuvre que Milos FORMAN a consacré à Mozart etc. L'objectif est clairement de toucher les jeunes générations tout en recherchant l'approbation des parents. Le résultat n'est pas désagréable mais il donne quand même l'impression d'un collage entre deux histoires qui n'ont guère de rapport l'une avec l'autre. D'un côté un teen movie tout ce qu'il y a de plus convenu (le directeur peau de vache, le bon copain, la brute de service, la jolie fille prédestinée à devenir la petite amie...), de l'autre, l'opéra de Mozart en version diluée et abrégée forcément dont on peine à saisir la teneur ésotérique et le message progressiste. La franc-maçonnerie est évoquée mais bien peu exploitée (hormis autour de la symbolique du chiffre 3). Ce qui n'arrange rien dans la version que Arte propose, c'est que le film n'existe qu'en version française avec des textes chantés en français (ou en anglais). La version allemande n'est en effet pas sous-titrée. Anecdotique.
Brillante première réalisation du duo Fernando TRUEBA et Javier MARISCAL qui fait penser, forcément pour ceux qui l'ont vu à "Buena Vista Social Club" (1999) de Wim WENDERS. Car l'histoire de Chico, inspirée par la vie du père du latin jazz Bebo VALDES (qui a composé la majeure partie de la musique du film) est celle de tous ces musiciens cubains ayant animé les cabarets de jazz sur l'île dans les années 40 et 50 avant de tomber dans l'oubli suite à la chute du dictateur pro-US Batista qui rendit cette musique et la culture associée à celle-ci "persona non grata" dans le nouvel Etat communiste. Le film étant pour l'essentiel construit sur un flashback nostalgique, on découvre d'abord Chico âgé, survivant comme cireur de chaussures. Mais comme Ruben GONZALEZ, Ibrahim FERRER ou Compay SEGUNDO et comme son modèle, Bebo VALDES, il entame une seconde carrière à l'âge de la retraite sous l'impulsion d'une nouvelle génération. Comme son titre l'indique, le film est aussi l'histoire de Rita Martinez, formant à la ville comme à la scène un duo complémentaire avec Chico. Un personnage fictif s'inspirant des chanteuses latino à la voix d'or ayant fait une carrière internationale mais s'étant heurté aux discriminations raciales et au machisme ordinaire. Les relations entre Chico et Rita en effet sont orageuses, systématiquement contrariées et pas toujours par des éléments extérieurs. Chico jeune apparaît comme un mufle, aussi veule qu'indélicat. Le film nous transporte par sa musique évidemment mais aussi par son animation qui est artisanale et de toute beauté. L'atmosphère est immersive, on se croirait véritablement transporté à La Havane d'avant la révolution avec ses cabarets aux enseignes fluo ou à New-York avec ses clubs de jazz semi-clandestins et les personnages sont incarnés. Ainsi Rita possède une telle sensualité qu'on croit voir devant nous un être de chair et de sang. Bref "Chico & Rita" est un film vibrant et vivant, incontournable, notamment pour tous les amoureux de ce style musical.
La filmographie de Ettore SCOLA est remplie de films confrontant petite et grande histoire. Grande histoire évoquée généralement de façon indirecte, soit à travers le cinéma ("Nous nous sommes tant aimes") (1974), soit par la bande-son en hors-champ ("Une journee particuliere" (1977), "La Famille") (1987). "Le Bal" est une variante originale de ce dispositif, réussissant à nous faire traverser un demi-siècle d'histoire, de 1936 à 1983 sans bouger du dancing art-déco parisien qui constitue le décor unique du film par le biais de la musique, de la danse, des costumes et éléments du décor. Ettore SCOLA adapte en effet une pièce créée en 1981 par la troupe du théâtre du Campagnol (qui reprennent leurs rôles dans le film). Mais il ajoute sa pierre à l'édifice avec des moyens proprement cinématographiques: la bande-son, les lumières, la photographie et puis bien sûr la musique. "Le Bal" constitue en effet l'unique collaboration entre Ettore SCOLA et Vladimir COSMA qui a réalisée la bande originale. Celle-ci est la clé de voûte de l'édifice. Vladimir Cosma a composé des chansons et en a arrangé d'autres préexistantes et ce sont elles le meilleur commentaire puisque le film est dépourvu de dialogues. Les acteurs-danseurs sont tous remarquables, parvenant à créer des personnalités expressives à partir de leurs postures et de leurs gestuelle. La dancing est tantôt le support de bals musette populaires comme en 1936 où l'on fête la victoire du Front populaire, tantôt le théâtre de danses de salon plus guindées avant que le disco ne fasse éclater les codes. La présence d'un ou plusieurs personnages typés aide à caractériser l'époque: un sosie (très crédible) de Jean GABIN s'invite au milieu de "La Belle équipe" (1936) avant de refaire un come-back 20 ans plus tard en inspecteur bedonnant. Un officier allemand (joué par Jean-Francois PERRIER alias M. Interligator dans "Delicatessen") (1990) tente par l'intermédiaire de son sous-fifre collabo de s'attirer les bonnes grâces des danseuses françaises avant d'être remplacé par des GI et du Coca-Cola puis par des appelés en Algérie alors qu'une ratonnade éclate dans les toilettes. Les blousons noirs sont remplacés par les rebelles de mai 68. Tout change pour que rien ne change alors que seules les photos accrochées au mur à la fin de chaque séquence témoignent du passage du temps.
La mort récente de Niels ARESTRUP a fait ressurgir à la télévision son dernier film, "Divertimento". Un biopic qui a le mérite de mettre en lumière la cheffe d'orchestre Zahia Ziaouni (interprétée par Oulaya AMAMRA) dont les années de formation ont été semées d'embûches relatives à son genre, à sa classe sociale et à ses origines. D'ailleurs le film rappelle s'il en était besoin que dans le monde seulement 6% des chefs d'orchestre sont des femmes et encore moins en France (4%). Zahia détonne donc dans le milieu machiste et élitiste de la direction d'orchestre classique, tout comme sa soeur jumelle, Fettouma, brillante violoncelliste (jouée par Lina EL ARABI). L'amour du père (Zinedine SOUALEM) pour la musique classique est mis en avant pour expliquer l'éveil musical précoce de ses deux filles et leur engagement visant à permettre à un plus large public d'accéder à la culture. Ces parcours hors-normes auraient cependant mérité d'être illustrés de façon moins convenue et moins maladroite. Tel quel, le film accumule les poncifs du genre "avec la persévérance, on y arrive" et les maladresses. Après un bizutage en bonne et due forme, l'hostilité des élèves parisiens friqués fond comme neige au soleil lorsque Zahia est repérée par un mentor faisant autorité c'est à dire un chef d'orchestre reconnu et cochant toutes les cases du bon profil. Heureusement que c'est Niels ARESTRUP qui l'interprète mais son personnage a tendance hélas à se réduire à sa fonction, rebattue au cinéma: propulser Zahia Ziaouni vers la réussite. Il en va de même avec la facilité déconcertante avec laquelle Zahia et sa soeur réussissent à créer de la mixité avec leur orchestre mêlant beaux quartiers parisiens et conservatoire de banlieue, y incluant même une jeune fille handicapée. Bref, on est davantage dans le conte de fées que dans la réalité, dans des schémas usés jusqu'à la corde que dans la nouveauté. Le récent "En fanfare" (2023) qui pose également la question du comblement du fossé social par la musique et l'illustre dans sa scène finale par l'interprétation du Boléro de Ravel s'avère autrement plus percutant.
La bande-annonce m'avait attirée, notamment parce que j'avais envie de découvrir Pierre LOTTIN dont je n'avais pas retenu la prestation dans "La Nuit du 12" (2021) perdue au milieu de la galerie de rôles d'ex masculins macho et/ou violents. Cette fois, il tient un premier rôle complexe aux côtés d'un Benjamin LAVERNHE tout aussi remarquable. Mais pour une fois la bande-annonce ne dévoile pas la réalité du film, du moins pas complètement. Elle fait croire qu'il s'agit juste d'une comédie "feel good" alors qu'il y a en son sein des éléments dramatiques voire même tragiques qui finissent par donner au film un caractère poignant, déchirant. Lorsque Thibaut, bouleversé d'apprendre qu'il a été adopté dit au début du film que "le mensonge tue", il sait de quoi il parle: il souffre d'une leucémie. Cette maladie, traduction d'un corps en souffrance (Alice Miller disait dans son dernier livre que "notre corps ne ment jamais") lui permet de découvrir la vérité sur ses origines et Jimmy, ce frère biologique dont il ignorait l'existence. Frère passionné et surdoué en musique tout comme lui-même ("c'est dans les gènes") mais séparé de lui par une infranchissable barrière sociale. Jimmy est cantinier dans une petite ville du Nord et joue du trombone dans une fanfare locale tandis que Thibaut est un chef d'orchestre issu de la bourgeoisie parisienne et mondialement connu. Alors certes, comme on peut s'y attendre (et comme la bande-annonce le souligne de façon insistante), la rencontre entre ces deux pôles opposés fait des étincelles comiques. Mais elle produit également de la souffrance et pousse à s'interroger sur les injustices générées par le déterminisme social. Jimmy éprouve logiquement du ressentiment envers la réussite de Thibaut mais ce dernier, seul et malade n'est pas montré forcément comme mieux loti. Il est d'ailleurs lui aussi rongé par un sentiment de gâchis irréparable qui le pousse à tout tenter pour combler le fossé qui le sépare de Jimmy. En réalité et c'est ce qui fait aussi l'intelligence du film, Emmanuel COURCOL se garde bien de fournir des réponses toutes faites. Il laisse le spectateur se faire sa propre idée. Et ceux qui pensent que "En fanfare" est une success story en seront pour leurs frais, tant les deux frères, pour des raisons différentes semblent de débattre dans une impasse. Mais la bouleversante réunion autour du Boléro à la Seine musicale rappelle que l'idée serait venue à Ravel en passant devant les chaînes de montage de l'usine Renault de Boulogne-Billancourt bien avant qu'elle ne soit remplacée par la salle de concert de l'île Seguin.
Il faut avoir la foi pour aimer "Tralala" mais la magie n'a pas opéré sur moi. Certes, il s'agit d'un film soigné notamment au niveau de la bande-son, de la photographie et des décors, un film qui a du style, du bon goût (clin d'oeil à Jacques DEMY, hommage à Alain BASHUNG avec un Bertrand BELIN à la troublante ressemblance y compris dans le phrasé) mais il manque l'essentiel: des personnages qui aient un tant soit peu de consistance et un scénario qui tienne la route. Le personnage de vagabond joué par Mathieu AMALRIC (abonné aux rôles distanciés) n'est pas suffisamment construit pour exister, il n'est qu'une enveloppe qui se glisse dans la peau d'une autre enveloppe, un jeune homme dont on ne sait rien sinon qu'il était un musicien et un séducteur irrésistible. Cet aspect est particulièrement peu crédible. La condition de SDF n'est pas vraiment ce qu'il y a de mieux pour tomber les filles à moins de s'en faire une idée très éloignée du réel. Il s'agit davantage d'une rêverie qu'autre chose. Le personnage de Melanie THIERRY en particulier semble avoir passé au moins vingt ans dans une grotte (^^) à attendre le retour de son amour de jeunesse, d'ailleurs elle dit que le temps n'a pas passé mais qu'elle va avoir quarante ans. J'espère pour elle qu'elle a vécu des choses intéressantes entretemps! L'autre ex jouée par MAIWENN n'est guère plus consistante en propriétaire d'hôtel de luxe qui elle aussi ne s'est jamais remise de ses parties de jambes en l'air dans la chambre 617 avec "Pat". Elle prétend avoir une fille de lui, Virginie (Galatea BELLUGI) alors que le vagabond était justement venu à Lourdes pour tenter une aventure avec cette dernière qu'il avait rencontré alors qu'elle faisait une fugue à Paris. Ce n'est pas de chance d'avoir endossé l'identité du père! Au moins si cela nous épargnait une scène gênante d'inceste à la "Trois places pour le 26" (1988)? Et bien même pas, puisque Tralala n'est pas son vrai père! Tout est à l'avenant, sans importance aucune. Les belles idées de mise en scène, c'est bien (Josiane BALASKO filmée à contre-jour et dont le visage peu à peu se dessine au fur et à mesure qu'elle dit reconnaître son fils disparu), mais sans aucune émotion pour leur donner vie, à quoi bon?
Je ne connaissais pas du tout "Wayne's world" avant que le Blow up de Luc Lagier consacré au groupe Queen ne me le fasse découvrir. En effet une partie de son statut de film culte est liée à sa séquence inaugurale sur "Bohemian Rhapsody" (Bryan SINGER s'en souviendra lorsqu'il réalisera le film-hommage à Freedy Mercury en donnant un rôle à Mike MYERS en forme de clin d'oeil). Mais le reste du film n'est pas mal non plus. Dès les premières secondes, on reconnaît en Wayne et Garth (Mike MYERS et Dana CARVEY) deux bêtes de scène du Saturday Night Live (SNL), cette incroyable fabrique à talents et à idées de films des années 80 puisque "Wayne's world" était à l'origine un simple sketch. L'aspect "boîte à idées" du film ressort dans le confinement propre à l'univers geek des ados attardés joués par le duo qui produisent une émission de télévision dans la cave des parents de l'un d'eux, se déplacent dans une voiture customisée avec leurs comparses, parlent un langage spécifique, bref, vivent dans une bulle. Le propos du film réside dans la rencontre entre cette sous-culture geek et les médias mainstream aux mains de gros capitalistes avides de se faire de l'argent sur leur dos. Mais Myers et Carvey tournent en dérision le sponsoring, le placement de produits, les signatures de contrat, les scènes performatives à Oscar et autres "astuces" lucratives tout en rendant hommage à la pop culture avec des caméos musicaux (une rencontre avec Alice COOPER en ancêtre du groupe Gojira ^^), cinématographiques (l'excellent passage reprenant du point de vue de l'automobiliste une scène de "Terminator 2 : Le Jugement dernier" (1991) avec Robert PATRICK) ou encore télévisuelles (la délicieuse fin alternative à la "Scoubidou") (1969). Bref, même si c'est peut-être moins stylé et engagé que "The Blues Brothers" (1980) c'est tout aussi barré et fun que "Ghostbusters" (1984), autres réussites "made in SNL" passés au rang de films cultes.
Très belle découverte que ce film, le premier long-métrage de Leyla BOUZID qui me donne envie de voir le deuxième "Une histoire d'amour et de desir" (2019). Le style est flamboyant et le scénario, subtil. Il peut en effet se lire aussi bien comme un récit initiatique que comme celui d'une désillusion ou encore celui d'une prise de conscience. Il mêle habilement le douloureux passage à l'âge adulte de Farah, 18 ans à une relation mère-fille conflictuelle et à un contexte historique précis: celui des quelques mois qui ont précédé la révolution du jasmin en Tunisie fin 2010 et début 2011 ayant abouti au départ du dicteur Ben Ali qui était au pouvoir depuis 1987. Farah et son groupe de musique jouent en quelque sorte le rôle d'éclaireurs, exprimant les aspirations à la liberté de toute une génération. Les textes engagés et la folle énergie déployée par la jeune chanteuse captivent l'auditoire et le spectateur, entraîné dans une atmosphère électrique. En même temps et dès les premières images, les signes que l'histoire se déroule dans un Etat policier sont présents et se font de plus en plus envahissants jusqu'à prendre toute la place à la fin. Dans la première partie du film, le spectateur a l'illusion d'être dans un pays occidental en suivant une jeune fille issue de la bourgeoisie libérée voire délurée qui boit, fume, fait la fête, a une relation amoureuse et ne semble rencontrer que l'opposition de Hayet, sa mère qui veut qu'après son bac décroché brillamment elle fasse médecine. Puis peu à peu on comprend qu'en réalité Hayet n'est pas castratrice, bien au contraire mais qu'elle tremble pour sa fille et on comprend peu à peu qu'il y a de bonnes raisons à cela. Ce ne sont pas seulement les illusions de Farah qui disparaissent les unes après les autres, ce sont aussi les nôtres. En témoigne par exemple la scène où Hayet se rend dans un café pour rencontrer l'auteur-compositeur du groupe le soir de la disparition de Farah et où Leyla BOUZID filme longuement les regards pesants que les clients, tous masculins, font peser sur elle. Une expérience que n'importe quelle femme ayant vécu ou voyagé au Maghreb a pu faire et qui en dit plus long que tous les discours sur la réalité de sociétés encore très marquées par la tradition et ses valeurs machistes.
Encore un grand classique que je n'avais jamais vu et qui m'a permis de corriger un peu l'image très sombre que j'avais jusqu'ici du cinéma de Henri-Georges CLOUZOT. Le premier titre du film était d'ailleurs "Joyeux noël", non sans raison. Pourtant "Quai des orfèvres" est un film complexe qui circule (dans sa mise en scène comme dans son scénario) entre genres et milieux. C'est à la fois un polar, un film musical, un drame de la jalousie, un documentaire sur le music-hall et la PJ. Et les personnages sont du même tonneau, ils ont tous un double-fond qui leur permet d'échapper aux stéréotypes en leur donnant une profondeur attachante. Ainsi la "vamp" de music-hall jouée par Suzy DELAIR qui rend fou de jalousie son mari, joué par Bernard BLIER s'avère n'être qu'une façade pour le show et le papier glacé. "Jenny Lamour" s'appelle en réalité Marguerite Chauffournier, c'est nettement moins glamour! Et si la femme derrière l'image ne manque pas d'ambition et d'aplomb, n'hésitant pas à s'arranger avec la vérité, elle possède une innocence qui met tout cet édifice en péril. Tout comme son mari qui en se laissant happer par ses pulsions (ah cette casserole "hitchcockienne" qui déborde!!) se retrouve pris dans un engrenage cauchemardesque ayant pour moteur l'assassinat d'un producteur particulièrement libidineux (Charles DULLIN). Maurice Martineau ferait un coupable d'autant plus idéal qu'il a des intentions meurtrières, cependant le spectateur le sait d'emblée, c'est un faux coupable (encore un thème cher à Alfred HITCHCOCK) qui ment mal. Heureusement, à la 37° minute arrive l'homme de la situation qui va faire toute la lumière sur une affaire tout en clair-obscur (là on sent l'influence de Fritz LANG), alias l'inspecteur Antoine (l'impérial Louis JOUVET) avec son oeil de lynx. Je pensais que la double focale (une variante du split-screen où l'on perçoit nettement deux plans d'images dont l'une devrait être floue) était une invention du nouvel Hollywood et pourtant, ce film l'utilise à plusieurs reprises quand l'inspecteur est présent, invitant le spectateur à le percevoir comme "extra-lucide". Et l'inspecteur Antoine a un double féminin, la photographe Dora Monnier (Simone RENANT) qui veille dans l'ombre sur le couple. D'ailleurs celui-ci lui rend un hommage vibrant à la fin du film quand il lui dit qu'elle est "un type dans son genre", obtenant en retour un regard plein de reconnaissance. Comme lui, c'est une observatrice avisée de la "comédie humaine", comme lui c'est une solitaire et puis comme lui, elle n'est pas dans les clous: peu à peu, on devine son homosexualité tandis que lui élève un enfant métis ramené des colonies. Bien évidemment on devine que Antoine et Dora, tous deux photographes, l'une professionnelle et l'autre amateur sont des reflets du réalisateur.
Il vaut mieux aimer la "french touch" pour apprécier un film qui comporte un grand nombre de scènes musicales en boîte de nuit. Sans nul doute, le film de Mia HANSEN-L-iVE est trop long, trop répétitif et ne parvient pas aussi bien qu'il aurait fallu à faire ressentir l'échec de la vie de son personnage principal, Paul (Felix de GIVRY), un DJ de musique électronique spécialisé dans le garage (inspiré du frère de la réalisatrice). Certes, son parcours finit par être assez pathétique à force d'enchaîner les déconvenues sentimentales et les bides financiers. Une réelle mélancolie sourde émane de cet éternel adulescent observant, impuissant ses ex le quitter et avoir des enfants avec d'autres, des amis disparaître, son style musical devenir has-been etc. Néanmoins le dénommé Paul est trop propre sur lui, trop lisse et trop bobo pour être vraiment touchant. Solaje évoque avec ironie le fait qu'il se déplace en taxi à Paris alors qu'il est censé être désargenté mais même son logement sous les toits avec sa baie vitrée courant sur toute la longueur du couloir n'est pas à la portée de toutes les bourses. Sans parler de ses aller-retour entre Paris et New-York et de sa consommation de coke. Surtout, les années ont beau défiler sur l'écran, lui ne change pas d'un poil ou presque, ses copines non plus d'ailleurs ce qui achève s'il en était encore besoin de rendre le film complètement irréel, plus rêverie mêlée de spleen que véritable chronique ancrée dans l'histoire et la réalité sociale. Finalement, le plus sympa dans ce film un peu poseur reste le contrepoint des touches d'humour apportées par les membres du groupe Daft Punk (interprétés par Vincent LACOSTE et Arnaud AZOULAY) qui eux traversent le temps avec succès mais se font systématiquement recaler à l'entrée des boîtes de nuit parce que sans leurs casques "il y a un problème de dress code" ^^.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.